Plus ça va, plus tu te rends compte que la vie ici est moins ennuyante que tu pouvais le penser. C’est juste que sans tes qualités de super-héroïne, t’étais rien qu’une humaine normale vivant des péripéties on ne peut plus normales. Puis un jour, elles se sont mises à revenir peu à peu et, toi, t’as pu recommencer à foutre ton nez dans des embûches périlleuses. Et comme par hasard, pendant le quart de travail de ce soir, ton petit radar inné recommence à sonner quand tu débales une nouvelle livraison de jouets à la boutique. À première vue, rien de douteux, que des boîtes et des boîtes de figurines de super-héros comme il s’en fait des millions. Si ce n’est que des visages un peu familiers de certaines, ça t’aurait normalement glissé dessus comme de l’eau sur le dos d’un canard, mais quelque chose dans le fin fond de ta petite tête te crie qu’il y a plus que ça. Sans prévenir personne, t’abandonnes les cartons et tu te barres par la porte arrière de la boutique. Qu’on te fiche à la porte est le cadet de tes soucis, en ce moment. Ce serait même une bénédiction, en fait.
Bref. T’as pas le temps de laisser filer une occasion de stopper quelque chose de douteux.
En suivant le chemin de tes portails, trouver l’entrepôt où s’est terré le camion est aussi simple que de crier lapin. À première vue, c’est une usine normale, comme il y en a plein dans les entrailles de Lockwood Hill, quoique peut-être un peu mieux gardée. Tu t’imagines bien, en esquivant la lampe torche d’une paire de gardiens en te cachant dans un conteneur vide, que la suite ne serait pas facile. Déjà, tu ne sais pas trop ce que tu cherches (c’est bien ton problème, tu penses après avoir agi). Des jouets à l’effigie de héros qui seraient en fait un vaste complot ? Oui, mais encore ? T’en connais une poignée qui t’auraient traitée de débile, mais ta conscience se trompe rarement. C’est peut-être rien de bien grave, comme un réseau de contrefaçons, mais veux-tu vraiment vivre avec la conscience d’avoir laissé la pègre s’en tirer si c’est plus que ça ? Nope. Maintenant, la logique des choses veut que tu trouves des personnes que tu pourrais forcer à parler ou un ordinateur que tu pourrais infiltrer, mais c’est pas en restant dehors que ça va avancer. Tu dois infiltrer le bâtiment. Adossée au mur, t’attends que les gardiens se barrent. Pour accélérer le processus, tu lances un vieux bout de bois qui traîne sur une pile de caisses en biais pour les distraire et les éloigner. Dès qu’ils sont assez loin, tu prends la poudre d’escampette vers un angle mort, à l'abri des lampadaires. Un coup de pied dans le vide, un portail en forme d’étoile et le tour est joué.
Enfin. Le tour aurait dû être joué. Plutôt que d’atterrir les deux pieds au sol, tu tombes dans le vide, coincée dans ce qui semble être une chute à déchets. Le cœur te monte à la gorge. T’es America Chavez, mais t’es pas à l'abri de finir en pancake. Tes bras et tes jambes se tendent pour ralentir ta chute en t’appuyant sur les parois métalliques du tunnel. Plus que quelques secondes à sentir tes ongles crisser sur le métal avant d'atterrir avec très peu de douceur et de grâce dans un bassin de pièces de jouets défectueuses (t’as un peu l’impression d’être à la maison, du coup). « Ugh. », gémis-tu alors que tu dégages un bras de figurine bien pointu qui s’est enfoncé sur ta fesse gauche. Avec tout le vacarme que t’as fait, si ton but était de passer inaperçu, c’est complètement mort. T’attends pas une seconde de plus avant de t'extirper du cimetière ludique, non sans sentir la moitié de tes os craquer. Oh god, t’es définitivement due pour un changement d’huile…
Quand t’entends des bruits de pas dans le couloir, tu te dépêches d’ouvrir un tunnel cosmique qui débouche derrière un rouquin que tu tires par le col du chandail pour le forcer à y entrer pour te rejoindre dans la salle. Le portail se referme aussitôt, le forçant à faire face à ta tête de débile avec trois ou quatre membres de poupées divers coincés dans tes cheveux. Tu lâches son pauvre vêtement pour venir lui faire face, les sourcils froncés. T’as pas de patience, t’aimerais en venir au bout du sujet maintenant, pas dans trois heures. « Quelque chose me dit que t’as la réponse à mes questions, cabeza de zanahoria. », tu croises les bras sur ton torse, « Tu me dis ce qu’il se trame ici ou ça va me faire plaisir d’aller sortir moi-même les mots de ta bouche. Deal ? », proposes-tu comme ta petite tendance à l’agression avait toujours fonctionné sans aucun problème (you wish)...