(( the natural order of things )) — .･✧ kai & violet.

Brebis galeuse s’étant écartée du troupeau, Violet n’est qu’une traitresse à la nation montée de toute pièce par Kai. Mais Dieu étant miséricordieux, il accorde à son enfant dissident le retour en ses terres. Ô grâce à l’exilée qui ne mérite point le salut selon les autres adeptes ! Envieux à la langue acerbe, ils perçoivent le retour de Violet uniquement par le prisme de la négativité — regardez l’oiseau de mauvais augure qui va -là ! L’ange revient, c’est le signe marquant la fin de leur règne — un monopole que la protégée s’octroie. Perfide, ils lui rappelleront surement qu’elle ne deviendra jamais reine dans le cœur de leur dieu, place qui appartenait insidieusement à Winter l’égarée. Mais Violet ne voulait pas de cette place. Leurs bassesses ne la blesseraient pas outre mesure. Un autre roi avait investi son royaume il y a de ça des années. Un roi qui était également la source de ses tourments qui la poussèrent aujourd’hui à nouveau dans les bras de son libérateur céleste. Rejoins-moi. Maintenant. Elle accourut dès que son nom fut sifflé. La brebis n’avait pas pu résister longtemps au berger. Elle avait trop soif de lumière, elle qui dérivait depuis trop longtemps vers des rivages tourmentés.

Violet était une caricature. Elle s’était apprêtée de cette robe à la forme simple et de couleur blanche virginale faite de voilages et de dentelles délicates que Kai affectionnait et avait glissé des fleurs tout aussi immaculées dans ses cheveux relevés en un chignon complexe. Blasphème ridicule pour celle qui était loin d’être blanche comme neige. Elle s’était adonnée aux vices plus d’une fois avec le Malin, qui croyait-elle duper ? Qu’importe les autres tant que Kai était satisfait de son retour. Elle se complaisait dans le reflet que son miroir lui renvoyait tandis qu’elle se faisait des yeux de biches avec son mascara et qu’elle habillait ses lèvres d’un joli rose au rendu très naturel. Un peu de blush ; une vraie poupée. Les adeptes lui riraient au nez : qui crois-tu tromper ? Personne. Il n’y avait pas plus vraie qu’elle entre les murs de la secte. Elle s’était détournée de Kai par prétention, par suffisance, mais elle était revenue vers lui avec la même sincérité et la même passion qui la poussèrent à la fuite. On ne pouvait pas lui reprocher le caractère cru de ses émotions qui jamais ne pourront connaitre la nuance. Violet était extrême dans sa façon de vivre les choses. Alors tout ce blanc, ces airs angevins, c’était de trop, mais c’était elle.

Devant la demeure de Kai elle sonnait. On lui ouvrit. « Kai m’attend. » dit-elle non sans une certaine suffisance. L’adepte la toisait. « On sait. » siffla-t-il avec une véhémence qu’il ne cachait point. Violet entrait avec ce petit sourire fier aux lèvres. On la dévisageait avec rancœur et jalousie — pourquoi avait-elle été épargnée ? Pourquoi c’était elle qui recevait les grâces de leur seigneur ? Certains s’abandonnaient à la médisance en se perdant dans des détails graveleux et faux au cours de leur discussion de couloir, mais Violet n’écoutait ni ne regardait aucun d’entre eux : ils n’existaient pas dans son univers où seul Kai subsistait le temps de la soirée. Le temps que Kai daigne se présenter à sa cour, elle avait retrouvé les chemins de la cuisine. Il arrivait. Elle l’entendait à ses pas plus déterminés et affirmés que ceux des autres. Kai n’avait même pas besoin de parler pour s’imposer, sa stature le faisait déjà pour lui. Quand il entrait, Violet toisait avec mépris les restes d’un plat qui trônait au centre du plan de travail. Elle le désignait d’ailleurs d’un doigt écoeuré à Kai. « Ils t’ont vraiment fait manger ça ? » Pas besoin de gaspiller leur temps en politesse, Violet entrait directement dans le vif du sujet — stratagème subtil et futé pour donner avec peu l’impression qu’elle n’avait jamais quitté cette maison. « Pas croyable. Vraiment n’importe quoi. » Elle secouait la tête faussement exaspérée. Elle savait ce qu’elle avait à faire : reprendre sa place. Elle occupait alors la cuisine en se mettant aux fourneaux. Elle coupait des lamelles d’aubergines qu’elle avait chapardées dans le frigo. Elle les farcirait ensuite, mais chaque chose en son temps. Elle était trop occupée à jeter des coups d’œil à Kai pendant qu’elle maniait le couteau.

