When a God and a Demon meet ft Hermès + Sakhr

Les centre d’achats sont un endroit terrifiant, quand on y pense, invention humaine pour s’enfermer des heures durant pour marcher de magasin en magasin, pour dépenser plus que ce que l’on possède et ce pour avoir accès à toutes les nouveautés. C’est aussi un endroit où les p’tits vieux se réunissent sans faute, en hiver pour profiter du chauffage et en été pour profiter de la climatisation. On peut pas leur en vouloir, après tout le centre d’achat est un des derniers remparts de la civilisation où les humains peuvent congréer sans techniquement avoir à dépenser de l'argent. Ici, on peut juste exister, enfin, tant qu’on ne fait rien de trop louche je suppose. Une fois j’y suis venu et je me suis trempé les pieds dans une fontaine, et ça, ils ont pas trop aimés (pourquoi mettre une fontaine en pleine centre commercial si on peut pas s’y rafraichir, en même temps…)

Moi?

Moi je suis là pour la compagnie, bien sûr.

Les petits vieux, après tout, ils sont là pour sociabiliser, et si y’a bien une personne ici qui aime bavarder pour rien dire, c’est moi. J’adore entendre leurs histoires et radoter sur les miennes (quoiqu’on me pense surtout petit farceur, si seulement ils savaient…), et puis c’est pas dégueu non plus qu’à force, on me considère comme « le petit-fils qu’ils ont jamais eu ». Et je peux vous dire quelque chose : les p’tits vieux de Raccoon city sont peut-être pas pleins aux as, mais ils sont généreux. Un petit-déjeuner au resto ici, un petit 50$ là pour acheter de chocolat, vraiment, comment est-ce que je pourrais ne pas me plaire ici?

Et certes, ça implique que quand je joue aux échecs avec eux, je dois perdre quelques fois pour leur faire plaisir. Je tends toujours le bras pour que les mamies puissent se relever et marcher d’un point à l’autre et, franchement, on pourrait me croire bonne personne, à force. Mais vous inquiétez pas, je suis aussi là pour collecter l’argent de l’assurance-vie et du testament!

Aujourd’hui c’est pas différent des autres lundi matin; je suis là à l’ouverture pour me faufiler à l’intérieur pendant qu’un des gardes de sécurité déverrouille la porte, et je m’assois sagement à notre « lieu de congrégation » pour attendre les premiers arrivés. Sauf que quand j’arrive, y’a déjà quelqu’un d’assis sur le banc de bois. Quelqu’un que je reconnais, en plus. « Hey, Hermes » je viens m’affaler sur le banc à tes côtés, prenant clairement trop d’espace comparativement à la taille de mon corps; j’ai les fesses au bord du banc, le dos affalé vers l’arrière, et un pied qui touche au bord du siège. On dirait sûrement un de ces chatons qui ont l’air plus d’un liquide que d’un solide, en fait.

« Faudra qu’tu dises par où t’es passé, je croyais que George était le premier à ouvrir la place » mais je coule un regard observateur vers toi; au fond, vu ce que je connais de toi, il serait pas surprenant que t’aies simplement dormi dans le centre commercial, d’une manière ou d’une autre. Et ça, c’est juste une théorie parmi tant d’autres (peut-être que t’as ouvert ta propre porte, peut-être que t’es passé par le toit, peut-être que t’es un shapeshifter et en fait tu es Georges, peut-être que tu n’es pas vraiment là, peut-être que tu est le propriétaire du centre commercial, vraiment, vous voyez le genre. Des théories plus passionnantes les unes que les autres).

« Toi aussi tu viens profiter de la climatisation? » parce que chez moi, on avait pas. Déjà parce que ça empirait mes symptômes d’allergies à la technologie quand j’en avais, mais aussi parce que la clim, ça coûte cher et ça fait du bruit; c’est mieux d’en profiter ici. Et puis de toute manière, si on avait un de ces machines, je suis certain que Jack, mon colloque, finirait par la démonter pour utiliser ses pièces dans une nouvelle invention douteuse (ou extraordinaire, y’a comme pas d’entre-deux avec lui).

Au-delà de ça, tu restes pour moi un mystère (et j’adore les mystères). Il y a à propos de toi une qualité qui n’a rien d’humaine et juste ça, ça me satisfait. Puis toutes nos dernières rencontres ont été… pour le moins formatives. Qu’y-a-t-il, donc, à ne pas aimer chez toi?

Tu glisses ton indexe à tes lèvres dans le signe plus ou moins universel du secret et je sens un frisson parcourir mon échine avec plaisir; rien ne m’amuse plus que ça, les secrets, et si je respecte en quelques sortes ton désir de ne pas m’avouer ton truc directement, ne va pas croire que je ne ferai pas mes propres recherches, ou que je ne vais pas te suivre en catimini un de ces jours pour le découvrir. Mais c’est un plaisir avoué pour demain (pas littéralement), quelque mystère à élucider bien qu’il ne soit surement pas si passionnant que ça. Et puis, étant moi-même un être de mystère, je pouvais reconnaitre le besoin viscéral de ne point montrer ses cartes.

