(Terminé) [UA Villaneve] Dinnertime with Mother.

Dinnertime with Mother

feat. Villanelle & Ji-ah

Quelques mois plus tôt, Eve s'était fait tirer dessus par la femme qui hantait la moindre de ses pensées et avait été laissée pour morte au beau milieu de ruines romaines. Elle avait miraculeusement survécu, mais sa santé mentale n'en avait été que fragilisée. Sans parler de sa forme physique, qui laissait complètement à désirer. Et pourtant, Eve s'était remise, péniblement, de ses blessures. En quête de guérison et de repères, elle s'était fait embaucher dans un restaurant coréen, et vivait dans le quartier asiatique de Londres. Etre entourée de personnes qui parlaient la même langue qu'elle et qui partageaient la même culture l'avait plus aidée qu'elle ne l'avait d'abord soupçonné. Mais cet environnement donnait à son quotidien une certaine familiarité qui était réconfortante, malgré sa solitude.

Quelques jours plus tôt, Villanelle, responsable de chacun de ses tourments et détentrice, bien malgré elle, de son coeur, avait refait son apparition dans sa vie. De manière flamboyante. En la voyant dans ce bus, Eve s'était trouvée comme possédée. Elle avait senti, dans chacune de ses veines, son sang bouillonner d'une rage et d'une violence qui n'attendaient que d'être exprimées. Et c'était ce qu'elle avait fait. Elle s'en était prise à l'être qui savait lui faire ressentir les plus contradictoires des sentiments, mais Villanelle n'avait pas tarder à la maîtriser. Et Eve, emportée dans cette confusion d'émotions, troublée par leur proximité et par la violence de leur réunion, l'avait embrassée.

Et comme il fallait s'y attendre, Villanelle était venue la confronter à ce sujet. Du moins, c'était ce qu'elle s'imaginait. Car à peine Eve avait aperçu la jeune femme au beau milieu de son salon qu'elle avait résolument secoué la tête, refusant d'avoir avec elle une discussion trop dangereuse.

- Non. Oh, non, certainement pas. Sors de chez moi. Je suis sérieuse.

Elle n'eut pas le temps d'enchaîner sur des menaces que l'on sonnait à sa porte. Décontenancée, Eve se tut et, tout en fusillant Villanelle du regard pour l'avertir de ne rien faire de déplacer, ouvrit la porte.

- Maman ?!, suffoqua-t-elle en coréen. Qu'est-ce que tu fais ici ?
- Tu ne réponds pas à mes appels. Tu ne donnes jamais de nouvelles. Alors je viens voir ma fille, bien sûr ! Tu as maigri. Tu ne manges pas assez, Eve.

Et avant qu'Eve puisse protester, sa mère s'avança dans l'appartement et déposa sa valise dans l'entrée avant d'observer les lieux. Son regard circonspect s'attarda sur chaque détail, en particulier sur les piles de vêtements froissés, sur les cadavres de bouteilles de vin et sur la quantité impressionnante de boîtes de nouilles instantanées.

Déterminée à remettre de l'ordre dans la vie de sa fille, la femme ôta son manteau et le jeta dans les bras d'Eve, qui le rattrapa tant bien que mal. Ce ne fut qu'après s'être réellement avancée dans l'appartement que la nouvelle venue aperçut Villanelle. Surprise, elle lui adressa pourtant un large sourire avant de lui tendre la main.

- Oh ! Bonsoir. Je suis Ji-ah, la-
- C'est ma mère,  l'interrompit Eve avant de fixer Villanelle d'un regard d'avertissement. Et c'est Oksana, qui devait d'ailleurs y aller.

Dinnertime with Mother.

feat. Eve

Bien sûr qu’elle ne pouvait pas laisser cet épisode en suspens, bien sûr que Villanelle n’aurait pas su résister à la tentation de confronter Eve à ses actes et à ses émotions manifestement contrariées. Elle n’a pas cessé d’y repenser. Ce baiser bref, à peine une fraction de seconde, mais dont elle a le sentiment d’avoir gardé l’empreinte sur ses lèvres. Elle ne peut pas oublier ça, et surtout, il est hors de question pour Villanelle de lui faire oublier ça. N’en déplaise à Eve, la politique de l’autruche ne sévira pas cette fois-ci. Villanelle attend des réponses aux multiples questions qu’elle se pose, une confrontation dont elle s’imagine le déroulé et de dénouement de dizaines de manières, qui toutes lui plaisent suffisamment pour l’attendre de pied ferme.

C’est donc directement chez elle que Villanelle est allée trouver Eve, impatiente autant à l’idée de mettre cartes sur table qu’à celle de la revoir. Et aussi, bien sûr, de la prendre par surprise. Ce n’est pas sa faute, s’introduire chez elle est d’une simplicité si enfantine qu’investir l’espace personnel et intime d’Eve est devenu une des activités préférées de la tueuse. Pas de peur sur son visage, néanmoins, mais à la place, une fermeté et une autorité que Villanelle lui trouve honnêtement très séduisantes.

Elle n’a pas l’intention de se laisser intimider, bien sûr, ni même d’entendre aucune de ses menaces, mais à peine a-t-elle le temps d’envisager d’ouvrir la bouche que l’on sonne à la porte. Curieuse, Villanelle suit la scène du regard tandis qu’Eve va ouvrir… et son sourire s’élargit en comprenant qui se trouve de l’autre côté de la porte. De toutes les langues parlées par Villanelle, le coréen est de celles dont elle n’a que quelques notions, apprises pour le plaisir après sa rencontre avec Eve. Elle n’en sait pas assez pour comprendre la conversation entre la mère et la fille dans toute sa fluidité, mais suffisamment malgré tout pour cerner quelques mots ici et là, qui la font sourire.

« Enchantée Ji-Ha », la salue Villanelle en prenant un malin plaisir à faire des ronds de jambe au moment où Eve attendrait tout l’inverse de sa part. « C’est un vrai plaisir de faire votre connaissance, Eve m’a tellement parlé de vous. » Pas vraiment, non. « En fait, j’ai bien un peu de temps devant moi ! Et si on dînait ensemble toutes les trois, qu’on la remplume un peu, votre fille », suggère la Russe d’un ton avenant, un sourire de jeune fille modèle sur le visage.

Bien sûr, plus Eve sera soucieuse de lui fausser compagnie, plus Villanelle fera le nécessaire pour imposer sa présence.

Dinnertime with Mother

feat. Villanelle & Ji-ah

Dans l'esprit d'Eve, la Russe était à cet instant en train d'être torturée, dépecée, éventrée, découpée et jetée dans une rivière. En bref, elle était en train d'être massacrée, à plusieurs reprises, pour l'embarras dans lequel elle la plaçait sciemment. Mais, tant bien que mal, Eve masqua son regard assassin derrière un sourire fébrile lorsque le regard de Ji-ah se porta de nouveau sur elle. Sa mère était visiblement surprise, mais trop polie pour faire objection. Au lieu de cela, elle leur adressa tour à tour un large sourire avant de s'intéresser de nouveau à sa fille :

- Comment va Niko ?
- Il est...

A l'hôpital, après s'être fait embrocher par une fourche. Eve soupira. Tout aurait été bien plus simple si la femme qui hantait la moindre de ses pensées, y compris les plus désagréables et les plus troublantes, ne se trouvait pas dans la même pièce. Et qu'elle n'imposait pas sa présence pour tout le temps d'un dîner.

- Il va bien. On... On n'est plus ensemble, tu sais.
- Oh. Tu vas me raconter ça, décréta sa mère d'une voix ferme.
- Honnêtement, maman, il n'y a rien de plus à dire, marmonna une Eve gênée de mentionner Niko devant Villanelle.

Ji-ah sembla prête à insister, mais elle s'abstint finalement, sourcils froncés, se contentant de fixer Eve avec ce mélange de préoccupation et de déception que les mères savaient si bien lancer. Eve fit mine de ne pas se laisser affecter et prit l'autre femme par les épaules pour la conduire à son canapé.

- Je m'occupe du repas. Va t'asseoir. et si tu as soif, toutes les boissons sans dans ce placard. Et toi, viens m'aider, imposa-t-elle en agrippant fermement le bras de Villanelle afin de l'obliger à la suivre dans la cuisine.

Elle attendit qu'elles soient hors de vue pour la lâcher et s'exprima à voix basse, mais agressivement :

- A quoi tu joues ? Sors de chez moi, maintenant. On ne joue pas, là.

Et elle n'avait aucune idée de se retrouver confrontée aux conséquences de ses gestes. Ni ce soir-là, ni aucun autre. Et encore moins lorsque sa mère était présente.

