(Terminé) For Mischa | Chiyoh

Il y avait ce jeune homme à présent avec elle chez Lady Miyazaki. Hannibal. Il ne parlait pas beaucoup, pour dire même quasiment jamais. Enfin ça, c’était avec les adultes. Avec elle, c’était un peu différent. Il restait sur la réserve, elle le sentait bien, mais c’est comme si au lieu de retenir sa respiration, il s’autorisait à prendre un peu d’air quand ils étaient seuls. Du moins, c’est comme ça qu’elle le voyait. Elle voulait l’aider, sincèrement. Elle ne savait pas pourquoi, mais elle se sentait investie de cette mission de faire son possible pour qu’il aille mieux. C’était peut-être bête de sa part. Après tout, il ne lui avait rien demandé. Peut-être que c’était parce qu’elle était une servante et sa mère l’avait été avant elle : c’était une habitude de prendre soin des autres. Peut-être qu’elle souffrait en l’entendant hurler la nuit par simple compassion. Peut-être que même s’il était plus vieux qu’elle, c’était la seule personne à qui elle pouvait vraiment s’accrocher. Peut-être que c’était un mélange de tout ça.

Toujours était-il que quand il vient dans sa chambre cette nuit-là et qu’il lui fit signe de ne pas parler, elle obéit. Elle était surprise qu’il vienne la chercher, mais elle lui fit confiance sans aucune arrière-pensée. Elle le suivit sans bruit à travers la maison, puis à travers l’extérieur. Un mélange de plusieurs sentiments se crée en elle au fur et à mesure qu’ils avancent. Elle a un peu peur, c’est vrai. Elle ne sait pas où elle va, il fait nuit noire et elle reste une enfant. D’un autre côté, elle se sent privilégiée de suivre Hannibal dans une de ses aventures même si elle en ignore tout. Il y a le côté grisant d’avoir été choisie pour cette virée nocturne. Elle se demande aussi s’ils ont le « droit » de faire tout ça ? Lui, sûrement, car après tout, il est plus grand et il vit ici. Mais elle… Le goût du risque rend toute l’expédition encore plus exaltante et effrayante à la fois.

Chiyoh se retrouve à suivre Hannibal sans dire un mot. Elle voudrait lui poser des questions sur tout ce qui se passe, sur leur destination, sur ses motivations, mais elle pense connaître suffisamment le jeune homme pour savoir qu’il lui dira les choses en temps venu, quand il le souhaitera, s’il le souhaite. Elle reste donc muette, et même dans sa façon de marcher, elle tente d’être discrète même si ce n’est pas évident dehors dans le noir.

Lorsqu’ils pénètrent dans la partie du cimetière, elle se demande pour « qui » ils sont là. Avant même d’atteindre la tombe à laquelle elle pense, elle se doute qu’il s’agisse de Mischa, la sœur d’Hannibal. Les questions se bousculent dans sa tête, mais elle garde toujours le silence. Elle s’assied quand on le lui demande et attend sagement. Pendant un moment, elle se demande même s’il va parler, mais elle tient sa langue. Quand finalement, il le fait, elle est perplexe. Elle laisse un peu de temps avant de prendre la parole.

- Où est le corps dans ce cas ?

Elle comprend la gravité de tout ce qui se joue ici : Hannibal parle, il lui dit des choses sur sa sœur, il y a un genre de secret dans ce qu’il lui raconte. Il faut qu’elle fasse attention à ce qu’elle dit. Elle ne veut pas qu’il se referme sur lui-même si elle ne dit pas la bonne chose. Elle se laisse un peu de temps pour penser avant de reprendre.

- Personne n’a parlé d’incendie alors…

En écoutant parler Hannibal, Chiyoh ressentit toute l’horreur de la situation prendre place petit à petit. Elle était encore petite, mais elle était futée pour son âge. Il n’avait pas besoin d’en dire plus pour qu’elle comprenne la fin de l’histoire. C’était un concept étrange à accepter pour un enfant. Manger un autre être humain à cause de son assassin. Sa curiosité l’emmenait à bien des questions sur la situation, sur le concert de toute la réalisation. Pourtant, elle se tût. Par respect, aussi bien de Misha que d’Hannibal. Elle ne savait pas pour lequel des deux elle avait le plus de peine. À bien y réfléchir, sûrement pour Hannibal, car c’était lui qui était toujours en vie et qui gardait se terrible secret en lui.

Elle avança sa petite main vers le jeune homme et la posa simplement sur son poignet. Elle exerça une légère pression, juste pour l’ancrer dans ce moment avec elle. C’était aussi pour lui montrer son soutien et lui dire qu’elle essayait de comprendre sa peine. S’il le voulait, il pouvait très facilement se défaire de cette étreinte douce, mais elle espérait sincèrement qu’il ne le ferait pas.

- Est-ce que tu connaissais cet homme ?

Elle avait entendu des adultes parler de la proximité des tueurs par rapport à leurs victimes. Plus souvent, qu’on ne l’imaginait, il ne s’agissait pas d’un parfait inconnu, mais bien d’une personne qu’on fréquentait régulièrement. S’était-il agi d’un voisin ou du jardinier ? Les avait-il piégés avec cette tempête de neige dans un acte prémédité ? Qu’avait-il fait subir d’autres à Hannibal qu’il n’aurait pas voulu évoquer ?

