Gothel ne voulait pas absolument que tous les enfants de la terre se retrouvent dans sa maison. Ce qu'elle voulait surtout, c'était que les enfants soient heureux. Quand il ne l'était pas, elle leur proposait évidemment une maison pleine de bonheur avec plein de frères et de sœurs. Mais ce n'était pas toujours la meilleure solution pour un enfant. Il y avait cette petite fille que Gothel avait aperçue non loin du manoir à fureter et à regarder autour d'elle, peut-être pour trouver de la nourriture ou de quoi se réchauffer. Il y avait toujours de bonnes odeurs qui provenaient du manoir.

La petite vivait dans la forêt. Gothel n'avait pas mis longtemps à s'en apercevoir. Elle avait évidemment eu envie de lui proposer un foyer plus agréable, du moins de son propre point de vue. Mais il n'avait pas fallu qu'elle l’observe très longtemps avant de se rendre compte que la fillette était profondément heureuse dans son mode de vie et n'avait pas envie d'en changer. En tant que psychologue pour enfant, la femme aurait sans-doute dû vouloir à tout prix lui permettre d'évoluer dans un contexte sécurisé et sous surveillance, mais ce n'était probablement pas ce qui convenait le mieux à cette petite fille. Et Gothel voulait vraiment que les enfants qu'elle avait à sa charge soient le plus heureux possible.

Mais la vie en forêt n’offrait que peu de confort, de sécurité et de certitude de trouver toujours de quoi manger à sa faim. S'il n'était pas question de priver l'enfant de son milieu naturel, elle tenait tout-de-même à l'aider du mieux qu'elle le pouvait. Elle avait donc décidé de lui offrir la possibilité de se nourrir et de se réchauffer à ses frais. La première chose à faire était de la convaincre qu'elle n'avait que de bonnes intentions à son égard. Pour cela, elle avait préparé un bon plat chaud qui exhalait son odeur parfumée jusque très loin dans la forêt et elle attendait, à demi-dissimulée, que l'enfant ose s'approcher.

La fillette était aussi vulnérable qu'un chat sauvage. Gothel savait pertinemment qu'elle aurait du mal à l'apprivoiser, même dans le cas où elle s'efforcerait de ne pas la brusquer et où elle se montrerait extrêmement patiente, comme elle avait l'intention de le faire. Pour le moment, la meilleure chose qu'elle pouvait faire était d'attendre qu'elle soit attirée par le plat et la convaincre qu'elle n'avait que de bonnes intentions. Elle avait vraiment l'impression de devoir attirer une bête sauvage, mais elle comprenait la peur que l'on pouvait avoir face aux étrangers.

L’enfant s'approcha pourtant, attirée par les bonnes odeurs du plat maison que la psychologue avait fait elle-même pour elle. Elle s'attendait à ce que la patiente se saisisse de l’assiette et s'en aille en courant comme si elle ne voulait pas se faire attraper, mais ce ne fut pas le cas. Elle sembla plutôt vouloir faire la connaissance de la personne qui lui avait laissé tout ça. Gothel avait l’impression que ce n’était pas pour la remercier mais par méfiance mais dans les deux cas, elle était plutôt contente de la situation. Cela lui permettrait de nouer un lien. Elle s’avança donc, les mains bien en évidence pour montrer qu'elle n'était pas une menace.

« Bonjour mon enfant, je me nomme Gothel. Tu n'as pas à avoir peur de moi, je ne veux pas te faire de mal. »

Elle s’avança et s'installa sur une souche d'arbre à une distance respectable de la fillette afin de lui montrer qu'elle ne désirait pas prendre le dessus sur elle. Elle lui adressa un sourire plein de douceur. Elle n'était peut-être pas une personne très ordinaire qui ne faisait que des choses légales et qui vivait dans la crainte des autorités, mais elle essayait toujours de faire ce qu'il y avait de mieux pour les enfants qu'elle croisait. Et puisque cette petite préférait être une enfant de la forêt, elle ne s'arrogeait pas le droit de l'en empêcher. Tout ce qu'elle voulait, c'était l'aider un peu. Mais la confiance ne se gagnait pas aussi facilement et elle le comprenait bien.