Dinnertime with Mother.

feat. Eve

C’est non sans un certain plaisir – qu’elle ne cherche pas particulièrement à dissimuler, que Villanelle écoute la conversation entre la mère et la fille. A l’évocation de Niko, elle a bien envie de dérouler tout un chapelet d’informations horrifiantes et/ou déconcertantes à l’adresse de Ji-Ha, mais en fin de compte, Eve, sans doute dans l’intention de ne surtout pas lui donner l’occasion de parler à sa place, est plus rapide.

Villanelle pourrait difficilement le nier, à la perspective que Niko soit définitivement rayé de la vie d’Eve, elle éprouve une nécessaire satisfaction. Certes, le mari gênant aux fréquentations douteuses (en dehors d’Eve) n’était pas particulièrement le seul élément qui faisait barrage entre elle et Eve, et elle n’est pas tout à fait certaine, au passage, qu’il l’ait jamais été, mais pouvoir composer sans sa présence encombrante n’en est pas moins un véritable plaisir.

« Eve n’a jamais été plus rayonnante que depuis que Niko n’est plus là, honnêtement, elle a gagné au change », se permet tout de même d’intervenir Villanelle en pure insolence, au moment où, bien sûr, personne ne réclamait son opinion (en même temps, si elle devait attendre qu’on réclame son opinion, elle ne parlerait jamais, alors autant s’épargner ça, pas vrai ?).

Alors que Villanelle est toute prête à ajouter quelque chose, sans doute poser un nombre indécent de questions à Ji-Ha sur l’enfance d’Eve et sur comment elle était quand elle était petite, elle est retenue par Eve qui, avant de lui laisser l’occasion de protester, l’entraîne par le bras dans la cuisine. Sa prise est ferme, mais Villanelle la suit plutôt docilement.

« Tu es sexy quand tu es en colère », répond-elle après qu’Eve ait réclamé qu’elle s’en aille sur-le-champ, comme si elle n’avait pas écouté un traître mot de ses menaces.

Parce que c’est le cas. Ou du moins si, elle les as entendues, bien sûr, mais elles ne revêtent aucune forme d’importance à ses yeux, parce qu’elle a déjà décidé de ce qui se passerait ensuite, et elle ne laissera aucune carte entre les mains de son interlocutrice. Elle a bien l’intention de mener la danse, et d’imposer à Eve cette confrontation qu’elle ne veut pas à voir, quitte à précipiter le départ de Ji-Ha (encore que sa présence l’amuse trop pour qu’elle veuille l’éloigner). Bien sûr que si, c’est un jeu, et elles vont continuer de jouer.

« Tu ne veux pas que je m’en aille maintenant, Eve. Imagine comment ta mère réagirait si je lui parlais en détail de notre histoire. Toute notre histoire », reprend-elle avec certes, un sourire charmant aux lèvres mais une lueur menaçante dans le regard.

Dinnertime with Mother

feat. Villanelle & Ji-ah

Cette menace à peine voilée aurait dû la faire rire avec moquerie et l'encourager à la tirer par l'oreille pour la faire déguerpir de chez elle. Mais le regard de Villanelle lui coupa momentanément le souffle. De plus, si elle y réfléchissait bien, ce n'était effectivement pas dans son intérêt que sa mère, déjà trop inquiète, en sache davantage sur sa relation avec la jeune femme... Surtout si Villanelle se mettait à raconter en détails la manière dont Eve l'avait poignardée.

Vaincue, pour le moment, Eve n'en continua pas moins de la fusiller du regard, trop têtue pour assumer pleinement sa défaite.

- T'es vraiment une saloperie.

Elle ouvrit son tiroir à couverts et en sortit un couteau. La tentation de l'enfoncer dans l'abdomen de la jeune femme était indéniablement présente. Mais plutôt que de céder à ses pulsions les plus violentes, Eve s'en prit plutôt aux légumes qu'elle rassembla chaotiquement. Et elle se mit à trancher. Elle trancha beaucoup, beaucoup de carottes, prenant un malin plaisir à les imaginer avec les caractéristiques physiques de la Russe. Et prenant encore davantage de plaisir à les imaginer la supplier de les épargner avec cet accent qui ne cessait de hanter ses songes, mais avec une voix ridicule et bien trop aiguë.

- Puisque tu tiens tant à rester, tu vas m'aider, décréta-t-elle en glissant la planche à découper pleine de lamelles de carottes et de concombres de son côté. Rince-moi ça.

Elle fit mine de se désintéresser d'elle en s'affairant à rassembler tous les autres ingrédients dont elle avait besoin pour sa recette. Si elle avait été moins sobre, elle aurait sans doute trouvé matière à s'interroger sur l'aisance qu'elle avait à cuisiner malgré la présence de la femme qu'elle voulait pourtant fuir à tout prix, d'autant plus après le baiser qui les avait autant surprises l'une que l'autre. Mais Eve n'avait pas encore bu, même si elle en avait terriblement envie, et continua donc de cuisiner en refoulant toute pensée intrusive et dérangeante qui l'obligerait à être trop honnête envers elle-même.

Tout était préparé, prêt à être versé dans une poêle. Mais avant cela, le riz devait cuire et elles avaient donc plusieurs minutes devant elles. Eve soupira avant d'accepter, enfin, de se tourner pour faire face à la cause de ses tourments et de ses désirs.

- Je te préviens, ne t'amuse pas à raconter de conneries.

Dinnertime with Mother.

feat. Eve

« Merci ! » répond Villanelle avec un immense sourire, comme si Eve venait de lui faire le plus charmant des compliments, quand cette dernière la qualifie ni plus ni moins que de saloperie, ravie de constater que son petit jeu d’intimidation fonctionne.

Elle suit les mouvement d’Eve du regard quand cette dernière tire un couteau aiguisé d’un tiroir. Naturellement et d’expérience, Villanelle sait qu’elle devrait se méfier de ce qu’Eve est capable de faire avec une lame telle que celle-ci quand elle est à proximité, mais le malheureux « incident » qui avait bien failli lui coûter la vie autrefois ne se réitérera pas, et certainement pas dans cette cuisine, avec la mère d’Eve dans la pièce d’à côté qui plus est. Non, Eve a tout intérêt à bien se tenir, et c’est d’autant plus amusant aux yeux de Villanelle, qui se demande sincèrement quels seuils elle pourra dépasser avant que la femme en face d’elle perde son sang froid et se donne en spectacle en présence de sa chère génitrice.

« Mais avec grand plaisir, Eve », fait Villanelle d’un ton trop appuyé pour être honnête quand de dépit, son vis-à-vis lui suggère de l’aider à cuisiner.

Pas que Villanelle en est spécialement l’envie, mais comme elle l’observe comme un aveu de défaite de la part d’Eve, elle le prend très positivement. Et se fend même d’un « Oui chef » quand son interlocutrice lui demande de rincer quelques légumes préalablement découpés. Villanelle, pas spécialement minutieuse, demeure, peu importe à quoi ses mains s’agitent, toute concentrée sur Eve et sur les efforts remarquables qu’elle fournit pour prétendre ne pas être incommodée par sa présence. A l’évidence, ce n’est que moyennement efficace, car Villanelle voit clair dans son jeu, parfaitement clair. Dans le silence, elle se contente de la regarder, bien consciente du fait que cela doit déjà largement suffire à déstabiliser son interlocutrice – et donc, sans surprise, cela ne manque pas d’amuser Villanelle.

« Pour qui tu me prends, enfin ? » fait mine de s’offusquer Villanelle. Elle se rapproche volontairement d’elle, s’impose dans son giron, le regard ancré dans le sien, ce qui se veut être à la fois une attitude menaçante et séduisante : quand cela les concerne, c’est toujours, il faut bien l’admettre, une sorte de mélange subtile des deux. « Je ne me permettrais jamais de t’embarrasser, Eve », reprend-elle. « Mais il faut me faciliter la tâche », reprend-elle doucement. « Je me tiens à carreaux si tu réponds honnêtement à mes questions, ça te paraît honnête, comme marché ? » demande-t-elle d’une voix qui doit ressembler à un souffle, souffle que, très probablement, Eve doit sentir se déposer sur son visage.

Dinnertime with Mother

feat. Villanelle & Ji-ah

Le regard de la Russe avait toujours été un sujet de fascination, pour Eve. Dès les premiers instants de leur rencontre, c'était ce regard qui avait le plus attiré son attention, et qui avait le plus marqué sa mémoire. Même si, en vérité, de nombreux détails avaient marqué sa mémoire pour un instant qui avait pourtant été aussi court. Mais lorsque ce regard glaçant suivait le moindre de ses mouvements, l'ancienne agente du MI6 perdait progressivement de son animosité. Malgré tous ses efforts pour ne pas lui donner la satisfaction de la voir troublée par sa présence, Eve peinait à garder contenance.

Fort heureusement pour sa raison déjà défaillante, soutenir ce même regard avec défi et méfiance était un exercice bien plus simple et plus intuitif pour elle.

Affirmer qu'elle ne se permettrait jamais de l'embarrasser devait être le plus gros mensonge qu'Eve l'ait entendue prononcer. Et pourtant, elle l'avait entendue en prononcer plusieurs, et pas des moindres. Et pour qui la prenait-elle ? Tout simplement pour la femme bien trop sournoise et bien trop agaçante qu'elle pouvait être par moments. La plupart du temps, en fait.

- Ce n'est pas un marché, c'est un chantage. Et tu as déjà épuisé ton quota, répondit Eve sans se laisser impressionner - d'apparence, du moins - par ce petit numéro de charme et de menace.

Il était évident qu'elle n'avait aucune envie de connaître les questionnements de la tueuse. Surtout, elle n'avait aucune envie de devoir y apporter des réponses. Car bien évidemment, elle devinait sans peine le sujet que souhaitait aborder Villanelle et c'était, sans surprise, précisément ce sujet-ci pour lequel elle ne voulait pas prononcer un mot. C'était bien connu : si elle n'en parlait pas, si elle n'y pensait pas - ce qui était impossible, par ailleurs, mais ça ne l'empêchait pas d'essayer, et violemment -, alors elle pouvait prétendre que rien de tout cela ne s'était passé. Ou que son geste n'avait été qu'un moyen de défense destiné à suffisamment déstabiliser la Russe pour infliger à celle-ci une douleur bien méritée. Ce qui était en partie vrai, mais rien n'était si simple avec Eve Polastri.

Plutôt que de se laisser acculer, Eve s'efforça de rompre le contact visuel et prit grand soin de contourner la plus jeune et de réinstaurer le plus de distance possible entre elles pour continuer de cuisiner. Ce qu'elle faisait sans aucune concentration, malgré ses tentatives pour ignorer superbement la présence imposante et terriblement tentante de Villanelle.

Dinnertime with Mother.

feat. Eve

« Marché, chantage, appelle ça comme tu veux », répond Villanelle, qui se sent à vrai dire assez satisfaite qu’Eve ne cède pas si facilement à sa requête, puisque cela lui donne l’occasion d’insister encore davantage. « Ce n’est pas comme ça que ça marche, Eve. »

Un quota de chantage qu’il ne faudrait pas dépasser ? Allons bon. L’intimidation était parmi les méthodes préférées de Villanelle, et surtout, c’était une méthode qui avait nécessairement sa faveur quand il était question de son interlocutrice, car elle aime voir naître en elle ce trouble qui la rend plus séduisante encore. Ceci dit, elle peut reconnaître à Eve qu’elle se défend bien. Son attitude composée, presque indifférente, pourrait laisser suggérer que ses menaces n’ont aucun effet sur elle… Mais Villanelle sait que c’est faux, tout comme elle sait que ce qui s’est passé dans ce bus, lors de leur dernière confrontation n’était pas un simple « accident ». Facile, ce genre d’accidents n’existent pas.

Eve ne veut rien entendre, mais elle écoutera malgré tout. Si Villanelle trouve amusant pour commencer de lui lâcher du lest, elle saura resserrer sa prise si Eve doit se montrer par trop impertinente. Ici et maintenant, c’est elle qui tient les rênes. Et elle ne le lui fera pas oublier.

Eve finit par briser le contact visuel et s’écarte pour reprendre sa préparation. Qu’importe qu’elle cherche à fuir son giron, Villanelle reviendra dans le sien autant que nécessaire. Les refus perpétuels d’Eve peuvent être amusant pour commencer, et même relever d’une sorte de jeu, mais à la longue, ils pourraient bien finir par être franchement agaçants. Et quand Villanelle se sent frustrée ou agacée, elle est capable d’agir de façon vraiment… démesurée…

Preuve en est de son attitude passé ce nouveau refus. Villanelle revient aussitôt auprès d’Eve et, d’un geste rapide, précis, plaque sa main contre sa gorge. La pression exercée est légère mais néanmoins menaçante. Ce petit jeu ne l’amuse déjà plus. Villanelle se lasse très vite, que voulez-vous.

« Ne joue pas avec moi, Eve… Je n’ai pas envie de te faire du mal. »

Sa voix est doucereuse, presque tendre, mais son regard, en revanche, brille d’une lueur de menace qui ne peut pas échapper à Eve. Elle n’a pas envie de lui faire de mal, mais elle le fera si Eve continue de la pousser ainsi dans ses retranchements comme c’est le cas en cet instant. Le scandale promis, elle n’hésitera pas un seul instant à le mettre à exécution. Ses menaces ne sont pas là dans l’unique intention de pimenter leur conversation, Villanelle est toute prête à les mettre à exécution.

Dinnertime with Mother

feat. Villanelle & Ji-ah

Eve étouffa tant bien que mal une exclamation qui aurait eu le don d'alerter sa mère. Elle réussit à réduire cette exclamation à un simple hoquet de stupeur, aidée en cela par ce geste qui, quoiqu'il en soit, lui coupait le souffle. Consciente qu'il s'en fallait de peu pour que l'autre femme resserre la prise qu'elle avait sur sa gorge, elle déglutit et releva les yeux vers elle pour soutenir son regard du sien, qui oscillait entre la défiance et la supplication.

Inéluctablement, c'était un geste qui la troublait. Après que Villanelle n'ait pas hésité à lui tirer dans le dos et à tenter de prendre le dessus lors de leur confrontation dans le bus, Eve était pertinemment consciente du danger réel que pouvaient causer les sautes d'humeur de la Russe. Et, en vérité, il s'en fallut de peu pour qu'elle cède, non pas à cause du danger mais à cause de cet autre trouble qu'elle trouvait infiniment plus menaçant car touchant à des sentiments plus complexes qui avaient le don de la rendre vulnérable.

Mais l'avertissement de Villanelle effaça instantanément tout début de soumission et lui redonna au contraire toute la rage déjà manifestée lors de ce fameux jour dans le bus.

- Tu ne manques pas de culot, siffla-t-elle aussitôt.

Elle redressa le menton, soudainement indifférente à l'idée que Villanelle ait en cet instant tout pouvoir de l'étrangler. Elles avaient des comptes à régler et la plus jeune l'entendrait coûte que coûte. Elle laissa passer un temps avant de reprendre à voix basse, mais avec une hargne difficilement contenue :

- Je te rappelle que tu m'as laissée pour morte. Et maintenant, tu t'imposes de nouveau dans ma vie comme si rien ne s'était passé, tu t'immisces dans mon appartement et tu profites de la présence de ma mère pour me placer en position de faiblesse... Qui joue avec l'autre, hein ?

Ses reproches énoncés, elle expira et, enfin, laissa sa colère redescendre. Elle agrippa alors le poignet de la plus jeune tout en continuant de l'affronter du regard. Mais, progressivement, l'évidence qu'elle n'avait pour l'heure par les moyens de résister davantage s'imposa. A contrecœur, elle finit donc par l'interroger :

- Qu'est-ce que tu veux savoir ?

Dinnertime with Mother.

feat. Eve

Ah ça, c’est en effet une certitude que Villanelle ne manque définitivement pas de culot, et elle n’a pas la moindre intention de s’en excuser. Elles sont autant lotis l’une que l’autre en la matière, et sans ce culot magistral, elle ne serait pas là, en face d’elle, alors elle se dit que, quelque part, elle lui rend le plus fier des services.

Bien sûr, Eve a raison. Pas sur toute la ligne, mais elle a bel et bien raison. Elle l’a laissée pour morte (Villanelle pourrait arguer que c’est elle qui a commencé, mais pour le coup, ce n’est définitivement pas la question), et ce moment, celui où elle a véritablement cru avoir pris la vie d’Eve Polastri, a laissé une trace violente dans son esprit. La jeune femme déteste y repenser, mais ce qui est fait est fait, en attendant, Eve est en vie, et il serait préférable qu’elle le reste, pas vrai ? Villanelle, en dépit de ce que ses gestes pourraient laisser suggérer, ne veut aucun mal à Eve, elle n’a certainement pas l’intention d’aller au bout de sa menace… Mais elle est obligé de donner raison à son interlocutrice (pas à voix haute, cependant…

Elle joue clairement avec elle. Mais et alors ? Si c’est la seule manière de l’atteindre, alors elle continuera de le faire, jusqu’à obtenir gain de cause. Eve sait que le nombre de ses limites sont absolument restreindre, pour la peine, elle a plutôt intérêt à se plier à son petit interrogatoire, pas vrai ? Elle a fait le choix de l’acculer, le choix de ne pas lui laisser le choix, et à court d’argument, Eve finit par lui céder bel et bien.

