Quand on était le Docteur, une des activités les plus courantes de sa vie été de sauver la Terre et les humains. Mais dans cette ville où rien n'était comme ailleurs, on ne pouvait pas vraiment dire qu'il avait souvent l'occasion de combattre des ennemis du genre de ceux contre qui il avait dû lutter par le passé. Pour autant, il ne considérait pas les petites victoires qu'il était parvenu à obtenir comme dérisoires. Quand il s'agissait de venir en aide à quelqu'un, le plus important était le résultat et non pas la taille de la tâche effectuée. Il était rare qu'il ne se porte pas immédiatement au secours de quelqu'un qui en avait besoin et c'était généralement parce que, distrait, il ne s'en était pas aperçu.

Mais cette fois, il avait un visuel très précis sur cette jeune personne qui se trouvait au beau milieu de la route, prête à se faire renverser et qui ne semblait pas du tout savoir comment rejoindre le trottoir en toute sécurité. Le Docteur n'avait pas la moindre idée de ce qui pouvait l'en empêcher, mais force lui était de constater qu’elle en était parfaitement incapable. Si personne n'intervenait et que la voiture ne parvenait pas à s'arrêter, les conséquences pour l'adolescente ne manqueraient pas d'être funestes. N’écoutant que son cœur, et un peu son envie d'aventure, le Seigneur du Temps se précipita pour se jeter entre la voiture et sa cible, la poussant sur le trottoir.

« Est-ce que tout va bien ? », s’enquit-il aussitôt auprès de la jeune fille. « Vous n'êtes pas blessée ? »

Il s'était accroupi devant la fillette dont il avait l'impression qu’elle était toute retournée par son expérience. C’était normal de se retrouver dans cet état, bien entendu. Mais il était évident également que le Docteur n’avait pas accès aux mêmes évidences que tout le monde. Il avait néanmoins du cœur et désirait vraiment s'assurer que la jeune fille ne soit pas blessée. Si elle l’était, il serait le premier à vouloir la conduire à l'hôpital. Mais si elle ne l'était pas, il était tout à fait prêt à faire connaissance avec elle et à la ramener chez elle en toute sécurité.

« Vous n'avez rien à craindre avec moi. Vous vous êtes en sécurité. Je me présente. Je suis le Docteur. »

La fillette avait l'air passablement perturbée par ce qu'il venait de se produire. C'était assez compréhensible. Elle avait quand même failli finir par passer sous les roues d'une voiture, ce dont elle n'avait été sauvée in extremis que parce que le Docteur était intervenu. Il était rare qu'il sauve quelqu'un dans la rue comme ça aussi subitement, mais il valait finalement mieux cela, plutôt que la jeune fille ait été renversée par une voiture. Quand il essaya de s'assurer que tout allait bien, elle lui parut un peu trop hésitante à son goût.

« Vous en êtes bien sûre ? Pas d'envie de vomir ou mal à la tête, ou envie de vous gratter les pied soudainement sans aucune raison valable, ou envie de souffler par le nez une vapeur verte qui risquerait de tuer le monde entier, ou au moins toute personne qui entrerait en contact avec ? »

Malheureusement, il n'était pas dans la nature du Docteur de faire preuve de mesure. Et malgré le fait qu'il se faisait appeler Docteur, il devait bien reconnaître qu’il n'en savait pas autant qu'il l'aurait fallu sur la santé des humains pour pouvoir réellement espérer les soigner. Il partait donc dans tous les sens en mélangeant des symptômes avec l'influence potentielle de créatures extraterrestres, et avec des comportements symptomatiques qui n'avaient absolument rien à voir. L’intention était là mais il n'était pas certain que la fillette le comprendrait véritablement. Elle prit tout de même le temps de le remercier et s'étonna lorsqu'il lui apprit son nom.

« C'est bien ça. Enchanté Mademoiselle Mary Ingalls. Si vous n'êtes véritablement pas blessée, je pense que je vais vous raccompagner chez vous pour éviter que vous n'ayez d'autres problèmes. Par où est-ce ? »

La principale question qui allait se poser ne serait sans-doute pas de se demander s'ils allaient réussir à retourner chez la demoiselle, celle-ci devant bien connaître son adresse et comment s'y rendre, mais de savoir si le Docteur allait réussir à rentrer chez lui ensuite sans se perdre. Il s'était souvent fié au TARDIS, et maintenant, il avait tendance à se perdre quand il n'avait pas son précieux appui. Voilà qui n'allait certes pas jouer en sa faveur. Mais la jeune fille n'avait pas besoin de le savoir et il valait même mieux éviter de le lui dire pour qu'elle ne s'inquiète pas trop.

