Les armes de la déesse [PV Jo March]

Artemis avait vécu la conversation avec Regina comme un révélateur sur le fait que sa situation n'était pas insurmontable et aussi que ça ne lui ressemblait pas de se morfondre et de se renfermer. La combattante qu'elle était n'était pas juste une déesse, mais elle était avant tout une guerrière et elle ne devait pas l'oublier. Elle n'avait peut-être plus ses pouvoirs, mais elle avait une force et une volonté de se battre ainsi que des compétences qui ne pouvaient lui être enlevées. Il fallait juste qu'elles se les réapproprient où elle se sentirait forte et courageuse. C’était elle de mener le combat mais il n'était plus question qu’elle cesse de se battre.

En attendant de redevenir la déesse qu'elle avait toujours été, si cela devait arriver un jour, elle avait décidé de s'entraîner et de se permettre de devenir telle qu'elle voulait être. Si elle avait été obstinément recluse ces derniers temps, ce ne fut pas moins obstinément qu’elle ressentit l'envie de se battre. Elle se rendit régulièrement à la salle d'entraînement pour se battre jusqu'à l'épuisement en faisant également toutes sortes d'exercices de musculation. Elle se couchait régulièrement avec des courbatures, mais en ressentant le plaisir d'avoir accompli quelque chose et d'avoir amélioré ses performances.

Elle était une nouvelle fois en train de s'entraîner et elle ne lésinait pas sur les efforts. Elle savait qu'elle n'était pas redevenue une déesse étant donné la sueur qui perlait sur son front. Mais rien ne l’arrêtait et elle continuait de taper violemment dans le punching-ball qui se trouvait dans la salle d'entraînement. Coup de poing, coup de pied, elle ne laissait rien au hasard. Elle frappait continuellement et semblait au bord de l'épuisement sans pour autant vouloir réduire la cadence. Au contraire, en se sentant faiblir, elle augmenta encore son effort pour être certaine qu'elle irait jusqu'au bout et que rien ne l'empêcherait de pousser jusqu'à l'épuisement.

Si elle avait décidé de se battre et de renoncer à la faiblesse dans laquelle tout son être s’ancrait depuis quelques semaines, elle n'avait rien perdu de sa vulnérabilité et elle n'était pas autrement surprise de penser que cela devait se voir. Ça n'avait rien d'une bonne nouvelle et elle demeurait persuadée qu'il fallait qu'elle y remédie, mais ça ne changeait rien. Le fait était là. Et c'était bien parce que ce fait était incontournable qu'elle n'avait pas forcément envie de rencontrer des gens durant son entraînement. Mais elle avait constitué son entreprise en la basant sur des entraînements réguliers.

Il n'était donc pas choquant outre-mesure qu'une autre jeune femme arrive dans la pièce alors qu'elle s'y entraînait. Artemis faillit sursauter et ne parvint à se retenir que tout juste, ce qui lui sembla une preuve supplémentaire que la situation était sérieuse. Après tout, elle n'était pas une femme réellement émotive avant que cette situation ne change la donne. Elle devait se reprendre et reprendre le contrôle et elle tenta de le faire en répondant à son employée en faisant tout son possible pour que sa voix ne tremble pas et ne trahisse pas tout ce qu'elle ressentait au fond d'elle-même.

« Bonjour Miss March, je vais bien merci, et vous-même ? »

C’était un mensonge, mais elle était persuadée que ce n'était pas visible. Bien entendu, elle ne se doutait pas à quel point ça l'était. Elle ne crut pas tellement longtemps avoir abusé son employée qui ne prie que peu de gants en s'attaquant directement à la question qui fâchait. La franchise de la jeune femme lui rappela Zoé qui n'avait jamais hésité à lui parler avec sincérité, mais elle n'avait pas envie que tout le monde voie ce par quoi elle était passée. Pourtant, mentir franchement à la jeune femme était complètement en désaccord avec la grande majorité de ces valeurs. Ce n'était pas le genre de choses que l'on faisait quand on était Artemis.

