Artemis avait toujours passé énormément de temps dans la forêt. Déesse de la Chasse, elle aimait être entourée d’animaux et elle se sentait en paix parmi eux. Ses Chasseresses voyageaient à-travers le monde et aidaient parfois les héros, mais elles voyageaient souvent par la forêt. Quand la déesse se sentait en difficulté, elle rejoignait la forêt et se sentait vite mieux. C’était toujours un endroit dans lequel elle ressentait un étrange sentiment de familiarité. Elle s’y sentait chez elle, presque autant que dans la société de sécurité dont elle avait aménagé les locaux pour se sentir à l’aise. Mais ici, elle redevenait une déesse.

Ce jour-là, elle avait eu envie de s’isoler, loin de ses employées, pour s’entraîner à tirer à l’arc. Cela lui faisait du bien de pratiquer l’archerie, qui était un talent partagé avec son frère. Elle n’avait pas l’intention d’utiliser son arc magique ce jour-là, d’abord parce qu’elle voulait s’entraîner sans se faciliter les choses avec une arme magique, et ensuite parce qu’elle ne voulait pas blesser quelqu’un par accident. Son arc était spécial et elle n’avait pas confiance pour le moment en ses propres pensées. Ici non plus, les humains n’étaient pas capables de se défendre. Elle se devait de faire attention.

Alors qu’elle atteignait la cible, flèche par flèche, de la musique envahit l’ambiance, si parlante qu’elle crut que cela venait de son esprit qui enrichissait son expérience avec une mélodie à la hauteur de la situation. Mais la voix venait bien de la réalité, d’un homme qui s’avançait dans sa direction alors que le chant se faisait entendre de plus en plus fort. Et la voix lui paraissait étrangement familière, comme un espoir perdu qu’elle n’avait pas le droit de se permettre. C’était pour cette raison qu’elle s’efforça de le chasser jusqu’à entendre la voix de la personne qui chantait s’adresser directement à lui. Elle le regarda, incrédule.

« Apollon… »

Elle se précipita sur lui en criant son nom une seconde fois et le serra dans ses bras de toutes ses forces. Apollon était probablement le seul dieu, et encore plus de sexe masculin, pour qui Artemis avait un tel degré d’affection. Il était son jumeau, son alter ego son autre elle-même, bon avec un sérieux penchant pour les jolis minois, forcément, mais il fallait bien qu’il ait quelque chose de leur père. Elle le regarda, rit, le serra à nouveau, le regarda à nouveau. Elle ne savait plus où donner de la tête. Il était là, il était vraiment là, la ville le lui avait rendu.

« C’est bien toi, c’est vraiment toi, je suis tellement heureuse de te revoir ! Je veux tout savoir, qu’as-tu fait de ces quatre années ici ? »

Après avoir étreint son frère, Artemis le regarda avec une moue un peu moqueuse. Il lui avait posé une question dont la réponse était évidente, puisque tout le monde était arrivé en même temps. Mais elle ne savait pas si son frère avait eu connaissance de ce fait, et puis, elle n’allait peut-être pas commencer par se moquer de lui d’entrée de jeu, alors qu’ils venaient à-peine de se retrouver. Quoique. Après tout, il avait l’habitude qu’elle le taquine gentiment, il était le seul avec qui elle avait une telle complicité et avec le temps, elle n’avait trouvé personne qui la comprenne comme son frère.

« Oui, comme tout le monde. Je suis tellement heureuse de te voir. Tu as l’air en pleine forme. »

La forêt avait toujours été une des choses qui les rapprochait, tout comme l’archerie. Elle y passait beaucoup de temps, surtout depuis qu’elle avait retrouvé la faculté de se transformer en animal. Elle aimait courir les bois et sentir le vent sur son visage. Elle aimait aussi se glisser partout dans la forêt. La fait d’y retrouver son frère n’avait rien de vraiment étonnant, mais elle ne s’attendait pas à tomber sur lui aussi soudainement. Elle sentait son cœur se réchauffer à sa proximité. Ce monde n’était pas forcément idéal pour des dieux, mais avec son père et son frère, Artemis était prête à y demeurer sans souci.

« J’y viens de plus en plus souvent. Cela me fait du bien. »

Elle était étonnée de savoir qu’il avait été envoyé en tant qu’adolescent. Eux qui étaient jumeaux avaient maintenant une dizaine d’année de décalage, cela lui semblait un peu étrange à appréhender. Mais tant pis, elle considèrerait qu’il avait son âge et puis c’était tout. L’orphelinat n’avait pas dû être une expérience très sympa pour lui, mais il avait dû apprécier l’ambiance du lycée, telle qu’elle le connaissait. En attendant, apprendre la musicologie lui allait bien. Elle espérait qu’il finirait par retrouver ses dons naturel comme elle avait commencé à retrouver les siens. Il en aurait besoin pour retrouver le dieu qu’il était.

