Quand on était comme moi adepte de toutes sortes de sports, être abonné à la salle, c’était quasiment une obligation. Mais je n’étais tout de même pas le genre à soulever de la fonte ou à courir sur un tapis. Mes sports de prédilection, c’étaient plutôt la lutte, la boxe, le krav maga et toutes sortes d’autres joyeusetés où on pouvait déglinguer des tronches en cognant dessus. À côté de cela, je m’entraînais aussi au maniement des armes, assez régulièrement, parce qu’à l’heure actuelle, il fallait bien être capable d’utiliser autre chose que ses poings et des lames pour éliminer quelqu’un.

C’était à la salle que j’avais fait la connaissance d’Heracles. Il s’y trouvait souvent, étant donné qu’il était coach. Et moi… eh bien j’étais ce qu’on pouvait appeler un habitué des lieux. J’entretenais ma souplesse, surtout, parce qu’il fallait que je garde une bonne agilité pour être efficace sur le terrain. Pour la musculature, j’entretenais sans entretenir… le travail ne m’avait jamais fait peur et je me voyais mal glander dans un canapé où être assis à un bureau à longueur de journée. Très peu pour moi.

Aujourd’hui, en termes d’action, je n’avais ni contrat ni funérailles. C’était le jour idéal pour une session d’entraînement…
On avait un échange de bons procédés, Heracles et moi : il était un excellent partenaire de combats au corps à corps, ne craignait pas les coups et ne retenait pas les siens… alors on avait régulièrement tendance à se mettre sur la tronche, pour voir comment on gérait les esquives et les parades, mais aussi pour essayer de nouvelles techniques. En somme, on apprenait sans cesse, ensemble.
En cette fin d’après-midi, j’avais apporté de quoi apprendre à mon « ami » (je n’étais pas sûr de pouvoir utiliser ce terme, mais à défaut d’un mot plus adapté, celui-ci faisait très bien l’affaire) à utiliser les armes à feu. Nous allions commencer par des armes de poing et j’avais donc pris des semi-automatiques : deux Beretta et deux Glock, et puis deux revolvers Smith & Wesson. Pour les cibles, on trouverait bien sur place : les terrains vagues sont toujours des lieux idéaux pour les dépôts sauvages de déchets.

On avait convenu de se retrouver à un lieu précis puis de marcher jusqu’au terrain vague, devenu terrain d’entraînement pour l’occasion. En marchant, je m’allumais une clope et en proposais une à Heracles, sachant pourtant très bien que ce n’était pas trop le genre des grands sportifs.

« Alors, tu gères bien les téléphones, maintenant ? » Question purement rhétorique, car j’avais pu constater moi-même ses progrès. Mais j’étais trop conditionné pour trouver un réel amusement dans les smartphones. Je gardais même un vieux téléphone pour la facilité du changement de carte SIM, mais ça c’était le téléphone de mon job non officiel.
C’était plus facile de me faire passer pour un ancien militaire (ce qui justifiait ma connaissance et ma maîtrise des armes) que d’avoir à trouver des mensonges en permanence.
Quant aux contrats que je prenais sur ce Nokia, il ne fallait rien de plus que quelques secondes pour localiser des appels, alors je fonctionnais encore et toujours avec les cartes prépayées (toujours achetées avec de l’argent liquide) et le code habituel.

Je n’avais pas eu beaucoup de partenaires d’entrainement dignes de ce nom. La plupart du temps, j’utilisais des sacs de frappe ou des mannequins pour éviter de casser des côtes ou des dents à des innocents…
Lors des entrainements avec Heracles, j’avais pu constater qu’il était un véritable roc parmi les combattants. Il possédait cette incroyable capacité à encaisser les coups aussi bien qu'il les donnait. Chaque séance d'entraînement avec lui était une expérience unique, une occasion de repousser mes limites et d'affiner mes compétences de combat.
Lorsque nous nous tenions face à face, nos regards se croisaient, empreints d'une détermination sans faille. J'admirais sa résistance, sa capacité à rester debout malgré les assauts incessants que je lui lançais. Son endurance était incomparable, et chaque coup qu'il encaissait semblait le rendre encore plus fort.
Ces moments d'échange avec Heracles étaient un véritable apprentissage pour moi. J'apprenais à anticiper ses mouvements, à étudier sa garde, à chercher les failles dans sa défense. Mais surtout, je redécouvrais l'importance de la maîtrise de soi et de la persévérance. Heracles me montrait qu'encaisser les coups était autant une question de force mentale que physique.
M’entraîner avec un partenaire aussi robuste avait ses avantages. Je me sentais poussé à donner le meilleur de moi-même, à me dépasser. Savoir que mes coups ne passeraient pas inaperçus, qu'ils seraient réellement ressentis, me motivait à améliorer ma technique et à affiner ma précision.
De plus, Heracles était un excellent enseignant. Il partageait volontiers ses connaissances et ses astuces. Il me montrait comment renforcer mes blocages, comment utiliser au mieux ma force et ma vitesse.
Et le lien qui se créait entre nous à travers nos échanges physiques était profond et authentique. Nous partagions le respect mutuel d'individus passionnés par l'art du combat, et cela créait une complicité unique.
Pouvais-je dire de lui qu’il était une sorte de frère d’armes ?
Peut-être… Nous apprenions l’un de l’autre, nous progressions ensemble… et si aujourd’hui je m’apprêtais à lui enseigner l’utilisation d’armes à feu, c’était essentiellement parce que nous nous intéressions tous les deux à des techniques très différentes pour nous battre. Nous aimions tout connaître et tout maîtriser. Sauf peut-être les moyens de communication modernes, dans son cas.

