Back to school time and more || ft. Nick Nelson

Septembre… Voilà bien un mois que j’entamais avec hâte. Ce n’était pas que je n’aimais pas les vacances, loin de là : jusque fin juin, je les attendais même avec beaucoup d’impatience… mais une fois bien entamées, les vacances finissaient par me lasser et j’aspirais à reprendre le chemin de l’école…
J'aimais mon job, j'aimais les perspectives d'avenir que je pourrais avoir ensuite en terminant mon doctorat, j'appréciais aussi beaucoup le contact avec les autres, c'était sans doute, même, ce que je préférais dans mon existence.

La rentrée, à l'université, cela rimait très vite avec "Soirée". Entre ce qui était organisé par les différentes confréries et les happy hours proposés dans la plupart des bars, il y avait de quoi faire. Aussi, ce soir, je m'étais préparé pour participer à l'une de ces soirées organisées par je ne savais pas exactement qui, mais qui était une soirée qui promettait d'être une grande soirée.

Une tenue assez relax pour que je sois à l'aise, mais qui ne fasse pas non plus trop vacancier... J'avais eu ma femme au téléphone et je ne lui avais pas dit que je sortais ce soir. Elle n'avait pas besoin de le savoir, de toute façon, je n'allais pas non plus lui raconter chaque minute de ma vie ici. Si ça l'avait vraiment intéressée, elle aurait trouvé le moyen de venir vivre ici avec moi. Je commençais peu à peu à me dire que ce n'était peut-être pas une si grande perte, que ma vie avait pris un autre tournant et que, de toute façon, je serais tôt ou tard parti. Anika faisait partie de ma vie au Danemark, mais pas ici. Et je ne me leurrais pas, ce n'était pas le fait de l'avoir au téléphone régulièrement qui allait raviver une flamme qui, de mon côté, s'était éteinte quand j'avais appris qu'elle m'avait trompé.
Je ne lui en voulais pas, ça n'aurait servi à rien. Je lui souhaitais juste d'être heureuse, tant pis si c'était avec un autre que moi.

Bref. J'avais rejoint les lieux vers 22h30, une heure tout à fait raisonnable pour commencer à s'amuser. Je n'avais pas vraiment fixé de rendez-vous à des amis, mais j'aurais peut-être dû, car une fois sur place, je me demandais bien avec qui j'allais pouvoir m'éclater ce soir.
La musique allait fort, la fête avait vraiment débuté. J'avais croisé quelques visages connus, mais ce n'était que pour quelques instants. J'embrayais donc en allant me chercher à boire au comptoir.

« Une bière, s'il vous plaît. » Je prenais souvent de la bière parce que ça remplissait vite et bien. Puis contrairement à de nombreux cocktails qui se buvaient comme de l'eau, la bière permettait de garder l'esprit clair un peu plus longtemps. Peut-être que j'allais me mettre une murge ce soir, mais je n'avais pas encore décidé.

La musique était entrainante et je me retrouvais bientôt, porté par elle, à rejoindre d'autres danseurs, plus jeunes que moi, bien sûr, mais je m'en foutais un peu. Le pincipal, c'était de s'amuser, après tout. Et d'éviter de renverser trop ma bière, même si, les mouvements aidant, c'était plutôt mal barré.

Dans ces soirées pleines de jeunes gens, je sortais toujours du ton. Mais ce n’était pas bien grave, on s’y habituait, au final. Ce n’était pas plus dérangeant que cela. Il me semblait même qu’au bout de quelque temps, même les jeunes s’habituaient à ma présence. C’était un peu comme si je vivais une seconde jeunesse, mais surtout au niveau des études et de la vie étudiante. Pour le reste, je me forçais à garder un train de vie sain et assez sérieux… Du lundi au vendredi à 16h, j’étais le parfait exemple du mec qui menait sa vie correctement, qui faisait attention à son travail et qui ne faisait pas vraiment d’excès… Et puis, le week-end, je me lâchais.
J’avais déjà fonctionné comme cela lorsque je faisais mes études, à Copenhague. Ça m’avait permis de réussir du premier coup, chaque année. Et puis, par après, avec mon mariage, le boulot au lycée, les enfants… j’avais fini par m’engourdir un peu. J’avais dû arrêter la danse pour me consacrer au reste. J’avais abandonné mes rêves, par acquit de conscience. Et, finalement, je n’étais pas heureux.

Dès le moment où la vie d’une personne est rythmée par des « il faut » ou des « je dois », le bonheur est out. Et quand on est dedans, on ne s’en rend pas compte. Ce qu’il faut, c’est un déclic, un élément dans la vie qui fait qu’on va enfin ouvrir les yeux… Pour moi, ça a été la perte d’un ami.