Il y a sans doute des dizaines de questions qu’elle pourrait poser, pourtant, au moment d’en choisir une parmi toute une sélection réfléchie à l’avance, il n’y en a qu’une pour s’imposer, une et une seule, parce que si elle peut s’inventer une réponse à chaque question, et croire être proche de la vérité pour chacune d’entre elles, il n’y a qu’une réponse qu’elle brûle d’entendre. Elle veut qu’Eve avoue, une bonne fois pour toutes, au-delà de toutes ses manœuvres pour la repousser.

Elle laisse passer un temps de silence au cours duquel elle rapproche tant son visage du sien que leurs lèvres s’effleurent. Les siennes s’étirent en un sourire mutin, tandis que son regard brille d’une lueur qui ne saurait être trompeuse. Dans tous les cas, Eve sait déjà pertinemment ce qu’elle souhaite lui demander.

« Pourquoi est-ce que tu m’as embrassée, Eve ? » demande-t-elle alors simplement, dans un souffle.

Dinnertime with Mother

feat. Villanelle & Ji-ah

Un constat la frappa aussitôt. Villanelle était bien trop arrogante pour son propre bien, et encore une fois, elle pensait un peu trop avoir le dessus. Ce qui, pour l'orgueil d'Eve, était intolérable. Pour la peine, elle lui aurait volontiers planté de nouveau un couteau dans le ventre, et aurait bien trouvé une excuse pour justifier ce phénomène auprès de sa mère. Un accident était si vite arrivé, après tout... Villanelle aurait très bien pu glisser. Elle pourrait très bien glisser de multiples fois si elle ne mettait pas très vite fin à son petit jeu, d'ailleurs.

Eve tenta de rester imperturbable malgré la proximité diabolique et fourbe que lui imposait la plus jeune. Elle fixa résolument un point du mur qui lui faisait face, refusant d'affronter son regard pour ce qui allait suivre. Car, bien évidemment, elle savait précisément quelle question pouvait ainsi tourmenter Villanelle au point que celle-ci réagisse avec si peu de patience.

- Pour te surprendre.

Elle daigna finalement soutenir son regard, avec défiance. Sa voix devint plus grave lorsqu'elle reprit :

- Pour te faire perdre ton arrogance et te faire baisser ta garde.

Son regard remonta sur le bleu laissé par son coup de tête. Un bleu dont la couleur s'estompait déjà, mais qui leur était commun à toutes les deux. Et curieusement, à présent qu'elle posait les yeux dessus, Eve n'était pas embarrassée par l'idée qu'elles aient une marque similaire quoique temporaire. Elle était plutôt... Satisfaite. Etrangement satisfaite, d'ailleurs, mais elle se rendit compte que se concentrer sur l'aspect de la blessure de Villanelle lui crispait délicieusement le bas-ventre.

Surprise par la tournure que prenaient ses pensées, Eve battit soudainement des cils et, à nouveau, préféra détourner le regard pour fuir celui de la tueuse. Leurs lèvres s'effleuraient et ce n'était pas un détail qui échappait à sa conscience, loin de là.

- Ecoute... On parlera. Mais pas maintenant. Attends que ma mère soit partie. S'il te plaît.

Sa voix s'était adoucie sur ces trois derniers mots. Elle osa de nouveau croiser le regard de cette femme trop obsédante, pour mieux la supplier silencieusement de faire preuve de patience. Car bien sûr, Eve s'était gardée de lui offrir la réponse la plus sincère à sa question.

Dinnertime with Mother.

feat. Eve

« Conneries… », grimace Villanelle, qui refuse catégoriquement de croire les explications de Eve, et les déteste d’autant plus qu’elle doit bien admettre qu’elles sont plausibles, pas totalement improbables.

Parce que si ça avait été son intention, alors ça avait marché, et même, ça avait trop bien marché. Oui, elle avait en effet été surprise, au cours de leur confrontation, dans le bus, elle ne s’était pas attendu le moins du monde à ce qu’elle presse ses lèvres contre les siennes, et pour ce qui est de l’avoir fait baisser sa garde, d’autant plus… Il lui en faut certes plus pour perdre son arrogance, néanmoins, elle est obligée de ne serait-ce qu’envisager qu’Eve parle sincèrement, et la seule idée que ce soit vrai, qu’elle puisse s’être jouée d’elle et de ses sentiments, la fait terriblement bouillonner.

Eve tente de lire son regard, un indice, un signe de ce qu’elle pense réellement… Et faute d’être capable d’y lire ni vérité, ni mensonge… Elle se réfugie derrière son égo. C’est forcément des conneries, c’est nécessairement des conneries. C’est impossible autrement. Villanelle veut ajouter autre chose, l’obliger à passer aux aveux, quitte à les obtenir par la force (comme si ce n’était pas déjà sa méthode), mais alors, le ton d’Eve s’adoucit, et même si la patience est tout sauf le fort de Villanelle, elle est prête à cette concession, parce que ces paroles tiennent lieu de promesse à ses yeux. Quand sa mère sera partie, elle n’aura plus l’occasion de se défiler : Villanelle ne le permettra pas.

« Comme tu voudras. » Elle se recule d’un pas. « Tu as raison, ta mère doit s’ennuyer, je ferais mieux de lui tenir compagnie. »

Elle n’attend pas de réaction de la part d’Eve, elle se contente de lui adresser un charmant sourire qui déborde d’une innocence qu’elle ne possède pas le moins du monde avant de s’éclipser hors de la pièce afin de retrouver Ji-Ah, toujours installée à la table du salon.

« Désolée de vous faire attendre comme ça, Ji-Ah », s’excuse-t-elle en jouant soudainement les belles-filles idéales. « Mais vous ne regretterez pas l’attente, ce qui se prépare dans la cuisine ? Un délice… » Elle marque une pause. « Mais parlez-moi un peu de vous. Ou mieux ! Parlez-moi de votre fille, je meurs d’envie de savoir comment était Eve quand elle était petite. »

Elle parle d’une voix forte pour s’assurer qu’Eve, dont elle ne sait pas si elle la rejoindra ou non, ne manque rien des prémisses de cette conversation tandis qu’elle s’accapare l’attention de Ji-Ah.

Dinnertime with Mother

feat. Villanelle & Ji-ah

Eve expira avec soulagement dès que Villanelle recula. Elle respirait toujours mieux dès qu’elles ne se touchaient pas. Et plus il y avait de distance entre elles, mieux elle parvenait à réfléchir. Rassurée que la plus jeune accepte ces concessions, elle n’en oublia pas moins de lui adresser un regard exaspéré quand elle formula son intention de tenir compagnie à sa mère. Une conversation entre Villanelle et sa mère, voilà qui figurait dans le top 3 de ce qu’Eve redoutait le plus. Mais, consciente qu’elle devait la jouer fine et par ailleurs intérieurement paniquée par la suite de la soirée, elle laissa la jeune femme quitter la cuisine et interroger peu subtilement sa mère. Et ce tout en haussant la voix ce qui, malgré elle, fit sourire Eve qui secoua doucement la tête tout en faisant de son mieux pour se concentrer sur la préparation de son plat... Une tâche bien plus aisée à présent qu’elle n’était plus distraite par la présence intimidante de la tueuse.

Ji-Ah, de son côté, observa attentivement Villanelle, d’un air inquisiteur. Elle se dérida néanmoins et afficha un mince sourire au moment de se faire interroger sur l’enfance de sa fille.

- C’était une enfant très… Secrète. Douée à l’école, mais silencieuse. Et têtue, aussi. Impossible de lui faire changer d’avis si elle était déjà décidée. Une rebelle à l’adolescence. Elle n’en faisait qu’à sa tête et s’enfermait dans sa chambre avec des livres sur... Sur toutes ces criminelles qui la passionnaient tant.
- Tu n’es pas obligée d’entrer dans les détails, maman, l’interrompit une Eve aux joues rouges qui venait de quitter la cuisine, alarmée par cette conversation.

Elle eut un regard appuyé en direction de sa mère, qui se contenta d’y répondre avec une sérénité désarmante. Ne voulant pas laisser son plat brûler, Eve fut bien forcée de retourner à la cuisine. Ji-Ah en profita pour dévisager sa jeune interlocutrice de son regard perçant et clairvoyant. Enfin, et avec perspicacité, elle l’interrogea à son tour :

- Comment vous êtes-vous connues ?
- C’est une ancienne collègue, intervint aussitôt Eve en déposant avec trop de force les plats sur la table.

