leçon de violon ⊹ Vanya

Sophie avait commencé les leçons de violon depuis peu. Elle n'avait suivi, en réalité, que deux cours jusqu'à présent. Et on ne pouvait pas dire qu'elle était une élève attentive et appliquée. C'était même plutôt tout le contraire. Sophie était dissipée. Elle posait mille questions, souvent sans aucune importance. Elle parlait énormément, comme toujours. Et elle ne tenait pas en place. Sophie, malgré son âge, était toujours cette Sophie qui avait suivi des cours de maintien et de danse dont elle se fichait complètement, imposés par sa belle-mère. Sauf que, cette fois-ci et malgré son comportement, ces cours, elle les avait suivi par envie. Pas les bonnes envies malheureusement pour la professeure qui s'occupait d'elle. En réalité, elle se fichait un peu du violon. Elle aimait la musique et le son du violon lui était plaisant. Sauf qu'elle préférait écouter qu'apprendre. Si elle avait tant tenu à apprendre, c'était uniquement pour avoir de la compagnie dans cette grande maison, bien trop souvent vide.

Souvent, elle ne restait pas ici. La jeune fille se rendait régulièrement chez sa demi-soeur, mais cette dernière avait un enfant à gérer et un travail à effectuer. Elle n'avait pas toujours beaucoup de temps à accorder à Sophie. Et elle le comprenait, même si ça ne lui plaisait pas. Si seulement les autres étaient là aussi. Elle aurait tant aimé retrouvé Madeleine, Paul ou Jean. Avec eux, jamais elle n'aurait eu le temps de s'ennuyer. Ils auraient été là pour elle, pour la rassurer et pour l'amuser. Elle en était certaine. Sauf qu'il n'était pas là, ou, en tout cas, elle ignorait où ils étaient. Sophie avait alors eu cette idée : si elle prenait des cours, cette personne serait obligée de rester avec elle le temps d'une leçon. Elle pouvait alors rompre cette solitude une petite heure par semaine. Même si Sophie avait conscience que la professeure n'aurait peut-être pas la patience de la gérer longtemps encore. Après tout, elle ne serait pas la première à ne pas réussir à supporter Sophie et son mauvais caractère.

Impatiente, prête depuis presque une heure déjà, Sophie observait par les fenêtres. Elle trouvait le temps si long. La professeure n'avait pourtant aucun retard, mais Sophie n'était pas connue pour sa patience. Alors lorsque cette dernière arriva, Sophie ouvrit la porte avant même qu'elle n'ait eu le temps de toquer ou sonner. Ajoutant aussitôt, enjouée et souriante, fière d'avoir été là avant qu'on ne sonne à la porte : « Je vous attendais... » comme si cela n'allait pas de soi.

Impatiente d'avoir de la compagnie et de rompre le silence qu'il y avait dans cette maison, Sophie avait attendu longtemps à sa fenêtre. Elle n'avait qu'une hâte : voir sa professeure arriver au plus vite. Les cours de violon n'étaient pas déplaisants, mais elle s'intéressait plus à la compagnie qu'au cours en lui-même. Sophie n'était sans doute pas faite pour apprendre un quelconque instrument, elle était bien trop dissipée pour cela et elle ne disposait pas d'une grande patience. Tout ce qu'elle espérait, c'était que la professeure ne se lasse pas trop vite d'elle et de son comportement. Professeure qu'elle aperçut enfin après avoir attendu ce qui lui semblait être une éternité. Elle se précipita alors pour ouvrir la porte d'entrée avant même que Vanya n'ait eu le temps de sonner. Ça l'amusait et ça la rendait fière d'elle.

Sourire aux lèvres, Sophie ne put s'empêcher de préciser qu'elle l'attendait. Comme si cela n'avait pas été évident en voyant la porte s'ouvrir avant même d'annoncer sa présence. Elle fut tout aussi fière d'entendre sa professeure vanter sa motivation. Pourtant, elle savait très bien qu'il ne s'agissait pas vraiment d'une quelconque forme de motivation, mais elle était fière de ce qu'elle jugeait être un compliment. La jeune femme était toujours fière d'elle, comme une enfant, lorsqu'on lui vantait n'importe quelle qualité. Elle voulait toujours bien faire, elle aimait bien faire, mais elle faisait souvent tout le contraire. Alors lorsqu'elle recevait un compliment sur son bon comportement, elle en profitait.