J’avais étudié les philosophes et leurs visions du bonheur, j’avais pu envisager l’hédonisme pour un temps, mais le manque de stabilité dans les plaisirs en mouvement, ça ne collait pas avec moi. Je n’étais pas ce genre d’homme. Le stoïcisme était déjà quelque chose que j’avais tenté auparavant… Mais l’épicurisme… là, c’était autre chose, j’avais creusé l’affaire et l’idée de profiter au quotidien, d’apprendre à être heureux avec ce que j’avais… c’était bien plus intéressant. Le bonheur ici et maintenant. Ça c’était parfait pour moi.

Je comptais bien m’amuser ce soir, le week-end était fait pour ça. Je voulais profiter. La bière n’était pas mauvaise, même si elle ne valait pas celle qu’on faisait dans mon pays, mais j’apprenais à faire avec : ça ne servait pas à grand-chose de penser à de la Carlsberg quand il n’y en avait pas.
Mais au moins, mon verre est à peu près plein. Pas comme celui qui venait d’atterrir au sol et dont le contenu s’était répandu en partie sur mes sneakers. Le garçon s’excusa puis…

J’avais dû louper un passage. Il m’appelait Duncan… il me tutoyait… c’était surprenant… mais il proposait de m’offrir un verre et ça, je ne pouvais pas refuser. Je bus le reste de ma bière d’un trait, puis je posais la main sur l’épaule du jeune homme.
« Je suis toujours partant pour un verre ! » J’étais plutôt de bonne humeur, alors je lui souris. « Mais je m’appelle Martin, pas Duncan. »

Boire un coup en soirée, c’était le genre de truc que tout le monde faisait. On payait des verres à des inconnus, des inconnus nous payaient des verres… Ce n’était franchement pas désagréable. On était là comme dans mon pays natal, en fait, où on se fichait pas mal de connaître ou non une personne, dans une soirée, ce qui importait, c’était de s’amuser et de rencontrer des gens.

J’étais du genre à ne pas me formaliser, je pouvais même être assez facilement familier avec les autres dans mon attitude. D’où le contact de ma main sur l’épaule du jeune homme.
« C’est pas grave, ça m’arrive aussi de me planter. » Je n’étais pas le plus doué pour reconnaître les gens et ne pas les confondre. C’était même plutôt le contraire… Je m’étais déjà plusieurs fois avancé pour saluer des gens, pensant retrouver de vieilles connaissances et, sur place, me rendre compte de mon erreur. « C’est ça. Prof d’histoire au lycée le jour et doctorant à mes heures perdues. »
Son visage me disait quelque chose, mais je ne savais pas vraiment si je lui avais déjà parlé auparavant. Peut-être juste vite fait, comme ça, pour une broutille… Mais je n’avais pas l’impression d’avoir eu de grande conversation avec lui jusqu’à présent.

« Chacun son tour, je tiens à payer aussi. » Je ne voulais pas me faire offrir toutes les boissons, il ne fallait pas déconner. Surtout qu’il était bien plus jeune que moi, je supposais que c’était mieux que je paie aussi, pour ne pas laisser un petit jeune dépenser son argent pour moi. A son âge, j’avais dû prendre un petit boulot pour pouvoir payer mes sorties, alors j’avais tendance à penser que lui aussi pouvait peut-être dans le même cas.

« Enchanté, Nick. Et merci ! » Je pris le gobelet qu’il me tendait et je lui souris en retour. « Skål ! » Finalement, les erreurs du genre, ça pouvait être sympa… J’aimais bien le côté spontané et complètement inattendu de la situation, ça annonçait de bons moments.

« Tu étudies à la fac aussi, du coup ? » Autant discuter un peu plus avec lui, faire connaissance… Surtout si on allait passer la soirée ensemble. Même si ce n’était que pour quelques instants, peu importait. Mais j’aimais bien apprendre à connaître les autres et prendre le temps de les découvrir. « Et à part étudier et sortir, tu fais quoi ? »

Je ne savais pas exactement comment aborder ces questions autrement. C’était peut-être très bien comme ça, au fond. Je pris une gorgée de la bière qu’il m’avait offerte. C’était parfait, comme moment.

La bière n’était pas mauvaise ici. C’était un constat que tout le monde aurait pu faire. En soirée, on se contentait parfois de boissons de moins bonne qualité, mais cela dépendait beaucoup de l’endroit où se passait la soirée et qui l’organisait. Pour l’heure, tout me semblait plutôt pas mal.
Le jeune homme avec moi n’était au départ qu’une vague connaissance. Je n’étais même pas certain que l’on se soit un jour adressé réellement la parole avant ce soir. Et pourtant, mine de rien, ça se passait plutôt bien. Enfin, je savais bien qu’il en fallait beaucoup pour que je me brouille avec quelqu’un, mais le fait était que ça se passait bien. Il ne fallait pas que je cherche plus loin.

