(Terminé) Meet my cousin [PV Sophie de Rean]

La vie de Sophie était une catastrophe sans fin. Si elle donnait l'impression d'être heureuse, rien n'allait en réalité. Elle l'était, évidemment, d'avoir retrouvé son époux et ses soeurs. Chacune de ses retrouvailles avait été un moment merveilleux où Sophie avait retrouvé l'espoir de vivre comme autrefois, heureuse et insouciante auprès des siens. Sauf que sa vie ne s'arrêtait pas à ses belles retrouvailles. D'un autre côté, elle avait fait une bêtise si grosse qu'elle en avait perdu sa liberté. Elle n'était plus maîtresse de ses décisions ou de sa vie depuis des semaines, parce qu'elle avait fait la bêtise de croire en un monstre, qui la forçait désormais à blanchir son argent. Comme elle ne pouvait rien dire, elle continuait de vivre le plus normalement possible. Elle n'avait personne à qui confier toutes ces horreurs. Elle devait vivre avec ce qu'elle avait vécu et ce qu'elle devait faire, seule. Cette solitude était pesante. Sourire et prétendre que tout allait bien quand tout allait mal étaient pesants. Vivre avec une menace constante au-dessus de la tête était pesant. Si elle osait, ne serait-ce que, laisser sous-entendre ce qui lui arrivait, elle mourrait. Sa famille aussi. Alors elle se taisait. Sophie avait déjà connu ça. Faire semblant. Autrefois, lorsqu'elle était enfant et que sa belle-mère la maltraitait, elle faisait semblant. Lorsqu'elle était avec ses proches, elle continuait d'être la Sophie qu'ils connaissaient. Elle ne laissait rien paraître la plupart du temps, comme sa belle-mère le lui avait ordonné. C'était un jeu auquel elle était plutôt douée, être deux personnes à la fois. Aujourd'hui aussi, il existait deux Sophie. Une première Sophie lorsqu'elle était avec ses amis, sa famille ou son mari. Dans ces moments-là, il lui suffisait de faire comme s'il ne s'était jamais rien passé. Elle était joyeuse et heureuse. Il lui suffisait de faire semblant et d'être celle qu'elle avait été autrefois. D'oublier son malheur pour se concentrer sur le moment présent. C'était une chose difficile à faire, mais elle n'avait pas le choix. Sophie se devait de le faire pour eux. L'autre Sophie, quant à elle, devait subir les horreurs de ce monstre, obéir et se taire. Cette Sophie était terrorisée et malheureuse. Mais cette Sophie n'existait qu'en la présence de cet homme. Le reste du temps, elle devait vivre comme avant pour ne pas éveiller le moindre soupçon au risque de tous les mettre en danger ou de subir la colère de celui qui lui avait tout pris.

Avec l'idée de vivre normalement en tête, Sophie avait décidé de se promener au parc. Seule. Généralement, elle préférait embêter l'une de ses soeurs, Jean ou l'un de ses amis pour sortir, mais aujourd'hui, elle avait eu envie - et besoin - d'être seule. C'était une chose plus que rare pour elle, mais ça lui arrivait parfois - de plus en plus dernièrement, cela dit. Seule, elle pouvait profiter du calme de sa journée pour penser à tout ce qui lui était arrivé dernièrement et à ce qui lui arriverait prochainement.

Alors qu'elle avançait, les mains dans les poches et les yeux perdus devant elle, sur une chose invisible, ces derniers furent automatiquement attirés par un visage. La sensation qu'elle avait était étrange. Ce visage lui paraissait inconnu alors que tout son corps et son esprit lui indiquaient qu'elle le connaissait bel et bien. Stoppée en plein milieu du chemin, Sophie observait cet homme qui tenait ce carnet à la main tout en prenant des mesures pour elle ne savait quoi. Son esprit lui hurlait un prénom. Un prénom qui représentait tellement de choses pour elle. Paul. Perdue, elle hésita un instant. Devait-elle s'approcher ? Dire quelque chose ? Et si elle se trompait ? Son coeur battait déjà bien plus vite à l'idée d'avoir retrouvé Paul et elle craignait le désespoir qui l'envahirait si elle s'était trompée. Arriverait-elle à le supporter ? Elle en doutait, mais elle ne pouvait pourtant pas rester plantée là à ne rien faire. Il lui fallait bien être fixée et pour ça, elle devait faire quelque chose.

Sans plus réfléchir pourtant, Sophie avait laissé ses pas la guider jusqu'à l'homme. Dos à elle désormais, elle hésitait encore un instant avant de s'éclaircir la voix pour attirer son attention. Timidement enfin, elle osa lancer un simple : « Paul ? » En d'autres circonstances, peut-être aurait-elle pu lui sauter directement dans les bras, heureuse avant même d'être certaine de l'avoir retrouvé. Aujourd'hui, elle était plus retenue. La crainte de s'être trompée était plus forte que la joie de l'avoir potentiellement retrouvé. Elle ne voulait pas être déçue. Elle l'avait si longtemps cherché. Sophie ne bougeait plus. Figée sur place, elle observait cet homme tandis que des dizaines de questions l'envahissaient soudainement. Son coeur battait à une vitesse incroyable et elle se triturait les mains à cause de l'angoisse. Tout son corps n'attendait qu'une chose : se jeter dans ses bras - s'il était bien celui qu'elle croyait.

Et si, après trois ans, elle avait enfin retrouvé Paul comme elle avait retrouvé Jean et Madeleine, quelques mois auparavant ? Se pourrait-il que cette ville s'amuse à lui offrir tant de malheurs d'un côté pour la réconforter ensuite en lui rendant les personnes qu'elle aimait de l'autre ? Elle l'espérait de tout son coeur. Elle espérait qu'il soit Paul. Elle espérait qu'il se souvienne d'elle et qu'il la reconnaisse - après tout, elle avait bien perdu une partie de ses souvenirs, alors il avait très bien pu l'oublier, non ? Elle espérait bien trop de choses durant ce très court laps de temps qui lui paraissait durer une éternité entière.

Ça n'avait été qu'un murmure. Un appel timide, par crainte de voir cet homme se retourner et lui apprendre qu'elle se trompait. Autrefois, Sophie lui aurait sauté dessus sans attendre la moindre confirmation, bien trop heureuse d'avoir retrouvé son cousin chéri. Aujourd'hui, Sophie craignait une nouvelle déception, alors elle se montrait particulièrement distante et raisonnable. L'homme avait mis un certain temps avant de réagir. Sophie s'était alors imaginé le pire - et le plus logique. S'il ne répondait pas à ce prénom, s'il ne s'était pas encore retourné, c'était simplement parce que ce n'était pas lui. Elle s'était encore trompée. Ce n'était pas Paul.