Quand même, peu subtilement, un sourire carnassier se dessine sur mes lippes, l’espace d’un instant, avant que nous passions à autre chose, au reste de notre conversation qui ne fait que débuter.

Installé de manière semi-précaire, semi-évaché sur le banc, je ne peu qu’hocher positivement de la tête, satisfait de ta seconde réponse; « T’es une personne de qualité si tu peux reconnaitre la valeur de ce qui se trouve ici » dis-je, accompagnant ma parole d’un geste vague de la main qui désignait l’endroit autour de nous. C’est vrai; nous avons nos points en communs (et bien des points sur lesquels nous ne nous entendons pas), mais en te parlant j’ai l’impression que tu es plus grand que nature, en un sens (qui est peut-être littéral, je ne sais pas ce que tu es après tout), que le monde t’appartient et que tu ne crains rien. Tu es à mes yeux l’incarnation de concepts bien clairs; le marchandage, comme tu l’as mentionné, n’étant que l’un d’autre eux. Tu es une personnification vivante –

Et je me demande ce que cela veut dire pour moi, de moi. Est-ce que pour quelqu’un je suis la manifestation de quelques idéaux pervertis, ou juste un individu parmi tant d'autres? Ah – après des millénaires à être soumis à l’esclavage, disons qu’il m’est pour moi difficile de m’identifier en dehors de ce qu’on l’on a fait de moi. Un voleur, un tueur, un espion; un fier à bras, mais aussi un architecte, aussi un protecteur… Mais moi, qui suis-je? « T’as raison » dis-je en reléguant ces considérations à un autre des étages de ma conscience (j’en ai neuf, pour être plus précis, qui pensent en même temps) « les bancs sont hyper confo ici. Ils ont une petite courbe pour les fesses et le dossier aussi, son inventeur peut bien se féliciter » mon rire de hyène se propage dans al place semi-vide avec un peu d’écho, mais quelques p’tits vieux, les mêmes que d’habitude, commencent à faire leur entrée en scène.

Toi aussi, tu t’es mis à l’aise sur le banc; on doit probablement avoir l'air de deux voyous là, assis sur le banc bien évachés. Mais hey, deux personnes sur un banc, ça fait déjà beaucoup, et y'a de la place ailleurs. J’te dis; « C’est drôle hein, quand on est dans un endroit comme ici, c’est comme si le temps se déroulait plus lentement » c’est vrai; peut-être parce que c’était le summum de la paresse et du temps libre, au fond. Et puis je tourne la tête vers toi, et j’ajoute : « Facile de pas se presser quand on a tout le temps du monde devant soit… pas vrai? »

Ah; va pas croire que c’est une question rhétorique, ou même lancée en l’air. Je sais ce que je suis; immortel, d’une part. Vieux, plus vieux que bien des êtres ici peuvent l’imaginer; et pourtant face à toi, je me sens comme un gamin (quoique qu’en tant qu’essence, je n’ai jamais vraiment été « gamin »), un petit jeunot de rien. Non; avec cette question je t’affirme ce que moi je suis de manière assez subtile pour ne pas alerter qui ne saurait pas, et de l’autre, je viens picoter un peu le secret de ton existence.

Bon, après, vu comme c’est formulé, peut-être que tu pigeras pas et que j’aurais une réponse lambda… ou alors, tu m’en donneras une en connaissance de cause. Mais hey, on peut pas dire que j’aurai pas essayé.

J’éclate de rire, petit démon que je suis. Oui; ça m’amuse. Franchement, c’est un délicieux départ pour cette journée, ça, c’est certain. Je lance la main à Ern, un petit monsieur avec qui je joue souvent aux dames, avant de reporter mon attention vers toi, sourcil arqué vers le haut d’un air dubitatif. « Pas facile, la vie courte. Elle peut passer en un instant, sans que l’on ait vraiment eu l’impression de la vivre » et oui; le simple fait de vieillir dans ces cinq dernières années, ça avait été une expérience à la fois enrichissante et effrayante. Parce que dans l’immensité de ce que j’ai vécu, cinq années, ce n’est qu’une infime fraction de ma vie et de tous mes souvenirs, mais que mon corps continue à se dégrader et à vieillir, alors dans cinquante ans, je risque d’y passer.

Et certes, j’ai certainement l’impression que mon immortalité reviendra (ou qu’elle est revenue, difficile à dire vite fait, on s’en reparle dans dix ans) comme le reste de mes capacités l’ont fait, et il me vient l’idée de te faire une petite pique; « Parle pour toi en tout cas, moi j’ai l’intention de mourir avec cette tête. C’est quoi qu’ils disent? Live fast die young? The good die young?. Quelque chose comme ça » ah! Mais je ne suis ni jeune, ni en train de vivre ma vie à toute allure, en fait. Qu’importe, reste qu’il y a un brin de vérité dans ce que je dis, je vais effectivement garder mon air jeune pour le reste de ma vie. Et puis; « Même que si j’ai mon mot à dire, je ne mourrai pas » une phrase qui, certes, en temps normal viendrait à contredire la précédente. Mais on est passé ça, toi et moi, pas vrai?