« Ça s’apprend aussi… Tu utilises déjà bien plus d’émojis que moi. » Souligner un aspect positif pour encourager. C’était quelque chose que j’avais appris depuis longtemps. L’être humain était sensible à ce genre de chose. Même si je n’étais moi-même pas un professionnel de la sensibilité et des relations humaines.

« T’inquiète. Les armes à feu, c’est de la mécanique. Rien de bien compliqué. » J’envisageais même de lui montrer comment démonter et remonter des armes pour lui expliquer le fonctionnement. Ça faisait partie des choses importantes à mes yeux.

« On va commencer par la prise en main, puis on va tirer sur des cibles de différentes tailles. » Apprendre à viser, à gérer le recul et à se rendre compte de comment il fallait tenir le flingue, tout ça ne s’apprenait pas dans les livres. Rien ne valait la pratique.

Je redressais une vieille caisse en bois pour y déposer trois contenants de différents formats : un bidon de 3 litres, une bouteille d’eau d’un litre et demi et une canette de soda de 25 centilitres. Puis, je lui présentais les armes à feu que j’avais apportées.
« J’ai pris mes préférées. Lequel te plait le plus ? » Autant y aller à l’instinct, même si la première impression n’était pas forcément la bonne.

Heracles et moi, on s’entendait plutôt bien. Mais il y avait des sujets que l’on n’abordait pas… la politique, l’argent, la religion… Traditionnellement, c’étaient des sujets qui pouvaient fâcher, alors j’évitais toujours de les aborder. L’un des bons conseils de ma mère. Et c’était vrai que ça facilitait la vie de ne pas se prendre la tête avec les autres.

« Ah oui, tu m’avais dit… » Personnellement, j’utilisais peu d’émojis dans mes messages. Peut-être parce que ce n’était juste pas dans mes habitudes ou peut-être parce que j’avais trop tendance à acheter des portables un peu pourris pour les contrats, des portables qui finissaient par être déglingués et écrasés sous une semelle quand ils n’étaient pas balancés dans le cours d’eau le plus proche ou brûlés. J’avais l’habitude de détruire les cartes sim puis de détruire les portables. Pourtant, j’en gardais un, personnel, que j’essayais d’utiliser à bon escient… il m’était déjà arrivé par le passé de foutre en l’air un iPhone en oubliant que c’était le mien et pas un bête portable pour le boulot… mais je n’avais pas fait deux fois cette erreur. Heureusement.
« Peut-être que si je mettais plus de ces gugusses, on me dirait moins vite que je fais tout le temps la gueule. Parce que les gens pensent qu’un point final à une phrase est signe de colère. »

Là aussi, je parlais en connaissance de cause. On m’avait déjà fait la remarque plusieurs fois. J’étais trop abrupt, peut-être, mais j’avais pour habitude de respecter les règles de ponctuation… et, jusqu’à preuve du contraire : une phrase commence par une majuscule et se termine par un point.

Heracles était plus ouvert et plus sociable que moi. Pourtant, nous avions trouvé un terrain d’entente assez facilement, lui et moi. Par le combat. C’était une bonne chose d’avoir un bon partenaire d’entrainement et j’appréciais sa compagnie, même si je n’étais jamais très démonstratif.
On se confiait peu sur nos vies, sur notre passé, mais ça fonctionnait comme cela entre lui et moi. Ce qui comptait, c’était nos goûts communs pour les combats et pour les armes.

