Besoin d'amis ? [ RP Hux & Martin & Jackson ]

Je n’avais jamais eu pour habitude d’écouter les conversations des autres. D’abord parce que ça ne me regardait pas, ensuite parce que ça ne se faisait pas. Ne pas faire aux autres ce que tu ne veux pas qu’on te fasse, c’était la règle d’or, celle dont on rabâchait les oreilles de tous les gosses depuis leur plus jeune âge jusqu’à l’âge adulte… et là encore, ça continuait.
Je n’avais pas besoin qu’on me rappelle cette règle d’or, je la connaissais par cœur. Et j’avais même déjà travaillé sur la présence d’équivalents dans pas mal de sociétés.

Et si j’étais dans cette librairie, aujourd’hui, ce n’était même pas dans un but précis, non, j’étais là parce que je cherchais un nouveau bouquin à me mettre sous la dent. J’avais beau avoir tout ce qu’il fallait chez moi pour ne pas m’ennuyer et pour pouvoir regarder la télé autant que je voulais, je restais un fervent amateur de livres. Je passais d’ailleurs une meilleure soirée avec un bon livre qu’avec une télécommande. C’était ma vision du hygge.
Bref.

Comme j’étais là, à farfouiller dans les rayonnages et les mises en avant à la recherche de la perle rare, je ne pus que percevoir les paroles du jeune client qui était près du comptoir. J’entendis tout. Y compris les hésitations dans la voix…

Et dans mon for intérieur, cela me fit quelque chose.
Je ne pouvais pas concevoir qu’une personne puisse être suffisamment seule pour en arriver à vouloir un mode d’emploi sur l’amitié… Il avait aussi évoqué une rupture et ça me renvoya de plein fouet à ma propre expérience.

Faire preuve de résilience, c’était le discours que tout le monde tenait quand on n’allait pas bien. On entendait alors des conseils du genre Faut lâcher prise ou Une de perdue, dix de retrouvées… ce genre de phrase bateau qui n’avait jamais fait avancer personne.
Ayant moi-même traversé des années vraiment pas terribles, j’avais presque envie de tendre la main à ce type… parce qu’au fond de moi, je savais très bien ce que la solitude pouvait amener comme pensées et comme souffrances. Quant à la rupture amoureuse… même si Anika et moi nous nous étions laissé une autre chance, j’avais fini par me barrer bien loin de chez nous, en lui laissant nos deux fils.

Je n’étais pas du genre à me mêler de ce qui ne me regardait pas, mais j’en brûlais d’envie. J’avais envie de prendre ce type par les épaules et de lui raconter à quel point la vie pouvait être belle malgré tout, à quel point les épreuves n’avaient fait que m’ouvrir les yeux sur les autres possibilités… Mais j’aurais eu l’air de quoi ?

Les livres qu’il demandait, si ça existait vraiment, ce ne serait que des paroles vides, rien de concret, juste du vent. Je savais très bien à quel point tout ça pouvait passer au-dessus de la tête quand on était en dépression. J’ignorais si c’était son cas, mais rupture et solitude, ça n’avait jamais fait bon ménage. Quand on vous piétinait le cœur, si vous n’aviez pas d’amis sur qui compter, c’était la chute libre assurée.

Je pris un livre au hasard. Je voulais juste m’approcher sans avoir l’air de trop me la ramener. Je me mis derrière l’autre client, dans la file, si je pouvais dire, et je pris un air absent, tout en lisant la quatrième de couverture du roman que j’avais entre les mains.
Putain… c’était une blague ?
J’avais là une réédition d’un classique de la littérature : Les liaisons dangereuses. Je l’avais lu et relu… j’appréciais beaucoup ce roman épistolaire, mais ce n’était pas exactement ce que j’aurais choisi si j’avais été un peu plus attentif. Choderlos de Laclos allait encore hanter mes nuits, c’était une certitude.

Et puis merde. Peut-être que j’allais passer pour un con, mais je posais le bouquin devant l’autre client.

