Un nouveau monde ▿ Peter.

Le nouvel an était passé. Bonne année 2024 Peter... Alors qu'allais-je mettre en bonne résolution ? Ne plus me nourrir principalement de pizza, ça pourrait être pas mal. Ne plus arriver en retard au travail. Ne plus arriver en retard pour mes entretiens d'embauche... Oui, régler mon problème de retard allait plus vite à dire. Croiser moins de brutes qui portaient atteinte à mon intégrité physique, car l'hôpital, ce n'était pas donné. Oh et aussi... Parler moins. Ou moins rapidement. Bref, utiliser moins de mots à la minute... Ouais... Ce n'était pas gagné les bonnes résolutions. J'avais pris un peu de poids d'ailleurs, non ? Je me sentais plus lourd dans mon corps, pourtant mon ventre n'avait rien pris... Et j'avais de moins en moins besoin de mes lunettes. Cela voulait dire deux choses. La première option, que visiblement en diminuant ma consommation d'écran et en sortant davantage comme je me l'étais promis en 2023, un esprit sain dans un corps sain... Mais cela n'expliquait pas que j'avais un peu plus de mal à rentrer dans mes manches. Ou alors, un indicateur comme quoi je commençais peu à peu à retrouver mon métabolisme d'avant et donc retour de mes... Non, on n'allait pas bousiller le premier jour de l'année en pensant à tous ces spiders truc. Non, aujourd'hui, était, un jour, nouveau d'une année nouvelle et d'un Peter nouveau. Après nouveau ne voulait pas forcément dire meilleur... Bref, une journée où je n'aurai pas besoin de penser à mon ancien monde. C'était assez simple comme demande, non ? Oui, tout allait bien se passer. Et le fait que je pensais, que tout allait bien se passer, n'allait pas du tout faire en sorte que l'inverse se passe. N'est-ce pas ?

Je parcourrais les rues de Raccoon Square à la recherche d'une boulangerie. Il y en avait une qui m'avait particulièrement tapé dans l'œil, elle faisait des pâtisseries à la mode de l'époque victorienne. Cette époque avait inspiré tant de chefs d’œuvre littéraires britanniques... Les trois-quarts des livres que l'on lisait au lycée étaient soit de cette époque soit inspirés d’œuvre de cette époque. Donc, comme j'essayais de remplacer le café par le thé, pour la désintox des fêtes de fin d'année, je m'étais dit qu'il fallait accompagner ça de petite friandise bien britannique et bien snobinarde. Bien sûr, j'avais regardé le prix et... Comme la plupart des boutiques de Raccoon Square, c'était raisonnable. Par contre, était-il nécessaire de faire une désintox sachant que je n'avais pas fait la fête en cette fin d'année ? En fait la dernière fois que j'avais fait la fête à cette période, je devais avoir... Quatorze ans ? Meh, pas d'excuse Peter, il fallait commencer à manger sainement. Et rien de tel pour commencer que des pâtisseries bourrées de sucre. De sucre à la mode victorienne. Ça devait changer l'apport calorique. Du moins, j'aimais bien le penser. On aurait dit un vrai touriste. Petite verste noire avec mon t-shirt blanc et pantalon noir, c'était assez rare que je mette du noir. Il fallait avouer que j'avais un peu été vacciné de cette couleur avec le symbiote. Il ne manquait plus que les lunettes de soleil et on aurait dit un Américain allant faire du tourisme à l'étranger, j'avais déjà la coupe avec les cheveux totalement décoiffés. Techniquement, il n'existait plus de chose comme les Américains désormais. Même si ça faisait cinq ans, j'avais toujours du mal à m'y faire. C'était presque agréable un monde où il n'y avait plus de conflit entre pays, à l'international ou d'invasion extra-terrestre. En revanche, la lune rouge était quelque chose d'assez... Énigmatique ? Elle avait libéré des dizaines, des centaines... Voire des milliers de personnes dans cette ville en cette nouvelle année. Les pauvres, je les plaignais. Nous encore, nous étions tous arrivés en même temps, mais eux... Ils allaient devoir faire avec des gens qui étaient devenus de vrais autochtones. Est-ce que la solidarité allait être la même que celle qu'il y avait eu cinq années auparavant ? 