Alors qu'elle avait baissé les yeux, déçue, l'homme se retourna enfin et souffla son prénom. Les yeux de la jeune femme se relevèrent aussitôt et s'illuminèrent. Elle connaissait la même joie que lorsqu'elle avait retrouvé tous les autres. Sophie se contentait de le dévisager, les larmes aux yeux et un sourire heureux aux lèvres. Il fut alors le premier à s'avancer vers elle pour la serrer contre lui. Les bras de la jeune femme l'entourèrent aussitôt, le serrant aussi fort qu'elle le pouvait pour s'assurer de sa véritable présence. Il n'était ni une hallucination, ni un fantôme de son passé. Il était bien réel. Il était bien présent. Maintenant qu'elle se trouvait dans ses bras, la main de Paul caressant ses cheveux, Sophie oubliait tous ses problèmes. Paul était comme un frère pour elle, il était celui qui avait juré de toujours la protéger et il était celui qui l'avait accompagnée durant ses premières années. Il était aussi précieux que Camille, Madeleine ou Jean et il avait une place toute particulière dans son coeur. Il en avait toujours eu une. « Tu m'as tellement manqué... » Souffla Sophie alors qu'il lui avouait qu'il pensait ne jamais la revoir. Pour Sophie, les choses étaient différentes. Elle n'avait jamais perdu espoir de le retrouver une seconde fois. Elle avait douté parfois, mais elle avait toujours voulu croire qu'il lui reviendrait. Puis, elle n'avait pas été seule - peut-être que ça l'avait aidée à garder espoir, elle n'en savait rien. Mais aujourd'hui, ça n'avait plus la moindre importance parce qu'ils s'étaient retrouvés. 

Bien vite, Paul commençait à interroger sa cousine sur sa vie ici. La jeune femme ne pouvait s'empêcher de rire, joyeuse, à le voir lui poser plusieurs questions sans même lui laisser le temps de répondre. Mais elle comprenait son impatience. Si elle le pouvait, elle serait en train, elle-même, de lui poser les mille questions qui la traversaient pour tout savoir de son cousin. « Ça fait beaucoup de questions, tu ne crois pas ? » Plaisanta-t-elle, heureuse comme elle ne l'avait pas été depuis de longues semaines. Elle en oubliait son monstre et ses cauchemars. « Je vais bien. » Commença-t-elle, même si ce n'était pas vrai, à cet instant, elle allait véritablement bien. « Jean est avec moi depuis quelques mois. » Elle n'allait pas donner tous les détails, ils auraient tout le temps pour ça, l'important était de préciser qu'elle l'avait retrouvé. « Camille, Madeleine et les enfants aussi. » Elle était si heureuse de pouvoir lui dire que ses amis étaient là, comme elle. « Et toi ? Marguerite ? Léon ? » Cita-t-elle pour ne donner que quelques exemples. Puis elle enchaînait sans lui laisser le temps de répondre : « Je me suis réveillée ici, il y a un peu plus de trois ans, sans comprendre ce que je faisais là. J'étais toute seule au début, puis j'ai retrouvé Camille après quelques semaines. Je n'ai retrouvé Madeleine et Jean que peu de temps avant Noël. » Finalement, les précisions arrivèrent d'elle-même parce que Sophie parlait beaucoup trop. « Je ne sais toujours pas ce que je fais ici, mais je sais que ça n'a plus aucune importance maintenant que tu es ici, toi aussi. » Pour Paul, elle avait retourné la ville en vain et elle aurait tout fait pour retourner chez elle. Si elle devait vivre ici pour être près de lui, alors elle vivrait dans cette ville étrange qui ne lui attirait que des problèmes. Son mari, son cousin et ses soeurs étaient ici, sa famille se complétait peu à peu. « Oh... Je parle beaucoup trop, mais je suis tellement heureuse... » Et elle se mit à rire, encore, sincère. « Et toi, Paul, dis-moi comment tu vas ? » Parce qu'elle voulait s'assurer que tout allait comme il voulait, que cette ville lui avait peut-être apporté ce qu'il attendait, qu'il était heureux. A ce moment précis, c'était bien tout ce qui comptait pour Sophie.  

Sophie ne pouvait être plus heureuse qu'à cet instant. Elle avait ressenti la même chose en retrouvant Camille d'abord, puis Madeleine, et enfin Jean. Aujourd'hui, il s'agissait de Paul. Depuis quelques mois, elle retrouvait ses proches les uns après les autres. On lui redonnait cette famille dont on l'avait si longtemps privée. On lui donnait une chance de supporter ce qu'elle devait cacher à tous. Et on lui donnait le malheur d'avoir davantage de personnes à protéger, davantage de proches pour qui elle devait se taire et obéir si elle ne voulait qu'aucun mal ne leur arrive. Si Sophie était plus heureuse que jamais, elle se demandait presque si cette maudite ville ne s'amusait pas à lui rendre ses proches, non pas pour la rendre heureuse, mais pour la rendre plus malheureuse à l'idée de pouvoir les perdre des mains de Vaas, si elle venait à faire la moindre bêtise. Etait-ce un cadeau empoisonné que cet endroit lui faisait finalement ? Préférant ne pas penser à tout cela pour le moment, la jeune fille se reconcentrait sur les mots réconfortants de son cousin. Il était heureux de la revoir, lui aussi. Ils avaient été si longtemps séparés que ce miracle ne pouvait que les rendre heureux. Enfants, ils avaient déjà été séparés. Aujourd'hui, les choses s'étaient répétées. Maintenant, Sophie espérait que Paul resterait à ses côtés pour toujours. Elle n'était pas certaine de pouvoir supporter de le perdre une nouvelle fois.

Sophie était amusée de constater que Paul était si heureux qu'il ne retenait aucune de ses questions. Elle ne put d'ailleurs pas se retenir de lui en faire la réflexion pour le taquiner, évidemment. Sophie lui raconta alors qu'elle avait retrouvé ses soeurs et son mari et quand elle les avait retrouvés. A sa proposition, la jeune femme ne put que sourire davantage, heureuse de voir que la vie allait reprendre comme autrefois - ou presque. Sophie hocha la tête, avant de confirmer par quelques mots : « Laisse-moi lui faire la surprise ! Je vous inviterai tous les deux, sans lui dire que tu es là ! » Sophie imaginait déjà les retrouvailles et avait hâte, comme elle avait eu hâte d'organiser les différentes retrouvailles entre ses soeurs et son époux. « Oh, je suis certaine qu'il sera heureux. » Souffla-t-elle, les yeux pleins d'impatience, sautillant presque sur place. Sophie avait été tellement heureuse de la proposition de son cousin, qu'elle n'avait prêté aucune attention à la fin de sa phrase, déjà partie depuis plusieurs secondes dans ses pensées, à imaginer ce fameux dîner à trois.