« Vous avez… remarqué, dites-vous ? C'est donc si évident que cela ? La situation est encore pire que ce que je pensais. Mais cela va s'arranger. C'est pour ça que je suis ici. »

Elle en avait trop dit, ou pas assez, et elle le savait très bien. Elle savait aussi que la discrète jeune femme ne demanderait pas de détails si elle ne se sentait pas prête à les lui livrer. Mais elle s'était montrée futée et à l’écoute, qualité que Artemis encourageait chez ses chasseresses. De plus, si ses qualités étaient plutôt vouées à créer une unité chez les filles, elle devait bien avouer que la déférence ait l'envie de prendre soin de la déesse qu'elle était était un comportement qui allait dans le sens de sa façon de demander à ses filles de lui être loyales.

« Il y a eu un incident. Je n'ai rien mais… disons pour faire simple que j'ai pris conscience de la vulnérabilité qui est la vôtre, vous les humains, et que l'arrivée dans ce monde m'a donnée. Et je dois dire que je n'ai pas du tout aimé ça. Je ne devrais pas vous l'avouer, mais je me suis cachée comme une lâche. Et puis quelqu'un m'a fait comprendre que ce n'est pas ainsi que doit se comporter Artemis. Et comme vous voyez, j'écoute cette personne. »

Artemis n'appréciait pas vraiment que quelqu'un soit témoin de sa vulnérabilité. Elle avait besoin de se sentir forte et d'imprimer aux yeux des personnes qui comptaient pour elle l'image de quelqu'un que le sort ne pouvait toucher. Malheureusement, elle avait vécu trop longtemps comme une humaine et il y avait certains aspects d'elles mêmes qu'elle était incapable de dissimuler complètement. Elle ne pouvait pas faire autrement que de constater à quel point elle avait acquis de la vulnérabilité, et de la visibilité aux yeux des autres. Il n'était pas question que cela dure. Regina avait raison. Elle ne se ressemblait plus à elle-même.

Le simple fait que Jo puisse voir ce qu'elle ressentait lui faisait penser que le monde entier pouvait voir à quel point elle était vulnérable. Ce n'était sans doute pas vrai parce qu'elle manquait d'objectivité sur le fait que son employée était une observatrice particulièrement attentive et qu'il était donc évident qu’elle était capable de percevoir des choses que d’autres ne voyaient pas. Elle lui notifia d'ailleurs qu'il était probable que les autres filles n’aient rien remarqué. Artemis espérait que c'était la vérité. Elle ne tenait pas à ce que quelque chose transparaisse au-delà de ce qu'elle estimait devoir l'être.

« Je l'espère. Il est inutile que mes employés devinent quand quelque chose trouble mes pensées à ce point. »

Elle déglutit au moment ou la demoiselle évoqua à la gravité de l'incident. Une véritable déesse serait capable d'en parler avec détachement ou avec colère, en ne laissant pas transparaître à quel point la situation la troublait. Artemis le laissait transparaître. Elle n'en était pas fière, et elle aurait voulu pouvoir parler de tout cela comme se devait de le faire Artemis et non une quelconque inconnue. Elle ne savait pas s'il était possible que cela se produise, mais elle ne pouvait s'empêcher de se dire qu'il n'y avait qu’en l'évoquant comme quelque chose qui était sous contrôle qu'elle pourrait guérir.

« C'était grave. Il y a une femme que j'ai refusé d'accepter parmi mes employées. Elle ne manquait ni de compétences ni de volonté, mais je… je ne la sentais pas, je crois que c'est ainsi qu'on dit. Quelque chose me disait que cette femme n'était pas quelqu'un de confiance. j'ai refusé de lui donner le poste. Il s'est avéré que mes intuitions étaient justifiées. Cette femme m'a attirée dans un guet-apens, dans un but plus que douteux. C’est difficile à exprimer, mais il semblerait que son attachement envers moi ait été plus que malsain. Je ne sais pas ce qui serait advenu de moi sans l'intervention de mon père, Zeus. Je n'avais jamais ressenti autant d'impuissance de ma vie. »