Alors que je parcourrais les rues évitant les passants avec de plus en plus de facilité, je commençais déjà à manger une des pâtisseries que j'avais achetée. Oui, la gourmandise était un vilain défaut... Quoi ? Il devait y avoir une suite ? Non, je n'avais juste aucune volonté. Combattre Kraven, sans soucis, mais combattre mon appétit, c'était impossible. J'esquivais une nouvelle passante alors que j'en étais à la moitié de ce mets divin. Pourtant, au lieu de pleinement en profiter, ajoutant des miettes sur les épaules de ma veste, je m'arrêtais. Quelque chose n'allait pas. Je me tournais lentement vers la jeune fille... Elle devait avoir quoi ? La vingtaine environ. Mais elle semblait paniquée. Je regardais autour, personne ne semblait se frayer un chemin dans la foule pour chercher à lui faire du mal. Alors pourquoi cet air paniqué ? Je m'avançais vers elle oubliant ma pâtisserie dans la bouche. Je fis la chose la plus intelligente à faire, je la suivis et une fois assez proche et qu'il y avait moins de bruit autour de nous, je posai une main sur son épaule. Bien sûr, l'aspect intelligent de la chose était purement sarcastique.« Hmm Herm Hurm ? » Ah... Oui la pâtisserie. De ma main de libre, je la retirai de ma bouche. « Mademoiselle, tout va bien ? Vous avez l'air perdue... Vous avez besoin d'aide ? » Si mon altercation avec Felicia m'avait bien fait retenir une chose, c'était que le contact physique n'était pas toujours une bonne idée. Je retirai donc ma main une fois que j'avais eu son attention. Comment la calmer et la rassurer... Oh oui, j'avais une idée. Je lui tendis le petit sachet de pâtisserie de l'époque victorienne. C'était surtout des petits gâteaux et biscuits. Peut-être que manger la calmerait ? En-tout-cas ça montrerait que je ne lui voulais pas de mal. « Une pâtisserie ? »

Fuir. Elle n'avait que ça en tête. Fuir, mais pour aller où ? Elle n'en savait rien. Elle ne pouvait fuir qu'une chose : la réalité. Trop difficile à accepter, à endurer. Elle pouvait fuir cet appartement, cette chambre, parce qu'elle ne reconnaissait rien... Mais elle ne reconnaîtrait pas davantage les choses en dehors. Ces rues, ces gens, ces façades, ces allées, ces voitures... Chaque chose lui était inconnue. Chaque chose, même, était effrayante. Tout était trop bruyant. Tout était trop lumineux - des lumières aveuglantes semblaient l'agresser à chaque coin de rue, entre les voitures et les différentes enseignes qu'elle croisait. Et malgré ces lumières, les rues étaient plongées dans l'obscurité. Il faisait nuit. Puis, il y avait cette lune qu'elle trouvait terrifiante. A chaque fois que son regard se levait vers elle, elle frissonnait sans comprendre pourquoi. Cette lune lui paraissait mauvaise. Dangereuse. Puis, il faisait froid - elle n'avait toujours pas remarqué les vêtements qu'elle portait, si différents de ceux qu'elle portait autrefois, mais surtout bien trop légers pour un temps comme celui-ci. Si froid.

Alors, Lucy déambulait dans les rues. Elle était apeurée par toutes ces choses qui l'entouraient et par son absence de souvenir. Elle fuyait sans savoir où aller, où trouver un refuge. Dans un état second, complément désorientée, elle se contentait d'éviter comme elle le pouvait les passants qu'elle croisait. Totalement perdue, elle n'avait même pas remarqué cet homme qui s'était mis à la suivre - et heureusement, sa panique n'en aurait été que plus grande. En revanche, elle avait senti cette main se poser sur son épaule. Elle avait sursauté, avant de se retourner lentement vers celui qui en était à l'origine. Lucy avait eu peur, bien sûr - les battements de son coeur en étaient la preuve - mais ce geste avait au moins eu le mérite de la ramener à la réalité, à ce qui se passait autour d'elle. Ce geste l'avait réveillé et l'avait sortie, au moins en partie, de son état second.