Elle invita alors la jeune femme à entrer, sans perdre de temps et referma la porte derrière elle, reprenant presque aussitôt : « Oh oui, et toi ? » elle avait pu passer un peu de temps avec sa soeur et avait vu un peu ses amis, de quoi passer une semaine plutôt bonne. Pas encore assez à son goût, mais elle ne voulait pas se plaindre et perdre du temps à se lamenter sur son ennui. Et si Sophie était souriante jusqu'à présent, elle se mit plutôt à rougir et à baisser les yeux à la question de Vanya. Elle n'avait même pas pensé à inventer un mensonge pour expliquer son manque de travail. Après tout, elle avait l'habitude, elle allait bien trouver quelque chose à dire. Sophie se mit donc en recherche d'un mensonge, rapidement, pour éviter de ne laisser un blanc s'installer, n'ayant aucunement conscience qu'en rougissant ainsi, elle s'était déjà trahie elle-même. Elle craignait tellement de se faire gronder. Après tout, elle était sa professeure, elle avait bien le droit de ne pas être contente du manque de travail de Sophie. Alors, comme souvent, Sophie préférait se réfugier dans un mensonge. Plus facile à assumer, bien sûr, qu'avouer la vérité. « Oui... Je l'ai travaillé... un peu. » commença-t-elle, essayant de ne pas trop hésiter sur les mots. « mais, c'est que, j'étais malade.. » se justifia-t-elle un peu plus. « et je n'ai pas pu travailler autant que je le voulais. » précisa-t-elle encore. Elle parlait beaucoup trop pour être crédible. On voyait clairement qu'elle inventait l'excuse à mesure où elle parlait. « Oh pourtant, je voulais travailler et réviser, vraiment ! » termina-t-elle, se montrant peut-être trop enjouée pour paraître sincère. « Mais j'avais vraiment hâte que cette leçon arrive. » ajouta-t-elle finalement, trop bavarde, comme toujours. Elle était sincère. Peut-être qu'elle n'avait pas hâte pour les bonnes raisons, mais elle était sincère. Cette leçon, elle l'avait vraiment attendu.

Sophie se sentait gênée de devoir avouer à sa professeure qu'elle n'avait pas révisé. Alors, pour ne pas lui dire la vérité, elle inventait un mensonge. Si elle avait été malade, c'était une bonne raison pour ne pas avoir révisé, non ? Et personne ne pouvait lui en vouloir de ne pas avoir travaillé si elle avait été malade ! Elle était alors persuadée d'avoir trouvé la meilleure excuse possible, et quelque part au fond d'elle, elle était peut-être même un peu fière d'elle. Elle n'espérait plus qu'une chose : mentir comme il le fallait pour que Vanya la croit. Sauf qu'elle savait très bien, après avoir donné sa justification foireuse, que son excuse ne fonctionnait pas à la perfection. « Grave, non... J'avais de la fièvre, et mal à la tête... » commença-t-elle, en cherchant une succession de symptômes qui l'excuseraient sûrement. « et mal au ventre ! Oh et, j'avais aussi des nausées ! » Il y en avait assez, non ? C'était sans doute trop pour être crédible ? Ou peut-être pas assez ?

« Promis ! » lança-t-elle, un énorme sourire aux lèvres, « la prochaine fois, je travaillerai deux fois plus pour rattraper tout mon retard ! Je te le promets ! » c'était une promesse, oui, mais sans doute que Sophie aurait oublié ça d'ici quelques minutes ou quelques heures. Parce que Sophie oubliait souvent bien des choses, malgré toute la bonne volonté du monde. Et puis surtout, elle ne voulait pas que sa professeure ne souhaite plus lui donner un cours.