« Chapeau ? Je ne pense pas… j’ai été plutôt couillon pendant des années… Attendre d’avoir mon âge pour poursuivre mon rêve, c’est débile. J’ai perdu beaucoup de temps. »
Je ne voyais pas ça comme quelque chose de courageux ou d’important. D’une certaine façon, c’était même égoïste de ma part, puisque j’avais quitté ma femme et mes enfants pour reprendre des études ailleurs, loin d’eux.

Nous partagions ce verre, comme nous partagerions le suivant ou les suivants. Le jeune homme me racontait ce qu’il faisait, dernière année d’études, des projets professionnels… C’était le cours normal des événements.

J’eus un petit rire en entendant sa réponse à ma question. Fumer, boire et baiser… C’était l’idéal de vie de certains adolescents, mais c’était éphémère, tout ça. Rien de stable, rien d’important.
Mais il précisa les choses qu’il aimait… et je voyais là des choses intéressantes. Il n’était nullement question d’activités plutôt sympa.

« Les jeux vidéo, c’est pas mal, mais je ne suis pas vraiment doué… La cuisine, ça me parle, c’était souvent moi qui préparais le repas pour ma femme et mes enfants. Quant au groupe de votre copain… Je peux écouter, si c’est un style de musique qui me plait. » Je ne savais pas ce qu’il jouait, ni même s’il chantait ou jouait, au fond. Je ne savais même pas qui était son copain, d’ailleurs.
« Je bois, je fume… J’aime le cinéma, les séries… Les conneries habituelles, je pense. Sinon, je suis du genre à toujours vouloir apprendre de nouvelles choses, même si ça ne dure qu’un temps, ça m’occupe pas mal. » Bah oui, comme chacun savait, les profs étaient tout le temps en vacances (lol) alors forcément, j’avais du temps à perdre en essayant d’apprendre à maîtriser des trucs qui ne me serviraient sans doute jamais.

Je buvais mon verre un peu plus rapidement que lui, je m'en rendis compte au moment où j'absorbais la dernière gorgée de ma bière.
« Go pour la suite. » Un signe au barman pour avoir deux autres bières, et j'en tendais une à mon interlocuteur.

« Dans mon pays, on dit que t'as une charrette, là, Nick. »

Une main sur mon épaule… Un geste familier, qu’il m’arrivait facilement de faire, moi-même. Une nouvelle chance… Mouais, on pouvait appeler ça comme ça, je ne savais pas bien si oui ou non c’était une chance… En soi, j’avais carrément l’impression d’avoir été égoïste et ça me dérangeait profondément.
Pourtant, Anika ne m’avait pas fait de remarques par rapport à ça, elle avait même eu l’air contente que je me remette à avoir des rêves et des projets. C’était bon signe, sans doute, le signe que j’étais en voie de guérison.

« On peut dire ça… Mais j’arrive pas à arrêter de me dire que c’est égoïste de ma part. » C’était difficile de formuler ça, mais ça faisait partie du cheminement intérieur nécessaire pour moi avancer.

Depuis que j’étais ici, il m’était plusieurs fois arrivé de passer du temps avec des jeunes. C’était un peu vivre une deuxième jeunesse, différente et ailleurs, en quelque sorte, bien que j’aie tiré des leçons des comportements que j’avais eus par le passé.
Nick avait commencé à me parler de lui, en évoquant ses passions, ce qu’il aimait, ce qu’il vivait… Et j’étais là à écouter, prêt à discuter avec lui de tout cela s’il le désirait.

« Ils jouent quel genre de musique ? Qu’est-ce qui coince dans le choix du nom ? » Le choix d’un nom, pour un groupe, c’était important, mais il n’était pas interdit de changer de nom ensuite. « C’est pas mal, le Frutti Music Bar, les soirées sont généralement bien organisées et c’est un super tremplin pour certains artistes. »
Ils pourraient bien y jouer, plusieurs fois, même, sans aucun doute. Musa était parfaite pour aider les gens à se lancer.