Lucy observait l'inconnu. Son regard dévoilait tout de sa détresse, de ses craintes, de son incompréhension. Elle le dévisageait, en silence, ne comprenant pas un seul mot de ce qu'il essayait de dire. Puis, après avoir retiré ce qu'il avait dans la bouche, il avait repris avec des mots qu'elle comprenait cette fois-ci. Chaque mot sonnait, malgré tout, étrangement. Elle les comprenait, là n'était pas le problème. Simplement, elle se rendait compte que jusqu'à présent, elle n'avait entendu que du bruit, comme une sorte de brouhaha géant, sans distinguer le moindre son précis. Désormais, elle réussissait à se concentrer sur ce qu'il disait et à distinguer les mots parmi tous les bruits. Pourtant, même si elle avait compris le sens de ses questions, elle ne répondait rien.

Non, elle ne répondait rien. Elle restait là, à le dévisager. Allait-elle bien ? Elle n'en était pas sûre. Était-elle perdue ? Il n'imaginait pas à quel point. Avait-elle besoin d'aide ? Certainement. Les réponses, elle les avait, mais elle était incapable, pour le moment, de les formuler. A la place, Lucy restait silencieuse et le regardait. Ses yeux avaient quitté son visage seulement à l'instant où il avait retiré sa main de son épaule. Elle avait alors observé cette main s'éloigner, comprenant qu'elle était encore et toujours posée sur elle. Tout lui paraissait tellement irréel. Cette main, si elle l'avait bien sentie se poser sur son épaule, elle n'avait plus eu l'impression de la sortir sur elle avant de la voir s'éloigner. Comme c'était étrange, cette sensation.

Un nouveau mouvement de l'homme avait de nouveau attiré son regard vers le paquet qu'il lui tendait, cette fois-ci. C'était une chose étrange et inexplicable, mais à l'instant où ses yeux avaient rencontré les petits biscuits dans le fond du paquet, Lucy avait eu un sentiment de... Elle s'était sentie rassurée. Il y avait dans ces simples pâtisseries quelque chose de rassurant. De réconfortant. De familier. Cependant, elle n'en prit pas. Elle avait autre chose en tête que se nourrir et elle en était, de toute façon, incapable pour le moment. « Je ne sais pas où je suis. » Souffla-t-elle, presque dans un murmure, s'étonnant d'entendre sa propre voix et sa détresse. Elle avait l'impression de ne pas avoir parlé depuis des jours. Peut-être était-ce le cas, après tout ? Comment aurait-elle pu le savoir, dans son état. « Je... » Reprit-elle, en relevant les yeux vers lui. « Je crois que je suis perdue. » Et c'était peu dire, en réalité. Sans le savoir, Lucy était revenue d'entre les morts, dans un monde bien loin du sien. Autant dire que perdue, c'était même plutôt loin de la réalité. « Je ne reconnais pas cet endroit. » Et c'était terrifiant de s'éveiller dans un endroit nouveau, inconnu. C'était terrifiant de ne pas pouvoir mettre de mots sur les objets et d'être incapable d'expliquer comment on était arrivé dans un endroit. C'était terrifiant de se réveiller sans autre souvenir que son identité. « Je ne me souviens de rien. » Et pas juste de son arrivée ici, mais bien de rien. Elle ignorait si elle devait lui faire confiance ou s'en méfier, mais à cet instant, cette pensée ne l'avait même pas effleurée. Tout ce qu'elle voulait, c'était qu'on l'aide. « Je veux juste me souvenir... Et rentrer chez moi. » Mais rentrer où, quand on ne se souvenait pas de l'endroit où l'on était chez nous ? « S'il vous plaît. » Ajouta-t-elle comme si elle faisait face à un magicien capable d'exaucer son voeu facilement.

