(terminé) Unbearable || ft. Walter Graham

MUSIC~ Avec tout ça, j’ai roulé comme si ma vie en dépendait. J’ai grillé une priorité de droite, un feu rouge et un stop. Le genre de détail qui fout bien dans la merde quand il y a un contrat à remplir et qu’on risque de se retrouver au poste pour une connerie du genre. Ça ne m’est jamais arrivé mais le vieux Nick avait eu le coup.
Pour la situation actuelle… il faut juste savoir que je n’ai jamais eu envie qu’on m’accompagne nulle part, je ne vais pas commencer aujourd’hui.
C’est une situation étrange, je ne sais pas pourquoi j’ai voulu fuir. Ce garçon trop curieux, trop bizarre, trop insistant… Je me sens vite mal à l’aise en présence d’êtres humains vivants, alors quand en plus c’est quelqu’un dont la présence est gênante…

Je ne sais pas ce que je lui ai fait pour qu’il ait comme ça envie de me parler puis de venir avec moi. Généralement, les gens ont plutôt tendance à m’éviter, alors c’est vraiment bizarre de voir un type avoir envie de rester le plus longtemps possible avec moi.
C’est sûrement parce qu’il ne me connaît pas. Il ne connaît pas le Black Kaiser. Il ignore que je tue de sang froid, sans le moindre scrupule et sans la moindre hésitation. Coeur de pierre ou coeur de glace, je ne saurais dire, mais j’ai déjà été qualifié des deux manières. Très certainement parce que j’ai jamais vraiment eu l’occasion de prouver le contraire, mais c’est peut-être pas plus mal qu’on me voie d’entrée de jeu comme un gars à éviter.
Cependant, ce garçon n’a pas eu l’air de se rendre compte de ça. Est-ce moi qui lui ai laissé penser qu’il pouvait essayer de parler avec moi ? Mais à quel moment ? Et pourquoi a-t-il eu soudainement envie de venir avec moi ? Sa mère ne lui a jamais dit de ne pas suivre les inconnus ? Enfin, c’est pas comme si je lui avais proposé des bonbons pour me suivre, non plus, hein…

Une fois de retour au funérarium, j’ai garé la camionnette derrière, dans le hangar où on gare les corbillards et les autres véhicules du boulot.
Le boss étant absent, j’ai choisi la chambre funéraire pour Deirdre Langdon. La première. Le corps rejoindra cet espace une fois que je m’en serai occupé.
J’enlève ma gabardine et je me retrousse les manches. Je suis seul au funé aujourd’hui, mais ce n’est pas une raison pour rester à ne rien faire. D’ailleurs, je ne suis pas quelqu’un qui peut rester inactif, ça me pèse vite et ça me pèse trop. Je n’aime pas ça.
Bon, faut pas compter sur moi pour jouer les secrétaires et répondre au téléphone, mais je fais ma part de boulot. Le reste, je laisse ça aux autres. Je gère déjà beaucoup trop le funé à mon goût, étant donné que le boss n'est pas souvent là, alors je ne vais pas en faire plus. Faut pas oublier que ce job, c'est pas mon job principal, c'est ma couverture, mon entrée d'argent officielle... Je suis pas censé passer plus de 7h par jour à bosser pour Lumen Vitae. Et pourtant, j'ai bien l'impression que le patron a tendance à lâcher de plus en plus de lest. Il profite de la vie, grand bien lui fasse, mais moi, désormais, j'ai quelques clients qui n'ont rien à voir avec le funé qui savent qu'ils trouveront ici un homme qui pourra être le prolongement de leur main quand il faudra éliminer un gêneur. Je ne suis pas encore tout à fait au point pour décoder les demandes qui passent entre les mails professionnels, mais je me débrouille.