Elle avait fait dans la simplicité et la familiarité en cuisinant du bibimbap. Elle déposa également les boissons sur la table, une bouteille de vin rouge et de l’eau, avant de prendre place à la gauche de la Russe.

- Mangez avant que ça refroidisse, avisa-t-elle tout en espérant plutôt que cela les fasse taire.

Dinnertime with Mother.

feat. Eve

C’est avec beaucoup d’intérêt, et presque avec une certaine tendresse, à vrai dire, que Villanelle écoute Ji-Ha lui parler de l’enfance d’Eve. Pour tout le temps que Villanelle pouvait consacrer à penser à Eve (ce qui faisait honnêtement vraiment, vraiment beaucoup), l’horizon de ses pensées avait toujours été limité à ce que leurs rencontres et les paroles de tiers avaient pu lui révéler à son sujet, mais qui donc serait susceptible de mieux la connaître que sa propre sa mère (même si Villanelle devine sans mal que Ji-Ha est très loin de tout deviner de ce dont sa fille pouvait être capable. S’imaginerait-elle, par exemple, qu’elle est à l’origine de cette épaisse cicatrice sur son ventre, à l’endroit où elle l’a poignardée ?).

Ainsi donc, Villanelle prend plaisir à se figurer, en pensée, une version miniature d’Eve : la même chevelure sombre et épaisse, les mêmes mimiques, mais sur le visage d’une enfant, puis d’une adolescente, secrète et déterminée, puis rebelle… affichant très tôt une passion qu’on pourrait considérer comme infiniment sordide pour le crime, non, les criminelles au féminin.

« Laisse-la continuer », répond Villanelle en tournant vers Eve son sourire le plus rayonnant quand cette dernière fait son apparition dans la salle à manger et défend sa mère d’entrer dans des détails que Villanelle ne demande qu’à connaître, tous autant qu’ils sont.

Mais Eve a réussi à détourner l’attention avant de repartir à la cuisine, et c’est vers elle que le sujet se tourne alors que Ji-Ha lui demande comment Eve et elle se sont connues. Villanelle ouvre la bouche, prête à répondre d’entrée de jeu, mais Eve la devance immédiatement, sa manière d’éviter la casse, tout en posant les plats sur la table.

« C’était passionnant de travailler avec Eve », reprend Villanelle en décidant de remplir généreusement leur verres de vin. « Votre fille n’a pas froid aux yeux, vous savez. » Elle contemple son verre et en boit une première gorgée tandis que leurs assiettes sont remplies. « Mais je suis sûre qu’on aura d’autres occasions de collaborer, pas vrai Eve ? On forme une équipe de choc, toutes les deux. »

Villanelle daigne enfin planter sa fourchette dans son assiette.

« Eve, c’est délicieux ! » s’exclame-t-elle sans mentir avant de reprendre une nouvelle bouchée. Comme souvent quand elle est à table, Villanelle se goinfre plus qu’elle ne mange, mais en même temps, quand la nourriture est bonne, c’est la moindre des choses que de lui faire honneur, pas vrai ? « Votre fille a vraiment tous les talents. Si vous voulez mon avis, elle est bonne à marier – enfin, à remarier, en l’occurrence », reprend-elle en affichant une grimace des plus éloquentes.

Dinnertime with Mother

feat. Villanelle & Ji-ah

Eve avait l'impression d'avoir été précipitée dans une dimension parallèle. Ou au beau milieu de l'un de ses cauchemars. Car un dîner en compagnie de Villanelle et de sa mère, ce n'était pas un événement qu'elle pensait un jour subir. Plus étrange encore, la manière dont la Russe parlait d'elle et de leur "travail d'équipe". Eve fut bien forcée d'admettre, quoique silencieusement et à contrecoeur, qu'elle était sincèrement curieuse de savoir si les déclarations de Villanelle avaient un fond de vérité ou si elles n'étaient destinées qu'à l'agacer un peu plus.

Ce qui ne l'empêcha bien évidemment pas de hausser les sourcils quand le sujet de son obsession fit mention d'une nouvelle collaboration.

- Je n'en suis pas si sûre pour ma part, répliqua aussitôt Eve en y mettant bien plus de mauvaise volonté que la blonde.

Et, soudainement tourmentée à l'idée de travailler de nouveau avec Villanelle - ce qui signifiait bien plus de temps passé ensemble, et le risque d'avoir des conversations qu'elle voulait éviter à tout prix -, Eve lui fut paradoxalement reconnaissante d'avoir généreusement rempli leurs verres. Elle prit plusieurs gorgées de vin, se souciant soudainement peu du regard réprobateur de sa mère qui, bien entendu, ne manqua pas d'observer ce manque d'élégance.

Elle reposa son verre au moment où Villanelle complimenta sa cuisine. Ce qui, malgré elle, lui procura un sentiment de satisfaction qu'elle n'aurait pas dû avoir, mais qu'elle avait tout de même. C'était incontrôlable, hélas. Tout comme elle n'avait su contrôler la pulsion qui l'avait poussée à embrasser, quelques jours plus tôt, celle qui avait pourtant bien failli lui ôter la vie.

Mais fort heureusement pour son esprit torturé de sentiments contradictoires, toute chaleur s'estompa quand la tueuse se permit de la qualifier de "bonne à marier". C'était une provocation évidente, mais en l'occurrence, c'était une provocation redoutablement efficace. Eve la fixa d'un regard noir et lourd de reproches avant de répondre d'une voix tendue :

- Sans façon.

Cette réponse, acide et implacable, retint l'attention de Ji-Ah, restée jusque-là prudemment silencieuse. Elle délaissa sa posture de spectatrice et intervint donc dans la conversation en fronçant les sourcils :

- Et pourquoi pas ? Qu'est-ce qui s'est passé avec Niko ? Ton amie a raison, il faut aller de l'avant.
- C'est pas important, maman... Tout ce qu'il y a à savoir, c'est que c'est fini. Pour de bon. Et me concernant, j'en ai fini avec ce genre d'histoires. Je veux me concentrer sur mon travail, et sur ma vie.

Ces deux dernières phrases, elle les prononça avec fermeté. Car même si elle fixait sa mère, c'était bien pour Villanelle qu'elle apportait ces précisions.

Ji-Ah, semblant peser le pour et le contre, décida finalement de se désintéresser de sa famille et de tourner son regard en direction de la jeune femme.

- Et vous Villanelle, êtes-vous mariée ? l'interrogea-t-elle avec une curiosité toute maternelle.

Dinnertime with Mother.

feat. Eve

Villanelle rejette négligemment la remarque d’Eve, quand cette dernière affirme ne pas être certaine de vouloir collaborer de nouveau avec elle – ou bien est-ce du fait qu’elles forment un excellent duo, qu’elle n’est pas certaine ? Aucune importance, Villanelle ignore sublimement cette réflexion à laquelle elle ne répond que par un charmant sourire. Parce qu’elle reste convaincue du fait que, quoi qu’elle puisse dire, Eve ment. Elle reprend comme si de rien n’était, choisit évidemment minutieusement ses mots au moment de qualifier Eve de « bonne à remarier » et ne peut que savourer le regard noir qu’elle lui adresse alors avant de répliquer d’un ton catégorique qui ne devrait pas l’être tant. Elle est tentée d’affirmer que tous les mariages n’ont guère besoin de ressembler au supplice qu’elle s’infligeait avec Niko. Mais Ji-Ah, qui est de plus en plus sympathique à Villanelle, prend la parole avant que la tueuse n’ait eu le temps de dire quoi que ce soit.

Villanelle aurait été assez curieuse d’entendre les justifications d’Eve quant à ce qui s’était passé avec Niko, mais en lieu et place de lui offrir quelque satisfaction que ce soit, Eve décide de rejeter le sujet, ceci dit, ce n’est pas plus mal. La façon tout à fait définitive dont Eve affirme qu’entre elle et Niko, c’est fini, c’est quelque chose qui lui plaît singulièrement. Tout comme le sujet Niko doit oublier d’être important – même s’il est assez agréable de le rappeler au souvenir d’Eve, juste histoire de voir sa réaction. Juste pour le plaisir.

Au moment où Ji-Ah lui demande si, en retour, elle est mariée, Villanelle ne peut s’empêcher de voir fleurir une pensée particulièrement agréable. Elle pourrait mentir, et ce mensonge n’aurait que peu d’impact. Ou bien elle peut dire la vérité, et elle devine que cette vérité aura les atours du mensonge… Ceci dit… Ceci dit… Mettre ça sur le tapis, là, maintenant, lui paraît terriblement irrésistible – et qui pourra lui reprocher quoi que ce soit ? On lui pose une question, elle se contente de répondre… Où est le mal, là-dedans ?