« En même temps, je crois que ça t’a toujours plu de ressembler à un jeuneot, même si ce n’était pas autant que moi. Cela dit, l’épreuve de l’orphelinat n’a pas dû être facile pour toi. Je regrette de n’avoir pas su que tu étais là, je t’aurais pris sous ma responsabilité. »

Elle aurait pu puisqu’elle était arrivée en tant que majeure. Son père l’aurait sûrement fait aussi, quelles que puissent avoir été leurs désaccords. Mais non, il avait dû vivre dans cet orphelinat aux côtés des humains qui le vénéraient autrefois. Cela dit, ce n’était pas tellement une première pour Apollon. Ca semblait être un jeu régulier de leur père de le changer en humain. Artemis n’avait jamais compris exactement pourquoi. Mais elle ne pouvait complètement aller à l’encontre des vœux de son père.

« Je suis arrivée ici majeure pour ma part. Mais je n’avais pas plus de donc que toi et mes Chasseresses n’étaient pas là, ou je ne les ai pas retrouvées. Je suis tombée sur des femmes en situation de détresse et je leur ai appris à se battre. Je possède une entreprise de gardes du corps. D’ailleurs, certaines de mes filles travaillent pour notre père. Il a une holding en ville. »

Elle ne détailla pas trop le sujet. Elle ne savait pas comment Apollon se sentirait à la perspective de recroiser Zeus. Pour le moment, elle en resta donc à un fait. Il était là, il l’avait aidée. Elle s’intéressa à nouveau à ce que son frère avait fait pendant toutes ces années et elle lui sourit. Il était compliqué d’apprendre à jouer d’un instrument quand on n’avait pas ses pouvoirs, mais il était déterminé et il y arriverait, elle en était certain.

« Ton choix d’instruments ne me surprend pas. Tu vas y arriver, j’en suis sûre, surtout avec les études que tu fais. Et puis, tu retrouveras tes dons, tôt ou tard. J’en ai retrouvé quelques uns moi-même. »

Son frère avait toujours été plein d’emphase, enthousiaste et passionné, le dieu du soleil et l’amour dans toute sa splendeur. Elle avait tendance à se montrer plus réservée. Il était pourtant le seul qui parvenait à voir derrière sa réserve, à comprendre certaines choses. Elle n’avait jamais pu lui cacher autant qu’aux autres dieux. Ils faisaient la paire tous les deux, et il avait été difficile de passer toutes ces années dans cet endroit l’un sans l’autre. Mais jamais elle n’aurait pensé à le chercher dans les orphelinats. Jamais elle n’aurait pu s’imaginer qu’il était devenu si jeune. Même si, pour un dieu, cela ne voulait pas dire grand-chose.

« Ca va », répondit-elle sans entrer dans les détails. « Je me sens vraiment mieux de t’avoir retrouvé aussi. Je tiens à te faire découvrir ce que j’ai construis ici. »

Mais il n’était pas facile à tromper quand il s’agissait d’Artemis. Il avait tout-de-suite senti qu’elle était troublée, quand bien même elle ne montra rien. Ses pensées l’orientèrent vers ce qui venait de se produire quelques jours auparavant. Elle était remuée par l’agression, plus qu’elle n’aurait osé l’avouer. Elle s’était sentie si vulnérable, si menacée, il n’y avait rien de pire que cette sensation. Heureusement que leur père avait été là pour la secourir et l’épauler après coup. Mais elle n’aimait pas cette sensation de vulnérabilité. Cela lui déplaisait au point de ne pas vouloir que Apollon voit cette vulnérabilité. Elle détourna le regard.

« Non… rien… » prétendit-elle d’une manière peu crédible.

Elle retrouva un peu le sourire en imaginant un Apollon adolescent tentant d’échapper à ses tuteurs, accumulant fugue après fugue et elle devinait qu’il n’avait pas dû beaucoup apprécier le contrôle qu’on avait essayé de peser sur lui. Pour une fois, cela dit, ce n’était pas une punition de Zeus, mais une des conséquences de son arrivée dans cette ville. Et il avait visiblement fini par s’y faire, laissant passer les années jusqu’à ce qu’on lui autorise d’accéder à son indépendance. La patience était parfois la seule chose à faire dans ses cas-là, d’autant qu’il n’y avait pas de demi-dieu pour réclamer ses services ici.

« Mon pauvre, tu as dû en baver. Mais je ne suis pas sûre que tu aurais trouvé ça plus agréable de devoir obéir à ta vieille sœur », lui fit-elle remarquer avec un zeste de malice.

