did my invitation disappear ? (jon)

((did my invitation disappear?))

feat  @Jon Kent  

La famille, c'est compliqué. C’est ce que tout le monde dit, et si Ajax était auparavant persuadé de ne jamais pouvoir agréer avec ce bon vieux dicton, il commence à comprendre pourquoi est-ce qu’il l’entend aussi souvent. De peur que son père ou ses grands frères ne lui tombent dessus, il ne le dira pas à haute voix, mais à ses yeux leur sécurité repose entièrement sur ses épaules. Il a beau ne pas être l’aîné de la fratrie, c’est comme si pour lui. C’est lui le plus fort, alors ça lui paraît logique de s’assurer que rien ne leur arrive, ça coule de source. Malgré ce rôle qu’il s’est attribué tout seul, comme un grand, il est aussi certain d’une seconde chose : rien ne peut lui faire ressentir son entourage. Pas même les responsabilités qu’il pense avoir envers eux. Sa famille, c’est son tout. Ça le rouquin le sait depuis toujours, ce n’est pas nouveau, mais les perdre - temporairement - a confirmé bon nombre de choses dans son esprit.

En leur absence il n’était rien, alors il en a parfaitement conscience, il est incapable de vivre sans eux. Le seul petit bémol c’est que depuis leur retrouvaille, comment dire… Le onzième se sent généralement mieux loin d’eux qu’en leur compagnie - et il en a honte. Enfin, c’est surtout le cas pour son père, qu’il n’arrive pas, ou plutôt plus, à comprendre. Pourtant, à une époque qui ne lui semble pas si lointaine, c’était son exemple à suivre. C'est cliché il le sait, mais il n’a pas honte de dire que son père a été une inspiration pour lui. Ajax a longtemps rêvé de vivre les aventures de son héros et d'être aussi fort que lui, mais maintenant que son rêve se réalise, que c’est à son tour de vivre ses propres aventures, le comportement de son paternel à son égard a drastiquement changé. Terminé les sourires complices et les soirées passées à rêver d’un monde meilleur, c’est le point de rupture entre eux. Il le sait bien, dans le fond, ce qu’il lui reproche. Pas besoin non plus d’être devin pour le comprendre, son père ne le lui cache pas, mais Ajax peine tout de même à comprendre pourquoi ce qu’il faisait déjà sur Teyvat le dérange autant ici. D’autant plus que c’est lui, qui lui a demandé de rejoindre les Fatui en premier lieu. C'est lui qui pensait que se faire entraîner par eux lui ferait le plus grand des biens… Et il avait vu juste. Alors pourquoi est-ce qu’il rechignait à l’idée qu’il se batte pour, plus ou moins, la bonne cause ?

Il a comme l'impression de ne plus rien faire de bien à ses yeux, et bien que ce ne soit pas son genre d’attendre l’aval des autres pour faire ce qu’il veut, son comportement ne reste pas pour le moins blessant. Aux repas de famille, c’est le premier à lui faire des remarques sur son travail, puis à plomber l'ambiance à table quand il lui dit que oui, il travaille encore pour eux. « Non, papa, j'ai pas quitté le boulot qui nous aide tous à survivre, j’ai pas tourné le dos aux personnes qui m'ont permis de vous retrouver quand j’étais sur le point de perdre la tête. » En vain. Malgré ses efforts pour lui faire comprendre, lui parler revient à parler à un mur, qui plus est très épais. Pire encore, avec le temps ce qu’il attendait impatiemment chaque semaine s'est changé en quelque chose qu’il redoute et auquel on ne prend même plus la peine de l'inviter.

Ajax s’attend précisément à ce que sa soirée prenne une tournure similaire aujourd’hui. Il se prépare déjà à rentrer chez lui avec un goût amer en bouche, en se demandant pourquoi leur relation ne fait que plus se détériorer de jour en jour. Pour le moment, il évite la tension inconfortable qui s’installe à chaque fois qu’ils se retrouvent dans une même pièce, puisqu’il est seul dans la résidence familiale de Baker Street Avenue. Le manoir ne lui a jamais paru aussi grand, pourtant il est juste assez spacieux pour accueillir une famille aussi nombreuse que la sienne. Pas lui par contre, ça va faire quelques temps qu’il n’y vit plus, au grand dam de sa mère et de ses cadets qui demandent sans cesse quand est-ce qu’il compte revenir. C’est pas qu’il ne veut pas ; s’il le pouvait Ajax reviendrait vivre ici, mais disons qu’il ne pense plus pouvoir supporter les disputes constantes qui éclatent lorsqu’il rentre tardivement avec « quelques » égratignures.

La solitude ne lui tient pas compagnie longtemps, puisque la sonnette de la porte d’entrée vient l’alerter d’une nouvelle présence et le tirer de ses pensées. C'est étrange, pense-t-il. Impossible que ce soit ses parents, ni même ses frères et soeurs, il n’a vu aucune paire de clés traîner en arrivant. Curieux, il se lève de son siège, et d’un pas nonchalant, descend les escaliers de la trop silencieuse maison. Son regard se porte au passage sur les portraits de famille qui jonchent les murs et il remarque avec amertume qu'il ne demeure pas sur l'un d'entre eux.

Ajax se prépare à voir bon nombre de personnes en faisant usage du judas de la porte, mais pas lui. Son visage se crispe lorsque son oeil droit se pose sur une vile entité, dont il ne préfère pas prononcer le nom - son frère le fait suffisamment pour lui. C’est le sale gosse qui traîne dans les pattes de Teucer depuis quelques semaines, et pour qui ce dernier n’a que d’yeux. Pendant un instant, il songe à tourner le dos à la porte et à faire comme si de rien n’était, mais il sait déjà que ça ne fera pas plaisir à son frère s’il venait à l’apprendre. Le rouquin n’est pas enchanté par sa présence, mais le garçon qui lui fait désormais face n’en saura rien, car il est tout sourire maintenant que la porte est ouverte. Posant une main sur sa hanche, la deuxième sur le dormant, il toise son cadet. « Johny ! », est-ce qu’il sait que ce n’est pas son prénom ? Peut-être. « Quel plaisir de te voir, encore. » Faux, faux et archi faux. Il a beau à peine le connaître, il ne peut pas le blairer. « Qu’est-ce que tu fais ici ? », Ajax lui demande, le plus poliment possible. Son ton est trop guilleret pour être sincère, parce qu’il se doute bien de ce qu’il fait ici en vérité. La boîte de chocolats et la bouteille qu’il a en main lui disent tout ce qu’il a besoin de savoir, c’est typiquement le genre de cadeaux qu’on ramène quand on est invité à un dîner… mais ça, il refuse de l’accepter. Ses parents n’oseraient pas inviter un parfait inconnu à leur repas de famille quand même, alors que lui n'y a officiellement pas été invité. « Je te proposerais bien de rentrer, mais on fait un truc spécial aujourd’hui. Teucer est pas là en plus, mais tu peux toujours repasser demain ! » ou jamais, c’est bien aussi.

S’il croit qu’il va lui proposer d’entrer… il se fourre les doigts dans le nez. Sa politesse et son hypocrisie ont une limite.