« Ce n'est pas empoisonné. Je peux goûter ton assiette, si tu veux. C'est très bon. Je viens d'en manger une belle assiette de mon côté. J'ai préparé ça pour tout le monde à la maison et ça fait quelques jours que je te voyais passer dans le coin. Ça ne doit pas être facile de trouver de la nourriture à cette période de l'année. J'ai voulu t'en donner, mais je n'étais pas sûre que tu me laisserais m'approcher alors je l’ai laissée là. J'ai pensé que tu viendrais la prendre quand tu aurais faim. »

Gothel n'était pas très certaine d'être contente que ce soit l'animal qui ait commencé à piocher dans l'assiette. Elle ne cuisinait pas pour nourrir toutes les créatures de la forêt où elle n'en aurait pas fini. Mais celui-là était différent. Il était le compagnon de la petite et si l'un de ses enfants avait eu un chat ou un chien, elle aurait trouvé très beau que l'enfant partage avec son animal familier. En plus, l'animal démontrerait à la petite sauvageonne que le plat était sûr. Et en plus, il ne serait pas malade et lui montrerait aussi qu'elle ne risquait pas de l'être, du moins, Gothel ne le pensait pas.

L'enfant continuait d'avoir des doutes et la menaça de représailles si jamais elle tombait malade. Elle n'avait pas froid aux yeux. Mais cela avait davantage tendance à toucher la psychologue qu’à l’effrayer. A priori elle avait cuisiné pour des enfants et elle avait donc évité une trop grosse quantité d'épices ou des aliments pouvant causer allergies ou réactions. Mais elle ne pouvait évidemment pas tout prévoir. Elle essayait quand-même de faire attention. Il fallait que ses trésors aillent bien. Elle ne pouvait quand même pas dire le contraire, il était déjà arrivé que l'un d'eux ait mal au ventre pour avoir été trop gourmand mais dans ce cas, c'était sa faute et ça ne risquait pas d'arriver à Tuk, puisqu'elle n'avait qu'une seule assiette.

« Oh j'espère bien que tu ne seras pas malade. Ce ne serait pas bien pour toi. Normalement, j'ai fait attention à ne pas mettre d'épices ou de choses qui pourraient donner mal au ventre, mais si quelque chose ne te plaît pas, tu n'as qu’à me le dire et je ferai attention la prochaine fois. »

Le plat n'était que la première étape pour Gothel. De ce qu'elle avait observé, l'enfant n'était pas malheureuse, mais elle ne pouvait pas vraiment en être sûre et elle avait envie d'avoir la confirmation que la fillette était bien à sa place dans la forêt. Ensuite, elle pourrait lui faire de petits cadeaux pour aménager le mieux du monde le logement qu'elle se serait choisi. Quoi qu'il arrive, elle voulait surtout faire le mieux pour que l'enfant se sente bien à son aise et qu'elle soit le plus heureuse possible, où qu'elle vive.

« Tu vis dans la forêt je crois ? Tu t'y plais ? »

Si Gothel s’était douté d’une chose, c’était que la petite n’avait pas dû souvent avoir l’occasion de goûter à des plats cuisinés. Si elle vivait à la sauvage depuis sa petite enfance, elle ne connaissait rien des délices de la vie moderne. Certaines choses pouvaient parfois être pesantes, certes, et elle le comprenait. Mais il y en avait des aspects plutôt passionnants. Et intéressants. Elle aimait cuisiner pour ses petits trésors, et trouver des recettes qui les remplumeraient. Ces tristes minois avaient une légère tendance à se laisser dépérir à-cause de leur mal-être. Mais quand elle arrivait et qu’elle décidait de s’occuper d’eux, le malheur n’était plus à l’ordre du jour.

« Je suis ravie que ça t’ait plu », répondit Gothel avec un tendre sourire. « As-tu assez mangé ? Je peux t’en remplir une autre assiette, si tu as encore faim. »

Elle en avait suffisamment pour en redonner. Sinon, les restes seraient mangés de toute façon. On ne perdait rien quand on avait une si grande famille, il y avait toujours quelqu’un pour finir les marmites. Gothel avait envie de savoir si la fillette était heureuse de l’endroit où elle vivait et de la façon dont elle vivait. Mais c’était ce qui lui était naturel, comme elle le lui expliqua. Tout le monde vivait ainsi dans l’endroit où elle vivait et, comme l’avait supposé la mère de substitution, elle était plus à son aise de cette façon. Mais le geste qu’elle fit pour lui proposer de visiter sa demeure lui réchauffa le cœur.