« Ça vient tout seul, tu verras… » Heracles prit le Beretta et j’eus un hochement de tête. « C’est un bon choix pour commencer. »

Je le laissais apprivoiser l’arme et analyser un peu ses caractéristiques, puis je lui répondis :
« C’est un pistolet fiable et précis, avec une bonne prise en main. Il a aussi l’avantage d’avoir un chargeur avec une capacité intéressante. Il y a une sécurité sur ce modèle… trop de gens maladroits se tirent dans le pied… »

Je lui disais cela pour qu’il ait bien en tête les caractéristiques du Beretta. Mon premier avertissement concernait donc le fait d’éviter de se tirer dessus.

« Faut toujours faire vraiment gaffe avec ça… les pistolets sont vachement sensibles… »
Ce n’était pas très compliqué : il fallait faire gaffe. C’était tout.
« Au début, le recul peut surprendre. Tu dois garder les pieds bien ancrés dans le sol. »

Je lui montrais la position, les pieds légèrement écartés, le pistolet dans la main droite et la main gauche par-dessous, en soutien.

« Le viseur est là, juste sur le dessus. Tu fermes un œil, tu vises et tu tires. » Je n’avais pas besoin de fermer un œil, pour ma part, car si je le fermais, je ne verrais plus rien du tout.

Quand j’envoyais des messages depuis mon téléphone, bien souvent, je ne pensais pas à ajouter des petits bonshommes colorés et expressifs. Je me doutais bien que, parfois, cela devait aider à faire passer des émotions ou des états d’esprit, mais ce n’était pas vraiment dans mes habitudes de fonctionner comme cela.

« Ouaip, t’as raison. » Les gens étaient cons, bien souvent. Je me sentais tellement en décalage avec eux, la plupart du temps, que je n’avais pas envie de chercher à fréquenter plus de ces êtres humains.

Le Beretta à la main, Heracles avait soupesé l’arme, l’avait observée sous toutes ses coutures avant de me poser quelques questions. J’eus un mouvement du menton comme pour désigner le chargeur.
« Avec un pistolet 9mm comme celui-là, on peut utiliser des chargeurs de 20 coups. » C’était un modèle intéressant pour cette raison. « C’est ça, si tu enclenches la sécurité, aucun souci pour le garder en poche. Tu risques rien. »

Et il enleva la sécurité tout naturellement, c’était comme un geste réflexe, il semblait presque avoir l’habitude.
« Ouaip, se prendre des balles, c’est pas terrible… et ça laisse de vilaines traces. »

Mon corps était couvert de cicatrices, j’étais moi aussi passé par là, je m’étais pris des balles, des coups de toutes sortes, des bouts de métal enfoncés dans ma chair, dans mon œil… Tout ça, je connaissais.
« Nickel, tu te tiens comme il faut. »

J’observais son ancrage au sol et il avait, effectivement, bien augmenté sa base de sustentation, de façon à avoir une bonne position. Puis il leva le Beretta et visa. Il avait une certaine classe comme ça, comme s’il avait toujours eu en lui cette façon de se tenir et de tenir une arme à feu.
J’eus un quart de seconde d’hésitation face à sa question, puis j’eus un haussement d’épaules tandis qu’il se marrait :
« Au moins je ne me trompe jamais d’œil. »
C’était clair que je ne risquais pas de me planter, mais je comprenais que c’était drôle pour les gens qui avaient deux yeux. Depuis que j’étais borgne, c’était le genre de trucs qu’on pouvait me sortir facilement, mais je ne me formalisais pas. C’était pas mon genre.
« Concentre-toi au lieu de dire des conneries… »

Je me croisais les bras contre la poitrine. Il tira et ce fut parfait. Heracles était doué et c’était un talent qui n’était pas donné à tout le monde. Mais son deuxième essai était un peu moins efficace, la faut au recul, pourtant je l’avais mis en garde.

« Faut juste t’entrainer, t’inquiète ! » Je sortis deux canettes de bière de ma sacoche et lui en tendis une. « Tiens, faut pas être crispé. »

Et la bière, c’était pas mal pour de détendre.
Mais sa question n’était pas dénuée d’intérêt.
« Un Beretta, c’est le genre de pistolet que tu peux utiliser à peu près tout le temps. Il est facile à cacher, il est léger et maniable… »
Certains criminels utilisaient ce modèle pour des braquages ou des menaces, mais c’était quelque chose de simple à utiliser.

Il avait l’air un peu impressionné quand même, en voyant le flingue et en écoutant mes explications. Il fallait dire, aussi, que je n’avais pas commencé par le plus naze de mon artillerie personnelle. Puis bon, au moins, c’était quelque chose qui pouvait lui montrer assez clairement ce qui était possible à l’heure actuelle.
Je souris légèrement en l’entendant parler de son arc. La manière dont il en parlait, ça me parlait assez bien, c’était le genre de truc que j’aurais pu dire, moi aussi, de certaines de mes armes.