Diling diling

Le carillon qui sonne me fait soupirer. J'ai le sentiment d'être dérangé dans mon travail. Je place un drap blanc sur le corps de la jeune Langdon, je me lave les mains et emporte la serviette pour me les essuyer devant les arrivants (il y a des gens qui pensent qu'on ne le fait jamais et qu'on serre des mains après avoir travaillé sur des macchabées... mais bon, je ne m'étonne plus trop des réactions des gens, à présent).
Et là, au lieu d'une famille éplorée, que vois-je ? Le petit jeune de la morgue.
« Encore vous ? »

MUSIC~ Être ici ou ailleurs, ça ne changeait pas grand-chose, pour moi. Mais la présence d’une tierce personne, ça, ça changeait tout. Je n’aimais pas trop être gêné ou dérangé, comme tout le monde, sans doute, mais là, je devais reconnaître que la présence du petit jeune ne me faisait pas vraiment plaisir.
M’avait-il délibérément suivi ou était-ce une sorte de coïncidence qui faisait qu’il avait dû venir au funé comme par hasard juste après mon départ ? La réponse ne se fit pas attendre et confirma directement mes craintes. Il m’avait suivi. J’avais donc bien eu raison d’essayer de le semer dans l’hôpital… mais n’avait pas suffi.
De là, s’ensuivait une autre question, tout aussi pertinente et vitale : était-il envoyé par Damoclès ? Blut avait-il un successeur qui cherchait à mettre de l’ordre dans les vieux dossiers ? Si tel était le cas, il allait falloir que je me débrouille pour l’ajouter dans un cercueil, une fois que je l’aurais refroidi. Ça me semblait toujours être une des meilleures planques pour un cadavre : la tombe d’un autre type. Personne ne s’amusait à déterrer des honnêtes gens pour chercher les corps d’autres personnes. C’était un fait avéré et j’avais plusieurs fois pu constater l’utilité de ma technique. Avec mon job de façade, ça passait très très bien.


« Et vous vous êtes mis à me suivre comme un justicier en herbe ? Ou comme un autre criminel cherchant à évincer le premier ? » Autant lui laisser l’opportunité de dire les choses réellement et directement, après tout, je ne voulais plus jamais commettre des erreurs comme celle que j’avais faite envers Camille. Je vérifiais toujours mes infos avant d’agir, désormais.
Cependant, au lieu de répondre directement, le petit jeune posa une nouvelle question, qui me fit pousser un soupir qui était très clairement de lassitude.

« En quoi cela vous regarde, en fait ? Je ne vous connais pas, vous ne me connaissez pas. Je bosse avec des morts, vous aussi. Personne ne vous a demandé si vous étiez particulièrement sociable, n’est-ce pas ? Eh bien, moi non plus. »

Il me demanda une nouvelle fois mon nom et je lui balançais une carte de visite du funé. « J’ai l’habitude qu’on me donne des surnoms. Et, honnêtement, je m’en fous. » Je n’étais pas le patron de Lumen Vitae, alors, forcément, mon nom était juste l’un de ceux se trouvant au verso de la petite carte, mais ça, il serait tout de même assez intelligent pour se douter que je n’étais ni Kimberley ni Jack. Quoique… peut-être bien que mon accent s’était suffisamment estompé pour que mon nom de famille puisse passer inaperçu. « C’est quoi votre idée de surnom ? »
Peut-être que je devrais lui en trouver un, moi aussi, puisque je n’avais pas retenu son nom… Je verrais bien. Ce n'était pas bien urgent et ce n'était pas non plus important. Je pouvais continuer à l'appeler mentalement "le p'tit jeune" ou alors envisager un surnom plus en phase avec son comportement de limier. Mais, là encore, je ne pouvais pas être sûr comme ça.