« Je suis mariée, c’est vrai », fait-elle comme si elle venait tout juste de s’en souvenir – ce qui au demeurant n’est pas complètement faux, en réalité. « Il faudrait peut-être que je règle cette histoire, d’ailleurs », reprend-elle en fronçant les sourcils, mais sans s’en soucier davantage, semblant accorder beaucoup plus d’intérêt au contenu de son assiette – ce qui est le cas. Même si, bien sûr, elle guette du coin de l’œil la réaction d’Eve, qu’elle recherche bien plus que celle de Ji-Ah, en l’occurrence.

Dinnertime with Mother

feat. Villanelle & Ji-ah

La question de sa mère la fit lever les yeux au ciel, très peu discrètement. Bougonne, Eve se mura dans un silence buté et baissa le nez pour s'intéresser au contenu de son assiette, imitant inconsciemment l'attitude de la jeune femme à ses côtés. Mais elle n'était pas au bout de ses peines.

De toutes les réponses possibles et imaginables, celle-ci n'était certainement pas celle qu'elle s'attendait à entendre. Stupéfaite, prise de court, elle avala de travers. Et pourtant, elle parvint à s'indigner entre deux quintes de toux :

- Quoi ?!

C'était intolérable. Affligeant, et intolérable. Car Eve, loin d'être dupe, se doutait déjà du moment choisi par sa voisine de table pour se marier. Ce ne pouvait qu'être après le coup de feu de Rome. Si Villanelle avait déjà été mariée, elle l'aurait su, d'une manière ou d'une autre.

Faisant passer sa toux d'une gorgée de vin, elle reposa le verre un peu trop brutalement tout en tournant vers Villanelle un regard assassin. Alors pendant qu'elle était entre la vie et la mort et luttait pour se remettre de ses traumatismes, la tueuse se la coulait douce en se permettant, de plus, de refaire tranquillement sa vie ? C'était injuste. Injuste et aberrant. Ce n'était ni plus ni moins qu'un véritable affront à ce qu'avait été leur lien, à ce qu'avait été leur histoire.

- C'est merveilleux ! Qui est l'heureux élu ? l'interrogea poliment Ji-Ah, faisant une mauvaise interprétation de la réaction de sa fille et pensant que celle-ci était vexée de n'avoir pas été tenue au courant.

Eve, exaspérée, furieuse, jalouse, vida d'un trait le contenu de son verre de vin et se resservit aussi sec, dépassant de loin la hauteur d'usage.

- C'est vrai ça, qui a réussi à te supporter assez longtemps pour accepter de t'épouser ? cracha Eve avec amertume, aidée dans la bassesse par l'alcool et l'épuisement.

Ce n'était pas glorieux, mais visiblement, elles n'étaient plus à cela près.

Dinnertime with Mother.

feat. Eve

Villanelle ne peut s’empêcher d’afficher un sourire satisfait en constatant la réaction d’Eve, qui est très précisément à la hauteur de ce qu’elle attendait bel et bien. Elle le ressent… autant son incompréhension que son agacement, et ce quelque chose qu’elle veut prendre – pour son plus grand plaisir – pour de la jalousie pure et dure. Et c’est tout ce qu’elle veut. Elle n’a pas vraiment envie de s’attarder sur la question, parce qu’elle n’a en soi pas vraiment d’importance. Ce qui compte, ce n’est pas ça, ce qui compte, c’est seulement qu’Eve sache qu’elle a été mariée – peu importe la nature de ce mariage, le temps qu’il aura duré, l’identité de la mariée et à quel point cela aura compté ou non pour elle.

Alors oui, elle ne peut s’empêcher de se sentir satisfaite à l’idée qu’Eve puisse se sentir trahie. Ce n’est peut-être pas très juste, mais elle n’a jamais prétendu que c’était sa manière de faire. Eve ne remet pas son discours en question, elle doit savoir qu’elle dit vrai, et le regard assassin qu’elle lui adresse en cet instant lui apparaît comme franchement séduisant… Elle s’amuse de voir la mère d’Eve l’interroger au sujet de cette bonne nouvelle qui n’en est pas exactement une… pas une mauvaise nouvelle non plus, d’ailleurs. Juste une nouvelle, dont Villanelle se contente d’apprécier les effets sans y réfléchir davantage. Quant à la réaction d’Eve, elle est trop agréable pour que Villanelle ne puisse vouloir s’en délecter, ce qu’elle fait sans savoir s’en empêcher un seul instant. Il y a clairement de l’amertume dans son discours, mais Villanelle n’en éprouve pas de scrupule, de même qu’elle ne se sent pas blessée par ses propos. Elle a pris le contrôle de la conversation, et elle adore ça.

« Oh, son nom n’a pas beaucoup d’importance », répond-elle légèrement à Ji-Ah en lui adressant son sourire le plus charmant. « On n’est plus ensemble », reprend-elle en haussant les épaules.

Elle n’a pas l’intention de prétendre, elle se contente de dire la vérité, évasivement, parce qu’il n’y a qu’elle pour blesser à ce point. Les artifices qu’elle pourrait déployer pour ajouter à la crédibilité de son récit lui sembleraient bien superflus en la circonstance.

« J’essayais d’oublier mon ex avec elle », reprend-elle en tournant un regard des plus éloquents vers Eve. « Je crois que ça n’a pas été très efficace », reprit-elle simplement.

Ji-Ah n’allait sans doute plus trouver tout ceci si merveilleux. C’est quelque part dommage, car Villanelle aurait envie de plaire à cette femme. Mais pour l’heure, elle est bien davantage intéressée par Eve et par les réactions de cette dernière. Le reste n’a que peu d’importance en comparaison.

Dinnertime with Mother

feat. Villanelle & Ji-ah

Eve ne cessait de maudire, mentalement, sa voisine de table. Parce qu'elle savait pertinemment qu'elle prenait bien trop de plaisir à mener ainsi la conversation et à obtenir d'elle exactement ce qu'elle voulait. Mais Eve n'en avait pas fini de la maudire, car bien malgré elle, la précision qu'apporta Villanelle concernant son... Epouse ? la rassura. Et c'était bien le pire qu'elle puisse lui infliger. Eve n'était pas censée être rassurée d'apprendre que la Russe et sa femme n'étaient plus ensemble. Ca ne la regardait pas, et d'ailleurs, ça ne l'intéressait pas. Seulement... Seulement, ce n'était pas tout à fait vrai, et Eve venait d'en avoir la certitude, de la manière la plus douloureuse qui soit. En passant d'abord par un état de jalousie difficilement réprimé, puis en accédant à un soulagement véritable en apprenant que non, Villanelle n'avait pas réellement tourné la page. Ce qui était profondément injuste, en soi, lorsqu'elle elle-même s'acharnait à nier la triste vérité, à savoir qu'elle n'avait pas seulement éprouvé de la colère (légitime) en revoyant la jeune femme. Et ce n'était, de plus, pas pour cette même colère qu'elle s'était ruée sur elle afin de laisser sa violence s'exprimer. Non... C'était à cause de ce sentiment proche de la joie qui s'était emparé d'elle. Villanelle était de retour, et elle était revenue la voir. Et tous les espoirs, pourtant bien enfouis, d'Eve avaient refait surface.

Mais, visiblement, Eve n'était pas la seule à subir les effets de leur étrange relation. Entre Villanelle la qualifier "d'ex" lui provoqua un pincement au cœur... Mais elle devait lui concéder qu'il y avait une part de vérité dans cette qualification. L'affaire Aaron Peel les avaient considérablement rapprochées, et chaque rencontre qui avait eu lieu avant cela n'avait pas été anodine, ni même explicable autrement que comme une forme de parade amoureuse complexe, violente et malsaine.

Tourmentée par les propos de Villanelle et par le fil de ses pensées, Eve se réfugia encore une fois dans le vin. Elle aurait dû faire preuve de plus de maîtrise et veiller aux excès d'alcool, mais elle était trop bouleversée pour trouver une solution moins périlleuse.

Sans surprise, le sourire de Ji-Ah s'effaça. Elle eut d'abord un regard désolé en direction de la Russe, avant qu'elle n'écarquille les yeux d'un air surpris lorsque Villanelle se tourna vers Eve après avoir mentionné son ex.

- Et pourtant, c'est mieux de ne pas revenir auprès de ses exs, commenta amèrement Eve, que l'alcool rendait plus ouvertement agressive.

Ji-Ah adressa un regard dur à sa fille, désapprouvant son comportement. Eve y répondit par un air renfrogné, qu'elle fit passer en plantant sa fourchette avec violence dans un morceau de carotte.

- Je suis navrée pour votre mariage et votre ancienne relation, Villanelle. Désirez-vous en parler ?