Je ris. Fort, un peu, mais avec l’amusement d’un enfant qui découvre le monde. J’aime le sarcasme, c’est une arme humaine que j’ai appris à apprécier (et utiliser contre eux) à travers les âges. « Un jour, toi et moi, on comparera » dis-je, sourire carnassier aux lèvres; « Ça pourrait être surprenant » ouais; vite fait, on dirait presque je parle de mettre nos b*tes à la vue de tous pour comparer la taille. Quelle drôle d’invention humaine, ça. La vérité, c’est que la dernière fois que j’ai comparé, j’ai perdu, et de loin. Moi qui me croyais l’aïeul de mon colocataire, un type naïf à souhait, en apparence du moins, et excitable comme un gamin dans une bonbonnière (il se nourrit surtout de sucreries d’ailleurs…), je n’étais qu’une poussière dans la marge de sa vie. Alors ne va pas croire que j’assume que je suis le plus vieux des deux, ou quoi. Je suis juste…

Curieux.

La curiosité est un bien vilain défaut, après tout. Je pourrais regretter de savoir ce que je sais. En tout cas, je m’étire comme un félin, lâchant un bâillement sonore avant de me mettre sur mes pieds dans un petit bond agile. « Je viens de voir la vendeuse de bretzels frais ouvrir son étal » ah, oui, un mot qui trahissait peut-être légèrement mon âge. « C’moi qui offre, tu préfères sucré ou salé? » mon sourire s’étire et mon visage prend un air railleur – autant que tu dois connaitre mes activités douteuses, je me doute bien que tu n’es pas vraiment… « Après tout, tu ne dois pas rouler sur l’or avec ton salaire de facteur. Pas avec le prix des loyers en ce moment » moi, entre mon travail de filoutage et ce que Scar me paie, vraiment, je ne peux pas me plaindre. J’en ai assez pour vivre confortablement dans mon appartement avec mon coloc (qui ne paie rien dans l’appartement), autant dire que mon travail fait vivre deux personnes et leurs passions.

Enfin, j’offre surtout parce que j’ai la dalle et que je ne veux pas manger tout seul, et que c’est moins compliqué si c’est moi qui paie pour tout comme c’est moi qui m’en vais les chercher, rien de plus simple comme raison, en fait. Mais bon, c’est plus drôle de faire des piques sur ton métier de facteur, pas parce que je trouve que c’est un sous-métier… mais plus parce que tu trempes clairement tes mains dans plusieurs pots en même temps.

Je ris; rire d’hyène s’il en est un, c’est un rire qui désarçonne et déstabilise, mais ton rire à toi est tout aussi particulier ((nasal, en quelques sortes)), vraiment différent du miens, mais le sourire carnassier sur tes lèvres fait écho au miens. Nous sommes comme deux prédateurs qui s’avertissent l’un l'autre, sauf que nous jouons. Pousser les limites de l’autre – c’est tout un art, après tout.  J’adore pousser les gens dans leurs retranchements, les faire s’immoler de colère et s’abandonner dans leur haine, mais toi, tu ne peux pas être empoisonné de la sorte. Qu’importe; le processus est tout aussi intéressant que le résultat, après tout.

Debout, mouvant à reculons, je t’offre un clin d’œil complice et je passe ma main dans mes cheveux épais, imitant les annonces de shampooing pour cheveux d’un flip majestueux; « Je le vaut bien » dis-je, heureux l’espace d’un moment au moins. Et pour être clair – je vaut bien d’oser un peu, surtout quand il est question d’envoyer des piques ici et là. Puis j’ajoute; « Tu me donneras son numéro, faudrait que je la remercie, un tip de 20$, c’est pas tout les jours qu’on voit ça. » il ne fait pas doute, j’espère, que j’avais l’intention de lui en soutirer un peu moi aussi, de ces pourboires.

Bon, par contre, j’ai une histoire amour-haine avec le thé (surtout haine en fait), mais les sacrifices qu’on ferait pas pour le bien d’une dame généreuse…

Je pouffe de rire, m’inclinant bien bas avant de dire plus fort, me retournant complètement pour ne pas me fracasser contre le mobilier d’un comptoir de téléphonie : « Vos caprices sont mes désirs, noble homme! » ah; on s’amuse bien avec toi et je fais les trois pas qu’il me reste à faire vers le stand de bretzels pour commander deux gros tas de pain, je dis par-dessus le brouhaha, aucunement indisposé par les têtes qui se tournent vers moi, vers nous; « T’es intolérant au lactose toi? » et je reviens avec deux Bretzels bien chauds en main, chacun dans leur mince enveloppe de papier de laquelle ils dépassent. Le miens, en tout cas, n’a pas été enrobé de parmesan, ce qui explique peut-être ma question : il est évident que moi, le lactose, je le digère pas…

Je m’affale à nouveau à tes côtés, le dos contre d’accoudoir, une jambe à moitie repliée sous moi. Je te tends la chaude délicatesse, mordant dans la mienne avec joie. La bouffe, c’était quand même, pour moi en tout cas, une des meilleures choses qui m’était arrivée depuis ma transformations en humain. Avant, je mangeais pas, pas comme les humains en tout cas même si je pouvais croquer des trucs. Gouter, c’est vraiment différent, et je me suis découvert une petite passion pour les différentes cuisines du monde humain.