MUSIC~ Est-ce que ce gamin se rend compte que je ne suis pas du genre à aimer taper la causette ? Est-ce que je ne suis pas assez clair, en fait ?
Mais il baisse les yeux et ça me conforte dans l’idée que j’ai raison. Cependant, cela ne dure pas et il me parle de nouveau… et même s’il s’excuse pour son comportement, je ne sais pas quoi penser de son attitude ni de ses paroles. Son mea culpa le soulage peut-être, mais ça ne change rien, au fond.
« Et quoi ? Vous allez me copier dix pages et me promettre de mieux vous comporter ? » Je ne sais pas comment il va prendre ça et, honnêtement, je m’en fous. Il pourrait passer le restant de ses jours à tricoter des caleçons de laine ou à traire des chèvres que ça m’est complètement égal.
Mais je n’aime pas le fait qu’il m’ait suivi. Je n’aime pas non plus qu’il cherche autant à savoir qui je suis. Ni qu’il juge que je puisse avoir l’air d’un criminel… Bon, je ne dis pas qu’il a tort sur toute la ligne, mais je ne cherche pas à faire de vagues alors, bon sang, qu’il me foute la paix.

Et il reste là. Il m’observe, il ne cherche pas à fuir et semble même chercher à discuter encore. Je pousse un soupir en le voyant ne pas rattraper la carte et je le trouve encore plus étrange quand il place la carte devant ses lèvres. J’espère qu’il n’est pas assez taré pour embrasser le carton ou pour le lécher… J’ai croisé assez de barges dans ma vie pour savoir que c’est possible, mais j’avoue ne pas avoir envie de m’en coltiner un autre.
« On m’appelle le Black Kaiser. J’ai rien d’autre à dire. » Je ne pense pas que mon titre soit connu par ici, je me fais plutôt discret, en général. Mais si sa réaction m’indique qu’il connait ce surnom, cela signifie qu’il a un lien avec le milieu. Et ça, ça rendrait la situation plus délicate pour lui.
Mais le surnom dont il m’affuble me fait tiquer. Daddy… C’est quoi son délire ? Entre ça, son attitude d’enfant puni et ses promesses, je ne sais toujours pas quoi penser. Il doit être barge. Je plisse l’œil pour chercher à déceler un indice qu’il est en fait en train de se foutre de ma gueule, mais je ne sais pas interpréter son langage non verbal. Il réagit différemment des autres personnes et ça me perturbe un peu.

« Daddy ? » J’ai haussé le ton, inconsciemment, et je suis en train de me faire mille et un scénarios dans la tête. « Me dites pas que j’ai un fils caché et que c’est vous ??? »

Je n’ai jamais été marié. Les relations que j’ai eues n’ont jamais duré bien longtemps, à cause de mon boulot. Je présente ça dans le sens où je suis carriériste mais jamais aucune femme avec qui j’ai couché ne m’a dit qu’elle était enceinte. C’est perturbant. Je ne peux m’empêcher de repenser à tous ces corps de femmes que j’ai aimés, parfois juste le temps d’une nuit. Je ne retrouve pas de trait commun entre elles et lui. Mais est-ce que ça veut dire que ce n’est pas possible ? Je n’en sais foutrement rien.
« Vous êtes insupportable. »

MUSIC~ Nous avions beau être dans une morgue, je trouvais que l’atmosphère était particulièrement glaciale, en ce moment. Entre lui et moi. Nous étions entre hommes, certes, mais quand je voyais comment il se comportait, je ne pouvais m’empêcher de le voir comme un gamin en train de jouer avec mes pieds comme on joue avec des billes. Je me rendais bien compte que ce jeune garçon jouait avec moi, mais je ne voyais pas ce que ça pouvait lui apporter. En tout cas, il me pompait l’air, indéniablement.

« En personne. » Bien sûr, je perçus parfaitement la disparition de son sourire à l’évocation de mon titre. J’eus un soupir. Bingo. Il avait entendu parler de moi, d’une façon ou d’une autre. Et il me regardait, comme si j’allais le féliciter pour sa perspicacité. La bonne blague.
Mais au moins, quand il me précisa qu’il ne pouvait pas être mon fils, ça me fit vraiment comme un fameux soulagement. Je n’aurais pas voulu, pour rien au monde, vraiment, avoir engendré un dingue pareil. Je notais mentalement le nom du père, justement. C’était une information qui pouvait être utile, un jour où l’autre. Sait-on jamais.
Il faudrait que je me renseigne sur ce type. Et sur son père. Même s’il était porté disparu, j’avais mes réseaux d’informations et je pouvais sans aucun doute chercher de quoi il retournait. Si le père était comme le fils, ce ne serait pas étonnant que quelqu’un l’ait plombé pour insolence ou pour outrage ou je ne sais quoi d’autre. Famille de boulets, peut-être. Je n’en savais rien, mais c’était une probabilité.

