e venais ici pour une bonne raison. Une excellente raison, même. J’avais besoin de matériel de qualité. Ce n’était pas une nécessité pure et dure, mais j’avais une intuition : il fallait que j’aie de quoi faire, en cas d’urgence. Mieux valait prévenir que guérir. C’était ça le principe.
Les sexshops, ce n’était pas trop mon genre de boutiques mais au moins, ce qu’on pouvait se procurer dans ce genre d’endroit était d’une qualité suffisamment correcte pour que le matos puisse être utilisé dans un contexte qui me convenait tout à fait bien. Les cordes destinées au bondage ne blessaient pas, un peu comme les cordes d’escalade, mais en moins extravagant en termes de couleurs. Quant aux bâillons vendus dans les sexshops, ils avaient, eux aussi, l’avantage de ne pas amener de possibles irritations ou blessures.
En clair ? Aucune trace durable. C’était parfait pour ce que je voulais.

Happy Pool… Joyeuse piscine ? C’était un drôle de nom pour un sexshop. Le côté happy, je pouvais comprendre, mais pool c’était un peu réducteur, non ? Le sexe dans une piscine, c’était un peu surfait. Surtout dans les piscines publiques. Tout le monde avait eu l’occasion d’essayer au moins une fois dans sa vie, enfin, il me semblait, mais j’avais un peu de mal avec l’odeur de chlore que je ne trouvais absolument pas agréable.
Je fus accueilli par un type qui proposait ses conseils. Normal.

« Merci. » Les mains dans les poches, je regardais autour de moi. Il y avait des trucs un peu spéciaux, évidemment, c’était toujours le cas dans ce genre de boutique. Des trucs à plumes, des trucs multicolores, des trucs en plastique, des trucs en cuir, des trucs en silicone… Vraiment pour tous les goûts et pour toutes les couleurs.
Je considérais son offre, tout en lançant un regard vers un coin où les choses les plus étranges et les plus sombres se trouvaient.

« J’ai besoin d’une corde. Solide. Qui ne glissera pas. » Ça allait aller bien plus vite en lui demandant, même si j’espérais quand même échapper à l’étalage de toutes les cordes qu’il vendait. Même s’il allait sans doute me faire à la fois l’inventaire et la publicité pour chacun de ses produits. Les plus chers, sûrement. Après tout, c’était un vendeur, il cherchait surtout à vendre.

Je me demandais toujours un peu comment les vendeurs se faisaient leur salaire. Etaient-ils payés à la commission ? Y avait-il des bonus en fonction de la quantité de choses vendues ? Et de leur prix ? Ou bien ce gars était-il juste un employé, avec un salaire fixe et quelques petites choses en plus ?

« Et un bâillon, il me faut un bon bâillon qui va bien tenir en place. » Je n’étais pas le genre de type à être gêné par des sujets de ce genre. J’étais adulte, je n’avais pas de tabou. Je n’avais jamais été non plus du genre à me vanter de mes prouesses sexuelles, mais j’en connaissais suffisamment pour ne pas me considérer comme un gros naze. C’était même, à en croire mes relations à peu près stables, un domaine dont elles n’avaient pas eu à se plaindre. « Vous avez ça ? »

es sex-shops, ce n’étaient pas vraiment des lieux où je me rendais très régulièrement. Je n’avais jamais vraiment eu besoin de ça, en fait. Les accessoires qui servaient à pimenter la vie sexuelle un peu trop plan-plan, ce n’était pas pour moi. Je me voyais comme un mec plutôt simple et je n’avais pas vraiment d’envies bizarres ou déviantes. Ce qui m’excitait n’avait rien à voir avec des trucs qu’on se procurait dans ce genre de boutique. C’était peut-être parce que je n’avais pas d’envies étranges que je pouvais venir dans des magasins de ce genre ou de n’importe quel autre genre sans jamais me sentir gêné, mal à l’aise ou pas à ma place.

Je suivais l’homme pour voir un peu les différentes cordes qu’il pouvait me proposer. Le nylon semblait pas mal, mais le coton, l’acrylique ou la soie, ça pouvait être bien aussi. Le synthétique était sûrement une valeur sûre, mais je craignais que cela puisse fondre s’il y avait une flamme à proximité… or, cela pouvait arriver.

« Les fibres végétales, ça ne fait pas d’échardes ? » Pour le chanvre, j’avais l’impression que ça pouvait être le cas. Je n’avais pas fait souvent l’expérience d’attacher des gens, à part pour avoir la paix pendant que je remplissais un contrat, mais j’avais pris ce que j’avais sous la main et c’était du cordage à bétail, rien à voir avec ce qui se vendait ici. « Le chanvre, ça peut être pas mal. Vous en avez de plusieurs modèles ? »

Le chanvre pour nouer les poignets et suspendre, ce serait très bien. Ou pour attacher sur une chaise ou tout autre objet qui pourrait me tomber sous la main et m’assurer un peu de calme. Mais peut-être que je pourrais avoir besoin d’autre chose encore.
« En noir et en gris, il y a quoi de disponible ? » Je préférais les couleurs foncées. C’était moins salissant.

Je regardais un peu les cordages, me demandant si ce serait suffisant pour calmer l’autre andouille. Il faudrait au moins ça pour l’empêcher de venir se mêler de mes affaires. Je devais lui faire peur, lui foutre la trouille de sa vie… Et puis après ça, Walter Graham ne chercherait plus à m’emmerder. Du moins, c’était précisément ce que je voulais : avoir la paix.

Quant aux bâillons, il m’expliqua un peu les différentes sortes qu’il y avait en vente ici. Et en entendant ce qu’il me proposait, je me sentis bientôt un peu hésitant. Le faire baver pour lui en faire baver, ça pouvait être drôle mais l’anneau pouvait être plus sympa pour éviter qu’il y ait des taches de bave partout.

« Et le bâillon anneau permet que la personne se taise ? J’aime pas trop les gens qui gueulent. »
Et je ne pouvais pas m’empêcher de songer que Graham pouvait bien être du genre à gueuler s’il se retrouvait ficelé comme un petit rôti de porc. Mais peut-être que ce n'était pas le cas, au fond, j'en savais rien.

e commerçant semblait être assez calé dans son domaine pour me proposer des choses intéressantes. J’écoutais, j’observais, j’analysais… Je ne savais pas exactement si c’était une bonne idée, mais j’avais bien envie de suivre mon instinct et de foncer sur mon premier coup de cœur.

« C’est noté. Je vais suivre votre conseil. »

Je n’étais pas certain d’user cette corde jusqu’à ce stade. En toute logique, j’allais m’en servir une seule fois, histoire de faire peur à Graham. Et une fois que je serais sûr de voir ce jeune blanc-bec changer d’attitude envers moi, je n’aurais plus besoin de ces cordages pour m’occuper de lui.
Les couleurs, honnêtement, je m’en foutais complètement. Une corde était une corde, qu’elle soit noire, blanche, rouge ou verte.

« Peu importe la couleur. » Laconique, je me contentais de regarder vaguement ce qu’il y avait comme panel. Mais je n’avais pas de couleur préférée… Enfin, j’étais plutôt classique, du moins il me semblait. Alors, avant qu’il ne me vante les mérites des couleurs dans des contextes sadomasochistes, j’ajoutai simplement : « Noire, ce sera parfait. »
Je ne voulais pas éveiller les soupçons, il ne fallait pas que cet homme, ou quiconque d’autre d’ailleurs, alors il fallait que je me fasse passer pour un de ces types qui avaient besoin de pimenter une vie sexuelle un peu trop plate.

Pour les bâillons, je devais tout de même reconnaître qu’il y avait quelque chose de très intéressant dans le fait de voir les différentes sortes d’objets qu’il proposait. J’avais plusieurs fois eu recours à des bâillons, dans le cadre de mon occupation professionnelle, mais c’était bien souvent de l’improvisation pure et dure : je fourrais dans la bouche de la personne ce qui me tombait sous la main – du papier, du tissu, un fruit, un vêtement ou autre chose – et puis je scotchais le tout avec un peu de tape tissé bien collant par-dessus. J’avais aussi, un jour, eu recours à une méthode un peu plus drastique, avec cette colle forte ultra rapide que l’on appelle communément « super glue ».

Ici, l’avantage de ce que me présentait le vendeur, c’était qu’il s’agissait d’éléments réutilisables. Il m’expliqua les avantages et inconvénients de l’anneau et de la boule. Je pinçais vaguement les lèvres en entendant parler de bave abondante, puis de gastéropodes.

« Il parait qu’avec du beurre à l’ail, les escargots ne sont pas mauvais. Les Français en raffolent, d’après ce que j’ai entendu dire. »
Ce n’était pas vraiment dans le sujet, mais j’avais cru bon de sortir cela. Personnellement, quand j’avais goûté cela, je n’avais pas trouvé ça exceptionnel, un peu caoutchouteux, peut-être, mais j’aimais l’ail, alors cela m’avait tout de même convenu.
« Va pour la boule, alors. En noir également. » Je le devançais pour la question de la couleur, parce que je devinais qu’il allait me faire la même demande que plus tôt. Si je prenais tout en noir, cela serait plus harmonieux. Je supposais que c’était comme cela qu’il fallait faire. Penser aussi bien à l’aspect esthétique que pratique.