Sophie s'installait puisque sa professeure proposait de commencer le cours, en reprenant là où elles s'étaient arrêtées l'autre fois. Sophie l'observait sortir son violon, sans bouger, attendant bêtement la moindre indication. Finalement Vanya se stoppa et reprit la parole pour lui parler d'autre chose que le cours en lui-même. A sa première question, Sophie se contenta de hausser la tête de haut en bas, tandis que la jeune femme reprenait déjà la parole, sans même avoir attendu sa réponse. Pourquoi ne pourrait-elle pas lui poser une question ? Sophie aimait les questions, aimait qu'on s'intéresse à elle ou discuter, tout simplement. La question gênait de nouveau Sophie parce qu'elle n'avait aucune réponse à donner. Elle n'avait pas pris de cours pour les bonnes raisons, et elle le savait. Elle fouillait dans son cerveau à la recherche de sa meilleure excuse, mais elle ne trouvait rien. Peut-être que les mensonges n'étaient pas toujours la seule solution ? « Parce que j'aime bien la musique.. » tenta-t-elle, pourtant hésitante. « Et parce que je voulais apprendre quelque chose de nouveau... » ajouta-t-elle, « Et aussi, que j'aime beaucoup le violon ! » finit-elle, complètement consciente, cette fois, de ne pas être convaincante. « Tu veux quelque chose à boire ou à manger ? » Lança-t-elle finalement, en se remettant debout rapidement. D'une part, elle voulait s'éloigner un instant, imaginant bêtement que cela ferait oublier à Vanya sa question. Et puis, elle ne tenait déjà plus en place. Elle ne voulait pas voir ça que comme une leçon, elle voulait se donner l'impression de passer un moment avec une amie, et lorsqu'elle invitait une amie, elle lui proposait quelque chose à boire. C'était bien moins ennuyant que de simplement écouter une leçon, aussi intéressante soit-elle, que de faire autre chose en même temps.

Leçon de violon

Sophie de Réan & Vanya Hargreeves

Vanya ne put s'empêcher de sourire en entendant son élève réciter une série de symptômes de la curieuse "maladie" qui l'avait empêchée de travailler ces derniers jours. Il ne fallait pas être un génie pour réaliser qu'elle improvisait... Vanya ne s'en offusquait pas. Elle n'était pas payée pour harasser les gens et les forcer à étudier en dehors de ses heures de cours...  

Elle lui demanda au bout d'un moment ce qui l'avait poussée à commencer ces cours, et elle reçu une réponse un peu gênée et évasive en retour. Elle aimait simplement la musique ; le violon était un bel instrument. Bon, Vanya ne pouvait pas lui donner tort... mais elle n'était pas très convaincue. "Tu sais, ce ne sont pas de mauvaises raisons." Elle ne pouvait cependant pas s'empêcher de trouver que Sophie avait l'air plutôt incertaine en les expliquant. Elle hasarda : "Tu n'es même pas vraiment obligée d'avoir des raisons. Parfois on a juste envie d'apprendre quelque chose de nouveau, et c'est tout."

Vanya avait déjà donné cours à de nombreuses personnes, et toutes avaient leurs propres raisons pour tenter d'apprendre à jouer du violon. Certaines avaient un attachement émotionnel particulier à cet instrument ; d'autres en appréciaient juste la musique. Il n'y avait pas vraiment de mauvaises raisons, même si bien sûr, le plus impliqué était la personne, le plus de chance elle avait de continuer les leçons assez longtemps pour obtenir un vrai résultat. Avec l'expérience, Vanya avait appris à rapidement faire la différence entre les élèves qui allaient s'accrocher et ceux qui abandonneraient les cours après deux ou trois semaines. Sophie... Elle se trouvait un peu entre les deux catégories... Motivée par la présence de Vanya chaque semaine, mais semble-t-il assez désintéressée quant à la discipline elle-même.

Manifestement, cette dernière vouait s'éloigner du sujet car elle le changea rapidement, lui proposer à manger ou à boire. Distraite, songea-t-elle dans un coin de sa tête. Elle s'imaginait que s'était à ça que ressembleraient les moment où elle tenterait de réviser les cours, plus tard dans la journée : une série de distractions, et au final pas beaucoup de progrès.

-"Je veux bien un verre d'eau, si tu as ça." Une seconde après avoir prononcé cette phrase, elle réalisa à quel point elle était stupide (n'importe qui avait de l'eau chez lui, si pas en bouteille, au moins de l'eau du robinet) et se fut à son tour de rougir. Ah ! Elle était certes moins "enfantine" que son élève, mais quand il s'agissait de se couvrir de ridicule, elle n'avait pas son pareil. "Erm. Merci."