« Eh bien, encore heureux. » Je n’aurais pas voulu être le pauvre type ayant engendré un taré pareil. C’était bien mieux d’être seul et de ne pas créer la vie… surtout quand on voit ce que c’est cette vie. J’aurais pas voulu pondre un môme qui aurait mené une vie de merde, juste parce que la vie était de la merde. C’était un peu égoïste de faire des gosses, dans cette idée. « Vos taquineries laissent à désirer. »

Je restais assez stoïque, il était hors de question de surenchérir sur la situation. Cette personne était un insupportable petit gamin immature et ennuyeux.
« Je sais que je ne suis pas parfait, mais je n’emmerde pas les honnêtes gens.» Honnête, oui, je l’étais. Je gagnais ma vie de façon pas très légale, mais je détestais le mensonge et les faussetés en tous genres. L’honnêteté, c’était ce qui m’arrangeait le mieux. Et je préférais ça. « Alors, dégagez. Qu’est-ce que vous foutez là, à me faire perdre mon temps, si vous connaissez des gens bien mieux que moi ? »

Je voulais qu’il s’en aille, qu’il arrête de me taper sur le système. Et pour une fois, il semblait sur le point de réaliser mon vœu. Alleluia.
« Nous ne travaillons pas ensemble, non. Je bosse ici. Vous à la morgue. On n’a pas le même lieu de travail. On n’a pas le même employeur. Alors, oui, allez-vous en et foutez-moi la paix. »

MUSIC~ Au moins, pour une fois, nous arrivions à tomber d’accord sur un sujet. Il n’avait pas à être ici. Il devait partir. C’était tout ce qui m’importait, oui, qu’il s’en aille, loin, qu’il ne revienne pas m’emmerder… Je ne pensais pas être spécialement dur avec lui, mais c’était bien plus simple pour moi de n’avoir personne dans les pattes. Surtout s’il avait entendu parler du Black Kaiser. Rien que pour cela, j’aurais pu… ou même j’aurais dû lui loger une balle bien placée. Quoi de mieux que la mort pour s’assurer du silence ?

Il restait calme, sans doute parce qu’il avait besoin de se sentir maître de ses émotions, mais je connaissais bien les façades que les gens pouvaient se donner en face de moi. Jamais je n’avais jugé personne pour cela, mais je ne voulais pas non plus qu’il me prenne pour un homme gentil qui allait sans problème laisser passer toutes ces conneries.

Quand il me tourna le dos, après avoir jeté la carte du funérarium, je me sentis comme soulagé. Le voir partir, c’était tout ce que j’avais souhaité. Je me sentais bien plus à l’aise quand j’étais seul.
Il sortit, donc, et je m’en sentis terriblement soulagé. Je préférais le savoir dehors et c’était bien plus facile comme ça. Au moins, s’il était loin de moi, il ne pouvait plus m’ennuyer.

Je risquais de le croiser parfois à la morgue, c’était sûr, mais je n’aurais pas à supporter son insolence. Je ferais en sorte de ne pas avoir à le faire. Peut-être que je devrais lui mettre un ultimatum pour qu’il comprenne qu’il ne fallait pas me gonfler.

Je regardais ma montre. Il était sorti depuis quelques instants, ça devait être suffisant pour que je puisse sortir fumer une clope. Ce que je fis.
Il pleuvait. Et depuis le garage aux corbillards, je vis sa silhouette. Le petit enfoiré était encore là. Dans l’obscurité du garage, je demeurais silencieux. Il suffirait juste que le vent amène l’odeur du tabac pour qu’il sache que j’étais là, mais pour l’heure, le vent était avec moi. Et j’entendis ses paroles.

