(( seuls avec du monde autour )) — .･✧ kai & winter.

Certes, Winter était en colère contre son frère. Certes, Winter avait de la rancœur. Mais avant tout, Winter était incapable de le laisser en pleine détresse. Leurs derniers échanges de SMS la démolirent. Kai avait beau être entouré d’un paquet de fidèles, il restait éternellement seul dans le fond. Winter avait toujours eu la franchise de lui dire, d’essayer de lui faire ouvrir les yeux à ce sujet, mais il avait encore l’air de se voiler la face. Il n’empêche qu’elle n’avait pas pu s’empêcher de l’imaginer seul avec du monde autour, son téléphone à la main, trainant sa peine en espérant que sa sœur tant aimée accepte de le revoir, ne serait-ce qu’un court instant. Winter n’était pas une fille méchante et surtout, elle avait un mal incroyable à résister à son frère. Imaginer qu’elle puisse le blesser en mettant encore plus de distance la rendait même presque malade. Normalement, elle devait voir Montana ce soir. Elle aurait adoré la retrouver, mais comme elle l’avait dit à Kai : elle ne pouvait pas se dédoubler et il primait sur le reste. Alors, sans aucune hésitation, Winter envoya un message à la concernée et s’excusa platement. « Mon frère est pas bien du tout. Je peux vraiment pas le laisser. » En guise de compromis, elle proposa à Montana de la voir le lendemain. À ce stade, Winter n’avait pas encore vu si elle lui avait répondu ou non.

En effet, une fois le rendez-vous annulé, elle avait décampé de chez elle. Elle était déjà prête de toute façon comme elle s’était pomponnée pour son rendez-vous avec Montana. Peut-être était-ce un peu trop pour aller voir son frère, mais tant pis, elle n’allait pas se changer juste pour ça. Winter vivait le truc comme une situation d’urgence. Elle n’avait pas de temps à perdre. Il fallait vraiment qu’elle rejoigne Kai au plus vite, qu’il ait la surprise de la trouver derrière sa porte. Peut-être qu’elle n’aurait pas dû répondre à son impulsivité d’ailleurs… Il ne fallait pas que Kai s’habitude à ce que Winter rapplique dès qu’il la siffle en quelque sorte, mais la jeune femme ne réfléchissait pas du tout comme ça. Son grand frère avait besoin d’elle alors, elle venait. Qu’importe si elle devait sacrifier une soirée ou autre pour ça. Rien ne valait plus que son frère.

Environ vingt minutes après le dernier message de Kai (auquel elle n’avait pas répondu), Winter se trouvait devant sa porte. Elle était extatique, impatiente de voir un immense sourire fendre le visage de Kai et l’illuminer dès qu’il la verrait. Il avait besoin de la voir, mais elle aussi au fond. Elle avait beau avoir des amis, une amoureuse en devenir, personne n’arrivait à imiter la proximité et la fusion qu’elle avait avec lui. Sans plus attendre, elle sonnait. Elle s’attendait à ce qu’un disciple ouvre, mais c’était Kai en personne qui se présentait. Winter lui offrait son plus grand et beau sourire, fière de son petit effet de surprise. « T’enfiles une paire de pompes ? Je t’emmène quelque part. » À ce stade, elle n’avait aucune idée de l’endroit où ils pourraient aller. Ça n’avait pas d’importance. Ils étaient ensemble. C’est tout ce qui comptait.

Winter n’aurait jamais pensé que ça lui aurait fait autant de bien de revoir son frère. Leurs retrouvailles sur cette île avaient été farouchement compliquées et violentes, mais il semblerait qu’ils aient malgré tout trouvé un équilibre. Kai et Winter s’étaient toujours satisfaits du chaos de toute manière. La tranquillité n’était pas leur fort, surtout quand il s’agissait de s’exprimer sur l’attachement qu’ils se portaient mutuellement. Le baiser de Kai contre son front était ce calumet de paix dont ils avaient tant besoin et Winter n’aurait jamais cru qu’elle aurait besoin de cette tranquillité avec lui. Quand il était fin prêt et qu’il réapparaissait dehors, son cœur s’éprenait d’un sentiment nouveau et incongru qu’elle ne parvenait pas à définir. Le palpitant s’emballait pour disparaitre dans une flopée de papillons, c’était tout ce qu’elle parvenait à distinguer quand elle s’approcha de son frère et qu’elle attrapa son bras pour marcher à ses côtés. « Pas besoin de ta voiture. Marcher va nous faire du bien. » Et surtout, ça rallongerait le temps passé avec lui, une perspective que la voiture n’aurait pas pu leur offrir. D’autant plus que le paysage était d’une beauté rare avec le soleil qui déclinait à l’horizon. Le ciel se teintait de rose, tirant sur l’orange jusqu’au rouge. Parfois, il n’était pas rare de le voir se fondre dans un violet élégant. Un panache de couleur qui représentait parfaitement les nuits d’été dont Winter était friande : elle rendait l’atmosphère mystique, étrange et envoutante. Rien de mieux pour celle qui affectionnait tant le mysticisme.  

