Brossant avec attention la crinière de sa jumeau préférée, Rhaenys lui murmure en même temps des mots doux. Elle est le premier cheval avec lequel elle a noué un lien sur l’île. Depuis, les deux ne se quittent plus. Oh bien sûr, le lien n’est pas aussi fort que celui qu’elle avait partagé pendant plus de quarante ans avec sa dragonne, Meleys. Personne n’a jamais réellement été en mesure de comprendre l’attachement des Targaryen avec ces bêtes-là. Et même elle, elle ne serait pas en mesure de l’expliquer convenablement. Ce lien est plus fort que tout et que ce soit le dragon ou le dragonnier, l’autre comme l’autre est prêt à tout pour protéger l’autre. En l’espace de ces quarante années, Rhaenys avait eu le temps d’apprendre à connaître et comprendre parfaitement Meleys. La dragonne était née bien avant Rhaenys, mais les deux étaient faites pour être unies et se battre ensemble. Son mari Corlys lui demandait régulièrement ce qu’elle éprouvait au contact de son dragon. Ses réponses étaient toujours les mêmes, tandis qu’elle esquissait un sourire doux et rêveur. Aujourd’hui, Meleys était introuvable, hélas. Être séparée de son dragon lui était très difficile. Corlys aussi lui manquait terriblement. Mais Rhaenys est une femme forte, courageuse et fière. Malgré ces cinq années qui se sont déjà écoulées, elle reste confiante. Viendra le jour où elle obtiendra des réponses et saura ce qu’elle doit faire. Pour le moment, elle trouve un certain réconfort ici dans son ranch aux côtés des chevaux et de la mer. Lorsqu’elle ferme les yeux, elle revoit sans mal Corlys, mais aussi ses enfants Laena et Laenor. Leur disparation demeurera à jamais une douleur dans son cœur dont elle ne cicatrisera pas. Elle doit simplement continuer à vivre avec.

Une fois le brossage de sa jumeau terminée, Rhaenys s’attarde encore un peu à ses côtés pour quelques câlins avant de la ramener dans son box. Elle serait bien restée là pour le reste de la journée, mais elle doit se rendre en ville. En tant que politicienne, elle a pas mal d’engagements à respecter. Elle qui avait été écartée du pouvoir à plusieurs reprises en raison de son sexe, elle avait su trouver du réconfort dans sa nouvelle voie. Devenir sénatrice est sans aucun doute la meilleure décision qu’elle ait prise. Son rôle est certes très différent de celui qu’elle aurait eu en tant que reine des sept couronnes, mais c’est une fonction qui lui plaît énormément. Pour la première fois de sa vie, on l’écoute avec attention, on la respecte et ses idées sont toujours bien perçues. À vrai dire, Rhaenys est plus que douée dans le domaine de la politique. Elle a plus d’une réussi à faire passer pour des parfaits idiots des rivaux mâles et sincèrement, ça fait beaucoup de bien. Oh, Rhaenys avait fait son deuil de monter sur le trône de fer depuis bien longtemps, mais elle en a toujours gardé un souvenir amer. Aussi, c’est en quelques sortes sa revanche cette nouvelle vie. En revanche, l’adaptation à ce monde très moderne a été particulièrement ardu et complexe. Aujourd’hui encore, elle ne comprend pas tout.

Après son rendez-vous de l’après-midi, Rhaenys décide de se promener un peu en ville, bien qu’elle n’apprécie guère cet environnement. Beaucoup trop pollué et bruyant pour elle. Aussi, elle est soulagée lorsque son regard est attiré par une boutique qui sort du lot. En s’approchant de la vitrine, elle relève qu’on l’y vend différents objets d’art. Elle décide d’y faire alors un tour, intriguée. Un tableau en particulier l’attire, si bien qu’elle ne remarque pas l’homme qui se trouve à l’arrière de la boutique.

Rhaenys n’aurait jamais pu manquer ce tableau. À vrai dire, c’est pratiquement la première chose sur lequel son regard s’est porté en entrant à l’intérieur de la boutique. En même temps, comment aurait-elle pu manquer cela ? Tout ce qui lui rappelle son ancienne vie est pour elle à la fois une douce nostalgie et douleur. Sa vie à Westeros n’avait pas été parfaite, loin de là à vrai dire, mais la blonde y garde naturellement un fort attachement. Après tout, on n’oublie jamais sa terre natale, quelle fut porteuse de joie ou de malheur. Néanmoins, elle n’est pas certaine que si elle avait le choix, elle y retournerait. Ses deux enfants étaient décédés, on l’avait écarté à deux reprises du trône parce qu’elle est une femme et son propre mari l’avait abandonné pour repartir conquérir les mers. Et pour finir, une guerre civile était sur le point d’éclater au sein de sa propre famille. Une guerre qui ne la concernait pas, puisque c’était entres les héritiers du trône de fer et qu’elle n’en faisait plus partie depuis que son grand-père lui avait choisi son cousin Viserys. Au fond, Rhaenys ne peut nier qu’elle garde une certaine rancœur de tout cela. Aussi, elle songe qu’avoir refait sa vie dans ce monde moderne, trop pour elle certes, est sans aucun doute la meilleure chose qui lui soit arrivée depuis très longtemps. La seule personne qu’elle regrette réellement de Westeros, c’est bien évidemment sa dragonne Meleys. Cela lui brise le cœur de songer qu’elle est toujours là-bas à Peyredragon à l’attendre sagement. Elle pense bien évidemment à son mari Corlys aussi, mais elle son lien avec Meleys est cependant plus fort. Aussi toute représentation de dragons lui rappelle son amie.