Sans vraiment lui laisser davantage de temps pour parler, la jeune femme poursuivit, impatiente de savoir s'il avait retrouvé du monde de son côté. Peut-être était-il avec ses parents ? Ceux de Sophie ? Marguerite ? Léon ? A son air attristé, Sophie vint poser sa main sur sa joue, un sourire aux lèvres pour rassurer son cousin qu'elle n'aimait pas voir malheureux. « On va les retrouver Paul, ne perds pas espoir. » Souffla-t-elle, tentant d'être réconfortante. Puis, comme pour ne pas s'attarder sur un sujet qui le rendait malheureux, Sophie répondit à ses autres questions, en expliquant ce qu'elle avait fait pendant trois ans - ou plutôt comment elle était arrivée ici et comment elle avait retrouvé les gens qu'elle aimait un par un.

Et leur arrivée mystérieuse, les difficultés et les problèmes, tout ça n'avait aucune importance à côté du fait qu'ils se retrouvaient là, tous les deux, comme autrefois. Il n'y avait jamais rien eu de plus important, aux yeux de Sophie, que sa famille. Paul à ses côtés, elle se sentait soudainement la force d'affronter n'importe quoi. Beaucoup trop bavarde - ce qu'elle lui fit remarquer avec amusement et en se justifiant - la jeune femme s'intéressait à ce que son cousin était devenu et à comment il allait. « J'ai changé. Je suis devenue sage et responsable. » Affirma-t-elle avant de rire. C'était la chose qu'elle répétait à longueur de temps et à tout le monde alors que ce n'était pas vraiment vrai. Elle s'était assagie et savait être responsable lorsque les circonstances l'exigeaient, mais elle restait toujours la même personne insupportable et avec un mauvais caractère. Si elle essayait de correspondre davantage à ce que l'on attendait d'elle, s'oubliant parfois un peu pour renvoyer l'image d'une femme sage et bien élevée, elle ne pouvait changer ce qu'elle était au plus profond d'elle-même - et malgré ses efforts, cette fille-là ressortait bien trop souvent, ce qui ne semblait pas déplaire à sa famille, finalement.

Répondant enfin à sa question, Paul lui expliqua qu'il était arrivé il y a trois ans, tout comme elle, seul. Néanmoins, il précisa qu'il avait rencontré quelqu'un. Sophie se faisait une joie de savoir que son cousin avait refait sa vie - elle n'avait gardé aucun souvenir de Paul et Marguerite adultes, alors difficile d'avoir l'image d'un couple heureux. Pourtant, il s'était repris de lui-même, rapidement, pour préciser que ce n'était pas ce qu'elle croyait. En réalité, ce quelqu'un était une petite fille qu'il élevait comme la sienne. Sophie se contentait de sourire, sans ajouter un mot, pour le laisser finir de lui raconter sa vie ici. Paul lui expliqua alors qu'il avait ouvert une entreprise où il fabriquait des abris de jardins et des cabanes. Cette information la fit sourire parce qu'elle correspondait tout à fait à l'image qu'elle se faisait de Paul. Et il lui parla brièvement de son projet actuel. Sophie était heureuse de voir qu'il avait eu une vie bien remplie, malgré la perte de sa famille.

Maintenant qu'il semblait avoir fini, la jeune femme reprit à son tour, impatiente d'avoir davantage de détails à tout ce qu'il venait de dire : « Je suis certaine que je l'aimerai moi aussi. Elle est ta famille, alors elle fait partie de ma famille. » Sans même la connaître, elle se disait que si son cousin aimait cette petite fille comme sa propre fille, Sophie l'aimerait de la même façon. « J'ai hâte de la rencontrer. » Affirma-t-elle pour montrer à son cousin comme elle était heureuse pour lui. « Paul, je ne me souviens pas d'une partie de ma vie. Je n'ai plus aucun souvenir d'avoir été mariée à Jean ou de t'avoir déjà vu avec Marguerite. » Préféra-t-elle expliquer franchement pour qu'il ne s'étonne pas devant les possibles incompréhensions de Sophie. « Alors ne m'en veux pas si je ne me souviens pas de quelque chose que tu me racontes. » Au fond d'elle, elle était certaine qu'il ne lui en voudrait pas, mais elle tenait à le mettre au courant pour qu'il n'en soit pas étonné.

« Alors tu construis des cabanes ? En quelque sorte, tu continues ce que nous faisions, enfants. Tu as oublié de grandir. » S'amusa-t-elle, heureuse de voir que son cousin ne s'ennuyait pas dans un travail qui ne lui correspondait pas. « Et tu vis où ? » Parce qu'elle voulait tout savoir de lui, elle ne pouvait s'empêcher de savoir dans quel quartier il vivait et à quoi ressemblait l'endroit où il vivait avec cette Mary. « Je suis heureuse de savoir que tu as pu te construire une vie ici. » Toujours aussi bavarde, elle ne s'arrêtait plus, de nouveau : « Et j'ai hâte que tu retrouves tout le monde ! » Peu à peu, leurs réunions de famille ressemblaient davantage à celles qu'ils partageaient auparavant et Sophie avait hâte de voir tous les autres, parce qu'elle était désormais persuadée qu'ils arriveraient eux-aussi.

L'esprit de Sophie travaillait déjà à toute vitesse. Elle imaginait ce qu'elle pouvait organiser pour les retrouvailles de Paul et Jean. Une chose était déjà certaine : elle n'allait pas parler à Jean de Paul. Ça allait, sans le moindre doute, être une chose compliquée. Sophie avait toujours beaucoup de mal à tenir sa langue et sa joie allait être difficile à cacher. Mais elle ne dirait rien. Elle garderait cette surprise secrète jusqu'au bout parce qu'elle avait besoin de ça dans sa vie. Elle avait besoin de bonnes nouvelles. Elle avait besoin de bonnes choses. Elle avait besoin de voir sa famille heureuse et d'oublier tout ce qui était en train de lui arriver. Alors que Sophie était plongée dans ses pensées, Paul lui fit une réflexion à propos du thé, ce qui la fit rire immédiatement. Tentant de contrôler son rire, elle lui lança un regard plein de fausse colère, les sourcils froncés et elle ajouta : « Je sais très bien faire le thé ! Tu n'as juste aucun goût ! L'eau des chiens était très bonne ! » Ce souvenir la ramenait à une autre époque. Une époque où elle ne connaissait pas tant de problèmes encore. Une époque où elle n'était encore que dans l'innocence de l'enfance, loin des misères et des problèmes.

Il était difficile de se retrouver dans cette ville, seul. Sophie en avait fait l'expérience durant quelques semaines et il avait été question des pires semaines de sa vie - ou presque. Mais elle ne pouvait pas s'en plaindre parce qu'elle avait eu beaucoup de chances. Camille aussi. Jean, Madeleine et Paul n'avaient pas eu cette même chance, en revanche. Et Paul avait raison. Il était difficile d'espérer parce qu'on ne savait pas si tout le monde était réellement ici. Peut-être que non. Peut-être que certains étaient restés chez eux et pleuraient leur disparition comme eux pleuraient la leur. Sophie ne répondit rien à la remarque de son cousin. Elle ne pouvait être que d'accord et ne savait pas quoi lui dire. Alors, elle se contenta de lui lancer un sourire compatissant. Elle avait retrouvé ses soeurs, son mari et, maintenant, son cousin. Il retrouverait sa fiancée, lui aussi. Elle voulait y croire.