« Avec plaisir », répondit-elle en lui prenant la main. « Je comprends que tu te sentes mieux ici, si c’est ce à quoi tu étais habituée. Faisait-il parfois aussi froid qu’en ce moment là où tu habitais ? Et à quoi cela ressemblait ? Était-ce le même genre de forêt que celle-ci ? »

La petite cabane, qui représentait un abri un peu modique, était pourtant bien visible. Il était évident que c’était un endroit qui avait été transformé pour offrir un abri, même si cet abri n’était pas forcément très élaboré. Gothel avait envie de lui proposer de quoi l’agrémenter, mais elle resterait dans les envies et les besoins de la fillette. Elle ne voulait surtout pas lui imposer la modernité au-delà de ce qu’elle était prête à en accepter. Si c’était pour faire cela, autant la ramener dans le système, mais ce n’était pas le but de la quadragénaire. Elle regarda autour d’elle.

« C’est très joli par ici, et je vois que tu as un petit endroit pour te poser quand tu en as envie. Mais peut-être que l’on pourrait y ajouter quelques petites choses… pour te tenir plus chaud par exemple. Et puis, si tu veux, je pourrais te donner quelques assiettées des plats que je prépare. Ca t’évitera d’avoir faim quand il est plus difficile de trouver sa nourriture. »

Elle était tout à fait convaincue que c'était un bon moyen de gagner le cœur d'une personne en général et d'un enfant en particulier que de lui proposer des saveurs gustatives qui lui permettaient de ravir son palais. Cela avait semblé fonctionner avec la fillette qui venait de la prendre par la main pour l'emmener voir l'endroit où elle habitait. Il n'était pas question pour la mère qu'elle était de forcer quoi que ce soit et elle continuait à lui manifester de la douceur tout en la questionnant sur son cadre de vie avant de venir dans cette ville et à présent. Tout ce qu'elle serait capable de lui apporter sans la couper de ce dont elle avait vraiment besoin, elle n’hésiterait pas à le faire.

Si la fillette avait vécu dans une forêt d'un climat plutôt typé tropical, elle ne devait pas tout à fait se sentir à son aise dans cette ville où les températures pouvaient descendre très bas en hiver. Même au plus fort de l'été, il pouvait parfois arriver qu'il fasse froid et qu'il pleuve, pas au point de générer de la neige évidemment, mais suffisamment pour que la vie en forêt puisse devenir inconfortable. Améliorer le confort de cette petite était donc quelque chose qui tenait vraiment beaucoup à cœur à la quadragénaire. Mais elle tenait à le faire en évitant de la mettre mal à l'aise.

« Je suis désolée de l'apprendre. Ça doit être difficile pour toi, la transition, surtout à cette période de l'année. Les hivers sont froids dans cette ville. »

Elle savait que certaines personnes, même les enfants, pouvaient montrer tellement d'indépendance que la simple idée qu'on leur vienne en aide d'une manière ou d'une autre était compliqué à gérer pour eux. Elle fut contente d'entendre que ce n'était pas le cas pour cette fillette, qui accepte avec un peu de timidité que celle qui lui avait préparé un repas lui offre aussi quelques éléments de confort. Elle sourit grandement également lorsque la fillette lui parla de ses repas. Elle avait apparemment apprécié et c'était le plus beau compliment qu’elle pouvait faire à Gothel.

« Je suis contente que mon plat t'ait plu. J’en fais toujours beaucoup plus qu'il n'en faut, alors il n'y aura pas de problème pour t'en donner. Et nous pourrions trouver des couvertures bien chaudes que tu pourras à mettre tout autour de toi et qui feront du bien à ce petit corps fragile d'humain que tu as. Malheureusement, nous arrivons tous ici avec cette même difficulté », commenta-t-elle en riant.

C’était quand même plus facile pour les personnes comme elle qui avaient l'expérience de l'humanité avant d'arriver dans cette ville. Certains êtres transformés n’avaient jamais eu à manger ou à boire et il avait fallu leur apprendre les bases que chaque humain connaissait depuis sa naissance. Elle avait de la chance de ne pas avoir ce problème. Cela lui faisait également chaud au cœur que la fillette ait envie de lui rendre visite dans sa maison. Elle avait fait exprès de laisser la nourriture dehors pour que l'enfant ne se sente pas contrainte de se rendre dans un endroit où elle n'en avait pas envie et il n'y avait pas de plus beau compliment et de plus beau geste de confiance que de lui dire qu'elle aimerait lui rendre visite.

« Ma chère petite, tu peux considérer ma maison comme la tienne. Tu viens quand tu veux, tu y seras toujours la bienvenue et tu pourras même rencontrer d'autres enfants de ton âge avec qui tu pourrais aimer jouer. Je ferai tout ce que je pourrais pour que tu n'aies jamais l'impression de te sentir prisonnière chez moi. »