Elle ne fit pas beaucoup de mystères quant à leur destination comme elle savait parfaitement que Kai détestait ça. Il avait un besoin irrépressible de tout savoir et de tout contrôler, elle aussi, alors inutile de le torturer plus longtemps. « Il y a un feu d’artifice sur la plage ce soir avec des stands pour manger et tout. J’avais envie d’y aller, mais en profiter avec toi c’est encore mieux. Puis ça change de ce qu’on a pu faire jusqu’ici. » Winter lui offrait un sourire alors que son rythme de marche se calait sur le sien. D’accord, elle avait pensé y aller avec Montana en premier, mais la détresse de Kai avait eu raison d’elle et pour être tout à fait honnête, elle ne regrettait pas son choix. À mesure qu’ils se dirigeaient vers la plage, la main de Winter avait fini dans la sienne. Elle avait besoin de cette proximité pour avoir réellement la sensation d’avoir retrouvé son frère. Après tout, elle avait toujours été fusionnelle avec lui. Le manque était tout aussi terrible à vivre pour elle bien qu’elle ne montrât rien.

La plage était gorgée de monde. Ils n’étaient pas les seuls à avoir eu l’idée de contempler le feu d’artifice ce soir et de se gaver de snacking en tout genre proposés par les stands de nourriture prévus pour la soirée. Winter avait opté pour un hot dog, une gaufre au sucre et un grand verre de Coca. (Quoi ? Elle avait faim !) Une fois que Kai eut fait son choix, elle l’invita à la suivre vers ce qu’elle estimait être le spot parfait pour passer une soirée tranquille loin de la foule. La plage bénéficiait d’une avancée de roche qui créait une sorte de crique minuscule et escarpée pour qu’une personne lambda ose s’aventurer ici. Mais Winter n’était pas n’importe qui et surtout elle ne voulait pas qu’on vienne perturber sa véritable soirée de retrouvailles avec son frère. Puis elle sentait que lui aussi avait besoin de ce moment rien qu’avec elle. Elle n’oubliait pas ses messages alarmants qui reflétaient tout le manque qu’il ressentait à son égard. Sans avoir rien renversé et après une petite dizaine de minutes de marche et d’escalade, ils arrivaient sur la plage de la crique. Ils avaient une vue imprenable sur la baie et sur la mer, un point de chute parfait pour observer comme il se devait le feu d’artifice. « Ça te va ici ? » demandait-elle avec un sourire cloué aux lèvres. Winter s’asseyait en même temps sur le sable chaud. Le soleil offrait ses derniers rayons à la Terre pour la journée. Les premières étoiles teintaient déjà le ciel de leur faible éclat.

Les vagues s’écrasaient sur le rivage. Elles créaient un écho apaisant, une atmosphère chaleureuse et empreinte d’un certain onirisme qui vous propulsait hors du temps. La mer ondulait sous les derniers rayons solaires, prenant une teinte plus orangée et qui participait à tout ce mysticisme. Winter était apaisée. Plus encore lorsque son frère la prenait contre lui et qu’il l’enfermait avec possessivité entre ses bras. Winter n’y voyait aucun inconvénient et elle ne cherchait même pas à se défaire de cette emprise. Au contraire, elle se blottissait naturellement contre lui et un soupir d’aise lui échappait. Elle contemplait toujours avec une attention toute particulière la mer et l’horizon tandis que sa main rejoignait celles de son frère au niveau de son ventre. Il parlait, se livrait. Elle le poussait à continuer en caressant avec délicatesse sa peau à l’aide de son pouce. Il avait beau être dans le contrôle, il ne pouvait pas empêcher son cœur de battre à la chamade à mesure qu’il s’exprimait. Winter le sentait. Ça lui arrachait un doux, mais violent frisson qui terminait sa course dans sa nuque. De son côté, le sien se pinçait quand Kai lui avouait qu’elle lui avait manqué. L’émotion qu’elle sentit dans sa voix la troublait parce qu’il n’était pas le genre à s’abandonner dans une telle faiblesse. Elle était touchée de voir qu’il lui faisait suffisamment confiance pour se montrer vulnérable. Kai restant Kai, il restait dans la retenue malgré tout, mais il ne pouvait point cacher les petits signes à sa propre sœur qui le connaissait mieux que quiconque. Peut-être même mieux que Julie qui l’avait pourtant mis au monde. Ses caresses sur ses mains étaient plus présentes et toujours exercées avec le pouce.