- Il faut le retrouver.

Son crime ne pouvait pas rester impuni. Chiyoh avait décidé de prendre tout ceci très à cœur et il était hors de question pour elle que toute cette histoire reste cachée. Elle respectait le silence d’Hannibal auprès des adultes, mais maintenant qu’elle était dans la confidence, elle n’allait pas ignorer les faits. Cet homme devait être retrouvé et il devait être mis en prison. Faire ça à des enfants… Elle refusait de le laisser en liberté. La détermination se lisait sur son visage.

Elle hésita un peu à poser la prochaine question. Peut-être parce que la question était déjà répondue avant même d’avoir franchi ses lèvres. Elle restait une enfant et elle avait besoin de l’entendre d’elle-même. Alors elle se lança avec une pointe d’hésitation :

- Pourquoi me l’avoir dit à moi ?

Elle imaginait qu’il se confiait à elle, car il cherchait un autre enfant pour avouer son secret. C’était le plus logique selon elle. Peut-être avait-il peur de se faire juger par les adultes. Alors que s’ils étaient intelligents, ils auraient compris aussi bien qu’elle, qu’il n’avait pas eu le choix. C’était une question de survie aussi simplement que cela. Il avait fait l’impensable, mais il avait eu raison. Sans ça, il serait mort lui aussi et rien d’autre n’aurait eu de sens.

L’aveu d’Hannibal est horrible. Il ne connaissait pas l’homme. C’est à la fois un soulagement et une défaite. Un soulagement, car au moins, le poids de la trahison ne pèse pas sur son âme. Il n’a pas à souffrir du chagrin de voir un visage familier devenir celui d’un monstre. Mais c’est aussi une défaite, car pour le retrouver, ce sera bien plus difficile. Comment s’y prendront-ils ? Elle avoue ne pas le savoir encore. Peut-être pourraient-ils lui tendre un piège ? Lui faire croire que Chiyoh est une nouvelle cible alors qu’en fait Hannibal sera caché quelque part pour attendre l’homme ? Elle n’a pas vraiment eu le temps d’y réfléchir et peut-être que c’est trop compliqué pour elle, mais elle est prête à s’investir pour réussir.
Le regard d’Hannibal se posa sur elle avec une intensité toute particulière quand il lui reprit la parole. Elle plonge ses yeux dans les siens, réfléchissant bien à ce qu’elle va répondre. Ce n’est pas une question simple, elle le comprend. C’est avec conviction qu’elle répond donc :

- Nous rendrons justice…

Elle n’a évidemment pas la moindre idée que sa version de la justice n’a rien à voir avec ce qu’Hannibal a en tête. Elle est incapable d’imaginer ce qu’il a en tête et ce qui me pousse sur ce chemin. Cela, serait-il différent si elle avait été présente directement ? Si elle aussi avait dû survivre comme lui l’avait fait ? Peut-être. À cet instant, Chiyoh reste une enfant.

- Justice pour Misha.

Elle retire doucement sa main de la sienne après lui avoir donné un maximum de soutien et écoute attentivement que personne n’aurait pu le comprendre ici. Elle se sent honorée d’être celle qu’il a choisie.

- Je n’en parlerais à personne d’autre, promet-elle.

Elle ne peut pas dire qu’elle est heureuse de partager son secret. Elle comprend que c’est une grosse responsabilité et qu’elle devra faire attention à ce qu’elle dit. L’horreur derrière ce qu’il lui raconte est très claire pour elle. Ce n’est pas un secret d’enfant, mais bien d’adulte. Pourtant, elle ressent une certaine fierté. Pour rien au monde, elle ne trahira son secret.

- Je lui ressemble ? Comment ça ? J’aurais bien aimé la rencontrer.

Elle voulait en savoir plus sur la jeune fille. Elle était prête à s’investir pour la venger, mais elle ne l’avait jamais rencontrée. Est-ce que c’était bizarre ? Elle le faisait surtout pour Hannibal, mais peut-être que s’il lui parlait d’elle, elle aurait d’autres motivations. Ne pouvait-on pas apprécier quelqu’un simplement à travers les yeux d’une autre personne ?

- Elle était gentille ? Qu’est-ce qu’elle aimait faire ?

Chiyoh écouta presque religieusement Hannibal lui parler de sa sœur. Elle avait l’air d’être une personne si formidable. Elle aurait aimé la rencontrer et devenir son amie. Peut-être que Chiyoh ne se rendait pas compte, mais elle avait eu une enfance assez solitaire. Sans père et avec une mère occupée toute la journée. Elle avait grandi seule et elle se retrouvait déjà orpheline. Heureusement pour elle, Lady Murasaki l’avait prise à son service, lui offrant un toit et une éducation. Mais elle était une enfant dans un monde d’adulte.