« Je me demande si Ptolémé aurait aimé les Bretzel » ça avait été dit tout bas, dans un moment de contemplation entre deux bouchées, avec une douceur surprenante pour mon énergie. Ptolémé, cet enfant humain qui avait su me fait comprendre qu’ils n’étaient pas tous horribles… mais aussi me faire comprendre que c’était possible et donc, vraiment déprimant que certains ne prennent pas la peine de faire mieux. Enfin bon, qu’importe. Je mâche, j’avale, ma tête se dressant vers l’arrière à chaque fois, à l’image d’oisillons, les yeux à demi fermés.

« Hermès »  dis-je, plus fort cette fois, mes yeux bruns se posant sur toi l’air de chercher pour quelque chose. Une hésitation, et puis un rire, et je prend une autre bouchée avant de dire ceci, et nous feront comme si c’était vraiment ce que je voulais te poser comme question : « T’as retrouvé du ton monde, toi? » ah; sujet épineux s’il en était un, mais si c’était une information privilégiée, t’avais qu’à me rembarrer ou m’offrir un bobard, au fond, t’es pas le genre à te forcer de répondre si t’as pas envie de partager l’information, quoi. Moi, je suis seul – et c’était aussi bien au fond.

« Tu penses à la possibilité de retourner chez toi, toi? » une autre grosse question bien personnelle, on dira que c’est la bonne bouffe qui me met dans l’humeur de poser toutes ces questions. Quand je suis arrivé ici, c’était mon but; trouver le sorcier qui m’avait enfermé dans cet enfer, et puis retourner chez moi. Mais après plus de quatre ans à y penser, la vérité c’est que j’étais mieux ici, pris dans ce corps humain, que dans la servitude qui m’attendait dans mon monde d’origine.

Un haussement d’épaules qui m’en dit presque plus que tes mots – nonchalant, sans conséquences, pour toi c’est aussi bien qu’ils soient là qu’ils n’y soient pas. Certes les raisons de cette nonchalance pourraient être nombreuses, mais tu ne tardes à joindre la parole au geste. Un paternel pas subtil… J’ai cru comprendre que les humains ont souvent des relations conflictuelles avec leurs parents, c’est dans leur nature; aussi ça ne m’étonne pas vraiment, la manière dont tu en parles. Moi, un paternel, j’en ai pas. Peut-être que je pourrais considérer les autres djinni comme des frères et sœurs, mais la vérité c’est que nous sommes constamment dressés les uns contre les autres quand nous sommes invoqués par les sorciers de mon monde, ce qui fait qu’il est dangereux, voir inconscient, de former des liens entre nous.

Ce qui n’est pas pour dire que je ne l’ai jamais fait – mais ces histoires là tournent trop souvent à la tragédie. Je dois avouer que sur le coup, je ne sais pas comment répondre; peut-être est-ce ton ton ou le fait que j’ai l’impression de demander quelque chose de délicat, en tout cas quelque chose me pousse au lieu de râler et de faire de moi le centre de l’attention. Comme quoi, même moi je peux penser aux autres… parfois. OU peut-être est-ce simplement ma curiosité naturelle qui se délecte de tes paroles; « Eh, t’as l’air d’avoir une grosse famille quand même. Mais si vous êtes pas vraiment soudés… »

C’est à mon tour de faire un haussement d’épaule; « T’es un drôle de bonhomme, toi » que j’ajoute, ajoutant mon ricanement au tiens; « Je suppose que la plupart des gens se sentiraient moins seuls dans ta position. Enfin du fait que t’es pas tout seul de ton monde, quoi. Mais j’avoue que si des gens de mon monde se pointaient le bout du nez et qu’ils étaient pas des gens que je souhaitais voir, mmm… enfin, je suppose que c’est aussi bien que je sois le seul » je me suis peut-être arrêté en cours de pensée, mais au moins j’ai terminé sur quelque chose de réel. Qui donc dans mon univers voulais-je recroiser qui n’était pas déjà mort depuis des dizaines, des centaines d’années?

C’est terriblement solitaire, comme existence. Même ici, on ne peut pas dire que j’ai fait beaucoup de connexions. Si j’étais moi-même, sûrement que ça ne m’affecterait pas, mais avec ce corps positivement humain, il a des besoins que je ne comprend pas comment remplir, comme l’envie d’aller vers les autres. Je ris à nouveau; mon genre de rire qui fait plus penser à une hyène comme chose, ma signature particulière qui est difficile à comprendre. Mais il était clair que pour toi ce besoin d’attache était moins présent, et je dois avouer que ça me rend bien envieux.