« Ah, c’est clair que les flics sont pas du genre à aimer qu’on se balade avec des armes, alors si elles sont visibles c’est un aller simple au commissariat. »
J’étais pas sûr qu’Heracles pourrait se débrouiller face aux flics. Parce qu’il n’avait pas la connaissance des lois et des droits, parce qu’il était un peu comme un ovni dans ce monde trop moderne pour lui… Enfin, malgré tout, on pouvait quand même dire qu’il s’adaptait plutôt pas mal.

Il était même doué pour certaines choses. Ça se voyait bien qu’Heracles faisait en sorte d’évoluer dans ce monde comme un homme actuel, moderne. Qu’est-ce qui nous avait rapprochés, au fond ? Peut-être justement le fait d’être deux ovnis dans un monde comme celui-ci… On n’était pas comme les autres, on était nous et on n’avait rien à voir avec les autres gens…
Les relations avec les autres, c’était bizarre, c’était compliqué. Et je n’étais pas toujours capable de m’en sortir aussi bien qu’Heracles. En fait, parfois, il s’en sortait mieux que moi.

« C’est comme ça que tu gardes un corps de rêve ? Une alimentation saine et équilibrée ? » Je lui adressais un rictus qui se voulait être un sourire. « Quand j’te regarde, j’ai parfois l’impression que t’es mannequin ou quelque chose comme ça… T’as toujours le teint parfait, aucune cerne, pas la moindre blessure ou quoi que ce soit…»

Oh, j’étais pas jaloux, loin de là, tant mieux pour lui s’il était si bien que ça dans sa tête et dans son corps, mais c’était pas du tout mon cas. D’ailleurs, je m’en foutais un peu de ce à quoi je pouvais bien ressembler.
Je bus une gorgée de ma bière et je lui fis un signe de tête.

« Ouais, il faut un permis. Ou des relations discrètes. Si t’as besoin, tu t’adresses à moi et on verra ensemble. Je m’occuperai de tout. »
Je rayais moi-même l’intérieur du canon de mes armes à feu. Le but était d’effacer toutes les traces permettant de tracer l’arme. Simple et efficace.

Un truc pour se rendre invisible, ce serait clairement plus simple que beaucoup de trucs et astuces pour éviter de se faire épingler. J’avais jamais entendu parler de ça, moi non plus, mais clairement, je pourrais être intéressé si l’anneau de Gigès existait.

« Ouais, j’te comprends. » Ce que j’aimerais avoir en permanence sur moi, pour ma part, ce serait, par exemple, un deuxième œil valide et pas aussi moche à voir. Je faisais peur aux gosses que je croisais, mon patron, au funé, évitait de trop me mettre au contact de la clientèle parce que ça ne le faisait pas trop de voir débarquer un type avec ma dégaine pour réconforter des gens… mais ça, entre nous, je m’en foutais : je n’avais jamais su comment m’y prendre pour consoler ou réconforter qui que ce soit. « Mais si tu fais partie d’un club de tir à l’arc, en vrai, ça passerait sans problème. Lance un cours à la salle, on sait jamais. »

J’étais pas sûr qu’avec un seul œil je puisse être un bon élément dans un club de tir à l’arc, mais si Héraclès avait besoin d’au moins une inscription pour lancer ça, alors je le ferais.

J’écoutais son récit de ses habitudes sportives et alimentaires, puis ses horaires… Bah oui, forcément, le sexe, à son âge, c’était important. Il aimait aborder le sujet et, avec sa belle gueule, je pouvais comprendre qu’il en profitait à fond. Il avait bien raison, d’ailleurs.

« Au moins, c’est un plaisir qui ne te fera pas prendre un poil de graisse ! » J’eus une sorte de sourire, mais à vrai dire, parler de sexe, ce n’était pas trop mon truc. Lui, il papillonnait comme ça, à son aise, moi… euh… comment dire… Entre Walter Graham que j’avais quasiment séquestré pour qu’il la boucle mais qui avait tout de même réussi à me faire imaginer des trucs un peu sado-maso, les retrouvailles avec Camille qui me donnaient l’impression que j’avais un rôle à jouer auprès d’elle… ben je passais surtout mon temps au milieu de cadavres plus ou moins froids, dont je n’avais pas toujours causé moi-même la mort. Alors, non, le sexe, c’était pas vraiment dans mes loisirs quotidiens.