Wally… surnom qui me fit penser à un vieux dessin animé : Wally l’alligator. Mais je préférais la parodie : il arrive et sème la mort. Ça me parlait plus.
Tu as tout gâché… euh… gâché quoi ? il pensait qu’on allait devenir potes ? Mais il avait vu Jésus, lui… Entre sa dégaine de petit jeune et ma carcasse de vieil ours, on nous aurait comparés à Laurel et Hardy. Et puis, quand je voyais l’emmerdeur que c’était… non, je n’avais pas très envie de me lier à un type comme ça.
J’avais une excellente ouïe, mais j’avais les nerfs un peu à vif, suite à cette entrevue-confrontation. Je n’aimais pas me sentir comme ça, un peu trop énervé pour savourer ma cigarette, je tirais dessus avec plus de force et d’impatience que si je m’étais trouvé en train d’attendre… je ne savais pas pour combien de temps il allait rester là, ce « Wally », mais je n’avais pas très envie de le voir trainer là.

Je finis par me rapprocher de lui et je le chopais par le col pour le soulever du sol et le plaquer contre le mur : « Il y a quelque chose que vous n’avez pas compris ? »
Il commençait à pleuvoir. Pas une petite bruine légère, mais une pluie qui ne tarderait pas à s’intensifier, à en voir les nuages qui s’entassaient dans le ciel. « Je pensais avoir été clair. »
Non, en fait, j’en étais sûr. On n’aurait pas pu être plus clair.
Par ailleurs, j’espérais que mon patron n’allait pas rappliquer dans un moment pareil. Ce n’étaient pas des manières de faire cela avec des gens qui pourraient faire un jour partie de notre clientèle.

MUSIC~ Qu’est-ce qui m’avait pris ? Eh bien, rien de spécial, j’avais eu envie et besoin d’agir. Je ne voulais pas que les choses s’enveniment avec ce petit, mais j’avais eu énormément de mal à ne pas péter un plomb directement. Pour le moment, donc, ayant soulevé le garçon par son col, je le tenais plaqué contre le mur, mon visage près du sien, comme prêt à lui mettre un coup de boule si jamais cela devenait nécessaire. De quoi l’assommer d’un coup, vu sa carrure, il ne devait pas être du genre à tenir contre un coup de boule puissant.
Ce qu’il foutait là, ce n’était pas bien important, si je l’écoutais… mais pourtant, il était encore et toujours présent. Comme s’il refusait de me laisser tranquille, malgré tout ce que j’avais fait pour essayer de le pousser à partir. C’était pire qu’un chewing-gum collé sur une semelle.

Alors, il me disait qu’il avait compris et que j’avais été clair… mais ça ne l’empêchait pas d’être encore là. Il prétexta qu’il devait attendre un taxi. La poisse, ce genre de chose, c’était toujours comme ça… quand on voulait que quelqu’un dégage rapidement, comme par hasard, le temps semblait terriblement long. C’était la loi de la relativité, évidemment, mais j’avais régulièrement l’occasion d’expérimenter cela dans des situations comme celle-ci.

« Un taxi, hein ?... quand on veut faire de la filature, c’est pas le plus pratique ni le plus discret. » C’était plus simple d’avoir son propre véhicule, bien sûr, mais ce n’était pas donné à tout le monde.
Je le maintenais encore, fermement, sans bouger d’un iota. Ce n’était pas le fait qu’il ait les bras ballants qui allait changer les choses, je n’avais pas envie de lui permettre de partir. Ce serait bien trop facile… et il n’avait rien fait pour mériter que je fasse preuve de largesse ou d’une générosité quelconque.