Dinnertime with Mother.

feat. Eve

Villanelle ne répond rien mais se contente d’adresser un regard appuyé à Eve quand cette dernière observe avec agressivité que revenir auprès de ses exs n’est jamais bon. Elle n’a sans doute pas tort, c’est ça le pire, mais c’est irrésistible. Du moins, tant que l’ex en question n’est pas Niko, évidemment. La Russe fait mine de ne pas avoir été perturbée un seul instant par de telles paroles et par le sous-entendu qu’elle ne peut qu’y deviner et choisit de se tourner vers Ji-Ah, à laquelle elle adresse le sourire le plus innocent quand elle tente du mieux qu’elle le peut de s’intéresser à la conversation, non sans avoir fusillé sa fille du regard au préalable (ce qui n’a pas échappé à Villanelle – qui a apprécié le geste, au passage). Évidemment, dans l’idéal, elle ne devrait pas en parler, mais comment résister à la tentation d’en parler alors que Ji-Ah lui tendait si gentiment la perche ? Bien sûr qu’elle ne peut pas résister.

« J’ai rencontré Maria juste après ma rupture. Ça avait été… vraiment difficile. Je me sentais trahie, je ne pensais pas pouvoir de nouveau faire confiance. » Oui, elle le dit telle qu’elle. Certes, c’est elle qui a tiré sur l’autre, mais après tout, elle ne l’a pas fait sans raison. Il ne serait rien passé de tel si Eve ne lui avait pas tourné le dos, au sens propre comme au figuré. « Je me disais… que c’était une bonne chose qu’elle soit morte, j’étais plus heureuse comme ça », poursuit-elle sans regarder vraiment celle à qui ces propos sont supposés s’adresser, mais en ne lâchant pas un seul instant Eve du regard, en revanche, car bien sûr, c’es à elle qu’elle s’adresse en premier lieu… Et sans être franchement honnête, ni envers ses interlocutrices, ni envers personne d’autre. « Enfin, elle n’est pas vraiment morte, c’est une image bien sûr. Elle est plus résistante que ça. » Elle marque une pause. « Elle m’a laissé tomber… Elle fait tout le temps ça. Un moment, elle t’embrasse, l’instant d’après, elle te plante un couteau dans le ventre. »

Est-ce qu’elle cherche encore à se montrer cohérente ? Pas vraiment, pas plus qu’elle ne cherche à faire en sorte que Ji-Ah ne perde pas le fil. De même, difficile de faire la différence entre ce qui est pensé et ce qui est imagé, entre sens propre et sens figuré. La mère d’Eve n’est pas celle qu’elle cherche à atteindre par ses mots, dont l’impact peut être aussi réel que celui d’une balle : c’est bel et bien son interlocutrice qu’elle veut atteindre, et ça par tous les moyens à sa disposition. Ça peut tout à fait être bas, ça peut tout à fait être injuste, ça lui est égal, elle se contente de dire ce qu’elle pense et elle n’a pas franchement de scrupules à le faire – pas le moins du monde même. Ça l’amuse.

Dinnertime with Mother

feat. Villanelle & Ji-ah

Eve avait redouté les réponses de la blonde dès que sa mère avait tendu cette perche. Et elle ne fut pas déçue. Comme elle s'y attendait, Villanelle ne tarda pas à s'adresser à elle plutôt qu'à son interlocutrice initiale. Et, comme elle aurait dû s'y attendre, Eve était incapable de l'ignorer et lui accorda au contraire toute son attention, malgré la peine provoquée par les mots de son impitoyable obsession.

L'entendre dire qu'elle était plus heureuse quand elle était morte lui noua le ventre. Eve n'était pas certaine de la véracité de ces propos, mais elle savait que Villanelle avait parfois une vision... différente des choses. Et, vrai ou non, cela restait douloureux à entendre. Mais son chagrin fut immédiatement perverti, assombri par une pensée plus vicieuse. Elles n'étaient pas femmes à être heureuses. Pour sa part, elle se fichait bien d'être heureuse. Et elle supposa, par orgueil, et surtout par espoir, que c'en était de même pour Villanelle. Pourquoi cette dernière s'acharnerait-elle tant à faire réagir Eve, dans le cas contraire ?

La jeune femme la fixait, et en retour, Eve soutenait son regard avec cet air buté et défiant que la Russe lui connaissait bien. Mais la tueuse parvint à la décontenancer suffisamment pour qu'elle écarquille les yeux avant que son visage ne se crispe sous l'effet d'une colère noire.

- J'hallucine...

La manière qu'avait Villanelle de décrire la dynamique de leur relation et de se faire passer pour la victime la rendait furieuse. Elle laissa tomber ses couverts dans son assiette, se servant de la violence du son provoqué pour alimenter sa propre violence. Dans un élan d'emportement, elle recula brusquement sa chaise et se tourna pleinement vers sa voisine de table, penchée vers elle comme si elle s'apprêtait à lui bondir dessus. La mention du baiser était la goutte d'eau qui, bien évidemment, alimentait l'indignation d'Eve : car il était bien plus simple de rester en colère plutôt que d'admettre que c'était bien elle qui avait initié ce premier baiser et, surtout, que d'admettre les implications d'un tel geste.

- Tu sais quoi ? Si tu veux être heureuse, évite de tirer dans le dos de la personne concernée et de lui pourrir la vie, cracha-t-elle à quelques centimètres de son visage.

Elle sentait le regard de sa mère peser sur elle. C'était insoutenable, en plus de l'inconfort de cette situation. Tremblant d'une violence intérieure contenue, Eve fusilla Villanelle du regard avant de se lever et de quitter vivement la pièce, incapable de subir davantage cette conversation.

Ji-Ah, étrangement calme, resta silencieuse quelques secondes avant d'annoncer laconiquement :

- Je ferais mieux d'y aller.

Etonnamment, elle adressa un petit sourire à Villanelle avant de se lever et de quitter la table à son tour, retrouvant sa fille dans la cuisine. Elle lui caressa affectueusement la joue avant de reprendre :

- Je serai chez ta tante. Appelle-moi demain, et ne t'avise pas de m'ignorer toute la semaine.

Sur ces mots, elle reprit sa veste et ses bagages et, avec un dernier sourire sybillin en direction des deux jeunes femmes, quitta l'appartement d'Eve. Cette dernière en soupira de soulagement.

Dinnertime with Mother.

feat. Eve

Villanelle voulait obtenir une réaction de la part d’Eve, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle est servie. Ses paroles ne passent pas, elle a su appuyer là où ça fait mal et insister encore, sans aucune forme d’hésitation, et pour cause, c’est ce qu’elle veut, quelque part : lui faire du mal, c’est certain, mais la faire réagir, surtout. Elle veut la voir perdre le contrôle en présence de sa mère, elle se fiche que Ji-Ah assiste au spectacle, elle veut voir Eve s’emporter, la regarder sortir de ses gonds… Elle veut sa confrontation, et elle l’aura, elle ne laissera rien, aucun concours de circonstance, la priver de ce qu’elle estime être son bon droit. Oui, Villanelle est bien décidée à avoir gain de cause, et quand elle voit ce changement dans son regard, qui se fait plus sombre, si ce n’est plus assassin, elle sait qu’elle a obtenu gain de cause.

« Tu veux vraiment qu’on revienne là-dessus ? » fait Villanelle en levant les yeux au ciel.

Même si sa décision de tirer sur Eve l’avait mise au trente-sixième dessous quand elle avait cru l’avoir bel et bien tuée, elle continue de penser que sa réaction avait été une réponse légitime à une situation injuste et insupportable. Villanelle ne lui aurait pas tourné le dos si Eve ne lui avait pas tourné le dos, justement, donc Eve ne peut s’en prendre qu’à elle-même pour ce qui s’est passé, fin de l’histoire. C’est du moins comme ça que la tueuse choisit de le voir, et se l’est répété toutes les fois où le remords et le manque la rongeait si fort que tout le reste cessait d’avoir de l’importance. Elle veut ajouter quelque chose, mais Eve a quitté la pièce.

Ji-Ah semble étonnamment calme au regard de la scène qui vient de se dérouler sous ses yeux. Elle suggère qu’il est temps pour elle de s’en aller, et même si Villanelle est en partie tentée de lui demander de rester parce qu’elle aime l’idée d’avoir un public, elle se contente d’acquiescer et de rendre son sourire à la mère d’Eve.

« C’était un plaisir de faire votre rencontre », fait-elle avec un large sourire aux lèvres.

Elle ne ment pas à ce sujet, et elle aurait bien voulu qu’elle reste : pour le plaisir d’avoir un public. Mais elle laisse donc mère et fille parler ensemble, jusqu’à ce qu’elles se retrouvent toutes les deux toutes seules.

