Not a braincell to be found behind those eyes

Mais après tout, si tu n'as pas aimé que je t'embrasse, je suppose que tout est clair.

Ah – s’il avait eu la force, le courage de mieux s’expliquer. Mais non; Sakhr avait été exténué et s’était profondément endormi. Même qu'il avait dormi comme un bébé, cette nuit-là, et un poids évident s’était levé de ses épaules depuis. Il semblait plus à l’aise en ta présence (enfin… pas comme s’il n’était pas à ses aises habituellement, hein). Après tout était-il un gros farceur, égoïste et égocentrique, mais en tout cas en sa présence on ne s’ennuie jamais.

Ce qui nous emmène à aujourd’hui.

Sakhr ne savait pas aborder avec toi le fait que si c’était vrai qu’il avait rejeté tes avances et le contact physique de vos lèvres quelques mois plus tôt, maintenant c’était quelque chose auquel il pensait souvent, non plus avec dégoût, mais avec l’envie évidente que ça se produise à nouveau. L’approche directe aurait été efficace, mais ceci dit, ce n’était vraiment pas son style! Puis il faut dire que Sakhr ne comprend rien de tout ça – pas comment l’aborder, ni pourquoi l’aborder, ni pourquoi ça lui arrive. Le monde était bien, bien plus simple avant qu’il ne constate qu’il aimait certains contacts corporels (les tiens), et aujourd’hui il se trouvait en proie à une envie subite et, à son avis, fort ridicule : il avait vu deux personnes se faire un câlin sur sa route du matin et maintenant il avait une envie furieuse d’en avoir un lui aussi.

Le seul qui à ce jour lui a fait un câlin, c’est le vendeur de crème glacée près de chez lui. Un presque total inconnu à ce moment-là, le contact n’avait pas été hyper désagréable, et maintenant c’était sa lubie du jour.

Ce qui nous amène chez toi.

Chez toi, tu n’y es pas si souvent que ça. Tu es en général en train de travailler, ou en train de fréquenter on-ne-sait-qui. Enfin; Sakhr savait qui, d’une part parce qu’il avait accès à ton calendrier personnel, et de l’autre… et bien nous tairons l’autre, après tout il faut garder un peu de mystère et Sakhr adore faire mystérieux. Pour le moment, tu étais encore chez toi, ce qui était bien heureux puisque c’est bien toi que Sakhr venait voir, pour la peine. Installé dans ton bureau comme toujours, c’est là que notre histoire commence vraiment.

Ce qui nous emmène à la bête.

Un chat – un matou orange, un perse au visage tout écrasé et aux yeux bien bruns – vient se frotter contre ta jambe. C’est, bien entendu, Sakhr sous un déguisement. Sache que cette transformation n’est ni aléatoire ni facile. D’une part parce que Sakhr reste suspicieux des chats en général et n’aime pas en prendre la forme (comme ils sont capables de percer le voile dans son monde et de voir l’apparence de certains démons), mais en plus, il devait trouver la forme parfaite. Au final, il s’était arrêté sur un chat perse parce que leur visage moche (son avis) lui parle, et la couleur orange est censée représenter son feu intérieur. Oui; Sakhr y a mis du sien dans cette transformation… si seulement il avait mis plus de temps sur l’application, il aurait peut-être remarqué que sa queue se séparait en deux brins à la toute fin. Un détail qui, heureusement, était légèrement moins visible comme sa queue était particulièrement touffue.

Bref, un chat se frotte contre ta jambe. Un chat effronté qui s’arrête, perce ton regard du sien, et qui ose ensuite miauler comme si sa vie en dépendait. Ce qu’il voulait… et bien, on laisse ça à ton imagination. Après tout, c’est toi le vrai minet dans cette histoire, tu sais probablement plus ce que Sakhr raconte que moi (je sais, un chat et un lion c’est très différent, mais c’est quand même plus près d’un lion que d’un humain, quoi). Sa (ses) queue bat contre le sol heureusement propre, montrant bien que malgré son hurlement, le chat est dans de bonnes dispositions.

Le chat éternue, sans doute la meilleure manière qu’il a d’exprimer qu’il n’était pas moche… enfin pas si moche… enfin… Il n’y a que lui qui avait le droit de le dire et le penser! Malheureusement, cet éternuement se manifeste avec une bonne dose de mucus qui vient s’éparpiller en gouttelettes éparses sur tes pieds, ce qui n’est, évidemment, pas vraiment ragoutant. Quand même, il répond d’un miaulement un peu mieux contrôlé alors que tu lui parles de ton délire d’émission de télévision de chats moches, après tout, il te reconnait bien là et, taquin, il vient se frotter contre tes jambes pour y déposer quelques poils roux clair.

Certes, il ne passe pas du tout sous la porte, pas sous cette forme en tout cas, mais il n’était pas question de te répondre; non, le chat te regarde de ses grands yeux bien bruns, légèrement humides, comme s’il attendait quelque chose de ta part – son ronronnement de moteur d’avion rendant très claire sa disposition, pour le moment. Bon, il ne s’attendait pas à ce que tu foutes du thon sur la table de la cuisine, hein, mais Sakhr se dit que c’est important de jouer le jeu. Bon, maintenant, plutôt que de simplement bondir sur la table pour aller dévorer tout ça, le voilà qui d’un bond fluide se met sur une chaise tout près, et puis s’étire, pattes arrières sur la chaise, l’avant de son corps sur la table, pour étirer son cou et manger le thon sur l’assiette qui lui a été servie.

As-tu déjà vu ça, un chat qui mange à table, installé sur une chaise comme s’il était un humain? Comique, un peu, comme circonstances, pas vrai? Mais le chat termine son assiette – faut croire que le thon faisait son affaire- et puis il se dirige vers le canapé du salon pour commencer une toilette sommaire de son visage, histoire de s’assurer de n’avoir de miettes de thon nulle part, ce serait honteux autrement! Mais l’affreuse bête miaule et miaule pour que tu viennes l’y rejoindre… de petits miaulements doucereux, rien qui t’empêche de travailler cette fois, pas de hurlement de mort, mais une requête bien simple pour avoir de l’attention, toutefois.

Est-ce que Sakhr réalise à quel point tu détestes qu’on te dérange au travail? Est-ce qu’il sait que tu n’aimes pas qu’on se colle trop à toi? À quelque part, au fond de lui, il le sait – c’est pour ça qu’il a pris la forme innocente de ce chat, après tout. Mais bon, voilà, Sakhr était une petite peste et il agissait de la sorte. Quand même, après deux-trois miaulements, le voilà qui s’étire, fait des ronds sur un coussin, et puis s’y installe pour une sieste dument méritée, le temps que tu reviennes vers lui.