Comme elle, Apollon était curieux de la présence d’autres Olympiens. Les dieux avaient tendance à se rechercher les uns les autres car, bien qu’ils soient généralement tous à se chamailler et parfois à se battre les uns contre les autres, ils étaient les seuls qui pouvaient réellement se comprendre. Elle avait donc recherché les autres dieux, comme tout le monde l’avait fait. Mais tous n’avaient pas eu la même chance et pour sa part, c’était davantage le hasard qui l’avait conduite à retrouver des membres de sa famille qu’une véritable recherche. Elle n’en avait pas pris le temps, se consacrant à d’autres tâches.

« J’ai retrouvé notre père il y a bien longtemps et je sais que ce n’est pas toujours facile entre vous, mais crois-moi quand je te dis que c’est une vraie chance. Je sais que d’autres des nôtres sont ici mais je ne les ai pas tous revus. J’ai croisé Hadès, par hasard. Et j’ai aussi reçu une visite d’une version alternative d’Eurydice, ta fille. »

Elle était contente qu’il ait pu repartir vers le monde de la musique. Elle savait combien c’était quelque chose de précieux à ses yeux. Apollon en humain, c’était la musique qui lui manquait le plus. Mais elle était convaincue qu’il finirait par retrouver son talent d’une manière ou d’une autre. Il était fait pour ça après tout. Quand il la questionna sur ses dons, son cœur se serra à nouveau. C’était bien parce qu’elle n’en avait aucun qu’il s’était passé ce qui s’était passé.

« Je suis contente que tu aies pu prendre ce chemin. Pour ma part, je n’ai rien de la déesse que j’ai été, du moins, pour le moment. »

Artemis ne se priva pas ne sourire à la remarque de son frère qui lui disait qu'ils pourraient se voir quand ils voudraient, maintenant qu'ils s'étaient retrouvés. Il avait évidemment raison et la déesse savait qu’il n'était pas question qu'il en soit autrement. Elle ferait tout ce qu'elle pourrait pour passer du temps avec son frère et pour retrouver la complicité qui était la leur lorsqu'ils se trouvaient sur l’Olympe. Il fallait quand même reconnaître que Artemis n'y était pas aussi souvent que les autres. Mais cela n'avait jamais empêché Apollon de la retrouver, quitte à flirter avec les chasseresses, ce qui avait tendance à énerver sa sœur.

Toutefois, elle perdit son sourire au moment où il affirma ne pas la croire au sujet de ce qui lui était arrivé. Évidemment, ce n'était pas rien. Et évidemment, il l'avait ressenti. Ce n'était pas très compliqué pour lui de se rendre compte qu’elle lui cachait des choses. Elle n'avait jamais pu le faire bien longtemps, mais elle n'avait pas cherché non plus à le faire. Parce que jusqu'à présent, il ne s'était jamais rien produit de si grave qu’elle en ait ressentie une telle faiblesse et une telle honte. Lorsque quelqu'un s'en prenait à elle, ses propres pouvoirs suffisaient pour engendrer une punition à la hauteur de l'affront qui lui avait été fait.

« Il est difficile de se retrouver au même statut que les humains, sans pouvoir, et aussi vulnérable qu'ils peuvent l'être. Je l'ai vécu et ce fut aussi douloureux que cela pourrait l'être pour les êtres humains que je protège. »

Elle laissa le silence s'installer pendant un instant, tant il lui était pénible de revivre ces instants pour les raconter à son frère. Elle savait pourtant qu'il avait besoin de savoir. Il en était ainsi des dieux qui ne laissaient aucune chance à ceux qui faisaient souffrir leurs êtres aimés. Il avait suffi de voir le sort que Zeus avait réservé à celle qui avait brutalisé sa fille. Il n'avait aucune pitié et avec le recul, si sur l'instant, elle s'en était moqué, elle comprenait que c'était là le comportement que devaient avoir les dieux, même lorsque leur puissance leur faisait défaut. On pouvait pardonner quand cela ne présentait pas de risques, sinon, il fallait de la fermeté.

« Cette femme était obsédée par moi. J'aurais pu le deviner. Je l'avais d'ailleurs sûrement senti puisque j'avais refusé de travailler avec elle. Elle pensait qu’il lui appartenait à faire renoncer à mon vœu de chasteté, en m'y forçant bien évidemment. Je ne sais comment papa a senti que j'étais en péril, mais il est intervenu. C'est grâce à lui qu'il ne m'est rien arrivé d'irrémédiable. »

Elle savait que Apollon allait fulminer et qu'il aurait certainement envie de tuer la personne concernée. En soi, elle comprenait plus que jamais cette réaction, mais celle-ci n'était plus utile, maintenant que leur père avait châtié la coupable. