La soirée avançait et beaucoup de personnes ici semblaient être bien parties pour s’éclater jusqu’au bout de la nuit ! Pour ma part, j’étais arrivé il y avait quelques minutes à peine. Je m’étais pris une bière. La dernière fois que j’étais venu ici, dans le bar de Musa, il y avait une scène ouverte où toutes sortes d’artistes plus ou moins accomplis s’étaient produits devant le public que nous constituions…
Ce soir, je ne savais pas trop si j’allais voir Musa ou non, mais ce n’était pas comme si je n’étais pas sociable : je savais bien que je pourrais toujours trouver quelqu’un avec qui passer la soirée. Et puis, je n’étais pas très difficile, je faisais en sorte que les sujets qui fâchent soient évités et puis voilà, c’était très bien comme ça.

Un type avait émis un rire sonore, le genre presque déplacé si nous n’étions pas dans un contexte de soirée dans un bar. Je n’étais pas très porté sur ce genre d’humour, peut-être que ça avait quelque chose de gênant, dans le sens où c’était de l’humour "gras", de comptoir… le genre d’humour sans finesse… Un peu comme les jeunes enfants qui étaient morts de rire dès qu’ils entendaient certains mots comme bite, couilles, nichons, chatte…

Honnêtement, je ne serais jamais allé vers ce type si le destin ne s’en était pas mêlé. Rien que son humour et son vocabulaire me déplaisaient… et je n’étais pourtant pas le genre à être coincé. Ma bière à la main, je ne m’étais pas attendu à ce qu’on me bouscule sur l’homme grossier. Un peu de bière sur la tête, y avait pas mort d’homme, c’était même réputé pour être bon pour les cheveux, mais…
« Oups… Sorry, vraiment… » Je n’avais pas envie de me répandre en excuses alors que j’avais moi-même été bousculé, alors je faisais bref. « Je vous offre la même chose en compensation. »

Ce n’était pas une question ni une invitation. J’avais d’ailleurs déjà fait signe au barman. Je n’allais pas m’amuser à faire trainer les choses pour que ça me retombe dessus ensuite. Hors de question.
« La même chose. » J’avais montré mon verre et son verre.
Au moins, comme ça, on serait quittes.

L'homme buvait à la paille un cocktail bien chargé. Il ne lui faudrait sans doute pas bien longtemps pour atteindre d'ivresse. Est-ce qu'il cherchait à se bourrer la gueule ? Ou juste à se détendre en prenant un ou deux verres mais en se fixant des limites ? Difficile à dire quand on ne connaissait pas la personne.

Je n’étais pas spécialement maladroit d’habitude, mais là c’était inévitable. Je n’aurais pas pu empêcher la chute du liquide sur le crâne de l’homme. Et lui, il prenait ça avec philosophie. C’était plutôt une bonne chose.
« Peut-être, mais tu n’avais pas prévu de devoir te faire un shampoing en rentrant ! »

Puisqu’il me tutoyait directement, je jouais le jeu aussi. Et c’était bien plus sympa, de toute façon, on n’avait pas besoin de s’embêter à utiliser le vous et à perdre du temps alors qu’on pouvait passer au-dessus de ces politesses. Lui comme moi, nous étions là pour passer une bonne soirée, après tout. Autant que ce soit le cas pour tous les deux.
Alors je lui avais payé un verre, histoire de trinquer avec lui à ma maladresse de ce soir. D’ailleurs, je souris à sa remarque concernant les cheveux et la bière.
« Mais clairement que c’est bon pour les cheveux ! Comment tu crois que j’entretiens ma belle crinière ? » Réponse attendue : en m’enfilant des bières. J’avais les cheveux poivre et sel, mais ils étaient bien présents, je n’avais pas de début de calvitie ou autre et mes cheveux étaient en pleine santé. D’ailleurs, mon coiffeur tenait beaucoup à ce que je prenne bien soin de mes « fils d’argent ». Il parait que ça donne du charme ou je ne sais quoi.
Moi, honnêtement, je m’en foutais un peu. Tant que j’avais des cheveux, c’était cool. Je n’avais pas très envie