Puis je te réponds, plus clairement cette fois; « Nah, moi je suis arrivé tout seul. Ou en tout cas il semblerait » après tout, il me serait difficile de faire la différence sans qu’un sorcier ne se fasse connaitre, et je ne crois pas avoir croisé d’autres Djinni, mais à vrai dire la ville est tellement grande qu’on pourrait tout simplement se rater de vue encore et encore. « Qu’importe le sort qui nous a emmené ici, ils n’ont pas cru bon d’emporter le reste de mon univers. Après je peux pas les blâmer, je suis un beau spécimen. Enfin, sous ma vraie forme »

Et puis quelque chose tilte dans mon cerveau; moi qui était évaché, en train de manger mon bretzel, voilà que subitement je me redresse, je te fixe avec une idée claire qui germe dans ma tête : et toi, ta vraie forme, elle ressemble à quoi? Il ne m’en faut pas plus pour tendre la main, presque délicatement, vers ton visage pour la poser devant tes yeux, du même genre de mouvement où je pourrais tendre la main pour te foutre un doigt dans le nez. Enfin c’est très rapide, parce qu’aussitôt fait, mes yeux deviennent d’un noir d’encre alors que je fouille les plans d’existences auxquels j’ai accès pour me faire une image mentale de ce à quoi tu ressemblais dans ton monde d’origine.

« hop, fait pas attention » et si le mouvement ne dure pas longtemps, ce n’est pas parce que l’exercice est particulièrement rapide (enfin il l’est quelque peu), mais plutôt parce que dès que je commence à t’apercevoir, forme d’une luminosité impressionnante, ma main reviens plutôt vers mes yeux pour les couvrir, mais c’est trop tard; et si j’ai vu les formes vagues, titanesques de ta forme céleste, sa lumière n’est pas qu’éblouissante et je sens mes yeux brûler de l’intérieur, comme pour m’avertir que je regardais quelque chose qui ne m’était pas dédié.

Le hurlement que je pousse n’est pas là pour faire joli. Enfin; certes, je suis de nature bruyante, mais je fais pas semblant alors que je me tortille jusqu’à me fait bien petit, hurlement étranglé dans le mouvement que mon corps produit pour se retourner vers l’intérieur de lui-même. Je suis un djinn; je suis capable de faire preuve d’endurance, certes, mais la douleur est là. Même pas réelle; je me doute que physiquement, mes yeux ne sont pas brûlés. Je pourrai vivre pour voir un autre jour. Mais l’effet mental de la blessure me tourne en loque humaine- il n’en faudra pas bien longtemps pour que les gardes de sécurités soient alertés par mon hurlement de mort, mais bon…

Et dans ma confusion, je ne fais pas la différence entre la blessure infligée et les allergies que me causent l’utilisation de mon pouvoir. Peut-être est-ce bien l’action de l’un et de l’autre; ma tête me donne l’impression de se scinder en deux, ma vue se brouille, ma peau est en feu et je sens que mon Bretzel ne restera pas bien longtemps dans mon estomac.

Oh, bordel, il va me tuer est la seule pensée qui m’anime alors que tu renvoies le gardien de sécurité à son poste. Oh; je me tords de douleur et je n’ai pas l’intention d’être discret ou de me faire petit non plus, ma douleur je la partage à qui veut bien (ou pas) prêter l’oreille. Je n’arrive pas à comprendre ce que j’ai vu – formes éclatantes de lumière aveuglante, la véritable question c’est à savoir pourquoi cette lumière me déchire de l’intérieur, me donne l’impression que chaque fibre de mon être hurle son droit de vivre comme elle est. À l’intérieur de mon estomac, j’ai comme des tentacules qui viennent se frapper contre la limite corporelle de mon corps, menaçant de sortir là, maintenant, tout de suite, de se faire connaitre et, de ce fait, de réduire ma réputation de gentil jeune homme à néant (déjà qu’elle ne tenait pas à grand-chose).

Mais ce n’est pas pour eux que je me retiens, pas plus que pour toi à vrai dire. J’ai réussi à cacher, plus ou moins, la nature de ce qui me constitue, et ça pendant cinq longues années. Et j’ai beau me sentir à l’agonie et l’article de la mort, je ne veux pas te donner cette satisfaction. Oh, certes, je me méprends sur la nature de tes intentions, après tout ce n’est pas tous les jours qu’on apprend que son pote est une créature divine constituée d'une énergie littéralement opposée à la vôtre. Maintenant que je sais (vaguement), comment puis-je penser que je m’en sortirai indemne? Certains diront que ma situation actuelle est ma vraie punition, mais, qui sait?