La princesse est si absorbée par sa contemplation qu’elle ne remarque pas l’arrivée du propriétaire derrière elle et sursaute légèrement lorsqu’il s’adresse à elle d’une voix douce. Il lui présente le tableau et le commente. Rhaenys n’a pas la moindre idée où se situe Navarre, mais elle retient que cette œuvre commence à dater mais qu’elle est vraiment bien conservée. L’homme dit vrai. On dirait réellement que le dragon s’apprête à sortir de la toile afin d’ouvrir ses ailes. Mais le plus troublant dans cette représentation est que le dragon ressemble à s’y méprendre à sa chère Meleys. Rhaenys sent son cœur se serrer. Elle a traversé bien des épreuves au cours de sa vie, mais c’est la première fois depuis qu’elle a réclamé Meleys qu’elle se retrouve séparée d’elle.
Lentement, elle finit par détacher son regard du tableau pour s’intéresser au propriétaire de la boutique. Elle relève rapidement que c’est un homme élégant et plutôt agréable à regarder. Cette pensée la surprend quelque peu, elle qui n’a jamais eu d’intérêt pour d’autres hommes depuis son mariage avec Corlys.

- Merci monsieur pour ces informations. C’est un bien joli tableau. Elle sourit doucement. Même si la tentation est plutôt grande, Rhaenys se dit toutefois que ce serait plus sage pour elle de ne pas acheter ce tableau. L’avoir constamment chez elle serait bien trop douloureux, même si elle est fortement attirée.

La question que lui pose l’homme la surprend. Est-ce un simple hasard qui lui demande cela ou a-t-il senti qu’elle possède une connexion avec ces derniers ?

- Disons que je ne suis pas étrangère à eux, en effet. Et vous ? Vous y intéresserez-vous ?  

En vérité, il est bien loin du compte. L’homme ne doit pas se douter un seul instant que Rhaenys possède plus qu’un simple lien avec les dragons. Elle peut sans mal imaginer sa réaction si jamais elle lui apprenait qu’elle possède son propre dragon et que la connexion qu’elle partage avec lui est plus fort que tout. Cela l’amuse davantage lorsque le propriétaire lui dit qu’il est toujours resté loin d’eux, ne désirant pas finir comme poulet rôti. Elle est cependant intriguée lorsqu’il lui explique que les dragons dans son monde n’accordent leur confiance qu’à leurs soigneurs et qu’ils servent parfois à protéger les banques. Il n’existe donc aucune connexion entre les humains et les dragons plus profonde ? Rhaenys ne peut s’empêcher de trouver cela un peu triste. En même temps, elle n’est pas la mieux placée pour donner un avis objectif. Forcément, les dragons auront toujours une place spéciale dans son cœur. Être séparée de Corlys lui est difficile, mais l’être de Meleys est comme si une part d’elle l’a quitté. Et certains jours, vivre sans elle est extrêmement pénible, comme si elle ne parvenait plus à respirer correctement. Le lien qu’elle partage avec sa dragonne est profond et très fort. Même Corlys n’a jamais pu comprendre à quel point sa connexion avec Meleys est profonde. À vrai dire, Rhaenys elle-même a bien du mal à décrire parfaitement cela. C’est unique tout simplement et propre à sa famille, les Targaryen.

- Protéger des banques dites-vous ? Cela est fort grotesque. Pardonnez-moi, mais ces créatures sont bien plus que de simples gardiens. Ils sont simplement méconnus si vous voulez mon avis.

Ce sont des créatures effrayantes, redoutables et dangereuses, il est vrai. Mais, ils sont bien plus que cela. Toutefois, Rhaenys n’est pas venue aujourd’hui dans cette boutique pour essayer de faire comprendre au propriétaire ce que sont réellement les dragons. Elle est venue à la base dans l’optique d’admirer les œuvres présentées et pourquoi pas repartir avec l’une entre les mains. Pourtant, la princesse a le sentiment qu’être tombée sur ce tableau n’est pas une simple coïncidence. Mais probablement qu’elle se fait des idées.
Posant à nouveau son regard sur le propriétaire de la boutique, Rhaenys ne peut s’empêcher d’esquisser un petit sourire. Ce dernier semble prendre son rôle très à cœur et il est évident qu’il souhaite qu’elle possède toutes les informations nécessaires concernant le tableau. Il ne peut pas savoir qu’en réalité ce qui l’intéresse vraiment n’est pas l’œuvre mais bien le dragon. Si ça avait été une statuette, le résultat aurait été le même.

- Pas le moins du monde monsieur. Vous remplissez simplement le rôle qui vous incombe en tant que propriétaire de cette charmante boutique. Et je ne peux qu’être d’accord avec vous, ce tableau est vraiment magnifique. Enfin si je puis préciser, je dirai surtout que le dragon est magnifique. Vous savez pour quelqu’un qui ne s’est jamais approché de près d’un dragon, vous en savez bien plus que la plupart des gens. Elle laisse alors échapper un petit rire après cette remarque.