Entre eux, les choses n'avaient pas changé. Ils ne s'étaient pas vus depuis trois ans, mais tout était pareil. Ils plaisantaient, ils riaient du caractère de Sophie, ils s'amusaient. « Dommage que vous ne m'aimiez pas insupportable et irresponsable, ça m'éviterait bien des efforts... » Soupira la jeune femme, à moitié sérieuse. Il n'était pas rare qu'on lui rappelle ce qu'il fallait ou ne fallait pas faire. Elle avait passé son enfance à être rappelée à l'ordre, à devoir se montrer sage et raisonnable. Si elle avait fini par céder au bon côté, à se montrer bien élevée, Sophie n'était jamais pleinement elle-même, même encore aujourd'hui. Bien sûr, il n'y avait pas que de mauvais côtés. Elle avait appris à être plus patiente et moins égoïste, elle avait appris à se soucier des autres - et elle payait actuellement le prix de cet apprentissage de la pire des façons. Mais elle n'était jamais aussi libre qu'elle l'aimerait.

Paul lui raconta finalement quelle avait été sa vie, depuis qu'il était ici. Sophie était heureuse de savoir qu'il n'avait finalement pas été complètement seul. Elle était heureuse de savoir qu'il avait réussi à se construire une vie dans ce nouveau monde. « Je suis impatiente de la rencontrer. » Réaffirma Sophie, avec sérieux, lorsque son cousin lui expliqua qu'il amènerait cette Mary, lors de leur dîner, pour qu'ils puissent la rencontrer. « Merci Paul. » Souffla la jeune femme, un sourire reconnaissant aux lèvres, lorsqu'il lui assura qu'il ne lui en voulait pas, même si elle avait oublié certaines choses de leur passé. Bien sûr qu'elle n'en était pas responsable, mais parfois, il était compliqué de comprendre pourquoi Sophie n'avait pas en tête les mêmes événements ou ne comprenait pas tout ce qui était dit. Et parfois, c'était une chose agaçante que de devoir tout réexpliquer. Elle préférait donc être claire dès le départ et le prévenir. « J'ai retrouvé Jean, tu retrouveras Marguerite. » Le rassurait-elle en venant essuyer la larme sur sa joue, pleine de confiance et d'espoir.

Sophie était heureuse, joyeuse et maladroite, comme bien souvent. Elle ne se rendait pas compte de la difficulté du travail de son cousin parce qu'elle n'y voyait qu'un tendre souvenir d'enfance, qu'un métier qui lui correspondait parfaitement. Son travail à elle - avant l'arrivée de Vaas, du moins - était plus simple, moins fatigant. Il était clair qu'elle n'avait pas à se plaindre à côté de lui. A l'expression qu'il afficha, Sophie se sentit gênée d'avoir parlé ainsi. Il semblait fatigué. Pas seulement physiquement, aussi par la situation. « Je suis désolée Paul, je ne voulais pas... J'ai été maladroite. » Elle relevait les yeux qu'elle avait baissés par honte. « Je suis là maintenant. Et tu sais que je ne te laisserai jamais manqué de quelque chose. » Peut-être était-ce tout aussi déplacé et maladroit, mais Paul connaissait Sophie et il n'avait pas à faire preuve de fierté avec elle. Il savait que jamais elle ne le laisserait avoir des problèmes. Elle ne se vantait pas de sa fortune conservée, mais elle ne la garderait pas égoïstement pour elle. Il était sa famille et il en profiterait aussi souvent que nécessaire.  

Pour repartir sur un sujet plus doux, Sophie lui rappela comme elle était impatiente qu'ils puissent tous se retrouver. Bien sûr, il partageait ce sentiment, Sophie n'en doutait pas. « Tu ne me quitteras vraiment plus cette fois-ci, n'est-ce pas ? » Par deux fois, ils s'étaient retrouvés séparés et Sophie l'avait très mal vécu. Cette fois-ci, elle attendait une promesse - qu'il ne décidait pas de tenir ou non, malheureusement pour elle - pour être rassurée, une fois encore, en priant de tout son coeur pour qu'ils ne soient réellement plus jamais séparés.

Ce thé était délicieux, ses amis n'avaient simplement aucun goût. C'était, en tout cas, ce que la mauvaise foi de Sophie la poussait à dire. La réflexion de Paul l'avait fait sourire et son air, plus encore. Elle n'y croyait pas une seule seconde. Jamais Paul ne pourrait la juger de la sorte, elle le connaissait bien trop pour ça, et même trois ans dans cette ville n'aurait pas pu le changer autant. « Et je monte aux arbres et je cours partout et je mange n'importe comment et je coupe la parole à tout le monde et je suis capricieuse et boudeuse... Autant dire que je suis loin de ressembler aux dames de la haute société, je suis bien plus amusante. » Plaisantait Sophie en listant une toute petite partie de ce que certains considéraient comme des défauts. Si Sophie savait se tenir, elle était, davantage, du genre à faire ce qu'elle avait envie de faire au moment où elle en avait envie. Seule sa morale et ce que sa famille pouvait penser d'elle la poussaient parfois à faire les bons choix - enfin ceux que sa famille jugeait être les bons.

S'ils venaient à peine de se retrouver, Sophie avait l'impression qu'ils ne s'étaient jamais quittés. Ils étaient comme autrefois. A se chamailler, se taquiner et rire. C'était si bon de retrouver tout ça. Sophie en oubliait tous ses problèmes et se concentrait uniquement sur les bienfaits de ces retrouvailles. Pour le moment, Sophie se plaignait d'avoir dû apprendre à devenir responsable et sage puisqu'on ne l'aimait pas suffisamment lorsqu'elle était tout le contraire. Et pour la forcer à le devenir, elle avait eu le droit à des méthodes plus ou moins douces. Une mère dépassée qui la punissait sans que ça n'ait réellement d'effets, une belle-mère qui la battait même si elle n'avait rien fait et, enfin, une mère adoptive qui s'y prenait avec douceur, mais fermeté. Et elle avait fini par être une fille plus raisonnable, plus sage. Aujourd'hui, elle devait bien l'avouer, elle se sentait libérée de toutes ces contraintes, même si elle faisait toujours un effort en compagnie de sa famille, pour éviter de les décevoir. « L'univers pourrait se montrer plus gentil, alors ! » Rétorqua la rousse, lorsque son cousin lui affirma que l'univers lui-même la punissait dès qu'elle s'apprêtait à faire quelque chose de mal. « Je trouve aussi qu'il a été suffisamment sévère avec moi, j'ai suffisamment été punie. » Et par des choses horribles, parfois. L'univers l'avait privée des gens qu'elle aimait, comme une punition à son mauvais comportement. L'univers l'avait mise entre les mains d'une horrible femme. L'univers lui avait fait perdre tout espoir en lui prenant tout. Puis, il lui avait donné une famille qu'il lui avait prise en l'amenant ici. Famille qu'il lui rendait désormais au moment où il la mettait entre les mains d'un autre monstre. Autant dire que, même entourée des siens, Sophie ne pourrait jamais totalement trouver le bonheur ou la paix. Ses mauvaises actions étaient toujours punies de la pire des façons - et ses bonnes aussi, d'ailleurs. A croire que c'était son destin et qu'elle ne pouvait y échapper.