Tu me tapes la joue et, quelque part dans ma douleur, je deviens comme un animal blessé; je crache et mes yeux roulent dans leurs orbites, noir d’encre même si je n’utilisais plus mon pouvoir… pas celui-là, et pas consciemment du moins. C’st mon instinct de survie qui s’est activé pour me permettre de supporter la douleur, reléguant ma conscience à un petit coin de mon être et me coupant de mes autres plans de conscience – et pour la première fois depuis que j’ai retrouvé la capacité de penser à plusieurs choses en même temps (pour le vulgariser ainsi), c’est le silence. Dans ma tête, il n’y a qu’une autre voix qui me parle, et cette voix panique. Quand même, ta tentative de rejoindre ma conscience fonctionne et, pour un moment, mes yeux retrouvent leur coloration brune et se posent sur toi dans toute la doléance dont je peux faire preuve, un peu en mode oui, tu ne vois pas que je suis un peu occupé, là ? .

Un rictus se forme sur mes lèvres pincées, un rire de chacal me quitte. « Ouais, t’aurais dû » que je dis, un simple sifflement d’air qui s’extirpe de mes poumons entre deux gémissements. La vérité c’est que j’ai peur; qu’il serait si facile de se dire que c’est ta faute, de t’en vouloir, mais je sais que comme à l’habitude, c’est mon hubris qui a eu raison de moi ! Non; ce dont j’ai peur, c’est ce qui suivra… et te me hisse de mon siège, chose que je fais à contrecœur, mais que je n’ai pas la force d’empêcher. Et puis tout se passe bien vite; d’abord on est dans le centre commercial, et l’instant d’après…

L’instant d’après, je me fais basculer dans une baignoire que tu remplis d’eau froide. « Ah non, pas encore » que je gémis sans bien de classe; j’essaie de m’extirper du bain, mais je n’en ai pas la force. Quelle sensation désagréable que celle de l’eau froide qui imbibe mes vêtements pour les rendre lourds, pour rendre mes mouvements de plus en plus difficiles. À défaut de quoi, je déboutonne ma chemise avant qu’elle ne soit submergée et elle finit par atterrir, presque entièrement sèche, sur le sol de ta salle de bain.

Je tremble comme une feuille – mon corps déjà naturellement plus chaud que celui d’un humain lambda lutte pour conserver sa chaleur, mais l’eau a au moins un avantage; elle calme la sensation de brûlure de mon corps et pour cette simple raison, je décide de te donner l’aléa du [i]doute[i] et de ne pas faire exploser ta baignoire. Je me rappelle juste à ce moment-là que je suis capable de léviter, mais vu mon état, ce ne sera pas trop possible, pas pour sortir de la baignoire, mais… ouais, voilà que je m’entortille pour retirer mon jean trop lourd (gardant évidemment mon calbut), mais je n’ai pas la force de le retirer de la baignoire et ainsi il la tapisse, trop imbibé d’eau. Oh; je n’arrête pas de ce processus de garder un œil (un seul) sur toi. Convaincu que tu attends simplement que l’eau soit plus élevée pour m’enfoncer dans l’eau et terminer d’éteindre la flamme de ma fougue. Mais pour le moment tu es juste assis sur les bécosses à regarder ton téléphone. « Pitié » dis-je lamentablement, « Ferme ton téléphone. Et la lumière. Tu n’en as pas besoin pour m’achever »

Eh oui, drama queen en tout moment. Mais le problème c’est que la proximité avec la technologie ne fait qu’empirer mes symptômes, et si ma vue trouble commence à redevenir pertinente, je ne sais pas quand les autres symptômes qui m’occupent arrêteront. Ça prend parfois quelques heures, et vu ce que j’ai vu…

« Oh non » dis-je, soudainement pâlot, me penchant sur le bord du bain pour faire basculer au moins ma tête hors de la zone de la baignoire. S’ensuit un drôle de vomissement, sauf que ce n’est pas le Bretzel qui se retrouve sur le tapis de ta salle de bain, mais bien un truc visqueux et… aussi lumineux que les arches d’un arc-en-ciel. Ah, c’est nouveau ça, que je vomisse de la lumière à l’état liquide. Généralement c’est plutôt d’un noir d’encre, mais qu’importe, aussitôt le liquide de provenance douteuse expulsé, je me suis bien mieux. Vidé d’énergie, en douleur, mais, comment dire, plus léger? J’ai les oreilles qui tintent comme jamais, je suis en train de trembler de froid, mais aussi d’être en sueur, le front qui menace de se fendre en deux à n’importe quel moment et, maintenant que j’ai retiré mes vêtements, il est possible de voir des taches rougeâtres se former sur ma peau comme si j’étais un guépard.