« Ouaip, sans souci. Je te procure ce que tu veux. »

Même ici, j’avais pu refaire mon carnet d’adresses assez facilement et même si Jazmin n’était pas sur l’île, j’avais de quoi obtenir pas mal de choses. Suffisait de bien jouer avec les cartes qu’on avait en main.

C’était assez étonnant que je puisse me sentir proche d’Héraclès, c’était un type jeune et fort, plutôt beau gosse, parfait physiquement et sans la moindre trace de raclées passées. Je devais ressembler à un vieux gars tordu et rafistolé de partout, à côté.
Alors, comme ça, il avait un secret ?
Je m’attendais presque à ce qu’il me sorte un pot de crème pour me vanter les mérites d’une marque, un peu comme dans les pubs de lessives qui lavent toutes mieux les unes que les autres. Alors, quand il me montra, je plissai l’œil pour voir l’endroit en question.

« Et… la balle est ressortie ? » Putain… je m’étais trainé des années avec un morceau de métal resté coincé dans mon côté, morceau de métal que j’avais fini par aller rechercher moi-même dans la plaie pour avoir un "ustensile" utilisable pour me libérer de Blut… et lui, rien ? pas la moindre trace ? « Tu permets ? »
Je m’approchai un peu, comme pour mieux voir, puis, à mon tour, je levais mon pull et mon t-shirt, pour lui dévoiler un torse couvert de cicatrices : coupures, balles, brûlures… on ne m’avait rien épargné lors de ma captivité. Et ça se voyait. « Tu devrais avoir une marque comme celle-là… » Je lui montrais mon flanc. Le sien était intact, parfait et immaculé… sur le mien, les différences entre les tissus cicatrisés et l’épiderme intact étaient flagrantes. « T’as trouvé un rebouteux sur l’île ou bien t’es comme ça de base ? »

Parfois, je me demandais comment on en était arrivé là, Heracles et moi. Nous étions très différents, rien que physiquement, fallait pas être sorcier pour voir qu’on n’avait rien à voir… Même avec un seul œil, j’avais vite remarqué le nombre de personnes, hommes comme femmes, qui se retournaient sur le passage de ce beau gosse sportif…
Mes idées pour passer inaperçu n’étaient pas forcément les plus pertinentes… parce que j’avais pour habitude de me fondre dans la masse sans avoir à chercher à faire compliqué. D’ailleurs, c’était simple, si j’aimais certaines armes, je les planquais la plupart du temps… et c’était bien suffisant comme ça.

Les préoccupations d’Heracles pour sa ligne, ça n’avait pas grand-chose en commun avec mes préoccupations personnelles. Parce que franchement, ma ligne, je m’en foutais un peu… Enfin, je tâchais de rester en forme et c’était très bien comme cela. Ça me suffisait, en fait.
Je ne pensais pas forcément au sexe comme lui pouvait le faire… enfin, j’avais l’impression que je ne jouais pas vraiment dans la même cour que lui à ce niveau-là.
« J’ai retrouvé une fille. Camille. » Je lâchais l’info comme si c’était un fait tout à fait banal et commun : « J’ai tué sa famille quand elle était gosse…»

Et maintenant, je la retrouvais comme si c’était la plus belle chose qui me soit arrivée dans la vie. Je n’avais pas la moindre idée de ce vers quoi nous allions, mais c’était une bonne chose pour moi de retrouver Camille après tout ce temps. En fait, ça me donnait une sorte de but que de pouvoir envisager des retrouvailles aussi positives avec elle…

Quant à ce qui concernait le corps et ces histoires de balistique… Je devais dire que ça me rendait un peu curieux de me dire qu’il y avait chez mon pote un vrai cadeau du ciel en ce qui concernait les blessures… Putain, j’avais un peu la haine de ne pas avoir cette chance, mon corps était couvert de cicatrices et de vestiges de plaies en tous genres…
« Disons que si une balle ne ressort pas, c’est le genre de trucs qui peut être très chiant à l’aéroport, par exemple. T’imagines le truc, tu passes au détecteur et tu le fais sonner sans cesse… » J’eus un instant de silence, puis j’ajoutais : « Remarque, la fouille au corps, ça plait parfois à certains. »

J’avais toujours essayé d’éviter ce genre de choses, parce que je n’avais pas envie de me retrouver au poste alors que j’avais toujours des contrats à remplir. L’efficacité dont je faisais preuve demandait une rigueur imparable pour éviter les imprévus qui auraient pu tout gâcher.