Vanya avait déjà donné cours à de nombreuses personnes, et toutes avaient leurs propres raisons pour tenter d'apprendre à jouer du violon. Certaines avaient un attachement émotionnel particulier à cet instrument ; d'autres en appréciaient juste la musique. Il n'y avait pas vraiment de mauvaises raisons, même si bien sûr, le plus impliqué était la personne, le plus de chance elle avait de continuer les leçons assez longtemps pour obtenir un vrai résultat. Avec l'expérience, Vanya avait appris à rapidement faire la différence entre les élèves qui allaient s'accrocher et ceux qui abandonneraient les cours après deux ou trois semaines. Sophie... Elle se trouvait un peu entre les deux catégories... Motivée par la présence de Vanya chaque semaine, mais semble-t-il assez désintéressée quant à la discipline elle-même.

Elle resta seule un moment, le temps que Sophie s'éloigne pour aller chercher ce qu'elle voulait.

-"C'est... joli, chez toi," mentionna-t-elle à voix haute, dans sa direction... Autant elle était à l'aise avec le "script" habituel de ses leçons, autant la petite conversation continuait de lui poser quelque problèmes.

Codage par Emi Burton

Spoiler:

Sophie évoqua tous les symptômes de cette terrible maladie qui l'avait empêché d'étudier sa leçon. Elle inventait tout, évidemment, mais il était hors de question qu'elle avoue son oubli. Elle n'avait jamais été très sérieuse et attentive, mais elle ne l'avait jamais tellement assumé non plus. Au sourire de sa professeure, Sophie se demandait si elle compatissait ou si elle comprenait juste qu'elle était en train de mentir.

Le cours commença finalement, ou plutôt les deux femmes se préparèrent à commencer le cours, mais Vanya se stoppa pour demander à Sophie ce qui l'avait poussé à prendre des cours. La question n'était pas facile. Surtout parce que la réponse n'était pas celle attendue, sans doute. Elle n'avait pas pris les cours pour la bonne façon. Elle n'avait pas pris ces cours par passion ou par désir d'apprendre réellement. Le violon lui plaisait et elle aimait l'idée de pouvoir apprendre quelque chose de nouveau, même si elle n'était pas la meilleure élève qui soit, mais elle avait réellement pris ces cours pour avoir un peu de compagnie dans cette grande maison où elle se sentait si seule. Elle répondit alors avec la meilleure réponse selon elle, celle qui lui semblait faire d'elle la meilleure élève possible. Elle savait qu'elle n'était pas du tout crédible. A la réponse de sa professeure, Sophie se maudissait intérieurement de ne pas y avoir pensé. Elle aurait pu simplement répondre qu'elle voulait essayer quelque chose de nouveau. Juste ça. C'était simple, et passe-partout comme excuse. Ce qu'elle pouvait être stupide parfois. Maintenant Vanya devait sans doute voir en Sophie une menteuse, ce qu'elle était la plupart du temps pour cacher ses bêtises ou tout ce qu'elle n'assumait pas.

Mais plutôt que répondre à la jeune femme, Sophie changea complètement de conversation, espérant lui faire oublier ses questions. Elle lui proposa alors quelque chose à boire ou à manger. Elle était sur place depuis bien trop longtemps de toute façon et elle avait envie que Vanya se sente à l'aise ici, comme s'il s'agissait d'une amie et pas juste d'une professeure. La réponse de la professeure l'avait surprise, mais Sophie ne broncha pas, n'ajoutant rien puisqu'elle l'avait vu rougir. Pourtant ce n'était rien, ça arrivait à tout le monde de parler sans réfléchir, à Sophie la première. « Je vais chercher ça. » souffla Sophie en souriant, se rendant dans la cuisine pour sortir deux verres et en remplir un d'eau et l'autre de soda. Depuis qu'elle était ici, Sophie s'était bien mieux habituée aux mauvaises choses qu'aux bonnes. Les deux verres en main, Sophie retournait vers sa professeure qui lui lançait un compliment sur cette maison, ce qui fit sourire Sophie. « C'est gentil, merci. » répondit-elle, polie, dans un premier temps, en lui tendant son verre d'eau. « mais même si j'aime beaucoup cette maison, elle est bien trop grande pour moi toute seule... Je m'ennuie beaucoup. » se confia-t-elle, en se rasseyant. Et puis ce n'était pas sa maison, son chez elle. Elle aurait aimé être de retour chez elle, retrouver tous ses souvenirs. « Et toi, tu vis où ? » demanda-t-elle, toujours aussi curieuse, ne se rendant pas compte de si cette question se posait ou non. « Tu vis toute seule toi aussi ? » celle-là, elle ne se posait pas, elle en était presque certaine, mais elle avait envie de discuter et pas de prendre un cours, alors elle poserait autant de questions qu'elle le pourrait avant de commencer le cours.