Elle avait l'air totalement paniqué et mon petit doigt me disait qu'avec l'air, elle avait la chanson. Je n'avais même pas besoin de pouvoirs pour entendre son cœur battre. D'accord, j'exagérais un peu, je ne l'entendais pas réellement pas. Je la voyais à la limite de la suffocation, si je touchais sa main, j'aurais pu sentir ses veines sur le point d'imploser, mais effectivement elle n'en était pas à ce point. Il fallait dire qu'être à ce point de puissance dans les battements de cœur, c'était sans doute être sur le point de mourir. Donc c'était plutôt une bonne chose qu'il me soit impossible de l'entendre. Bref, il était assez clair qu'elle était perdue. Une nouvelle, suite à la lune rouge ? Très probable. Nous étions beaucoup à paniquer à cette époque. Enfin... Je n'en faisais pas partie. J'avais eu le cœur brisé d'être arraché à ceux que j'aimais, mais pas paniqué... J'avais tellement affronté de dangers, tellement de situation improbable... Lors des nuits sans lune, où j'étais seul avec moi-même au fond de mon lit entouré d'uniquement mes doutes, j'espérais que tout ceci n'était qu'un rêve. Sauf que rêver pendant cinq années consécutives, cela faisait beaucoup. Non, malheureusement, c'était bien réel. De plus, il était normal d'être encore plus paniqué pour les nouveaux arrivants. Paradoxalement, il y avait quelque chose de rassurer de débarquer quelque part au milieu de personnes en panique. Là... Les nouveaux débarquaient dans un monde où pendant cinq ans, il y avait des habitudes de prises. Je n'osais imaginer la terreur qu'elle devait ressentir. Surtout que chacun avait son passé avant la traversée de la lune. De ce fait, certaines transitions étaient plus violentes que d'autres. En-tout-cas, vu son air perdu, elle ne semblait rien reconnaître du monde contemporain. Ou alors elle venait d'une autre région du monde ? Je devrai lui demander quand... Enfin... Quand son cœur ne menacera pas de lâcher à tout instant. Ouais... Cela pouvait être une bonne idée de la ménager. 

Elle me dévisageait alors que je lui parlais. Quoi... J'étais si moche que ça ? D'accord, je n'étais pas la huitième merveille du monde, mais... J'étais si bizarre que ça ? Généralement, avant de me dévisager, on attendait à ce que je parte dans un long monologue qui donnerait des maux de têtes même à une personne décapitée. D'accord, un peu glauque comme métaphore, mais au moins, l'idée était là. Elle ne parlait pas, me laissant dans le plus grand silence. Au moins, elle ne semblait plus... Si, elle semblait toujours paniquée, mais elle avait arrêté de déambuler sans but, comme si elle était revenue partiellement dans la réalité. Par contre, même mes pâtisseries n'avaient pas d'effet... Je sentais que cela allait être long. On aurait presque dit qu'elle était faite en sucre. Ou en porcelaine. Or, tout le monde savait que j'étais le pire des éléphants dans un magasin de porcelaine. Comment j'allais réussir à la rassurer ? Ok, Peter... Tu voulais bien faire, très bien... Mais si tu commençais à paniquer aussi, cela allait avoir pour seul résultat de la faire paniquer un peu plus. Heureusement, alors que je commençais à me triturer les méninges sur comment l'aider, elle ouvrit la bouche. Cela me fendait le cœur de la voir aussi perdue et apeurée. Ce qui m'acheva, ce fut le "S'il vous plaît". J'aurais tant aimé avoir une baguette magique pour la renvoyer chez elle. Encore plus que de me renvoyer chez moi. Cependant, j'en étais incapable... Il était inutile pour moi de me lamenter sur mon impuissance à l'aider dans son vœu. Je devais l'aider à s'intégrer. Peut-être serait-elle le génie permettant aux gens de retourner dans leur univers... Ou alors... Juste elle arriverait à y trouver son bonheur. « Je suis désolé Mademoiselle... » J'avais failli dire dire petite... Petite... Oui... Elle était adulte visiblement, mais bon, je parlais déjà comme un vieux. 