Winter avait délibérément laissé un silence planer, simplement pour profiter de ce moment de communion entre eux. Puis, il n’était pas toujours nécessaire de parler, les blancs étaient sains. Elle ne laissait cependant Kai pas très longtemps en suspens. « Tu m’as pas manqué. » Elle se redressait pour que leurs regards se croisent. Le sien était doux. Les caresses qu’elle donnait à la joue de son frère aussi. Derrière elle, le soleil en déclin la faisait briller dans son halo, lui donnant des airs angevins. « Parce que tu m’as jamais quitté, Kai. Pas une seule seconde. » Contrairement à ce qu’elle avait toujours prétendu. Contrairement à ce que son masque de froideur avait pu sous-entendre. « Tu as toujours été à mes côtés. Parce que je t’avais ici. » Elle pointait sa tête du doigt. « Et là. » Cette fois-ci elle posait sa main sur son cœur. Qu’importe les disputes, qu’importe les différends, et les guerres, Kai avait toujours possédé l’esprit, l’âme et le cœur de Winter. Même si elle le désirait ardemment dans les moments les plus difficiles, jamais elle ne pourrait se débarrasser de lui. Parce qu’ils étaient les deux faces d’une même pièce et rien ni personne ne pourra changer cela. Pas même eux. À son tour de le gratifier d’un baiser, mais sur son front avant de reprendre place dans ses bras, la tête nichée dans son cou.

Winter profitait des dernières minutes de lumière pour caresser l’un des bras de son frère et observer le front de mer. « Tu sais, quand je suis morte… » Winter était apaisée lorsqu’elle mentionnait le sujet. Elle était même tendre, défaite de toute sa véhémence. « … je suis pas partie triste ou en colère contre toi. » Elle marqua une pause. Un léger sourire que Kai ne pouvait malheureusement pas voir se logeait sur ses lèvres. Il s’entendait en revanche. « J’avais un peu de rancune, d’accord. Mais je suis surtout partie en paix. Parce que j’étais… en sécurité. » Elle se redressait pour que son regard et celui de son frère se croisent à nouveau. Elle attrapait même sa main et la baisait avant de reprendre son discours. « J’étais en sécurité parce que je suis morte avec toi. J’ai toujours été suicidaire donc je sais depuis longtemps que j’aurai, dans tous les cas, pas fait de vieux os sur cette planète. Je me sentais en sécurité parce que tu as toujours été là. Du début jusqu’à la fin. La première fois que j’ai ouvert les yeux, c’était sur toi. Lorsque je les ai fermés une dernière fois, c’était sur toi. La boucle est bouclée. Si c’était moi qui m’étais donné la mort, j’aurais été perdue et déboussolée alors que mourir de ta main… ça a été… étrangement doux. J’avais peur. Mais pas tant que ça au final. » Elle souriait, baissait les yeux. Kai avait son caractère. Kai était violent. Kai était froid. Et Winter avait toujours douté de son attachement à son égard jusqu’au moment où il la tua. Ce n’est qu’à cet instant précis qu’elle avait perçu toute l’étendu de son amour à son égard parce que, aussi étrange que cela puisse sonner, il l’avait mise à mort avec respect, avec délicatesse. Il l’avait traité différemment que tous celles et ceux qu’il avait massacrés au nom de sa mission. Il aurait pu la torturer pendant des heures, la considérer comme un déchet comme tous les autres, mais il ne l’avait pas fait. Il ne l’avait pas tué froidement, sans aucun état d’âme, mais en pleurant tout ce qu’il pouvait. Il s’était mis à nu en l’étranglant. Au fond, Winter ne lui en voulait pas de lui avoir donné la mort, mais plus de ne pas l’avoir cru. Un premier feu venait d’être tiré dans le ciel et explosait en un panache d’or champagne et vert. Ce monologue avait pour but de faire comprendre à Kai que Winter lui pardonnait, qu’elle n’avait plus le temps ni l’envie d’entretenir des rancœurs éternelles avec lui. Elle voulait oublier le Dieu et retrouver son grand frère. Un autre feu explosait dans son dos au-dessus de la mer. Il était bleu et rouge sang. Winter n’en profitait pas, le regard encore rivé sur son frère.