Les rebouteux, ce n’était pas trop mon truc non plus. Je n’avais pas de contacts dans le domaine des médecins et autres.
« Je me suis plusieurs fois fait recoudre par des vétos… Parce que les médecins ne sont pas souvent dignes de confiance. Ils sont obligés de signaler les blessures par balles… Alors, tu imagines les situations pourries que ça peut provoquer… »

Mais cela dit, Heracles n’avait sûrement pas besoin de ce genre de coup de pouce. Il avait l’air d’être doté de la meilleure nature possible au niveau physique…
« Si tu guéris si vite, c’est vraiment un coup de bol ! Tu dois en profiter pour faire tout ce que personne n’ose jamais faire… Tu sais lancer de couteaux, saut à l’élastique sans élastique, etc. Tu deviendrais vite célèbre. »

C’était un peu bizarre, mais je ne voyais pas trop ce que ça pouvait apporter de plus encore. Heracles avait perdu connaissance quand c’était arrivé, mais il n’avait pas vraiment de souvenirs de ce qui s’était passé exactement.
« C’est étranger ces histoires de mémoire… Camille aussi a quelques soucis avec ça. Tu penses que c’est à cause de l’île ? »

Parfois, la mémoire humaine occultait certaines choses un peu trop trash pour éviter à la personne de perdre complètement la boule. Est-ce que c’était ce qui s’était passé pour Camille ? Et pour Heracles ? Je n’avais pas vraiment la réponse et je n’étais pas sûr que quiconque puisse avoir la réponse à ce genre de mystère…
De toute façon, cette île regorgeait de mystères de toutes sortes et il était assez compliqué d’y voir clair, parce qu’il y avait de tout, par ici. J’avais eu l’occasion de croiser des personnes avec des spécificités assez particulières, mais c’était quelque chose qui me dépassait un peu. Je n’avais jamais été très branché monde fantastique, science-fiction, et tout ce genre de choses… J’étais plutôt du genre rationnel, difficile à impressionner, impossible à intimider…

« T’as déjà croisé des gens de ton monde, par ici ? C’est comme ça que tu pourras avoir des réponses, je pense… » C’était sûrement le plus simple. Venir sur cette île et découvrir les siens sous un autre jour… Sauf quand on n’avait personne, bien sûr. « Tu devrais essayer l’hypnose ou un truc du genre. Y a des méthodes pour retrouver les souvenirs perdus… »
C’était un peu comme les logiciels de restauration de données sur des clefs usb dont tout avait été effacé, en quelque sorte.

Je m'adossais contre un mur, un sourire en coin, écoutant attentivement les paroles d'Heracles. Sa réaction à mon histoire avec Camille, ça m'étonnait pas, c'était typique de lui. Toujours à chercher le positif, même dans les situations les plus tordues.

« Retrouvée, dis-tu ? C'était plutôt un hasard, si tu veux tout savoir.» Je me grattais la mâchoire, cherchant mes mots. « Elle était là, devant moi, sans savoir qui j'étais vraiment. Et pour ce qui est de sa famille, elle sait... mais elle ne sait pas que c'est moi qui...» Ma voix s'éteignit un instant, puis je secouais la tête, repoussant les souvenirs. « Elle ne m'en veut pas, parce qu'elle ne sait pas. C'est… compliqué, tu vois ? »

Alors oui, c’était vraiment positif pour moi d’avoir retrouvé Camille, parce que, d’une certaine façon, c’était un peu elle qui avait fini par donner du sens à ma vie, quand j’en ai eu terminé avec Blut et ses hommes. Mais fallait quand même que je rectifie un truc.
« Mais on n’est pas ensemble. Enfin, j’pense pas. J’en sais rien… » C’était bizarre qu’elle ait ce besoin que je sois dans sa vie, alors que j’avais été l’arme qui avait tout détruit dans sa jeunesse. « Imagine que tu aies des dizaines d’occasions de buter quelqu’un qui a foutu en l’air toute ta vie… pourquoi tu ne le tuerais pas ? »

C’était un truc chez Camille qui m’échappait. Peut-être parce qu’elle accordait à la vie une valeur que je n’envisageais pas vraiment. Ou peut-être parce qu’elle était une personne plus douce ou je ne sais pas quoi.