Je plongeais mon regard dans le sien, cherchant avec un petit sourire à être le plus rassurant possible. Je me serai bien agenouillé pour mettre une main sur son épaule, mais encore une fois... Elle n'avait pas neuf ans. « Vous souvenez-vous de la lune rouge ? Nous l'avons tous vu ici... C'est elle qui nous a amenés dans ce monde... Nous venons presque tous de mondes différents, avec des événements différents, parfois d'époques différentes... » Je n'étais pas sûr que ce soit la meilleure façon d'aborder le problème... Mais si elle n'avait aucune conscience d'où elle était... Plus vite, elle savait, plus elle aurait le temps de se faire à l'idée, de digérer ces informations. Juste... Je devais essayer d'avoir quelques pincettes. Encore une fois, quand un problème ne pouvait pas se résoudre avec des lance-toiles ou des formules chimiques, visiblement, je devenais totalement inutile. « Personne n'a encore trouvé le moyen de retourner dans son monde. Visiblement, cela a commencé il y a cinq ans... Et une nouvelle lune rouge est arrivée et avec elle de nouvelles personnes. Comme vous visiblement... Je ne sais pas comment vous renvoyer dans votre monde. » Bon, ça, c'était fait, je venais de piéter ses espoirs... Et maintenant petit génie ? Comment faire pour la rassurer ? « Ceci étant dit... Il y a plusieurs établissements pour les gens qui viennent d'arriver, ravi d'aider, d'intégrer... Si vous n'avez nulle part où aller, je peux vous proposer mon appartement le temps que vous trouviez un endroit où atterrir. Il faut juste aimer la... Pizza... Et les petits endroits. Mais je dormirai sur le canapé. Ne vous en faites pas... » Tu étais vraiment en train d'inviter une inconnue chez toi ? Je méritais vraiment des baffes mentales parfois. Soupirant intérieurement, je secouais la tête. « Ce que je veux dire... C'est que si vous avez besoin d'aide, je serai ravi de vous aider. » Je lui tendais ma main, espérant qu'elle aurait plus de succès que mes pâtisseries. « Je m'appelle Peter Parker, enchanté. » Je lui faisais un grand sourire espérant qu'il permette d'estomper un peu, aidé de ma bêtise profonde, ses inquiétudes. Après cela allait rester un traumatisme... Sans doute. Avec de la chance, cela passerait... 

Lucy était terrifiée. Par son absence de souvenirs, par ce monde qu'elle ne reconnaissait pas, par ce bruit, par cette  lumière, par cette lune... Par tout. En chaque détail, en chaque chose, elle ne voyait que ce qui l'effrayait. Les choses auraient peut-être été plus simples pour elle si elle était arrivée avec ses souvenirs ? Différentes, en tout cas, certainement. Elle aurait alors eu une chose à laquelle se raccrocher, des souvenirs ou des proches pour se rappeler qui elle était et ce qu'elle était. Aujourd'hui, elle ne devait pas simplement composer avec un nouveau monde. Elle devait composer avec une nouvelle vie. Elle devait se redécouvrir, se comprendre, se souvenir. Pour elle, c'était comme tout recommencer à zéro. Vraiment, à zéro. Elle n'était plus personne.

Mais pour tout recommencer, ne fallait-il pas déjà comprendre ce qui était en train de se passer ? Errer sans but dans les rues de cette étrange ville ne l'aiderait pas. Il lui fallait quelqu'un pour lui expliquer les choses, pour lui raconter ce qui venait de lui arriver, pour lui tendre la main. Et ce quelqu'un s'était miraculeusement présenté à elle. Alors, dès l'instant où elle avait retrouvé la force de parler, elle lui avait expliqué la situation. Enfin, elle avait bredouillé quelques mots, terrifiée, expliquant qu'elle était perdue, qu'elle ne comprenait rien et qu'elle ne se souvenait de rien, avant de finir par le supplier de lui venir en aide.

Contrairement à elle, il n'avait pas hésité longtemps avant de répondre. Avant de trouver quoi lui dire. D'abord, il s'était excusé. De quoi ? Elle ne comprenait pas. De sa situation ? De ne pas pouvoir l'aider ? Des mauvaises nouvelles qu'il s'apprêtait à lui annoncer ? Il y avait tellement de raisons d'être désolé, mais Lucy ne les comprenait pas. Elle ne les comprenait pas parce qu'elle n'avait pas encore compris dans quel genre de situation elle s'était retrouvée. Pour l'instant, la réalité lui paraissait terrifiante, mais elle refusait de la voir réellement en face. Elle refusait de comprendre l'évidence et d'accepter ce qui venait de se passer pour elle.

Dans ses souvenirs, il n'y avait aucune lune rouge - alors, peut-être que son cas était à part ? Peut-être qu'elle pourrait rentrer ? Et la seule lune rouge dont elle se souvenait était celle qu'elle voyait en levant les yeux vers le ciel. L'inconnu lui expliquait pourtant qu'ils étaient tous là à cause d'elle... A cause d'une lune ? Comment était-ce possible ? Comment cette lune aurait pu amener des gens de mondes différents, d'époques différentes... dans un nouveau monde ? Lucy secouait doucement la tête de droite à gauche, refusant d'admettre l'évidence. A ses yeux, ce n'était pas possible. Il n'existait aucune force capable d'une telle chose. Il délirait complétement ou il lui mentait, mais elle refusait la vérité. « C'est impossible. Je ne me souviens de rien. »Se contenta-t-elle de souffler, pour lui expliquer que ses souvenirs ne contenaient pas un événement impliquant une lune rouge ou tout autre chose étrange de ce genre, alors ça ne pouvait être la vérité.