« J'espère que tu ne lui as pas raconté que de mauvaises choses ? » Demanda Sophie, en fronçant les sourcils. Elle l'entendait d'ici. Sophie et toutes ses bêtises. Sophie qui prépare un thé immonde. Sophie qui l'attaque physiquement. Sophie qui détruit tout sur son passage. Sophie, l'insupportable. Si elle avait eu le droit à ce genre de descriptions, cette pauvre Mary devait déjà la détester avant même de la connaître.

La maladresse et l'innocence de Sophie la poussaient à ne voir que le bon côté des choses dans le métier que Paul avait trouvé pour survivre ici. Elle n'y voyait qu'un jeu de leur enfance. La réponse de Paul l'avait mise mal à l'aise. Elle comprenait sa bêtise. Elle comprenait qu'elle avait été maladroite et ça n'avait pas été son but, évidemment. Paul n'avait, semblait-il, pas eu la chance de Sophie qui était arrivée avec son héritage. Il se retrouvait à devoir gagner chaque centime qu'il devait dépenser. Cette pensée serrait le coeur de Sophie qui n'aimait pas savoir son cousin dans de possibles difficultés. Si elle ne voulait pas le vexer, elle ne pouvait s'empêcher de lui rappeler qu'ils ne manqueraient de rien tant que Sophie était là. Jamais elle ne laisserait son cousin avoir des problèmes. Elle interviendrait aussi souvent que possible. Elle était là, maintenant. Il était sa famille. Elle l'aiderait. Paul ne se plaignait pas, elle le savait, elle le connaissait. Il n'était pas du genre à se plaindre - contrairement à elle. Il trouvait des bons côtés à ce métier qu'il faisait pour vivre. C'était une bonne chose. Enfin, Sophie le supposait. C'était toujours mieux que de se lever chaque jour, en soupirant, malheureux, de devoir se rendre au travail.

S'il ne voulait rien pour lui, il lui demandait de, principalement, offrir des choses à Mary. Sophie se débrouillerait toujours pour lui offrir des choses, à lui aussi, de temps à autre, sans qu'il n'imagine que c'était de trop. Et, bien sûr, elle écouterait son souhait en offrant à Mary tout ce dont elle aurait besoin. « Tu es quelqu'un de courageux Paul. Tu l'as toujours été. Je suis tellement fière de toi. » Confiait-elle avec toute la sincérité du monde, l'air soudainement bien plus adulte. Elle était vraiment fière de lui, fière de voir comme il avait été capable de s'en sortir quand sa vie, à elle, avait finalement été simple à côté de la sienne. « Alors, elle aura ce dont elle a besoin et ce qui lui fera envie. Je te le promets. » Elle ne comptait pas en faire une enfant pourrie gâtée, mais elle jugeait que chaque enfant méritait d'avoir le meilleur. Ce n'était pas pourrir un enfant que lui offrir tout ce qu'il était possible d'offrir. L'important était les valeurs qu'on lui inculquait à côté et Sophie était certaine qu'elle recevait une bonne éducation avec Paul. « Dis-moi si elle a besoin de quelque chose ou si elle aimerait avoir quelque chose de particulier et, lorsque vous viendrez dîner, je lui offrirai. » Puis, un sourire aux lèvres, elle ajouta : « Ça lui donnera une bonne image de moi, après toutes les horreurs que tu as dû lui raconter. Puis, c'est une bonne façon de l'accueillir dans la famille. » Elle plaisantait, évidemment. Elle avait tellement hâte de rencontrer cette enfant, hâte de voir Paul retrouver tous les autres, hâte de pouvoir faire quelque chose de bien en faisant plaisir à cette enfant comme chaque enfant le méritait.

Sa hâte laissait pourtant vite place à de la crainte. Celle de voir son cousin disparaître une fois encore. Deux fois, elle avait dû vivre sans lui, sans sa présence, sans sa protection, sans ses taquineries, sans son soutien. Elle ne voulait plus revivre ça. Plus jamais. Pourtant, le regard plein de larmes, il ne pouvait lui promettre. Parce que lui promettre, c'était prendre le risque de ne pas pouvoir tenir sa promesse et de mentir. Sophie était restée silencieuse un instant alors qu'il venait la serrer contre lui. « Je ne veux plus vivre sans vous, Paul. » Souffla-t-elle, la voix étranglée par les sanglots. Ce n'était pas un caprice, elle ne pouvait vraiment plus vivre sans eux. Elle avait bien trop souffert et souffrait beaucoup trop. Ils étaient la seule raison pour laquelle elle se battait encore. Sa famille était ce qui lui importait le plus dans ce monde, comme dans n'importe quel autre. Alors même s'ils n'étaient pas maîtres de leurs décisions, elle refusait d'imaginer qu'ils seraient de nouveau séparés. « Je n'y arriverai plus. Je ferai n'importe quoi pour vous garder près de moi. » Il n'y avait qu'avec Paul qu'elle se laissait tant aller en montrant ses faiblesses. Jean y avait droit, parfois, mais c'était différent. Ses soeurs aussi, mais, une fois encore, ce n'était pas la même chose. Paul avait grandi avec elle, il connaissait la moindre de ses failles. Il la connaissait par coeur et, même si elle ne le montrait pas forcément, il devait sentir toute la peine qu'il y avait en elle d'avoir vécu loin d'eux. Elle avait souri et ri. Elle s'était amusée et avait profité. Mais, quelque part au fond d'elle, sa famille lui avait toujours manqué terriblement, au point de la faire souffrir, en silence, de ce manque. Et, aujourd'hui, ils étaient de retour, un à un, dans sa vie et elle ne pouvait que s'en réjouir.