La clope aux lèvres, j'éclatais de rire à sa remarque sur la fouille au corps, secouant la tête.
« T'es incorrigible, Heracles. Mais je dois admettre, ton charme naturel, il est indéniable. Faut bien jouer de ses atouts, n'est-ce pas ? »

Son refus de l'extrême, ça m'étonnait pas non plus.
« T'as raison, chacun son truc. Mais si t’as besoin de fric, devenir une bête de scène capable de triompher de la mort, je pense que ça peut être accrocheur. » Suffisait de zapper un peu sur la télé pour se rendre compte que c’était le genre de truc qui faisait triper bien des spectateurs. « Moi, je suis plutôt du genre à rester discret, éviter les complications. L'adrénaline, ça me connaît, mais j'essaie de la contrôler, pas l'inverse. »

Je hochais la tête, sérieux, quand il parlait de sa mémoire. Ça devait être compliqué pour lui… il avait dû se reconstruire sans avoir connaissance des bases de sa propre vie. Chaud. J’imaginais bien que certains gestes lui revenaient plus facilement que des idées ou des événements, mais ça restait quelque chose de vraiment pas terrible pour la vie quotidienne.
« C'est le trou noir, comme tu dis. Des morceaux de vie, envolés. C'est troublant, mais peut-être qu'il y a une raison derrière tout ça. C’est pareil pour Camille, elle a ses propres fantômes. Peut-être qu'il y a un lien avec cette île, mais qui sait ? C'est un puzzle à assembler. »

L'histoire de son oncle me faisait froncer les sourcils. Parce que j’étais du genre à me forger ma propre opinion sur les gens, sans vraiment donner de crédit à ce que je pouvais lire ou entendre.
« Méfie-toi des oncles bizarres et de leurs histoires. La vérité, c'est souvent plus nuancé que ce qu'on nous raconte. Tu devrais creuser, mais avec prudence. » Enfin, tant que son oncle bizarre n’était pas du genre à le tripoter quand il était gamin et qu’il venait sur ses genoux, je supposais que ça pouvait encore aller. Mais les histoires de famille, clairement, c’était parfois la merde.

Sa question sur l'hypnose me fit sourire. J’avais lu quelques trucs sur les méthodes, parce que je m’étais demandé si ça ne pouvait pas aider Camille. Mais de ce que j’avais compris, c’était pas vraiment une fouille mentale.
« Fouiller dans mon crâne, hein ? pour le coup, je pense que je préfèrerais une fouille au corps par une jolie nana… » Je haussais les épaules, sentant bien que mes tentatives pour faire de l’humour étaient moins bien réussies que celles de mon pote. « Mais je sais pas trop… Peut-être que oui, peut-être que non. Ça dépend des risques. Mais si ça pouvait m'aider à comprendre certaines choses, pourquoi pas ? Parfois, il faut prendre des risques pour avancer. De ce que j’ai lu, l’hypnose, c’est juste pour te guider, le thérapeute n’a pas accès à ton esprit, il est juste là pour t’aider à trouver en toi des ressources. Comme des souvenirs… »
Je me redressais et tirais sur ma clope.
« T'as des pistes pour ta mémoire ? Des idées sur comment t'y prendre ? Parce que si c'est le cas, je suis là. On s'entraide, pas vrai ?» Mon regard se fixa sur lui, plein de détermination. « On est dans le même bateau, après tout. Et cette île, avec tous ses mystères, on va finir par y voir clair. Y a des trucs à régler et pour ça, faut s’épauler. »

Je restais silencieux un instant, analysant les mots d'Heracles, un homme pour qui j'avais un respect indéniable. Sa perspective sur la situation avec Camille résonnait en moi, éveillant des réflexions que j'avais tenté d'éviter. Ses paroles, directes et sans fioritures, étaient celles d'un ami qui n'hésitait pas à dire la vérité, aussi dure soit-elle. Je tirais une bouffée de ma cigarette, laissant la fumée s'échapper lentement de mes lèvres.

« Si elle se souvient... » Je marquais une pause, pesant chaque mot. « Je lui ai déjà dit une bonne partie. En fait, j’ai juste pas envie qu’elle se souvienne des galères que mon ancien employeur lui a fait subir pour m’atteindre. Mais tu me connais, si elle se souvient, je ferai face aux conséquences. Je ne suis pas du genre à fuir mes responsabilités. »

Le regard fixé sur un point invisible au loin, je repensais à tout ce que Camille et moi avions traversé.
« Elle a le droit de savoir la vérité, et si ça doit me coûter ma place dans sa vie... alors soit. Mais je ne laisserai pas ça arriver sans me battre pour elle, pour nous. Je ne suis pas un homme à abandonner facilement, surtout pas quand il s'agit de quelqu'un que je... » Ma voix se brisa légèrement, révélant une émotion que je ne montrais pas souvent.

