[Libre] Soirée des célibataires de la Saint Valentin

Usuellement, le 14 février était un jour que Karube prenait pour se remémorer de son passé. Cela faisait plusieurs années qu’il était passé à autre chose, mais pour autant, il avait toujours à coeur de rendre hommage à celle à qui il aurait voulu lier sa vie. L’écrin et la bague qui allait avec dans la poche, il souhaitait simplement se rappeler d’où il venait. Ils avaient été séparés par davantage que cette ville, et elle avait certainement fait le deuil de leur relation, comme lui l’avait fait. Le temps avait fait son oeuvre, et il se rappelait d’elle comme il se rappelait de ses meilleurs amis, avec nostalgie et conscience que tout cela était derrière lui. Habituellement, ce jour n’était pas très fréquenté à la Tête de Sanglier, ce qui lui laissait le temps de passer une partie de la journée dans son propre esprit et rendre l’hommage qu’il tenait à rendre, de la même manière que l'on allait sur la tombe d'un proche décédé. Mais pas cette fois. Cette fois, allez savoir pourquoi, Abelforth avait accepté qu’une gamine organise un truc énorme pour l’occasion. Et bien, Karube s’était adapté. Il avait glissé l’écrin dans sa poche, et était arrivé assez tôt pour déplacer le mobilier en conséquence, et aider Abelforth du mieux qu’il pouvait.

La journée était passée à une vitesse hallucinante. Il n’avait clairement pas une seconde à lui pour se poser. Il fut plutôt surpris en fait, de voir Chance bosser autant. Il s’était plus ou moins attendu à ce qu’elle organise un truc énorme sans imaginer les conséquences et la charge de travail que cela demanderait, mais elle n’avait pas lâché le morceau. Il devait reconnaître être plutôt impressionné. C’était assez rare pour être souligné. Karube était attentif à l’ambiance générale de la salle, bien plus joyeuse que d’habitude, presque… enfantine ? Il ne saurait pas vraiment le décrire. Quoi qu’il en soi, il ne lui avait pas échappé que certaines filles le reluquaient comme pas permis, ce qui le faisait sourire plus qu’autre chose. Sans vraiment l’avoir cherché, on avait toujours dit de lui qu’il avait de la chance avec la gent féminine. Peut-être à cause de son air de gros dur qui faisait parler ses muscles avant sa tête, ou le fait qu'il frôlait la délinquance sans jamais y plonger, ce qui lui donnait un air de bad boy sans le rendre dangereux pour autant. Peut-être parce qu’il n’avait jamais vraiment cherché cette réputation. Allez savoir. Mais il savait en jouer, pour autant. De temps à autres, il s’était même risqué à glisser un clin d’oeil amusé à l’une des demoiselles. Eh oui, il les avait vues, et il n’était pas du genre à détourner les yeux d’un air intimidé pour faire semblant de rien. Tout comme il n'avait aucun mal à alimenter la conversation lorsque l'une d'entre elles venaient lui parler, mais il savait pertinemment que cela n'irait pas plus loin. Pas aujourd'hui, en tout cas.

Heureusement, la journée arrivait à son terme, et les gens étaient de moins en moins nombreux, ce qui laissait de plus en plus apercevoir les dégâts. Oh, il sentait qu’il allait se taper un ménage sorti tout droit des enfers, et autant dire qu’il n’était pas particulièrement impatient. Mais il n’était pas question de laisser la Tête de Sanglier dans un état pareil non plus. Raison pour laquelle il avait déjà commencé à passer un coup d’éponge sur les tables vides. Il entendit Abelforth s’adresser à lui, et il jeta un oeil à la petite chevrette.

- Je m’en occupe.

Il sourit avec une légère douceur, laissa son éponge sur la table qu’il était en train de terminer, et se dirigea vers la petite chevrette. Il s’accroupit pour arriver à son niveau, prenant avec douceur le serre-tête pour le poser sur une table.

- Alors, on a trop fait la fête ? Viens là…

Avec délicatesse -oui oui, parfois il en est capable-, le faux blond récupéra le petit animal dans ses bras. Cette dernière émit un bêlement fatigué et pourtant heureux. Karube se dirigea vers les bacs de nourriture, pour la poser à côté, en prenant toujours garde à ne pas lui faire mal. Il caressa ensuite la tête de la chevrette, qui allait bien vite s’endormir, avant de se relever et de se diriger à son tour vers le comptoir. Bon, c’était peut-être le moment de prendre une petite pause. Il jugea cela suffisant pour s’allumer une cigarette, histoire de se détendre un peu après cette journée particulièrement harassante. Et encore, lui était déjà habitué à servir dans des soirées assez mouvementées.