Comme il me donnait son prénom, je lui tendis la main, en faisant de même. « Martin. Et d’habitude, je bois ma bière plus vite que je ne la renverse. »
Nous nous serrâmes la main. Un geste tout simple et qui suivait un instant durant lequel il me détailla. Je ne savais pas ce qu’il cherchait à voir, mais ça ne me dérangeait pas. Je n’avais rien à cacher et je n’étais pas non plus le genre à faire des histoires pour un regard. Quand je participais à des spectacles où j’étais dans les chorégraphies, je ne pouvais pas faire autrement que d’avoir les regards des autres tournés vers moi, alors, forcément, ça ne me faisait pas grand-chose.

« T’es déjà venu ici ? » Je n’étais pas vraiment un habitué, mais le fait que la jeune femme qui était la patronne du lieu faisait que je me trouvais plus facilement dans le coin ces derniers temps. « Y a parfois une scène ouverte, c’est sympa. »

Trinquer, boire, c’était la base, mais on pouvait bien papoter aussi, tranquillement. Je n’avais pas spécialement l’intention de me bourrer la gueule ce soir, mais si ça arrivait, je n’étais pas contre non plus.

Je m’en serais voulu un moment si je n’avais pas appris à quel point la vie ne valait pas la peine si l’on perdait son temps sur des détails insignifiants, comme une bière renversée sur quelqu’un d’autre.
Mais voilà, j’avais un peu évolué par rapport à l’image que j’avais de moi-même et je devais reconnaître que ce type, parce qu’il prenait cet incident d’une façon assez positive, finalement, était peut-être une chouette rencontre.

« Bah, mon estomac en verra d'autres ! » Lui répondis-je en souriant.
C’était plutôt une chance de tomber sur quelqu’un comme lui, un type qui ne se prenait pas la tête et qui ne montait pas dans les tours directement. « La levure de bière, c’est ça le secret. »

Il y avait un vieil homme, dans le quartier de Copenhague où j’avais grandi, qui faisait régulièrement boire une bière à son chien pour améliorer la douceur de son poil. Je n’avais jamais fait de test de type « avant-après », mais c’était vrai que son golden retriever avait un joli poil.

Par contre, le fait d’attirer les gens avec mes cheveux, très honnêtement, je n’avais jamais vraiment essayé.
« Euh ouais, si tu le dis… Je ne cherche pas trop à draguer, en fait. » J’étais marié, après tout. Mais séparé géographiquement, par la force des choses. Cependant, ce n’était pas Anika qui me manquait le plus, mais plutôt mes fils. Cela dit, je ne voulais pas plomber l’ambiance, alors je n’en dis rien.

J’avais l’air sympa. C’était plutôt un compliment agréable, ça. Je le lui retournais, parce que, mine de rien, il n’était pas en reste pour l’air sympa.
« Je te renvoie le compliment, Wade, tu m’as tout l’air d’être le genre de gars avec qui je peux parfaitement bien m’entendre ! » Au moins pour une soirée, en tout cas.

Mais comme mes yeux glissèrent sur l’anneau qu’il portait au cou, tandis qu’il parlait de noyer son chagrin dans l’alcool. L’anneau ressemblait beaucoup à une alliance et le fait qu’il la porte au cou me poussa inconsciemment à toucher la mienne machinalement avant de lui poser une main sur l’épaule.
« J’espère pour toi qu’il ne sait pas nager, ton chagrin. » C’était débile, comme réflexion, mais je ne voulais pas que nous glissions vers une conversation qui puisse prendre une tournure triste ou malaisante. « Mais je vais t’aider à le noyer, ce soir, je veille à ce que ton verre ne soit jamais vide ! »

Sans savoir vers quoi aller se diriger cette relation, autant juste profiter. Ce qui comptait, c’était l’instant présent.

« Tu veux que je t’apprenne ? » Je n’avais pas l’impression de me dandiner quand je dansais, mais peut-être parce que j’avais tendance à associer le verbe « se dandiner » à l’image d’un dindon en train de se trémousser.