À la proposition d'Heracles d’approcher Camille, je secouais la tête doucement.
« Non, je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Elle est intuitive, elle saurait qu'il y a quelque chose. Et puis, je ne veux pas mêler quelqu'un d'autre dans cette histoire. C'est mon passé, mon problème à régler. » e lui adressais un sourire en coin, appréciant son offre d'aide. « Mais je garde ta proposition en tête. Sait-on jamais. »

En écoutant Heracles parler de sa propre situation, un sentiment de fraternité me submergeait. Nous étions tous les deux des hommes brisés, cherchant à assembler les pièces de nos vies éparpillées.
« L'amnésie et la lune rouge, hein ? L'île cache bien des secrets. Si tu as besoin d'aide pour démêler tout ça, tu sais que je suis là. Et je suis sérieux. »

Je me levais, écrasant ma cigarette sous ma botte.
« Quant à l'hypnose, c’est une piste à explorer, mais toujours avec prudence. On ne sait jamais ce qui peut remonter à la surface. Et si c’est une noirceur que tu veux garder enfouie, alors je respecte ça. » Je posais ma main sur son épaule, un geste rare de ma part. « Tu as ma confiance aussi, Heracles. Dans ce monde chaotique, c’est rare de trouver quelqu'un sur qui compter. Si tu as besoin de moi, pour n'importe quoi, je serai là. Et je sais que je peux compter sur toi.»

Je regardais autour de nous, conscient de l'atmosphère lourde qui nous entourait.
« Cette île, ses mystères, on va les affronter ensemble. Peut-être qu’on ne découvrira pas toutes les réponses, mais au moins, on ne sera pas seuls dans cette quête. Et pour Camille... je vais faire ce qu'il faut. »

Je contemplais Heracles, un homme robuste et franc, dont les mots empreints de sincérité me touchaient. Je saisis la bière qu'il m'avait lancée, l'ouvrant d'un geste expert. L'air était chargé d'une tension palpable, mêlée à une camaraderie rare. Je m'assis en face de lui, sur un tronc semblable, observant les alentours de l'île mystérieuse où nous nous trouvions.

« Merci… » Ma voix était grave, teintée de cette gravité qui me caractérisait. « Et tu as raison, j'ai pas choisi la voie la plus facile avec Camille. Mais depuis quand est-ce que Duncan Vizla choisit la facilité ? » Un sourire en coin se dessinait sur mon visage. « C'est dans l'adversité qu'on se révèle, n'est-ce pas ? »

Je pris une longue gorgée de bière, laissant le liquide ambré couler dans ma gorge, apaisant les pensées tumultueuses qui m'assaillaient.
« Tu sais, ce que je ressens pour Camille... ça me dépasse parfois. » Je marquais une pause, rassemblant mes pensées. « C'est comme si elle avait déverrouillé quelque chose en moi, quelque chose que j'avais enfermé avant de jeter la clef.»

Je regardais Heracles droit dans les yeux, une lueur de détermination brillant dans les miens.
« Mais, t’as raison. Je suis un homme d'action. Peu importe ce que l'avenir nous réserve, je serai là pour elle, et je ferai face à tout ce qui peut surgir. »
Je me penchais légèrement en avant, posant ma bière au sol.
«Mais cette île… » J'observais les alentours, scrutant les ombres qui s'allongeaient avec la tombée du soir. « Il y a quelque chose ici, quelque chose de plus grand que nous. Et je suis convaincu que nous ne sommes pas là par hasard. »

Je me levais, étirant mes muscles endoloris. « Si un jour il faut se battre, je serai honoré de me tenir à tes côtés. »
Il avait la fougue d’une jeunesse que je n’avais plus, et sa force était impressionnante. C’était là des atouts qu’il ne fallait pas négliger dans une bataille, quelle qu’elle soit.

Je repris ma bière, la levant légèrement en guise de toast silencieux, puis j’en bus une autre gorgée, ressentant un sentiment de fraternité rare.
« Fais attention, mon ami. On ne sait jamais ce qui peut se cacher dans les profondeurs de notre esprit. Je suis là si tu as besoin d'aide, mais... » J'inspirais profondément. « Parfois, certains démons doivent rester endormis… »

Dans ce monde un peu dingue, avoir un vrai pote sur qui compter, c’était plus précieux que tout l’or du monde. Lui et moi, on était dans le même bateau et j’étais là pour lui, comme il était là pour moi.

Ma bière finie, j’écrasais la cannette métallique dans le creux de ma main, puis je sortis une clope que j’allumais directement.
« On remet ça la semaine prochaine ? Même heure, même endroit. »

Dans son apprentissage du maniement des armes, il y avait encore du boulot, évidemment, et c’était à force d’entraînement qu’il y arriverait. Et moi… eh bien, je serais là pour lui, pour l’épauler, comme le font les potes.
On se sépara comme ça, sans fioritures, sans chichi. C'était notre façon de faire et ça me convenait tout à fait.