Et puis… il me proposa de le frapper. Ma mâchoire se crispa. Je tuais des gens, oui, mais je n’étais pas ce genre de connard qui cognait sur des petits morveux.
« Je n’ai pas envie de vous frapper. Je n’y prendrais aucun plaisir. » Je ne savais pas pour qui il me prenait, mais je ne frappais pas sans raison. Et je n’étais pas un type aussi taré et débile que Blut. Ce serait tellement idiot de lui éclater la tête ici, aussi, ce ne serait pas bon pour les affaires. « Vous êtes complètement malade. »

Je le relâchais d’un coup, le laissant retomber sans prévenir. Ce garçon avait besoin qu’on le calme. Je n’étais pas sûr qu’il s’était adressé à la bonne personne pour ça, mais c’était là qu’on en était.
Je ne voudrais pas le frapper, mais il était clair qu’une partie de moi aurait sans doute apprécié lui faire comprendre qu’il m’avait énervé. « Foutez-le camp, Graham. »
Qu’il aille chercher son père et qu’il arrête de m’emmerder. C’était tout ce que je voulais en cet instant.

MUSIC~ Tout cela était énervant. Vraiment. Ce jeune homme était une aberration à mes yeux et je n’arrivais pas à comprendre pourquoi il avait à tout prix voulu venir jusqu’ici. Il était là, insupportable, et me donnait envie de le faire dégager par la force… mais j’avais réussi à rester calme. À peu près.
Je n’avais pas eu besoin de faire plus que le plaquer au mur et de grogner quelques mots. Encore heureux. Le peu de paroles que nous échangeâmes encore me rendirent un peu plus calme. Il avait ENFIN compris que je ne voulais pas de lui ici. Il m’avait suffisamment gonflé à la morgue. Puis ici.

Je n’étais pas fin psychologue, mais ça m’échappait complètement, le comportement de ce garçon. Il me semblait que j’avais été clair dès le début et je n’avais pas laissé place à la moindre équivoque… Et pourtant, il avait continué, il m’avait suivi, il était venu jusqu’ici, il m’avait de nouveau parlé… Il ne me serait jamais venu à l’idée de faire ça si un type plus baraqué, plus âgé et clairement pas d’humeur m’avait envoyé me faire voir.
Lui, si.
J’étais à peu près sûr que ce n’était pas une attitude logique. Il aimait qu’on le bouscule, peut-être, ou qu’on l’insulte. Peut-être même qu’il aimait qu’on lui fasse mal… J’eus un soupir en le regardant s’éloigner sous la pluie battante. Il y avait clairement des gens qui n’étaient pas nets.

J’espérais que ce jeune homme allait pouvoir m’éviter les prochains jours. Très sincèrement, je n’étais pas pressé de le revoir. Parce que je n’étais pas sûr de pouvoir garder mon calme et mon flegme. Que se passerait-il si je lui cassais la gueule ? Si ça se passait à la morgue, je supposais que, dans le meilleur des cas, on m’interdirait de revenir à l’hôpital. Ce serait alors un de mes collègues qui viendrait faire ce boulot à ma place, aller chercher un corps ou l’autre et l’amener aux pompes funèbres.
Je pourrais bien m’occuper simplement des mises en bière et ne plus être obligé d’aller me confronter à des personnes comme lui. Ce ne serait pas une grande perte pour moi.

Mais est-ce que j’allais devoir revoir ce Graham ? C’était ça qui m’ennuyait. Je n’avais pas d’autre choix que de le faire partir… mais je n’arrivais pas à déterminer comment j’allais devoir agir ensuite.

Une fois qu’il s’en fut allé, je rentrais au funérarium. Je n’avais rien ici pour me calmer. J’aurais bien volontiers passé mes nerfs sur un sac de frappe ou sur une cible, mais il allait falloir que je rentre chez moi pour ça. Et je ne pouvais qu’espérer que le jeune homme n’allait pas faire en sorte de trouver mon adresse ou d’essayer de me suivre jusque chez moi. C’était hors de question de l’avoir dans les pattes chez moi, en plus du reste.
Peut-être que j’allais devoir faire appel à un avocat pour me protéger de ces conneries ?

Je pris une flasque de whisky et en bus quelques gorgées. J’allais rentrer, il n’y avait rien d’autre à faire.