« T’as pas des bulles au moins? » que je râle entre deux claquements de dents; « si je suis pour clamser, autant le faire dans le plus décadent des conforts. Tu m’dois bien ça »

T’es vraiment un chic type, Hermès, et si je ne meurs pas là, ce soir, je m’en souviendrai. Non pas content de fermer ton téléphone (une grosse demande à en croire les gamins), tu vas en plus fermer les lumières, et ça fait que je suis vraiment, vraiment désolé pour la suite, soit moi qui est en train de vomir ta lumière sur le tapis de ta salle de bain : ça va en chier pour faire partir les paillettes de ton truc à poils longs, quand même. « urrrhhg » que je me lamente au lieu d’utiliser des mots, après tout, vu ce qui venait de se passer, je crois qu’on était passé le besoin pour les mots, entre toi et moi, pas vrai? Enfin, par contre, je te parle pas de l’odeur, et je disparais à moitié dans l’eau pour cacher mon indignité. Vomis de lumière ou pas, ça restait que ça sortait de mon estomac (tiens, d’ailleurs, comment ça s’est rendu là?) et que ça venait avec son lot d’odeur désagréable... Mais bon, ça, c’était sans compter le fait que t’étais en train de régler le problème illico presto avec un peu de magie de téléportation, franchement, niveau pouvoir, les miens n’étaient pas aussi pratiques. Au mieux, j’aurais pu y foutre le feu… et le faire exploser dans toutes les directions. Autant dire que c’était bien heureux que je n’aie pas participé au nettoyage, au fond.

Je pousse un hoquet de surprise en sentant le dos de ta main, bien fraiche en comparaison à ma chaleur corporelle, mais d’un froid jamais aussi mordant que celui de l’eau dans laquelle je gisais; je suis pas toujours à l’aise avec le toucher, c’est vrai, même que je peux compter sur une main les personnes qui ont le droit de même y penser, mais vu les circonstances… et puis t’es tout oublié dès que tu te lèves, j’imagine satisfait du résultat (qu’importe ce que ce dernier t’avait appris, je suppose), pour aller choisir un savon pour le bain. « Lavande » que je réponds d’une petite voix, me sentant revivre qu’on m’offre même le choix. En dehors de Scar, y’avait peu de gens dans cette ville qui étaient équipés avec la patience nécessaire pour s’arranger avec mes caprices. Enfin : si j’avais su pour ta fratrie… certes, j’aurais compris que ce n’était rien en comparaison.

Je manque d’agilité pour attraper la bouteille, par contre (dans mon état, tu t’attendais à quoi?) et la bouteille vient atterrir dans le bain dans un ploush sonore alors que je tends le bras pour l’attraper, l’autre essuyant les gouttes sur mon visage, suivis de moi qui vide un peu trop de savon dans le bain. C’est ta prochaine question qui me prend au dépourvu, toutefois, me fait rire, un rire interrompu par une nouvelle vague de nausée qui me force à arrêter sans que les secousses, elles, ne cessent de me parcourir. « Ouais mec. T’es magnifique. 5/7 je recommande » dis-je d’un ton railleur, mais surtout amusé. Eh bien : il ne fait nul doute que tu sais. T’es vraiment un être intriguant, Hermès… ne va pas croire que de me retrouver dans ta salle de bain à vomir va me faire changer d’avis sur mes méthodes ou mes résultats. Est-ce que je vais recommencer? On s’en reparle l’an prochain, quand j’aurai oublié. Pour le moment, mes cicatrices sont trop fraiches.

Je tremble. De froid. Ça caille de base, l’eau froide, mais moi… moi je suis pas fait pour performer en hiver, si tu vois ce que je veux dire. « Si tu veux, un jour, quand je serai pas en PLS, je te montrerai ma vraie forme. Mais tu risques d’être déçu, c’est pas aussi m’as-tu-vu, je brille pas, moi. Mais j’ai plus d’yeux. Et de bouches. Et de dents. Et de tenta- » je m’arrête, parcouru d’une nouvelle nausée. « Enfin, je suppose que tout n’est pas dans la quantité » que j’ajoute quand ça se taie quelque peu.

« Je crois que si je rencontre ta famille, je risque de garder mes yeux pour moi » dit-il en soufflant un peu d’air entre ses lèvres, roulant des yeux vers le plafond et renvoyant sa tête vers l’arrière. « Mais bon, ça, c’est pas pour tout de suite, nous ne sommes pas encore là dans notre relation. Avant de rencontrer tes parents, on a des choses à faire » est-ce qu’il se trouvait absolument hilarant? Oui. Peut-être encore plus parce que lui-même n’avait que très, très peu d’intérêt en la matière, pour ne pas dire qu’il n’était absolument pas intéressé. Il ne pouvait pas savoir où tu te trouvais sur le spectre de l’attirance et, pire encore, des relations à long terme, mais Sakhr savait une chose : soit tu trouverais ça drôle, au minimum, soit ça te choquerait (il en doutait) et au fond, que tu sois choqué, ça l’amusait tout autant. Sakhr était un pitre quand il le voulait (souvent), au fond, surtout que ça lui faisait momentanément oublier la douleur qu’il ressentait.