Spoiler:

Sophie aimait cette maison, mais elle était loin de celle où elle vivait avant, différente et surtout trop vide. Sophie n'avait jamais aimé la solitude. La seule période de sa vie où elle avait été réellement seule avait été la pire. Seule avec une femme qui la détestait plutôt que de l'aimer alors qu'elle avait perdu toute sa famille. Seule, loin de ses amis et de son chez elle. Seule, dans un pays inconnu avec une femme qu'elle connaissait si peu. La solitude était le pire des sentiments selon Sophie. Et si elle avait l'une de ses soeurs pour l'aider ici, elle ne supportait tout de même pas de vivre seule.

Comme Sophie avait envie de discuter encore un peu plus, elle retourna la question à sa professeure lui demandant où elle vivait et si elle vivait seule. Sophie était sans doute trop curieuse, mais elle l'avait toujours été alors pourquoi changerait-elle ? Puis, sa professeure ne semblait pas dérangée par les questions de la professeure puisqu'elle y répondit sans hésitation. « L'important c'est de s'y sentir bien. » Peu importe la taille de l'appartement ou de la maison, l'important était d'y être bien. Sophie n'avait jamais vécu en appartement, et elle ne le ferait sans doute pas si elle avait la chance de toujours avoir le choix parce qu'elle avait besoin d'espace malgré tout. Elle aurait juste aimé partager cette grande maison avec tous ses amis ou sa famille, comme autrefois.

A la question de Vanya, Sophie prit une nouvelle seconde pour réfléchir ou plutôt pour se remémorer son enfance et les animaux qu'elle avait pu avoir. Il y avait eu ce pauvre âne qu'elle avait martyrisé bien malgré elle parce qu'elle n'avait pas de patience, et ce pauvre écureuil que Paul avait attrapé pour elle et qui s'était échappé ou encore ce pauvre chat qui avait failli tuer l'oiseau de sa mère parce que Sophie avait désobéi, comme toujours et ce pauvre oiseau qu'elle avait failli tuer en lui préparant son nid... Autant dire que si elle aimait les animaux, il était peut-être préférable pour leur bien-être de ne pas avoir Sophie dans les parages. Enfin, elle avait grandi après tout et elle était bien plus raisonnable qu'autrefois, alors peut-être qu'elle en était capable désormais... « Je ne veux pas déménager... Je me sens bien ici, ça ressemble un peu à mon ancienne maison, j'aimerai juste y être moins seule... J'ai le plus souvent vécu entourée, alors c'est difficile... » Commença-t-elle, gardant toujours espoir que sa famille réapparaisse un jour et que tout redevienne comme avant. Ou qu'elle retourne chez elle. « J'aimerai beaucoup avoir un animal, mais ce n'est pas une bonne idée... pour lui. » précisa-t-elle en souriant. Si elle ne lui ferait aucun mal volontairement, mais elle était capable en voulant trop en faire de faire pire que mieux. « Oh... » souffla-t-elle, voulant comprendre davantage par curiosité. « Pourquoi tu n'y étais pas bien ? Tu y vivais seule avec tes parents ? » Continua-t-elle avec toutes ses questions, oubliant presque qu'il s'agissait d'un cours et qu'elle n'était pas du tout en train de le prendre. Alors elle se concentrait sur l'aveu de la professeure. C'était pourtant agréable d'avoir de l'espace pour jouer et se dépenser, mais il était vrai que seule, cela devait avoir l'air bien vide. Ou peut-être y avait-il d'autres raisons à cela.