Le Docteur n'avait même pas conscience qu'il s'était un peu emballé. La plupart du temps, il partait dans tous les sens, sans même s'en apercevoir. Il était plutôt dans sa nature de mélanger toutes les références qu'il avait et d'essayer d'additionner des choses qui n'avaient pas forcément à l’être. La jeune lycéenne ne sembla pas prendre ombrage de la façon dont le Docteur partait dans tous les sens et cela lui plut. Quand quelqu'un était capable d'accepter ses excentricités, il filait automatiquement sur sa bonne liste. Pour le moment, l'essentiel était qu'elle ne soit pas blessée et qu'il n'y ait pas trop de conséquences en ce qui concernait son état physique.

« Bonne nouvelle, très bonne nouvelle. Les humains ne sont décidément pas très attentifs. Cette personne aurait pu remarquer que vous étiez au milieu de la route et s'arrêter. Je dois bien avouer que je trouve ça fort désespérant. »

Il fallait également reconnaître que le Docteur pouvait être désespérant lui-même, même s'il ne s'en rendait pas compte. En attendant, il n'était pas question pour lui d'abandonner cette jeune fille à son sort avant de l'avoir rendu à son responsable légal. On ne savait jamais qu'ils puissent arriver quelque chose entre le moment où il la laissait et celui où elle rentrerait chez elle. Il avait l'impression qu'il se passait quelque chose, mais comme cela arrivait régulièrement, il ne parvenait pas à mettre le doigt dessus. Le résultat, c'était qu'il se posait des questions et qu’elle seule avait les réponses.

« Je trouve ça plus sécurisé, en effet. Par où est-ce ? Par ici ? »

Comme il ne savait toujours pas de quelle façon mettre des mots sur l'impression qu'il avait, la seule solution qu'il voyait, c'était de la faire parler afin d'être sûr que tout irait bien et peut-être de comprendre ce qui le dérangeait. Il avait pourtant l'impression que la jeune fille n'était pas du genre à se plaindre et cela n'allait pas lui faciliter les choses pour découvrir ce qu'elle cachait. Il n'avait pas l'habitude d'extorquer des informations et avait plutôt tendance à poser des questions directes dont il était à peu près sûr d'avoir déjà la réponse. Mais ici, il ne l'avait pas.

« Etes-vous absolument sûre que tout va bien ? De ce que j'ai vu, on aurait dit que vous aviez un malaise en pleine rue. »

Il est vrai que cela n'avait rien de très intelligent de s'arrêter au milieu de la route. Mais le Docteur était si souvent apparu à des endroits sans vraiment le vouloir qu'il était parfaitement conscient d’à quel point elle avait pu se retrouver à cet endroit malgré elle. Il était évident qu'elle ne s'était pas arrêtée pour le plaisir et que quelque chose lui avait fait le faire. Le Docteur ne s'intéressait pas souvent aux histoires des gens, sauf quand il s'agissait d'une situation de danger. C'est alors que les choses se compliquaient un peu. Il n’empêchait que le Docteur n'était pas vraiment ravi pour autant que l'homme ne se soit pas arrêté. Mais la bienveillance et la compréhension de la petite le touchèrent beaucoup.

« La douceur et la bienveillance dont tu fais preuve sont une belle démonstration de sagesse, chère petite. »

Il avait parfois tendance à parler sans réfléchir et notamment lorsqu'il s'agissait de mentionner le comportement des êtres humains face à leurs semblables. La petite était fine observatrice car elle n'avait pas pu s'empêcher de remarquer la façon dont il avait exprimé les choses. Oui c'était pour ce genre de perspicacité qu'il pouvait apprécier avoir des humains à bord du TARDIS. Mais avant de penser à cela, c'était avant tout la santé et le bien-être de cette jeune fille qui lui posait question. Il consentit tout de même à lui révéler la raison de ces paroles. Après tout, ce n'était pas vraiment un secret et il n'en avait jamais fait un mystère.

