Moxxie ressentait toujours un coup de blues au moment où le rideau tombait pour la dernière fois sur une représentation. Cette fois, il avait travaillé en coulisse, avec l'équipe en charge des changements de décor entre les différents actes. Il n'avait pas pu empêcher son cœur de se serrer avec tristesse quand il avait dû ranger les différents éléments du décor dans la réserve. D'un autre côté, il avait également hâte de voir sous quelle forme les décors de ce soir allaient renaître dans les prochains spectacles. Rien ne se perdait, ici, tout se transformait.

Ses collègues voulaient absolument boire un verre tous ensemble pour fêter la dernière représentation. Moxxie comprenait parfaitement que tous étaient dans le même état que lui et désiraient se remonter mutuellement le moral en évoquant les bons moments. Devant l'invitation, l'ancien diablotin tritura son téléphone, cherchant quoi répondre. Un message de sa femme, annonçant que les répétitions de son groupe prendraient plus de temps que prévu, fit pencher la balance en faveur du 'oui'. Il rassura Millie en lui répondant que lui aussi risquait de rentrer tard. Ignorant à ce moment-là que le 'très tard' allait se transformer en 'très tôt le jour d'après'.

La soirée avait bien commencé. Ils avaient discutés, partagés leurs anecdotes et leurs fous rires en déambulant dans les rues. Moxxie, bien que plus timide et en retrait, participa à l'ambiance douce-amère de ses échanges, mais, il s'était figé en apercevant le nom du club. Chez Ozzie's ? Un glapissement étouffé franchi ses lèvres en même temps que son sourire tomba en grimace. Un sale et mauvais pressentiment le prit à la gorge. Il commença à reculer en bredouillant un début d'excuse pour annoncer que, finalement, il allait se désister, mais, il se retrouva très vite entraîner à l'intérieur par le mouvement de foule.

Ensuite, il avait suivi le mouvement et commandé un cocktail alcoolisé pour ne pas être celui qui pourris l'ambiance avec son jus de fruit. Il l'avait siroté en écoutant les autres membres de la troupe, et en regardant ce qui l'entourait avec l'angoisse muette de celui qui redoutait l'apparition d'un fantôme de son passé. Il se crispait au moindre rire, se rappelant l'humiliation qu'il avait reçu lors de sa dernière soirée au Ozzie's, ou plutôt de son équivalent infernal dans le Cercle de la Luxure. Avec un peu de chance, essayait-il de se rassurer, le nom du club n'était qu'une coïncidence. Le même nom, la même ambiance, le même décor recopiés dans les plus infimes détails. Oui. Sans doute une énorme coïncidence.

À mesure qu'il essayait de se rassurer, son cocktail, un peu trop chargé en alcool, s'était vidé à toute vitesse, suivit d'un autre, lorsqu'un serveur zélé avait interprété son tripotage nerveux de verre vide comme une invitation à le remplir. Moxxie avait voulu protester, et, aller savoir pourquoi, son "ce ne serait pas raisonnable" s'était transformé en "oh bah, maintenant qu'il est là" et il avait vidé ce deuxième verre tout aussi vite que le premier. Et ce fut la dernière pensée cohérence dont il se souvenait. Le dernier souvenir tout court, en réalité. Ensuite. Plus rien. Le noir total.

Moxxie commençait vaguement à prendre conscience de ce qui l'entourait. Très vaguement. Ses paupières semblaient lourdes et collées l'une à l'autre, l'empêchant d'ouvrir les yeux. Pourquoi son lit était devenu soudainement si inconfortable ? Il voulut redresser la tête et renonça très vite à cette idée avec un marmonnement. Quelque chose lui avait heurté les côtes de manière régulière... Il n'avait même pas l'énergie d'émettre un grognement de protestation. Pareil lorsqu'il crut entendre une conversation au-dessus de lui. C'était sûrement un rêve, de toute façon. Il avait à peine conscience qu'on l'avait soulevé pour le tirer en arrière. Un bruit de porte retentit. Moxxie grimaça autant que si sa tête avait servi de heurtoir. L'instant suivant, on le lâcha et il percuta de nouveau le sol. Aïe ! Vachement réaliste comme rêve ! Et voilà qu'on reparlait au-dessus de lui.

"C'est qui qui est mort ? Faut jamais tuer avant d'être payé, c'est Blitz qui l'dit toujours." Arriva-t-il finalement à dire d'une voix lente, gémissante et pâteuse, comme si prononcer ces quelques mots lui avaient demander une énergie folle. Ce qui était le cas. Il essaya de se relever et n'arriva qu'à soulever sa tête de deux centimètres avant de retomber mollement en arrière. Il émit un soupir semblable à un ronflement étouffé. "Hhhééééé, c'quoi cette arnaque ? Pourquoi j'ai le son et pas l'image ?" Il allait porter plainte aux départements des rêves ! Après beaucoup d'effort et un nouveau grognement, il arriva à décoller/ouvrir sa paupière droite, à moitié seulement. Il regarda le décor, le trouvant familier en oubliant totalement les événements de la veille. "J'suis de retour en Enfer ?" Demanda-t-il, sur le ton du soûlard mal réveillé.
Bon... Il n'avait peut-être pas complètement décuvé de la soirée...