Tu ne m’as pas tout dit. Premier coup de marteau supplicié du juge suprême en ces lieux. En dépit de la violence, Violet avait appris à dompter les colères froides de Kai. Il s’habillait d’un calme d’apparat afin d’endormir ses proies pour mieux les mordre à la jugulaire ensuite. Violet ne sourcillait pas, coupant avec nonchalance son aubergine. Elle enchainait mécaniquement sur la deuxième, comme un robot. Être avec Kai, c’était être constamment sur le qui-vive et elle ne pouvait pas se permettre de montrer le moindre signe de relâchement. La seule chose qui la trahissait, c’était ce discret frisson qui courrait le long de sa nuque dès qu’il s’approchait d’elle. Pourquoi tu t’es refusée à moi ? Deuxième coup de marteau plus virulent. Il la percutait de plein fouet, rendant difficile son apathie. Pourquoi ? Parce qu’elle ne lui faisait pas confiance à l’époque. Parce que Violet n’était pas le genre à se mettre à nue devant n’importe qui. Bien entendu, elle ne pouvait pas confesser cette vérité crue à son Créateur. Alors, en une fraction de seconde, elle venait avec une tout autre explication qui saurait au mieux lui plaire en raison de l’audace dont elle faisait preuve ou au pire accroitre sa colère. « Y aurait eu aucun intérêt à me revoir si je t’avais tout déballer d’un coup. Il fallait bien que je trouve un moyen de me différencier. Je suis pas comme les autres. Et je voulais que tu le comprennes dès le départ. » Elle abandonnait son aubergine pour le confronter. D’un œil provocateur, elle le regardait en coin, leur visage tout près de l’un et de l’autre. Elle pouvait sentir le souffle chaud de Kai se mêler librement au sien, plus calme et froid. Sans être prétentieuse, Violet avait raison sur un point : elle n’était pas comme les autres. Des années durant elle avait été harcelée à l’école pour cette raison. Si, autrefois, sa différence lui pesait, aujourd’hui elle en faisait sa force et l’érigeait en véritable étendard de fierté. Elle n’avait pas besoin des mots de Kai pour s’en convaincre même s’il satisfaisait allègrement son égo.

La main de Violet se resserrait autour de la poignée de son couteau. Kai augmentait la tension entre eux d’un cran avec un rien. Violet avait eu du mal à résister à l’attraction physique qu’il exerçait sur elle en collant presque son corps au sien, mais sentir ses doigts s’enfoncer dans ses hanches avec une facilité déconcertante la transportait vers d’autres rivages plus tentateurs… Soupir discret qui s’échappait d’entre ses lèvres, elle lutta contre le chant des sirènes en essayant de se concentrer à nouveau sur sa cuisine. En vain. Malheureusement pour elle, elle était tombée sur le fils du Malin le plus prolifique. Difficile de résister à l’être qui incarnait au mieux le péché de luxure. Surtout lorsque ce dernier n’était pas le genre à lâcher sa proie à la moindre tentative de résistance. Il parlait, lui susurrait des paroles mielleuses pour qu’elle tombe dans ses filets, mais Violet n’entendait rien. Toute sa concentration était happée par l’effet qui produisait les mains du gourou sur son corps si frêle en comparaison du sien. Violet ne parvenait même plus à couper ses aubergines. « J’ai failli à ma tâche auprès de toi, mais ça se reproduira plus. » soufflait-elle, presque plaintive.  Les chuchotements de Kai étaient insupportables pour elle. Parce qu’elle avait l’impression qu’il s’infiltrait dans sa tête, dans ses cellules, son sang pour la faire totalement sienne. Folle, malsaine, elle appréciait cette emprise insidieuse et elle se haïssait pour ça. N’en avait déjà-t-elle pas eu assez avec Tate ? Bien qu’il soit nettement moins toxique que Kai, car profondément amoureux d’elle… Violet se pensait condamnée à tomber éternellement sur des hommes psychologiquement violents. Elle n’était pas amoureuse de Kai et ne le sera probablement jamais parce que Tate avait ce privilège, mais son admiration et l’attraction qu’il excellait sur elle avaient un effet dévastateur.

Kai avait probablement dû sentir ce flottement. Cette dualité en elle la dépassait et elle ignorait quoi en faire. Il la rattrapait au vol comme il avait toujours su le faire avec n’importe qui puisqu’il s’était élevé au rang de maître dans cet art. Violet succombait à la caresse de sa respiration chaude contre son cou. Elle succombait à sa main qui s’aventurait entre ses cuisses. Elle succombait à ses mots qui la faisaient reine. Elle succombait à tout. « Mais une larve d’abeille doit muer pour devenir reine. Ça peut être douloureux… » Violet en avait les larmes aux yeux. Douloureux… Il ne pouvait imaginer à quel point. Son cœur, son ventre, son âme hurlaient de douleur chaque fois qu’elle avait le malheur de repenser à cette soirée lugubre où elle commit le plus abject des crimes. Ôter la vie à quelqu’un, même la pire raclure sur Terre n’était pas aussi facile qu’on le pensait quand on était encore du bon côté de la barrière morale. « Tu m’as fait tellement de mal… » murmurait-elle avec peine, si bas qu’il était impossible que Kai l’ait entendu. Violet fermait ses yeux pour étouffer ses pleurs. Malgré tout ses efforts, sa voix s’étranglait malgré tout. En même temps, sa main avait enjoint la sienne entre ses cuisses pour l’empêcher d’aller plus loin. « Arrête… » tenta-elle, toujours aussi bas. Ça n’eut aucun effet. Kai l’avait retiré de lui-même pour garder le contrôle sur la situation. La jeune femme n’était qu’une poupée de chiffon entre ses mains. « Et toi, Violet… Tu brilles plus fort que n’importe qui. » Le feu s’éteignit aussi rapidement qu’il l’avait allumé dès l’instant où sa main s’échappa. Violet n’en restait pas moins troublé et eut un mal de chien pour toucher terre à nouveau. « Ta cuisine m’a manqué… » Et elle connaissait assez Kai pour savoir qu’il n’y avait pas que cela qui lui avait manqué. Mais elle n’avait pas envie de coucher avec lui. Elle n’était pas venue pour ça. Elle ne voulait pas lui céder. Violet se dérobait de ses bras pour se réfugier dans le frigo et y prendre du boeuf. « Toujours à point pour toi ? » En repassant devant lui, Violet lui jetait un regard bref, versant maladroitement la viande dans une poêle une fois le gaz allumé et le beurre fondu. Le combat sera rude. Elle le sait.