La liste des défauts de Sophie - de certains défauts seulement parce qu'ils n'avaient pas la journée devant eux - amusait Paul. Si Sophie avait de nombreux défauts, elle avait bel et bien une qualité : elle savait les reconnaître et les accepter. Elle savait qu'elle était loin de la jeune femme parfaite qu'on avait essayé de faire d'elle. Vraiment très loin. Et elle s'en moquait plutôt pas mal, en réalité. « La femme parfaite, n'est-ce pas ? » Avait rétorqué la jeune femme, en riant, lorsque son cousin avait ajouté quelques mots en la comparant à une enfant modèle. Elle ne prenait pas mal ses plaisanteries, après tout, il n'avait pas tort. Sophie était loin d'être parfaite et, comme ils le disaient si bien, l'univers lui rendait ses mauvais comportements en la punissant. Un peu trop, parfois, selon Sophie. Il y avait toujours quelque chose pour lui tomber dessus. Toujours quelque chose pour la rendre malheureuse. Toujours quelque chose pour lui reprendre ce qu'elle avait gagné. Et même si elle n'était pas toujours quelqu'un de bien, elle ne pensait pas en mériter autant. Heureusement, elle n'était plus seule. Les mots de son cousin la touchaient sincèrement. Il était heureux pour elle, comme elle était heureuse pour lui. Ils n'avaient toujours voulu que le bonheur l'un de l'autre, aujourd'hui encore, même après trois années d'absence. Puis, il y avait cet espoir. Celui de retrouver les leurs, celui qu'ils puissent être tous réunis, comme autrefois. « Il le sera. J'ai envie d'y croire. » L'espoir était parfois un sentiment bien cruel, mais d'autres fois, il permettait de tenir et d'avancer en souriant. C'était ce que Sophie avait envie de faire, aujourd'hui, après avoir retrouvé son cousin. Elle avait envie de garder espoir et d'avancer.

En attendant, ils devaient tous faire avec la vie qu'on leur avait donné à leur arrivée ici, dans ce nouveau monde. Sophie, à ce sujet, avait eu de la chance. Sa façon de vivre n'avait pas vraiment changé puisqu'elle était arrivée avec son héritage, dans une grande maison. Paul n'avait pas eu cette chance. Il avait été privé de ce qu'il connaissait pour être projeté dans un monde où il devait gagner tout ce dont il avait besoin. S'il n'avait pas eu d'autres choix que de se débrouiller, Sophie était fier de lui, de son courage et de sa force. Paul était un battant, elle l'avait toujours su, mais elle en avait la preuve aujourd'hui. Après les quelques mots de Sophie, Paul lui avait attrapé les mains et sa réponse avait fait tendrement sourire Sophie. « Ne me remercie pas, je ne fais que dire la vérité. Et tu mérites qu'on te dise ces choses-là. » Sa vie ne semblait pas tous les jours faciles et, même si ce n'était que quelques mots, elle espérait lui apporter un peu de réconfort grâce à eux. Parfois, s'entendre dire les choses faisait réellement du bien et elle espérait que cela pouvait être le cas pour Paul.

Sophie s'intéressait désormais à l'enfant que Paul avait adopté. Elle était déjà certaine de l'aimer avant même de l'avoir rencontrée. Et comme Sophie ne voulait pas faire les choses à moitié, elle s'imaginait déjà offrir tout ce que Paul ne pouvait pas offrir à cette enfant. Elle savait qu'elle les rendrait tous les deux heureux, en le faisant. Puisqu'il était prévu que Sophie rencontre cette enfant lors du dîner qu'elle comptait organiser, elle se renseignait à son sujet. Avait-elle besoin de quelque chose en particulier ? Aimait-elle quelque chose de particulier ? « Je vais y réfléchir, alors. Et je vais lui trouver un petit quelque chose à lui offrir puis, ensuite, nous aurons tout le temps de voir toutes les deux ce qu'elle aimerait avoir. » Lorsque les deux se connaîtraient mieux, Sophie saurait plus facilement ce qu'elle aimait ou non ou ce dont elle avait besoin ou non. Pour cette fois, elle lui achèterait un petit quelque chose qui pouvait convenir à presque tout le monde et puis si le choix ne lui plaisait pas, ce n'était rien de bien grave.

Sophie avait tellement hâte de rencontrer cette jeune fille. Elle avait tellement hâte que Paul retrouve Jean et tous les autres. Elle aimait voir sa famille se reconstituer peu à peu. Et elle priait pour qu'ils ne soient plus jamais séparés. Paul ne pouvait pas lui en faire la promesse, de crainte de ne pas pouvoir la tenir, mais elle avait besoin d'être rassurée. Sophie ne se sentait plus capable de vivre sans eux parce qu'elle avait besoin d'eux. Elle les aimait tellement. Face à ses aveux, sa gorge s'était nouée et ses yeux s'étaient remplis de larmes. On ne pouvait pas lui reprendre les gens qu'elle aimait encore une fois. Blottie contre lui, elle profitait alors de ces instants qui lui étaient offerts. Elle aimait qu'il la tienne ainsi dans ses bras, l'entendre prononcer son prénom, elle avait l'impression que tout était comme autrefois. Après un certain temps, Sophie s'était éloignée, essuyant ses larmes avec l'une de ses mains, puis avait lancé, en retrouvant sa joie de vivre habituelle : « On se retrouve à peine, ce n'est pas le moment de penser au pire. Profitons-en. » L'heure n'était pas aux larmes, mais à la joie. Elle essayait, du moins, de s'en convaincre. « Tu penses que tu peux faire une pause dans ton travail ? Parce que j'irai bien dévorer une tonne de gâteaux avec un bon verre de lait ou un chocolat chaud, je ne sais pas encore. » Toutes ces émotions lui avaient donné faim - elle avait toujours faim, mais ça, c'était une autre histoire. Sophie voulait simplement profiter de la présence de son cousin un peu plus longtemps, en partageant un moment agréable avec lui, un moment comme autrefois, à simplement discuter et apprendre ce qu'il était devenu ces trois dernières années.

Les mots de Paul touchaient Sophie. Ils la touchaient plus encore parce que c'était l'une de ses plus grandes craintes depuis qu'elle avait retrouvé Jean : et si elle n'était pas la femme parfaite pour lui ? Si, finalement, il ne l'aimait plus comme autrefois ? Si elle avait trop changé pour lui ? S'il regrettait la personne qu'il avait épousée ? Si Sophie n'était pas assez bien pour lui ? Dernièrement, elle avait pris tellement de mauvaises décisions. Elle savait qu'elle le blesserait terriblement dès qu'il le saurait. Elle aurait aimé être parfaite pour Jean, mais elle ne l'était que dans son imagination parce que Jean oubliait bien trop souvent de voir ses défauts et passait sous silence la majorité des bêtises et des erreurs qu'elle pouvait faire. Alors, face aux mots rassurants de son cousin, Sophie s'était contentée de sourire, incapable de dire quoi que ce soit. Ce n'était pas le moment de penser à tout ça. Pour le moment, elle voulait simplement profiter de Paul et de sa présence tout en oubliant les bêtises qu'elle avait pu faire par le passé.