Sophie préférait discuter à apprendre. Ce n'était pas nouveau. Elle n'avait jamais trop aimé apprendre et écouter, même si elle avait appris à faire des efforts avec le temps. Elle pouvait se concentrer si c'était absolument nécessaire, mais elle préférait toujours bouger et discuter. C'était tellement plus amusant que d'être sérieuse à apprendre quelque chose. Les mots de la professeure faisaient penser à Sophie que cette dernière avait grandi seule avec ses parents. Sophie savait à quel point il était triste et difficile de grandir sans être entourée d'autres enfants. Elle avait été privée de ses amis, de sa famille durant quelques années et ça avait été les années les plus longues de toute sa vie. Toute cette vie en Amérique avait été la pire chose de sa vie, même si avec les années elle avait réussi à en retirer du positif.

Lorsque Vanya évoqua, en réalité, son nombre de frères et de soeur, Sophie fut tout à coup intéressée. Plus encore qu'auparavant. Elle aurait tellement aimé avoir une si grande fratrie. Chaque été à Réan puis à Fleurville, ensuite, c'était un peu comme avoir une grande famille. Tous les enfants réunis ils étaient six, puis sept. Mais ils n'étaient pas toujours ensemble et ils n'étaient pas toujours une famille. « Pourquoi est-ce qu'il faisait ça ? Il ne vous aimait donc pas ? » La gêne ou la retenue de poser de telles questions n'était pas une évidence chez la jeune fille qui ne se rendait pas toujours compte de ses paroles maladroites. Puis elle connaissait ça, elle aussi. Même si ce n'était pas avec son père. Elle avait connu une belle-mère qui la maltraitait et ne l'aimait pas. Alors elle pouvait comprendre. « Pas vraiment... » répondit Sophie, dans un premier temps, cherchant à expliquer sa vie de famille un peu compliquée. Puis bavarde comme toujours, elle reprit pour partir dans une longue explication sans se soucier de savoir si ça intéressait réellement la professeure ou si elle avait posé cette question par politesse. « En réalité je suis fille unique, mais j'ai grandi avec mon cousin, Paul, qui avait presque le même âge que moi. Ses parents n'avaient pas le temps de s'occuper de lui, alors il était toujours chez nous, à Réan. Il était un peu comme mon grand frère. » Ah Paul. Elle aimerait tellement le revoir. C'était la deuxième fois qu'ils étaient séparés si longtemps et comme la première fois, il était toujours là, dans son coeur, à défaut d'être dans sa vie. « Puis, il a disparu lors d'un naufrage. Je croyais qu'il était mort. Plus tard, je suis retournée chez moi avec ma belle-mère. J'ai été seule longtemps avec ma belle-mère, mon père et ma mère n'étaient plus là. Et elle a fini par me confier à une amie de mes parents, qui avait deux filles. Alors j'ai gagné deux soeurs et une amie, qui vivait avec elle. Et il y avait leurs deux cousins qui venaient souvent, depuis que j'étais toute petite. Puis Paul est revenu à son tour. Alors quelque part, j'ai eu une grande famille... » Compliqué, comme toujours avec Sophie, qui expliquait sans forcément faire attention à bien se faire comprendre. « Mais ici, je n'ai plus que Camille, l'une de mes soeurs. Tous les autres ont disparu... Paul, Madeleine, Jean... » à ces quelques prénoms prononcés, la jeune fille baissa les yeux. Il aimerait tellement les revoir et revivre avec eux. Paul, ce cousin avec qui elle avait grandi. Madeleine, sa soeur si douce et si gentille avec elle. Léon, ce cousin avec qui elle avait tant aimé se disputer. Marguerite, cette amie avec qui elle s'était tant amusée. Et Jean... A chaque fois qu'elle pensait à lui elle avait une drôle de sensation, comme celle d'avoir perdu plus qu'un ami. Elle l'aimait beaucoup lorsqu'ils étaient jeunes. Plus que beaucoup même. Mais Sophie avait oublié tellement d'années de sa vie qu'elle ne pouvait plus être sûre de rien.