- T’as pas chômé, ça fait plaisir.

Adressa-t-il à Chance. Et oui, ça, pour lui, c’était un compliment. Il n’était jamais très frontal lorsqu’il en faisait. Mais elle avait bien mérité qu’on reconnaisse son investissement. En même temps, il ne la connaissait pas vraiment avant cette journée, et il n'aurait donc pas vraiment pu anticiper son comportement. Il n’était pas convaincu que ça se serait aussi bien passé si elle ne lui avait pas filé un coup de main. Karube était bon barman, mais pour autant, il y avait des situations qui étaient trop chargées pour un personnel aussi restreint qu’Abelforth et lui-même.

Si Karube était connu pour être plutôt du genre brute, à faire parler ses bras avant sa tête, il était également capable d’être doux lorsque la situation l’exigeait. Au fond, il était très protecteur avec ses proches, et il était plus apaisé en leur présence. Bien qu’il lui soit arrivé de faire passer des messages à coups de poings, mais avec la chevrette, ce n’était vraiment pas nécessaire. Il écoutait néanmoins la conversation derrière lui, et lorsqu’il eut déposé la petite chèvre là où elle pourrait se reposer au calme, il se retourna pour voir la réaction d’Abelforth suite à cette histoire de 06 et de toilettes. Ca l’amusa de le voir réagir par la taquinerie, alors qu’il s’approchait à son tour du comptoir.

Son compliment se retourna, et il inclina la tête, appuyant l’un de ses bras sur le comptoir qu’il connaissait bien, depuis tout ce temps. Il haussa légèrement les sourcils, un sourire néanmoins amusé sur le visage.

- Les clients ne se plaignent jamais de mes cocktails.

Que ce soit des connus ou des méconnus, Karube pouvait apprendre la liste des ingrédients trois heures avant l’événement et tout de même s’en sortir. La faute à de longues années à du travail dans les bars, dans son monde comme dans celui-ci. Il bossait dans le milieu depuis qu’il en avait l’âge, et ça lui convenait fort bien. Il alluma donc sa cigarette, histoire de se détendre un peu après cette journée particulièrement harassante.

Son visage prit un air dubitatif alors que Chance revenait sur l’épineux sujet des serres-têtes. Oula, il n’y mettrait franchement pas sa main à couper. Heureusement, Abelforth avait partagé son avis, lui permettant de s’appuyer sur l’avis du patron pour échapper à cette terrible idée.

- Je parierais pas là-dessus. Le rose et le rouge, ça jure sur le blond.

C’était totalement faux, bien entendu, mais ça faisait quand même sacrément Barbie. Et il était hors de question qu’il évoque une poupée. Le jeune homme leva la tête vers Abelforth, et acquiesça. Oui, il avait déjà commença à nettoyer quelques tables, mais il y en avait encore un tas à faire.

- C’est comme si c’était fait, patron.

S’il savait qu’Abelforth n’avait jamais apprécié qu’il l’appelle ainsi, il ne pouvait pas s’en empêcher quand il donnait des directives à la chaîne. C’était davantage de la taquinerie qu’autre chose, à force. Le jeune homme haussa les sourcils lorsque Chance l’affubla d’un surnom. Son nom de famille, Daikichi, employé par la plupart des gens, n’avait pas pour habitude d’être diminué ainsi. En occident, un tas de gens se surnommaient, mais au Japon, c’était un peu différent, si bien qu'il mit quelques secondes à réagir, le temps qu’il capte que c’était bien à lui qu’elle parlait. Il tira sur sa cigarette, et sourit, préférant ne pas relever. Ce serait trop long de se lancer dans un discours culturel à ce sujet.

- Vas-y, ouvre-là. A toi l’honneur.

Pure galanterie, Karube avait beau avoir souvent frôlé la délinquance, il restait bien élevé. Un minimum. Même s’il avait passé peu de temps avec sa famille. Il s’était plus ou moins élevé tout seul, mais il n’avait pas fait n’importe quoi. Enfin, pas trop. Il se mettrait au rangement quand il saurait ce qu’il y avait dans la boîte à pourboires. Ca lui permettrait de souffler deux minutes.