Elle aimait le voir garder espoir, comme elle essayait de le garder elle-même. Ce n'était pas toujours une bonne chose, mais ils pouvaient bien se permettre ce sentiment, pour une fois ? Après tout, ses soeurs étaient revenues, son mari était revenu, maintenant son cousin. Pourquoi les autres ne pourraient-ils pas suivre ? Non, ils avaient toutes les raisons d'avoir l'espoir d'être tous réunis comme autrefois. « On le sera. » Tous ensemble et heureux. Ils le seront. Elle priait si fort pour ça et elle l'espérait de tout son coeur qu'elle ne pouvait que croire que cela arriverait tôt ou tard.  

Puis, ils méritaient d'être heureux, non ? Ils se donnaient bien du mal, tous. De différentes manières, mais ils se donnaient du mal. Paul, lui, se donnait tellement pour sa fille et pour son travail, pour avoir une vie décente et pour être heureux, malgré la dureté de la vie qu'on lui avait donnée. Il ne semblait pas vouloir recevoir de compliments, mais, selon Sophie, il les méritait. Il méritait d'entendre ces bonnes choses, alors elle lui disait. Le voir rougir l'amusait tendrement. Elle souriait de le voir si gêné face aux propos que tenait Sophie. Elle était pourtant simplement juste et sincère. Mais elle ne tenait pas à l'ennuyer davantage. Il avait compris à quel point elle était attachée à lui et à quel point elle était fière de lui, c'était le plus important.

Le sujet dévia alors vers Mary, la fille adoptive de Paul. Sophie prévoyait déjà de lui offrir tout ce qu'il était possible de lui offrir. C'était sa façon à elle de l'accueillir dans la famille, de lui montrer qu'elle était la bienvenue, qu'elle ne manquerait de rien et qu'elle serait aimée. La réflexion de Paul la fit sourire. Couvrir un enfant de cadeaux, ce n'était pas le rendre mauvais. C'était l'éducation qui faisait tout, selon Sophie. Mais il avait raison sur un point. Si Mary avait été du genre à profiter, elle aurait pu le faire sans limite avec Sophie. « C'est simplement pour lui montrer qu'elle fait partie de la famille et qu'elle peut rêver à presque tout ce qu'elle veut. » Souffla Sophie, un sourire amusé aux lèvres. « Je te promets que je n'en ferai pas trop. » C'était une promesse qu'elle essaierait de tenir. Elle ferait du mieux qu'elle pouvait, en tout cas, mais Sophie était excessive en règle générale.  

Et, pour oublier les problèmes qu'ils pourraient rencontrer dans le futur, Sophie proposait à Paul d'aller se remplir l'estomac de mauvaises choses. Il n'était plus l'heure de penser aux risques ou à la tristesse. Il fallait penser à la joie de s'être retrouvés et d'être ensemble. Rien d'autre. « Je t'attends. » Avait ajouté Sophie alors que Paul rangeait ses affaires, heureuse de savoir qu'il pouvait lui accorder un peu de temps. Dès que ses affaires furent rassemblées, Sophie s'était accrochée au bras de son cousin et avait recommencé à parler, en le conduisant là où ils devaient s'arrêter pour manger quelque chose. « Comment tu as rencontré Mary ? » Interrogea alors Sophie, toujours pour combler les blancs présents ces trois dernières années afin de se donner l'impression qu'elles n'avaient jamais existées. « Elle était orpheline ou elle a perdu sa famille comme je vous ai perdus en arrivant ici ? » Et comme ils l'avaient perdu, elle. Sophie craignait tellement de voir la véritable famille de Mary revenir un jour et lui reprendre cette enfant à laquelle il semblait s'être tellement attaché qu'elle ne pouvait s'empêcher de le questionner à ce sujet.

Sophie voulait tout connaître de Paul, de sa vie ici et de cette fille qu'il avait adoptée. Elle ne la connaissait peut-être pas encore, mais puisqu'elle était importante pour Paul, Sophie l'aimait déjà. Alors, forcément, pour l'accueillir comme il se devait dans la famille, la jeune femme voulait lui offrir un beau cadeau, quelque chose qui lui ferait plaisir, quelque chose qui lui prouverait qu'elle avait sa place parmi eux, sauf que Sophie ne la connaissant pas alors il était difficile pour elle de choisir. « Je l'espère. » Souffla-t-elle alors simplement, tandis que Paul tentait de la rassurer à propos de ce que Sophie ferait pour Mary.

Puisqu'elle voulait tout connaître de la vie de son cousin - et qu'elle s'inquiétait pour lui - Sophie s'interrogeait quant à la rencontre de ce dernier avec celle qui était devenue sa fille adoptive. Tout en se dirigeant vers le lieu où ils mangeraient un petit quelque chose, Sophie le questionnait donc. Accrochée au bras de Paul, qu'elle avait attrapé dès que possible, Sophie écoutait attentivement les explications de ce dernier. « C'est une bonne chose pour vous deux. » Souffla Sophie, confirmant les propos de son cousin. Oui, Mary avait aidé Paul à surmonter sa solitude, mais Mary avait aussi eu la chance de découvrir un merveilleux père, Sophie en était certaine. Le destin les avait mis sur la route l'un de l'autre et il semblait avoir vraiment bien fait. Paul semblait heureux et il n'y avait rien de plus important aux yeux de Sophie. « Je rentrais chez moi un soir et une tempête est sortie de nulle part... » Commença-t-elle alors qu'il l'interrogeait sur comment elle avait retrouvé Jean. « il était impossible pour moi de rentrer par ce temps, alors j'ai trouvé refuge dans un bâtiment, comme la porte était restée ouverte. Il y faisait vraiment très sombre alors quand un homme est entré pour s'abriter, lui aussi, je n'ai pas reconnu Jean - et je n'aurais pas pu le reconnaître avec certitude, même s'il avait fait jour, de toute façon. Je me suis sentie tout de suite en sécurité, rien qu'au son de sa voix parce que mon esprit se souvenait, lui. Tu imagines bien que je ne pensais pas retrouver Jean dans ces circonstances, alors comment aurais-je pu deviner ? Puis, nous avons cherché de quoi nous réchauffer ou nous éclairer. Et on a fini par comprendre qui nous étions l'un pour l'autre. » Racontait-elle en essayant d'épargner les détails trop inutiles à son cousin, un sourire radieux à l'évocation de ce souvenir - qui restait l'un des meilleurs pour la jeune femme puisqu'il était celui qui lui avait permis de retrouver son mari. Connaissant Sophie, elle aurait pu partir dans des explications qui auraient duré des heures, mais elle avait fait un effort pour ne pas trop ennuyer ce pauvre Paul. « Et on a passé la nuit à discuter et à attendre que la tempête passe puisque nous n'avons rien trouvé de mieux que quelques malheureuses allumettes. » Continuait-elle en se remémorant ce souvenir. Et, enfin, elle s'était arrêtée de parler, levant les yeux vers son cousin, tout en lui souriant, pour lui montrer à quel point elle était heureuse, tant à l'évocation de ce souvenir que de pouvoir le lui raconter, à lui.