Sophie était curieuse par nature. Si parfois cela pouvait être une qualité, d'autres fois sa curiosité devenait gênante. Elle ne se rendait pas toujours compte qu'elle mettait mal à l'aise les gens ou qu'elle les embêtait. Pourtant, elle devrait comprendre. Elle aussi, durant un temps, ne voulait pas entendre parler de sa vie en Amérique, du naufrage ou des gens qu'elle avait aimé et perdu. Puis ces événements l'avaient rendu forte. En grandissant, elle avait appris à vivre avec ces événements douloureux et elle avait été capable d'en parler. Bêtement, elle devait certainement penser que c'était la même chose pour tout le monde. Alors Sophie continuait de poser toutes ses questions, demandant si son père ne l'aimait pas. Son comportement la poussait à croire que non, il ne pouvait pas les aimer. « Et ta mère, elle vous aimait, elle ? » demanda-t-elle, toujours persuadée que la conversation n'était gênante pour aucune des deux.

A son tour Sophie évoqua sa famille et sa vie compliquée. Entre les départs, les disparitions et les changements de vie, cela devait être bien compliqué à suivre pour Vanya. D'autant que Sophie ne faisait aucun effort pour être claire. A aucun moment, la jeune fille ne se disait que, peut-être, elle ennuyait sa professeure qui n'avait pas signé pour se retrouver à écouter les malheurs d'une inconnue. Si Sophie était parfois une enfant, elle comprit rapidement que les mots de la jeune femme n'étaient là que pour la réconforter. Puis, en elle, elle avait ressenti une pointe de jalousie lorsque Vanya avait avoué être arrivée ici avec sa famille. Pourquoi avait-elle eu cette chance ? Pourquoi Sophie en avait été privée ? N'avait-elle pas déjà été suffisamment privée des siens durant son enfance ? Alors elle se contenta de hausser les épaules, gardant les yeux baissés, et la tête ailleurs, au milieu des souvenirs de ses amis et de sa famille.

Le silence avait peut-être duré plus que les quelques secondes qu'avait imaginé Sophie. A vrai dire, elle n'en savait rien. Tout ce qu'elle savait, c'était que la professeure semblait trouver le temps long, ou le silence pesant, puisqu'elle reprit la parole. Sophie releva les yeux, presque fière à l'idée de pouvoir apprendre à jouer d'un instrument pour rendre les siens fiers. « Tu crois que je suis capable de les rendre fière grâce à ça ? » les yeux soudainement plein d'espoir, elle en avait presque oublié son chagrin et son air triste avait disparu. Elle avait espéré revoir sa famille après la lune rouge, imaginant qu'ils apparaîtraient comme elle, elle était apparue. Puis ses espoirs avaient été déçus. Maintenant, elle imaginait qu'ils étaient là, tous ensemble, quelque part en ville à attendre Camille et Sophie. Et elle imaginait leur fierté en voyant le travail accompli par Sophie durant leur absence. « Parfois, certaines personnes refusent d'aimer et d'être aimée, quoi que l'on fasse. Ma belle-mère m'a toujours détesté, dès le premier instant... » souffla la jeune femme, pour essayer, à son tour, de rassurer Vanya qui n'en avait sans doute pas besoin en réalité. « Pour ton père, c'était peut-être pareil ? Il n'était peut-être pas fait pour être père et quoi que tu aurais pu faire pour lui faire plaisir, ça n'aurait rien changé. » Sophie se mit à sourire, dans son esprit elle était en train de rassurer sa professeure qui avait de la peine. Dans la réalité, c'était plutôt Vanya qui n'avait dit ça que pour rassurer Sophie. « Alors, on reprend le cours ? Je t'ai assez embêté avec mes questions et mes histoires. » lança la jeune femme, motivée tout à coup. « Même s'il ne doit pas rester bien longtemps.. » lança-t-elle, peinée à l'idée de se retrouver seule bientôt, n'ayant aucune idée du temps perdu lors de leur petite conversation. Sophie profitait de la présence d'autres personnes lorsqu'elles étaient chez elle pour ne plus se sentir seule et avoir l'impression d'avoir des amis à qui parler. Et elle en oubliait souvent que Vanya n'était pas là pour ça, malheureusement.