« Les livres sur le développement personnel, ça ne vaut rien. » Je me lançais parce que, de toute façon, on n’avait qu’une vie, n’est-ce pas ? « Désolé, mais j’ai entendu ce que vous disiez… »

Il était encore bien jeune, plutôt beau gosse. Sa rupture allait le faire souffrir, mais il pourrait se relever. C’était ça qui importait. « Ce qu’il faut, c’est éviter de devenir un type chiant. Personne n’aime les gens chiants. » Je lançais un regard au libraire, comme pour qu'il vienne appuyer mes dires.

Visiblement, j’étais tombé au beau milieu d’un concours pour savoir qui du libraire ou du jeune client allait remporter la palme de la personne la moins appréciable. C’était dommage ce genre de réaction, que ce soit venant de l’un ou de l’autre, d’ailleurs, parce que, personnellement, je n’avais jamais trouvé les libraires chiants, sans doute parce que j’avais toujours eu une assez haute estime pour les professions liées aux livres, et je n’avais jamais non plus considéré quelqu’un comme chiant dès le premier abord. Même les types qui bossaient à l’inspection ou aux impôts avaient droit à leur chance, avec moi, je n’avais jamais jugé personne au premier regard. Certainement pas. Ce n’était ni mon habitude ni mon genre.
Puisque le libraire semblait décidé à faire en sorte que le plus jeune n’achète rien ici – une attitude assez honorable, pour un commerçant, d’ailleurs, soit dit en passant, puisque le jeune homme n’était pas dans l’endroit idéal pour trouver ce qu’il cherchait – je me tus. Les livres dont il parlait, dans la plupart des cas, n’avaient été publiés que dans l’objectif de vendre… Pour se sentir bien dans sa peau et dans sa tête, il fallait avant tout vivre en accord avec soi-même, avec ses propres valeurs, et puis, ensuite, peut-être, éventuellement, il pourrait y avoir un changement… mais le déclic n’était pas dans un livre. Jamais. Le déclic devait être personnel, le genre de truc qui ne correspondrait à personne d’autre… et cela pouvait être tout et n’importe quoi… La perte d’un proche, un point de non retour atteint, un débordement quelconque…

Après cela, très honnêtement, je ressentis clairement que le plus jeune avait décidé de ne pas trainer dans les parages. Ne savait-il donc pas ce qu’il voulait ? Ou bien allait-il réellement aller voir ailleurs ?
Je m’en foutais. Ce qui aurait pu être un moment de rencontre assez sympa s’était vite transformé en une situation sans grand intérêt. Je ne savais pas vraiment si c’était ce jeune homme qui préférait la solitude ou si le libraire avait marqué un point avec lui, mais je sus assez rapidement que cette librairie, si elle disposait d’ouvrages intéressants pour moi, n’était malheureusement pas la boutique la plus agréable du monde.

Puisque le jeune client était sorti sans achat, je posais le livre sur lequel j’avais jeté mon dévolu sur le comptoir du magasin, sans ajouter un mot. J’avais moi-même failli devenir quelqu’un de chiant, alors forcément, si je pouvais éviter ça à d’autres, c’était plutôt une sorte de conscience qui me poussait à vouloir aider. Mais tout le monde ne voulait pas de cela, bien sûr. J’aurais dû y penser avant d’ouvrir ma gueule. Pourtant, je m’étais excusé d’emblée, ce n’était pas comme si je n’avais pas eu conscience que je pouvais déranger, mais il y avait des contextes où je sortais du ton… tant pis. Cela n'allait gâcher ni ma journée, ni ma trouvaille.

« Et sinon… Vous acceptez de centraliser des commandes groupées ? » Autant profiter des besoins de lectures de mes classes pour faire vivre les petits commerces plutôt que les grandes surfaces.
Je sortais ma carte bancaire pour régler le prix du livre. Les librairies restaient des lieux que j’affectionnais, alors si le libraire avait quelques disponibilités pour les commandes de livres à destination de mes élèves, on allait devoir trouver un terrain d’entente.