Cette révélation était déjà difficile à accepter parce qu'elle lui paraissait invraisemblable, mais ce n'était pas le pire. Le pire était venu ensuite. Le pire était venu lorsque cet homme lui avait annoncé qu'il n'y avait aucun moyen de retourner chez elle. Certains semblaient coincés ici depuis cinq ans. Cinq ans ? Cinq ans ? Si la panique ne l'avait jamais quittée, elle semblait redoubler de puissance désormais. Son coeur battait plus vite encore et elle avait l'impression d'être à deux doigts d'une nouvelle crise de panique, ce qui l'obligeait à respirer lentement pour tenter de se calmer avant de le faire fuir. Allait-elle rester coincée aussi longtemps dans un monde inconnu, sans connaissance et sans souvenir ? Non ! Cette idée lui était insupportable. Jamais elle n'y arriverait - comment tous ces gens avaient-ils pu réussir ? « Je ne peux pas rester ici. » Elle avait l'impression que ce n'était qu'un mauvais rêve dont elle se réveillerait. Un mauvais rêve, oui. Il ne pouvait pas avoir raison. Il ne pouvait pas ne pas savoir comment la renvoyer dans son monde - et pourquoi voulait-elle à tout prix retourner dans un monde dont elle n'avait aucun souvenir ? Il ne pouvait pas. Tout à coup, il était devenu celui qui lui avait annoncé la pire nouvelle qui soit. Une nouvelle qui était tombée trop brutalement. Une nouvelle qui, elle en avait l'impression, venait de l'achever.

Aussitôt, peut-être en voyant la détresse gagner encore plus de terrain, il avait tenté de la rassurer. Elle n'était pas seule. On pouvait l'aider à surmonter ces épreuves. Certains réussissaient vraiment à les surmonter ? Avaient-ils les moyens de lui rendre la mémoire ? De l'intégrer ? Avait-elle seulement envie d'être perdue au milieu d'autres inconnus dans l'espoir d'être aidée ? A cette proposition, il lui proposait une alternative. Une alternative qu'autrefois elle aurait refusé sans la moindre hésitation, mais aujourd'hui, elle n'avait pas réellement d'autres choix. Il lui fallait de l'aide. « Je m'appelle Lucy Westenra. » Répondit-elle après un instant d'hésitation, alors qu'il venait de se présenter. Et après avoir observé la main qu'il lui tendait, elle l'avait finalement attrapée, supposant qu'il voulait la lui serrer.

S'il venait de lui annoncer toutes les pires nouvelles possibles à cet instant, il restait la seule présence rassurante qu'elle connaissait désormais. Il avait pris le temps de s'arrêter pour l'aider, il tentait de la rassurer en souriant et en se montrant patient avec elle. C'était certainement très peu pour accorder sa confiance, mais il était devenu la seule personne qu'elle connaissait - tant dans son monde que dans sa mémoire - alors elle n'avait d'autres choix que de se raccrocher à lui et de lui faire confiance. « Je n'ai pas d'argent. » Souffla-t-elle, pour en revenir à sa proposition, finalement inquiète de ne pas avoir les moyens de se faire aider et d'être condamnée à rester dehors. Malgré la peur et la panique qui ne la quittaient pas, elle essayait peu à peu de se reprendre, de faire face à la situation - qui lui paraissait pourtant insurmontable - et de faire un premier effort en étant pragmatique - elle n'avait pas le choix, si elle voulait éviter d'autres mauvaises surprises. « Ne me conduisez pas dans l'un de ces établissements, je... Je ne veux pas être au milieu d'inconnus, alors que je ne sais même plus qui je suis. » S'inquiétait-elle parce qu'elle craignait de se retrouver plus perdue encore au milieu de tant d'inconnus aussi perdus qu'elle, de devenir un problème au milieu d'autres problèmes, d'être finalement abandonnée à son sort, de ne pas s'y sentir en sécurité, de ne pas savoir trouver sa place... Elle préférait encore errer sans but que d'y être conduite.