La visite d’une assistante sociale à intervalles réguliers était devenu une habitude pour Paul, depuis que la petite Mary lui avait été confiée, trois ans auparavant. Certains enfants avaient eu le droit à une famille d’accueil, pour une raison ou pour une autre. Mais des personnes avaient été affectés au service d’assistance sociale pour s’assurer que tout se passait bien avec ces enfants et qu’ils n’étaient pas en danger. C’était une sécurité dans cet endroit où les gens provenaient de bien des endroits différents, où les règles et les modes de fonctionnement n’étaient peut-être pas les mêmes. L’essentiel était la sécurité physique et affective des enfants.

Les visites de l’assistante se faisaient souvent par surprise, en dehors des heures de classe et de travail, afin de surprendre la famille dans sa vie quotidienne et d’éviter que les gens ne se préparent trop à leur arrivée. Elle avait ainsi surpris Paul et Mary en pleine bataille d’oreillers, riant aux éclats et couverts de plume. Sans se formaliser, elle avait accepté une tasse de thé et s’était installer dans le canapé face à un Paul pas encore déplumé, avant de s’entretenir de la jeune fille dont le bien-être se voyait sur le visage. Il pouvait dire une chose, c’était qu’elle était bienveillante.

Alors quand une visite non prévue d’invita à sa porte, ce fut vers l’assistante sociale que l’esprit de Paul partit en premier, mais la jeune femme qui se tenait sur le seuil n’était pas celle qu’il avait l’habitude de rencontrer. D’ailleurs, elle ne lui était pas inconnue. Ce que pouvait bien faire Madeleine de Fleurville sur le pas de sa porte, Paul n’en avait aucune idée, mais ses yeux s’ouvrirent grands sous l’effet de la stupéfaction. Cela dit, il avait récemment retrouvé Sophie et Camille, Madeleine n’était qu’un élément en plus de la liste. Il aurait sans-doute dû s’y attendre.

« Madeleine ? Madeleine de Fleurville ? »

Encore sous l’effet du choc, il oublia pendant un instant de s’écarter pour la laisser entrer. Se rendant compte de son impolitesse, il s’empressa de le faire en bredouillant des excuses peu compréhensibles. Il était sous l’état du choc. Il ne savait pas comment elle l’avait retrouvée ni ce qu’elle faisait exactement là, mais dans tous les cas, sa visite lui faisait plaisir. Il sourit à sa petite princesse qui était sage, cette fois, occupée à faire quelques uns de ses devoirs sur la table du salon. Paul n’avait jamais besoin de la bousculer pour qu’elle le fasse, de toute façon.

« Entre, installe-toi, tu veux une tasse de thé ? » demanda-t-il un peu précipitamment avant de se reprendre en croisant le regard de sa fille adoptive. « Je te présente Mary, ma fille adoptive. »

La fin du discours était plus tranquille. C’était bien lui ça de s’emmêler les pinceaux parce qu’il venait de retrouver une vieille amie. Elle allait sûrement se moquer de lui et elle aurait bien raison. Il était temps de se reprendre, après tout, il n’y avait pas raison de s’embrouiller.

L’émotion était forte de retrouver la jeune femme qui faisait partie, elle aussi, du groupe de son enfance. Paul comprit pourtant rapidement que la visite de l'assistante sociale n'avait pas été annulée mais que Madeleine avait seulement repris le dossier de Paul et Mary. C’était un dossier qui n'avait jamais posé de problème parce que le duo avait toujours bien fonctionné. Ils s'épaulaient dans la vie de tous les jours et Mary avait tout le loisir d'être aussi une enfant de son âge, même si elle souhaitait contribuer à la famille de son mieux. Paul n'avait donc pas d'inquiétude sur la reprise du dossier.

Il se rendit donc dans la cuisine pour préparer une tasse de thé et laissa Madeleine s'installer et bavarder avec Mary. Paul ne craignait rien. Non seulement Mary était parfaitement éduquée et Madeleine pourrait-elle en juger par elle-même, mais il avait la certitude qu'elle était pleinement heureuse avec lui, étant donné qu'elle ne rencontrait aucune difficulté pour le lui formuler régulièrement. Le thé prêt, il retourna auprès de Madeleine et en posa une tasse devant elle ainsi qu'une devant sa fille. Se posant devant sa propre tasse, il se demanda à quel point la question de Madeleine visait à clarifier le dossier et à quel point elle avait vraiment envie d'en savoir plus sur lui et sur sa fille, par amitié.

« Nous nous sommes rencontrés quand tout le monde est arrivé dans cette ville. J’ai tout de suite pu voir à qu'elle était toute seule sans sa famille. Alors j'ai décidé de la garder avec moi et de veiller sur elle. Nous nous sommes tout de suite entendus, n'est-ce pas Mary ? »

Il offrit un sourire tendre à la jeune fille. Il se souvenait parfaitement du moment de leur rencontre. Elle avait été tellement bienveillante avec lui alors qu'elle avait elle aussi perdu sa famille. Le jeune homme avait tout de suite su qu’il avait envie de veiller sur elle tant qu'il ne retrouverait pas ses parents. Il comprenait que les services sociaux surveillent tous les parents adoptants, mais il était évident qu'il n'y aurait jamais aucun problème entre eux. Il avait promis de toujours bien s'occuper d'elle et il le ferait.

« Nous sommes plutôt bien ici. Je commence à avoir pas mal de grosses commandes, et Mary s'en sort admirablement à l'école. Sa vue m’inquiète un peu, mais nous devrions pouvoir consulter un spécialiste d’ici peu de temps. »

Paul avait l'intention d'attendre que la jeune femme ait pris tous les renseignements dont elle avait besoin avant de se renseigner lui-même sur ses nouvelles. Après tout, il était très curieux de savoir ce que son amie avait fait pendant les trois dernières années.

Cela faisait du bien à Paul de partager ce qu’il avait vécu avec Mary avec Madeleine, son amie depuis si longtemps. Finalement, son emploi était une bonne chose. Il avait une bonne raison pour ne rien lui cacher et en même temps, il était si heureux de la revoir. Tout cela était vraiment de bonnes nouvelles et Paul sourit quand elle remarqua qu’ils s’étaient bien trouvés. Elle avait raison. Il n’aurait pu espérer une fille plus parfaite pour lui que Mary. Elle ne lui demandait pas excessivement d’attentions, bien qu’il soit prêt à lui donner toute celle qu’il lui fallait.

« Mary est une enfant merveilleuse », répondit Paul avec un regard tendre pour sa fille. « J’ai énormément de chance. »

Il laissa Mary expliquer ce qu’elle voulait faire de sa vie. Elle avait toujours voulu être maîtresse d’école, même avant d’arriver dans ce monde. Certaines personnes avaient revu leurs ambitions à la hausse ou à la baisse en arrivant ici, mais Mary s’en tenait aux rêves qu’elle avait toujours eus et Paul trouvait que c’était une belle façon de vivre sa vie. Il ferait tout pour encourager ses rêves et ses ambitions et il avait la certitude qu’elle serait parfaite pour faire profiter de son expérience les plus jeunes quand elle aurait atteint le niveau pour devenir enseignante. Elle en avait les moyens.

« Je suis sûr que tu feras une merveilleuse maîtresse d’école. »

Le travail de Madeleine impliquait aussi de connaître l’état de santé de Mary et Paul lui partagea la crainte qu’il avait pour la vue de la jeune fille. C’était quelque chose qui lui tournait en tête depuis un moment, et dans un sens, cela le soulageait de pouvoir en parler à une amie, même si cela était aussi en rapport avec son métier. Elle lui proposa d’ailleurs de lui offrir une liste de spécialistes qui pourraient peut-être l’aider à trouver des solutions. Le souci, c’était que Paul et Mary en avaient consulté plusieurs sans aucun résultat. L’espoir diminuait à chaque consultation.

« Nous en avons déjà consulté beaucoup, tu sais. Le souci, c’est que personne ne parvient à trouver la cause sous-jacente, et il semblerait que ce soit le premier pas pour une guérison assurée. On nous a parlé d’un diagnosticien, le Docteur House. Nous devons aller le voir rapidement. »

Paul devait bien avouer qu'il était content que ce soit Madeleine qui gère leur dossier. Il était certain qu'elle ne leur ferait aucun ennui puisqu'il traitait bien sa fille adoptive et qu'elle le connaissait assez pour savoir qu'il n'y avait pas lieu de s'inquiéter. La véritable inquiétude était pour la santé de la jeune fille, mais Paul avait déjà fait toutes les démarches nécessaires. Il le précisa tout de même à Madeleine car elle était la personne de référence et il importait qu'elle soit au courant de l'état de santé de l'adolescente. Pour autant, elle ne pouvait rien faire de plus, à part contacter le docteur s'il ne manifestait pas assez de bonne volonté. Paul attendrait de le voir pour savoir ce qu'il en était.

« J'en prends bonne note. Je te tiendrai au courant lorsque nous serons entrés en contact avec lui. Ça ne devrait plus tarder maintenant. »

Il demeurait que Madeleine était une amie et qu'il était heureux de l'avoir retrouvée. Il ne voulait pas qu'elle se sente enfermée par ses obligations d'assistante sociale mais qu'elle se sente le droit de passer si l'envie il lui en prenait. Ils se voyaient actuellement dans le cadre de son travail et le moment n'était pas vraiment propice en échange plus informelle pour le moment, mais dorénavant plus rien n'empêcherait de le mettre en place s'ils en avaient envie. Paul en était content et il espérait pouvoir avoir des moments avec toutes ses amies et sa cousine à l'occasion. Il était certain que cela ne manquerait pas d'arriver.

Pour le moment, il était l'heure de se séparer et Paul le comprenait très bien. Elle avait peut-être d'autres visites à faire ou du travail. Il était heureux d'avoir su lui donner l'image d'une famille unie et cela montrait bien que Mary et lui étaient tout à fait capable d'exprimer clairement comment ils vivaient cette situation. Madeleine avait tous les éléments pour reprendre le dossier et elle n'aurait sans doute pas plus besoin de leur faire de visite professionnelle que la personne qui s'occupait d'eux auparavant.

« Merci pour tout. On se recontacte bientôt pour se revoir à un moment plus tranquille entre amis. Bon courage pour ton boulot d'ici là »