Il était évident que la jeune femme avait tout intérêt à ne jamais répéter ce qu'elle venait d'entendre. Son empathie, sa bienveillance et le fait qu’elle ait compris des choses que peu d'autres personnes pourraient comprendre faisaient qu'elle avait reçu des confidences. Mais plus que jamais, Artemis se refusait à ce que la majeure partie des personnes qui l'entouraient se retrouvent à connaître ses secrets. Ce n'était pas prévu ainsi, mais la situation ne pouvait que devenir un test pour la jeune romancière qui avait tout intérêt à éviter de mentionner ce qui venait de se passer.

« Je compte sur votre discrétion. Vous êtes observatrice et je vous fais confiance, mais il me serait dérangeant que cela soit appris de toutes. Je ne voudrais pas qu'on se mette à croire que faire ce genre de choses à ma personne est normale, ni même possible d'ailleurs. »

Oui, il avait été terrible de constater sa propre vulnérabilité. Et elle s'était enfermée dans un comportement qui dénotait d'une terreur profonde et fortement ancrée. C'était pour cette raison aussi qu'elle ne voulait pas en parler à tout le monde. Mais elle constatait quand-même que Jo ne la jugeait pas et estimait même qu'elle avait fait ce qu'elle avait pu avec des ressentis pour lesquels chacun réagissait différemment des autres. C'était vrai, mais ça ne lui ressemblait pas de se cloîtrer comme elle le lui fit remarquer. comme Regina le lui avait fait remarquer. C'était encore Regina qui la connaissait le mieux, du moins, dans cette entreprise. Ça ne voulait pas dire qu'elle avait raison sur tout, mais elle avait raison sur ça.

« Vous parlez avec sagesse, mais je ne suis pas n'importe qui. Je suis une déesse, je ne peux et ne dois me complaire dans une façon d'être qui implique de dépendre des mortels que j'ai sous ma protection. Encore une fois, ce n'est pas une confidence que je ferais à n'importe qui, mais vous devez comprendre que je n'ai pas le droit de montrer la moindre faiblesse face à l'une d'entre vous. C'est sans doute pour cela que je me suis cachée, pour vous cacher ma propre peur. »

Si elle avait montré qu'elle avait peur, elle était certaine que cela aurait fait descendre son statut auprès de l'ensemble des filles. Et même si ce n'était pas le cas, c'était ainsi qu'elle aurait vu les choses, tout simplement parce que c'était sa façon de se représenter le monde. s'autoriser des faiblesses, c'était autoriser le monde à passer au-dessus de vous. C'était intolérable. Mais elle allait devenir plus forte, même en simple humaine, et elle ne laisserait plus jamais qui que ce soit l’humilier de la sorte. Elle avait passé un cap. Et elle était décidée à ne pas revenir en arrière.

« Je ne peux pas me reposer sur les personnes qui m'entourent pour ce genre de choses. Je ne m'en accorde pas le droit. Mais je peux me battre pour être plus forte, même en tant que simple humaine. C'est ainsi que j'espère triompher et dépasser ce qui s'est produit. Je crois que c'est le seul compromis acceptable. »

On aurait pu penser que des gardes du corps seraient davantage des combattantes musclées que des cerveaux, et encore plus des cœurs. Pourtant, Artemis avait trouvé énormément d'affections au sein des femmes qu'elle avait entraînées et ce n'était pas la première fois qu'elle expérimentait cette sensation que des combattantes peuvent être plus que de simples alliées. Finalement, c'était un peu ce qu'avait représenté les chasseresses autrefois, et elle devait bien reconnaître que les filles qui avaient décidé de se joindre à l'aventure lui témoignaient la même loyauté, pour ce qu'elle pouvait en juger.