Quant à moi…
« Oh, je suis preneur de tout. Mon fils aîné m’a appris à jouer un peu sur PS4, j’ai joué à Mario Kart avec le plus jeune, sur une Switch. Niveau sport… mon truc, c’est la danse… Mais peut-être que je pourrais faire un peu de muscu… » Ce qui me bottait, en fait, c’était surtout de me focaliser sur une chose nouvelle, ça allait me permettre, pendant quelque temps, de me sentir comme neuf, de me trouver un centre d’intérêt bien différent de ce que je faisais chaque jour. « Mais j’imagine que si je reviens au Danemark en ayant amélioré mon jeu… ça ferait plaisir à mes fils. »
Mes deux adolescents étaient plutôt enclins à refuser de passer du temps avec moi, lorsque j’étais en dépression. Le fait de pouvoir passer du temps avec eux, de façon plus ludique et plus sympathique, ça pourrait leur plaire autant qu’à moi.

Vider des chopes, ce n’était pas quelque chose d’inhabituel pour moi. Quand j’étais jeune, on s’enfilait des dizaines de bières, on faisait des concours de vitesse et de quantité… On faisait les cons, mais on se marrait vraiment bien.
« Quand on t’offre un verre mais que tu n’as pas fini celui d’avant… » J’alignais les verres devant lui. « Tu vois un peu le principe. »

Plutôt sociable, je n’avais jamais été le genre de type à négliger une conversation quand elle était possible, alors, oui, la compagnie du jeune homme me semblait plutôt agréable.
La description qu’il me fit de la musique que jouait le groupe de son copain me donnait presque envie de découvrir ça. On sentait que Nick parlait d’un sujet qui lui tenait à cœur et je pouvais bien comprendre ça. « Ok, j’irai y faire un tour. »
Un frisé qui faisait de la batterie, ça ne devait pas passer inaperçu. En tout cas, je notais mentalement l’information pour pouvoir m’en rappeler le jour où j’entendrais ce groupe.

Pour l’instant, je ne pouvais que me trouver chanceux d’être tombé sur ce garçon. Même s’il m’avait au départ confondu avec un autre, je devais reconnaître que c’était quelqu’un qui me semblait très sympathique au premier abord. Le genre de personne avec qui on ne voyait pas le temps passer.
« Non, mais Mario Kart, c’est un truc de dingue… j’ai l’impression que tous les pièges m’attirent tout le temps…» A la limite, je me demandais presque si jouer une partie avec Nick pourrait ou non démentir ce constat. « Je suis sûrement le pire de nous deux, à ce jeu. »

Pour le reste, c’était vrai que la danse c’était un peu plus mon truc. J’avais des années de cours de jazz derrière moi et j’en avais conservé une souplesse qui étonnait toujours ceux qui ignoraient ça de mon passé. Je pris sa carte et la glissai dans ma poche. « Du jazz… J’ai fait partie de pas mal de spectacles et ça m’a toujours plu de pouvoir me laisser envahir par la musique… » La muscu, c’était un peu moins mon truc, mais peut-être que ce n’était pas une mauvaise idée. « J’ai pas très envie de ressembler à un mec bodybuildé, mais ouais, pourquoi pas… Puis je suis toujours partant pour boire un coup ! »
Le lien se créait et je devais avouer que c’était marrant ce décalage entre générations. Pourtant, on se parlait comme si on se connaissait déjà un peu. Comme quoi, il ne fallait pas grand-chose pour qu’une relation puisse se nouer. C’était quelque chose que j’appréciais beaucoup. C’était naturel et spontané. L’idéal pour moi.

« C’est pas facile les divorces… Et puis les frères cons, je sais ce que c’est… » Le mien, je n’irais pas jusqu’à dire que c’était un connard fini, mais il avait beaucoup changé en se mariant avec une sorte d’ogresse imbue d’elle-même et prête à tout pour le garder pour elle toute seule. Je ne reconnaissais plus mon frère, avec tout ça, il avait coupé les ponts avec la famille et les amis, il avait changé de vie et nous nous perdions de vue peu à peu. Bien sûr, le fait que je sois ici plutôt qu’au pays, ça ne facilitait pas les choses. « On choisit ses copains, mais rarement sa famille, malheureusement. »
C’était la seule conclusion neutre que je pouvais donner à ce sujet de conversation. Je n’avais pas envie de le pousser à me parler s’il ne le souhaitait pas et je ne me sentais pas forcément la personne idéale pour le pousser aux confidences. Puis l’ambiance était sympa, on n’allait quand même pas la plomber.

L’idée des fléchettes, c’était sympa aussi. Je n’étais pas le meilleur à ce genre de truc, mais je n’en étais quand même pas au point d’envoyer les fléchettes en arrière ou dans le bar au lieu de la cible, alors pourquoi pas… « Je crois que je dois être à peu près aussi bon aux fléchettes qu’à Mario Kart… Je sens que je vais déguster ! »