« Je viens d'une autre planète, la planète Gallifey. Mais en arrivant dans ce monde, j'étais un humain, comme toi. Aujourd'hui, j'ai retrouvé mon état de Seigneur du Temps, et je dois avouer que cela fait du bien. »

La jeune fille continuait d'assurer qu'elle allait bien, mais le Docteur, quoi qu'il ne le fût pas en médecine, avait la désagréable sensation qu'elle lui cachait quelque chose. Peut-être qu'elle se le cachait à elle-même aussi et que c'était pour cette raison qu'elle ne disait rien, mais il était persuadé qu'il valait mieux essayer de lui faire dire ce qui s'était passé exactement. Il était possible que ce ne soit pas grand-chose, mais le Docteur s’en voudrait de découvrir après coup qu’il aurait pu l'aider davantage et qu'il ne l'avait pas fait. Il avait toujours horreur de négliger la sécurité de quelqu'un même si c'était qu'une erreur qu'il commettait trop souvent.

« Il est compréhensible que vous ayez eu peur. La situation était des plus dangereuses. Je suis soulagé s'il ne s'agit pas d'un malaise. Disons qu'il vaudrait mieux consulter un professionnel si votre état de santé le requiert. »

En entendant que les yeux de la jeune fille lui avaient joué un tour, le Docteur ne pouvait s'empêcher de se demander si elle n'avait pas un autre problème plus important, caché en dessous de ce léger malaise. Il était évident que la vue ne vous faisait pas défaut aussi facilement sans une bonne raison. Il ne put s'empêcher de se demander si elle avait déjà consulté un spécialiste. C'était sûrement le cas si ce n'était pas la première fois, mais comme elle avait l'air de ne pas assumer, il n'en était pas sûr. Et la meilleure chose à faire pour elle était sûrement d'en parler à ses parents et c'est évidemment le conseil le plus judicieux à lui donner. Pour une fois, le Docteur allait donc se montrer judicieux.

« Vous devriez en parler à vos parents, vous ne croyez pas ? »

Quand la jeune fille lui demanda comment était son monde et sa planète, le Docteur ne put s'empêcher d'adopter un regard un peu rêveur. Repenser à ce monde dont il n'était pas certain qu'il reverrait jamais la couleur, puisqu'il n'avait pas encore réussi à la retrouver, il lui était à la fois douloureux et nostalgique. Plusieurs de ses compagnons lui avaient demandé de parler de sa planète et il n'y était pas vraiment parvenu, persuadée qu'il n'y avait plus de Gallifrey à-cause de lui et que tout le monde avait péri par sa faute. Mais il savait désormais que ce n'était pas vrai et il pouvait y penser avec plus de paix.

« C'est une très belle planète avec de grandes montagnes et une terre rouge. Le ciel est magnifique. Mais je ne l'ai pas revue depuis bien longtemps et je ne sais même pas exactement où elle se trouve. Il m'est compliqué de tout vous expliquer mais je suis parvenu à la cacher dans un endroit, sauf que je ne sais pas moi-même où il se trouve. C'est étrange n'est-ce pas ? »

Le nom de Seigneur du Temps n'avait toujours été qu'un titre pompeux que les habitants de sa planète se donnaient, tout ça parce qu'il se croyait plus important que les autres. Ce qui donnait de véritables pouvoirs sur le temps, c'était la technologie qu'ils avaient réussi à développer. Sans cette technologie, il n'était pas vraiment différent de tous les êtres humains de ce monde. Le Docteur avait parfois une opinion un peu partagée de ses semblables et de leur orgueil sans se rendre compte à quel point il pouvait lui-même le manifester. Cela lui arrivait pourtant plus souvent qu’à son tour.

« Nous ne possédons pas vraiment le pouvoir de faire obéir le temps, mais nous avons le moyen de nous régénérer pour échapper à la mort un certain nombre de fois. Nous avons aussi développé des techniques qui nous permettent de voyager dans le temps et l'espace mais ici, ce genre de technologie semble bloqué, comme vous l'avez dit. »

Le Docteur était d'avis qu'il fallait prévenir le tuteur de la jeune fille de ce qui s'était passé, simplement pour qu'il puisse prendre les mesures si jamais il s'avérait que c'était plus grave que prévu. le Docteur n'était pas à proprement parler quelqu'un de très responsable, mais il tenait à préserver la vie et la sécurité autant que faire se pouvait et cette jeune fille était bien jeune pour se mettre dans une situation de danger qui pouvait lui faire être menacé à tout moment. Il ne lui appartenait pas de la contraindre à quoi que ce soit, mais il devait s'avouer inquiet.

« Il me semble pourtant que c'est là son rôle de s'inquiéter pour vous lorsque c'est nécessaire. Mais je peux peut-être m'avancer. Et puis, ne croyez-vous pas qu'il a le droit de savoir le danger que vous venez de courir ? »