Même si elle n'avait jamais reconnu à l'égard de la moindre chasseresse une quelconque faiblesse, l'écoute dont Jo faisait preuve avait convaincu la déesse de lui partager la dureté de cette sensation de vulnérabilité qu'elle avait éprouvée. Cette confidence avait était faite sur le ton du secret et ce qui était le plus exceptionnel, c'était que Jo n'avait pas besoin qu'on le lui précise pour le savoir. Elle n'avait pas l'intention de dire le moindre mot de tout cela à qui que ce soit. Et Artemis savait qu'elle pouvait lui faire confiance, elle n'avait aucun doute sur la question. Quand elle dit qu'elle comprenait, elle la crut, tout simplement.

Elle ne dit rien de plus et se contenta d'un hochement de tête. Il n'y avait pas besoin de mots supplémentaires pour parler de sa vulnérabilité et des conséquences qui en résulteraient. Cependant, quand elle raconta exactement ce qui s'était passé, non seulement elle se montra à l'écoute mais elle reconnut à quel point il était ignoble de la part de cette femme d'avoir tenté d'agir de la sorte. Elle comprit pourquoi Artemis avait refusé de l'engager, et elle parla même de sa punition. Artemis secoua la tête, il n'y avait rien à dire sur la question.

« Mon père s'en est chargé. Je ne sais si vous avait entendu parler de lui, mais je ne voudrais pas être l'objet de son courroux. Et j'aime autant vous dire que cette personne n'a pas manqué de réveiller celui de mon père avec une force que peu de personnes auraient pu égaler. J'ignore quelle a été exactement sa punition à proprement parler. Mais j'ai dans l'idée qu'elle ne vivra pas heureuse jusqu'à la fin des temps. »

Elle eut un sourire qui était, malgré tout, un peu triste. Pas à cause de la personne et de ce qu'elle pouvait ressentir. Cela, elle s’en moquait bien. Mais parce qu'elle n'avait pas tout à fait digéré ce qu'elle avait vécu et les conséquences sur sa psyché. Elle avait du mal à se dire qu’elle s'était recluse dans un mutisme complet, à la fois physique et mental, et coupé du monde parce qu'elle n'avait pas su gérer un traumatisme humain. Un comble pour une déesse. Elle n'en était pas vraiment fière et elle était reconnaissante à son amie d'avoir mis le doigt dessus, même si la réalité avait fait mal sur le coup.

Elle avait confiance en la discrétion de Jo où elle ne lui aurait pas permis de recevoir ses confidences. Mais elle tint à lui rappeler que cette confiance avait un prix et que ce prix était celui de la punition si cette confiance était brisée. Évidemment, elle était flattée de cette confiance. Qui ne le serait pas ? Mais il était vrai aussi que Artemis avait fait un effort important pour se pousser jusque là. Elle n'estimait pas avoir le droit à ressentir tellement de douleur et il était certain que personne ne devait le voir. Trop de personnes s'en étaient rendues compte à son goût. Elle avait donc comme principal objectif de ne pas augmenter encore cette réalité.

« Vous êtes une personne clairvoyante et sage. Je ne regrette pas de vous avoir confié ce que je viens de vous dire. J'ose espérer que vous ne me regarderez pas trop différemment après cet aveu de faiblesse. Je vous assure qu’il n'y a rien de plus pénible que de devoir subir cette situation qui consiste à être humaine alors qu'on en a pas l'habitude.¬ »

Mais il était vrai qu'elles étaient toutes les deux venues pour s'entraîner et que pour l'instant, elles avaient surtout discuté. Artemis ne le reprochait pas à son employée, puisque c'était elle qui avait accepté cet état de fait, mais il était temps maintenant. Elle n'était pas enthousiasmée par le combat au corps à corps. Il y avait des choses bien plus importantes à mettre en perspective. De plus, Jo était maintenant quelqu'un de confirmé et elle se devait d’étudier le maniement des armes autant que tout le reste. Un peu de combat muni d'une arme semblait donc une bonne idée.

« Que diriez-vous si nous faisions un peu de combat avec une arme, pour une fois ? Lesquelles avez-vous déjà appris à manier depuis que vous êtes ici ? »