Sophie était heureuse de savoir que Paul n'était pas resté seul durant tout ce temps. Il avait eu la chance de tomber sur cette jeune fille qui avait besoin d'aide et qui avait trouvé en Paul un second père. Grâce à elle, il n'était pas resté seul. Grâce à elle, il avait pu être heureux, même loin de sa famille et des gens qu'il aimait. Sophie avait eu de la chance, de son côté, elle en avait conscience. Elle n'était pas vraiment restée seule ici. Quelques semaines, à peine. Rapidement, elle avait eu la chance de trouver Camille. Les deux soeurs étaient alors restées ensemble. Elles s'étaient soutenues et entraidées. Elles étaient restées seules longtemps, puis un jour Sophie avait retrouvé Madeleine et Jean. Et maintenant, elle retrouvait Paul. Sa patience était récompensée et sa famille lui était rendue peu à peu. Et Sophie ne pouvait connaître de plus grands bonheurs à cet instant.

A la demande de Paul, Sophie lui avait raconté comment elle avait retrouvé Jean. Elle lui avait donc raconté la tempête sortie de nulle part et le hasard - même si elle était persuadée que ce n'en était pas - de se retrouver dans la même maison, après presque trois ans sans se croiser. Sophie était heureuse d'avoir retrouvé Jean, évidemment, et heureuse de ne pas avoir dû vivre cet événement seule. Jamais, elle n'aurait supporté de vivre ce genre d'événement toute seule. Là, Jean avait été là pour elle, pour la rassurer. « Romantique ? Nous étions trempés et morts de froid, nous ne pouvions même pas nous voir et j'avais peur de l'orage, alors sur l'instant, je n'ai pas trouvé ça romantique, tu peux me croire. Heureusement que Jean était là. » S'amusa la jeune femme qui voyait cette scène différemment aujourd'hui, avec du recul. « Oui, Jean se souvient de nous. Il y a quelques zones d'ombre, mais il se souvient. » Et cela frustrait beaucoup Sophie qui, malgré ses efforts, n'arrivait pas à se souvenir de son mariage avec Jean. Elle craignait tant que Jean finisse par croire qu'elle ne se souvenait pas parce que ce n'était pas suffisamment important pour elle.

Puis, à sa réflexion sur les personnages de conte, Sophie se mit à rire. « C'était plutôt Jean, la petite fille aux allumettes. » Plaisanta-t-elle. « Tu me connais, me laisser des allumettes entre les mains, c'était prendre un risque trop grand. » S'amusa-t-elle, avant de froncer les sourcils, tout en le regardant : « Et en qui me verrais-tu ? L'affreuse sorcière de n'importe quel conte, j'imagine ? » Sophie poussa un soupir exagéré, avant d'ajouter, faussement agacée. « Je ne suis même pas certaine d'avoir envie de savoir parce que, comme d'habitude, tu chercheras juste à me mettre en colère. » La réalité était plutôt que Sophie boudait et se mettait en colère pour un rien, mais il était tellement plus amusant d'accuser les autres que de remettre en cause son propre comportement.

A la réflexion de Paul, Sophie avait soufflé et avait levé les yeux au ciel. Si elle devait trouver un point commun entre Paul et Jean, il était tout trouvé : les deux passaient un temps considérable à se moquer d'elle. Lorsqu'ils seraient réunis, ce serait parfaitement insupportable pour cette pauvre Sophie - qui, donc, ferait tout pour leur rendre et même leur en faire voir plus qu'ils ne lui en feront voir. « Non. Ils étaient justes trempés. » Répondit-elle, boudeuse. « Mais je ne suis presque pas tombée malade. Tu vois, je fais des efforts. » Comme si Sophie avait un pouvoir sur le fait de tomber malade ou non et comme s'il s'agissait d'une bêtise.

Si Sophie avait oublié une partie de sa vie, Jean n'avait presque rien oublié. Au pire, pour lui, certaines choses étaient un peu floues, mais il avait conscience d'avoir épousé Sophie. Cela compliquait un peu les choses parfois, mais il y avait des avantages également. En effet, au moins, il se souvenait et il pouvait l'aider tant qu'il le pouvait. Là, où les choses se compliquaient, c'était quand Sophie réclamait du temps. Jean le comprenait très bien, mais Sophie avait constamment l'impression de le décevoir et de lui faire de la peine. Alors, à la question de son cousin, à savoir que c'était une bonne chose pour eux, Sophie hocha légèrement la tête. La meilleure chose aurait évidemment été qu'elle se souvienne de tout, elle aussi, mais elle n'allait pas se plaindre. Elle avait récupéré Jean et c'était bien tout ce qui comptait à ses yeux.

Pour plaisanter de cette nuit passée avec Jean, Paul la comparait à la petite fille aux allumettes. Aux yeux de Sophie, si l'un des deux devait être comparé avec ce personnage, cela aurait été plutôt Jean qui avait conservé les allumettes - ce qui avait clairement été préférable pour éviter d'incendier la maison dans laquelle ils s'étaient réfugiés. « Tu es très drôle, Paul. » S'agaça faussement la jeune fille avant de se mettre à rire. Il était vrai que Paul était sage et connaissait plutôt très bien sa cousine, ce qui l'aidait souvent à lui empêcher bien des ennuis et des bêtises. En revanche, elle ne lui faisait absolument pas confiance quand il s'agissait de déterminer de quel personnage de conte de fées elle se rapprochait selon lui. Elle l'imaginait lui dire qu'elle ressemblait à l'une de ces horribles sorcières et préférait même ne rien savoir, elle pourtant si curieuse. Pourtant, ce dernier assura qu'il ne comptait pas se moquer d'elle. A ces mots, Sophie haussa un sourcil, en lui lançant un regard interrogateur tandis qu'il continuait de parler. Selon lui, elle était donc le vilain petit canard, celui qui avait fini par se transformer en cygne, en grandissant. La jeune femme prit un instant pour réfléchir à cette comparaison. Son compliment, à la fin, achevait de la convaincre que ce n'était pas une moquerie, mais bien des mots sincères. Et Sophie aimait tout particulièrement la flatterie. « Je le prends comme un compliment alors. » Affirma Sophie en attrapant la main de Paul pour la serrer dans la sienne. Sophie n'avait pas été une enfant facile, elle n'était certainement pas une adulte facile, non plus, mais elle avait grandi et fait des efforts. Chacune de ses actions était faite pour plaire à sa famille et pour leur montrer comme elle les aimait. Cela ne fonctionnait, malheureusement pour elle, pas toujours. Mais elle était certaine qu'en retrouvant sa famille peu à peu, elle finirait par être entièrement elle-même. Après tout, il y avait Madeleine, Camille, Jean et Paul, maintenant. Certains manquaient encore à l'appel, mais ils viendraient bien assez vite. L'important était qu'elle était entourée des gens qu'elle aimait et qui l'acceptaient comme elle était, ce qui n'était pas donné à tout le monde.