« J’aime bien tes ailes » dit-il du bout des lèvres – comme si te faire ce compliment allait sonner complètement vide ou, même, comme du lèche-cul. « J’en ai pas, mais j’ai toujours envié les statues qui décorent certains bâtiment très vieux pour leurs ailes, angéliques ou non. Personnellement j’aime bien prendre la forme d’une gargouille. Personnellement je vole sans, c’est pratique parce que tu te prends pas partout, mais en même temps, ça a vraiment moins la classe » ouais; il parle et il parle pour oublier qu’il a mal, et pour se prouver que ses médicaments font effet. Ah; il a toujours mal à l’estomac, comme s’il n’avait pas finit de régurgiter la lumière qu’il avait absorbé en jetant un coup d’œil à ta vraie forme.

« Du coup c’est qui, Aphrodite? Je devrais connaitre son nom? » oui – du monde où il vient, ces déités n’existent pas, pas plus que les dieux uniques à vrai dire. S’il y a certes eu quelques religions et bon nombre de traditions, c’était moins vu comme des déités et comme de grands sorciers et démons qui contrôlaient le peuple.

« Oui » répond-il à une question qui n’était pas du tout un choix de oui ou non; oui il voulait sortir de l’eau, oui il voulait prendre un bain chaud. Tout mais pas ce froid, même s’il fallait bien avouer que ça avait eu le chic de faire baisser sa fièvre. Faut dire que d’avoir expulsé son repas lui avait fait du bien, aussi. Reste que même s’il sortait, toutefois, il restait habillé seulement d’un calbut mouillé. Se soulevant au prix d’un effort phénoménal, Sakhr retire d’une part le bouchon du bain pour faire s’écouler l’eau bien trop froide avant d’y mettre l’eau chaude. « Dit-, tu peux faire ton truc pour les mettre dans la sécheuse? » dit-il en pointant son jean et son haut qui étaient maintenant complétement détrempée et qui reposaient dans le fond du bain. Par « ton truc » il voulait clairement mentionner ton talent de téléportation, parce qu’après tout tu avais nettoyé son rendu ainsi et qu’il préférait ne pas mettre de l’eau partout.

Mais bon, une fois l’eau écoulée, il n’avait pas vraiment envie de reremplir la baignoire. « ok, je sors » fait-il, mais la vérité c’est qu’il n’en avait pas la force, pas tout seul. Il continuait de trembler de froid, mais fallait bien sûr compter sur son petit côté effronté : « J’te prendrais une serviette. Et un peignoir si t’en as un » ouais; s’emmitoufler semblait contre-productif, mais habituellement les peignoirs sont fait de tissus bien doux et son corps avait lors des crises (et après) besoin de confort. « Franchement, je suis pas fait pour la vie en ville » souffle-t-il dans un soupir; c’était là sa plus grande faille, puisqu’il semblait réagir négativement à la technologie. En tout cas il semblait d’accord pour dire que le pire était passé, vu comme malgré la fatigue extrême qu’il ressentait, il grouillait et parlait de plus en plus.

Sakhr est tenté, c’est vrai. S’inviter chez les gens, faire comme s’il était chez lui, se prélasser sur le canapé, tout ça faisait parti des ses passe-temps favoris. Sakhr c’est le chat de rue qui se fait un nid chez vous sans crier gare, qui revient toujours en force si on le fout dehors, qui prend ses aises si on le laisse faire. On ne peut pas « gagner » avec des gens comme lui. Mais tu offres et quelque chose en lui lui fait dire que c’est par amitié plutôt que par sens du devoir, plutôt que parce que tu t’y sens obligé, créature dotée d’empathie que tu es. L’idée de rester chez toi lui plait – c’est comme les pyjamas party qu’il n’a jamais pu vivre, n’ayant jamais été enfant, au fond. Il aurait sauté sur l’occasion… s'il n’était pas aussi misérable. En douleur, transis de froid, mouillé, sans vêtements de rechange, juste une serviette pour s’essuyer.

« Sans façon » et il a cette manière de dire non qui fait grincer des dents, qui prend ce qu’on lui offre pour acquis, mais ce n’est qu’illusoire. Le démon a simplement du mal à dire merci – très peu de gens se sont montrés dignes de ce mot dans sa vie. « Enfin, une autre fois sûrement » se reprend-il, sourire mesquin sur les lèvres quand bien même il tremble, replié sur lui-même pour s’offrir un peu de chaleur, quand bien même il fait de la fièvre. Il ouvre la porte pour une prochaine fois… pour les prochaines fois. C’est pire qu’un vampire cette canaille, une fois invité il reviendra toujours.

« Pas que je doute du confort de ton canapé… ou de tes draps » ajoute-t-il à la dernière minute, « mais en ce moment, je ne dirais pas non pour m’enfoncer la tête dans mes oreillers, puisque tu proposes si gentiment » quand même, il tend la main pour attraper la serviette, se hisse comme il le peut de ta baignoire et se sèche maladroitement, tanguant comme s’il était ivre. De petites tâches apparaissent devant ses yeux, mais dans la pénombre relative de la salle de bain, il ne remarque rien. Ainsi armé d’un slip toujours humide et d’une serviette autour de la taille, il planque solidement ses mains sur tes épaules -pour ne pas tomber, surtout- et te dit : « J’suis prêt »

… sans même se demander si tu sais où tu t’en vas.