Pour elle, Hannibal était un salut incroyable à sa solitude. Elle voulait se montrer à la hauteur de cet adolescent qu’elle idolâtrait depuis qu’il était arrivé. Alors partager des secrets avec lui, c’était une chance qu’elle ne prenait pas à la légère. Elle tenta même sa chance pour se rapprocher encore plus de lui.

- Je pourrais t’écouter jouer du piano moi aussi ? Je suis sûre qu’elle devait aimer t’entendre en faire.

Elle songea à demander d’apprendre à en jouer elle aussi, mais elle sentait que c’était peut-être trop intimiste pour en formuler la demande. Ils étaient tout de même sur la tombe, vide, mais sur la tombe quand même de Misha.
Alors qu’un petit silence s’était installé, la petite fille se demanda comment ils parviendraient à arrêter un criminel d’une telle ampleur. Elle n’avait que 8 ans, comment ferait-elle ? Bien sûr, elle se doutait que cela prendrait du temps, mais par où commencer ? C’est la mine grave qu’elle reprit la parole :

- Comment allons-nous faire pour le trouver ? Si on n’en parle pas, on n’aura pas l’aide de la police non plus…

Elle comprenait très bien le caractère privé de leur recherche. Hannibal avait quelque chose à régler lui-même en lui parlant aujourd’hui de sa sœur. Chiyoh ne se doutait pas des raisons de son secret, mais elle savait qu’ils seraient seuls sur l’affaire. Elle avait déjà entendu parler d’enquête de police, mais elle ne s’était jamais demandé comment faire pour élucider un meurtre et retrouver l’assassin. Maintenant, qu’elle y pensait, il y avait parfois des appels à témoins qui passaient à la télévision.

- Est-ce qu’on a des témoins ou des indices ?

Elle proposait tout ce qu’elle pouvait sans être sûre de ce que cela signifiait vraiment pour eux. Peut-être qu’Hannibal n’attendait pas d’elle qu’elle s’y mette tout de suite, mais elle voulait lui prouver qu’elle prenait tout cela très au sérieux. Il l’incluait dans un problème d’adulte et elle essayait de lui répondre comme une adulte.

Lorsqu’Hannibal lui confirme qu’elle pourra l’entendre jouer, elle est aux anges. Jamais personne n’a fait cela pour elle. Peut-être est-ce quelque chose d’insignifiant pour beaucoup, mais pas pour elle qui est déjà bien seule dans ce monde d’adulte. Alors quand Hannibal précise même qu’il lui apprendra, elle est comblée. Elle sait déjà qu’elle s’entraînera très dur pour être à la hauteur de son nouveau professeur. Il est hors de question qu’elle soit une élève médiocre. L’excellence ou rien. Elle ne sait pas vraiment encore comment elle s’y prendra pour s’entraîner en dehors de ses heures de travail, mais elle est prête à faire des sacrifices. Le regard qu’elle perçoit d’Hannibal sur elle est suffisant pour qu’elle donne tout pour le rendre fier.

Elle ne se rend pas compte que quelque chose de plus malsain se noue entre eux à ce moment. Elle prend la place de sa sœur d’une façon qui lui est totalement inconsciente, mais dont elle se réjouit. Ce moment est pourtant de courte durée, car quand elle reprend la parole, Hannibal se renferme. Elle hoche la tête solennellement quand elle reprécise qu’ils ne feront pas appel à la police. Elle a promis de garder ça pour elle, elle ne risque pas de trahir sa parole.
Il lui explique un peu plus son rôle dans tout cela. Elle est son soutien, son alibi, sa roue de secours. Bien sûr qu’elle le couvrira autant de fois que nécessaire. Elle est intimidée par ce qu’il attend d’elle, mais elle fera tout pour se montrer à la hauteur.

- Je ferais tout ce que tu me demandes.

Cela pourrait être des mots innocents prononcés par une petite fille. Cela pourrait être une promesse vide de sens. Mais Chiyoh s’engage d’une manière bien plus sérieuse. Pour elle, l’honneur est très important, cela lui vient de ses origines japonaises. C’est une valeur qui lui a été inculquée par sa mère. Aussi, si elle promet de tout faire, elle le fera.

Hannibal lui explique ensuite qu’il faut qu’elle en sache le moins possible. Elle est un peu vexée, se disant qu’il ne lui fait pas confiance. Pourtant, il tourne sa phrase d’une façon qui sous-entend que c’est pour son bien. Elle a promis de tout faire pour lui, elle ne peut pas commencer à ronchonner parce que son plan ne l’inclut pas assez. Elle doit se montrer adulte, car il lui parle comme à une adulte.
Chiyoh pose ses petites mains fraiches sur les avants bras d’Hannibal et le regarde droit dans les yeux.

- Je ferais tout ce qu’il faut faire. Je ne te décevrais pas.

Un frisson la parcourt en prononçant ses mots. Aussi bien dû à la promesse qu’elle vient de faire qu’à la fraîcheur de la nuit en Lituanie. Il faut dire qu’ils sont dehors en pyjama. Elle voudrait être plus forte, mais elle se met à claquer des dents. Elle s’en veut déjà, mais elle pose une question qui change tout à fait de direction.

- Est-ce qu’on peut rentrer ?