« Elle est sympa, ta mère », fait Villanelle sur le ton de la conversation quand elles se retrouvent enfin seule à seule. « Vraiment adorable. »

Rien à voir avec la sienne.

Dinnertime with Mother

feat. Villanelle & Ji-ah

Le calme de sa mère était bien plus angoissant, pour Eve, que si elle avait réclamé des explications en hurlant ou s'était ouvertement insurgée de la situation. Le calme impliquait une forme de compréhension, et Eve n'était pas certaine de vouloir avoir une conversation au sujet de cette soirée avec sa mère. En fait, Eve ne voulait pas avoir de conversation, encore moins concernant Villanelle. Et d'autant moins avec la concernée, définitivement trop dangereuse à la fois pour ses nerfs et pour ses convictions.

Et, étonnamment, les deux femmes les plus capables de déstabiliser Eve semblait étrangement s'entendre. La brune leva les yeux au ciel en entendant Villanelle qualifier sa mère d'adorable.

- Ouais, c'est pas toi qui va subir l'interrogatoire après ça, soupira Eve en se frottant lentement le front comme pour faire passer une migraine.

Mais elle devait reconnaître que, comparée à elles deux, sa mère était effectivement une personne sympathique. Qui s'inquiétait trop pour sa fille, et qui avait la fâcheuse habitude de venir lui rendre visite sans s'annoncer - un autre point commun avec la criminelle sous son toit -, mais une personne bienveillante malgré tout.

Son emportement s'apaisait progressivement. Sans la pression du regard de sa mère, sans la nécessité de préserver ses secrets quant à la blessure qui avait bien failli lui coûter la vie, elle respirait déjà mieux. Même si, naturellement, la simple présence de Villanelle suffisait à lui donner la sensation de manquer d'oxygène.

Et, à présent qu'elles se retrouvaient véritablement seules, dans l'intimité relative de son appartement qui plus est, Eve prenait conscience de l'effet qu'avait la jeune femme sur elle sans que celle-ci n'ait à faire autre chose que de lui rappeler sa présence. Villanelle avait visé juste avec l'ours qu'elle avait déposé dans son lit quelques jours plus tôt, et sa voix enregistrée. Plus que de raison, Eve se surprenait à désirer autant qu'à redouter chaque instant passé en compagne de la Russe.

Son regard adouci par des émotions contradictoires, Eve dévisagea la jeune femme en silence durant de longues, trop longues secondes. L'envie de l'embrasser bataillait avec l'envie, tout aussi urgente, de la gifler. Son corps tremblait de l'effort qu'elle devait faire pour ne pas céder au besoin de se rapprocher d'elle, tant Villanelle exerçait sur elle une attraction presque magnétique tant elle était incapable d'y résister trop longuement.

- Il est temps que tu partes, toi aussi, souffla-t-elle avec moins de conviction qu'elle ne l'aurait souhaité.

Dinnertime with Mother.

feat. Eve

« Je peux rester pour l’interrogatoire, si tu veux », fait Villanelle avec un sourire toujours aussi franchement amusé aux lèvres quand Eve remarque qu’elle peut bien s’amuser de cette situation puisque ce n’est pas elle qui sera soumise aux questionnements de sa mère plus tard.

Bien sûr, elle le dit pour le seul plaisir d’agacer Eve, et pour ce plaisir seul, ni plus ni moins, mais tout de même, elle reconnaît que se faire aussi petite qu’une souris pour aller espionner la conversation entre la mère et la fille et entendre les excuses qu’Eve serait capable d’inventer pour justifier toute cette situation, ça a le mérite de la mettre de sacrément bonne humeur en réalité. Cela dit, interrogatoire ou pas, cette femme lui a fait une bonne impression.

L’espace d’un instant fugace, Villanelle se demande même ce que ce serait vraiment que d’avoir vraiment sa place autour de cette table sans l’obtenir par l’intimidation, et que cette femme la regarde comme si elle était un membre à part entière de sa famille. Ce n’est pas une pensée déplaisante, au bout du compte, loin de là, même. Quelque chose d’utopiste mais de doux en même temps, comme sont séduisantes toutes ces choses quotidiennes qui paraissent moins banales et moins stupides quand il est question d’Eve. Ce qu’elles auraient pu avoir si Eve l’avait accepté… ou non, ce que Villanelle se convainc qu’elles auraient pu avoir si Eve l’avait bien voulu.

« Ce n’est pas ce que tu veux », fait Villanelle, sûre d’elle, catégorique, quand Eve affirme qu’il est temps pour elle de partir.

Elle est convaincue de cela. Ça ne peut pas être ce qu’elle veut. Elle peut bien essayer de s’en convaincre, tenter d’y mettre toute la force de persuasion à sa disposition, mais elle sait forcément que ce n’est pas le cas, et que ça ne peut pas l’être, elle le sait forcément parce qu’elle doit le ressentir autant qu’elle. Ça ne peut pas, ça ne doit pas s’arrêter là.

Alors, quand Villanelle entame un premier mouvement, ce n’est pas dans l’intention de s’en aller et de respecter la demande, mais bel et bien dans celle de se rapprocher davantage d’Eve, jusqu’à réduire l’espace les séparant à peau de chagrin, ne laissant que quelques infimes centimètres entre elles. Elle veut l’obliger à craquer, à soutenir son regard, à prononcer enfin tous les mots qu’elle ne dit pas. En bref, à se livrer à elle une bonne fois pour toutes, et sans détour.

« Je partirai quand j’aurais obtenu ce que je veux », ajoute-t-elle plus doucement, sans ressentir la nécessité de clarifier son propos, le laissant libre à l’interprétation d’Eve.

Dinnertime with Mother

feat. Villanelle & Ji-ah

- Hors de question, trancha Eve d'un ton sec.

Résolue à ne pas céder, Eve fixa le mur qui lui faisait face et ce afin d'éviter le regard trop pénétrant de Villanelle. Mais lorsque cette dernière s'avança, laissant un espace insignifiant entre elles, sa détermination commença à faiblir. L'affirmation de la jeune femme la fit frémir, non pas parce qu'elle avait tort, mais bien parce qu'elle avait raison. C'était profondément injuste, que Villanelle soit à ce point capable de voir clair dans son jeu lorsqu'elle-même parvenait à se bercer d'illusions.

La dernière phrase de Villanelle fit sourire Eve, sans que ce sourire n'atteigne la profondeur de son regard. Cela lui rappelait un temps qui lui semblait déjà trop lointain, un temps où dans sa cuisine, elle avait sottement promis à la Russe de lui offrir tout ce qu'elle désirait. Sans comprendre à quel point ces paroles l'engageaient. Ou peut-être bien, au contraire, en comprenant parfaitement tout ce que cela impliquait d'engagement et d'implication, sans pour autant être prêtre à tenir ses engagements.

- Je ne sais pas ce que tu veux, souffla-t-elle avec sincérité.

C'était un aveu de vulnérabilité rare, de sa part. Mais c'était ce que Villanelle exigeait d'elle en s'imposant ainsi dans son appartement, en réclamant des explications, non ? Eve répondait, avec chagrin, et osait enfin exprimer les doutes qui la tourmentaient au quotidien. Que voulait Villanelle au juste ? Se gorger du pouvoir qu'elle possédait toujours sur elle, malgré la tentative de meurtre ? La pousser à avouer à quel point elle lui manquait pour mieux s'amuser avec cruauté de ses sentiments ? Prouver qu'elle possédait l'ascendant dans leur jeu de pouvoir constant ? Ou, pire, attendait-elle de sa part un nouveau baiser, qui mènerait à bien plus, bien trop tôt ? Attendait-elle donc qu'Eve livre son coeur en dépit de tous les risques, de tous les signaux d'alerte ? C'était ce qu'Eve redoutait le plus. Car elle savait, douloureusement, qu'en cet instant, alors qu'elles étaient plongées dans l'intimité de son appartement, elle serait capable de lui offrir tout cela, et bien plus encore. Et c'était effrayant. A croire qu'elle était incapable de retenir la leçon.

Après quelques instants de silence supplémentaires, durant lesquels elle continua de soutenir le regard de Villanelle du sien, à la fois suppliant et empreint d'une tendresse à l'amère douceur, Eve baissa les yeux. Elle commençait à céder. Parce que la proximité et la douceur de Villanelle étaient mille fois plus efficaces que toutes les menaces et techniques d'intimidation que la tueuse aurait pu mettre en place.

- J'ai trouvé ton cadeau, reprit-elle soudainement, d'une voix plus grave. Et... Je l'ai gardé.

Un grand euphémisme pour signifier qu'elle avait écouté avec obsession la voix enregistrée de Villanelle en gardant ce coeur en plastique contre son oreille, une bonne partie de la nuit.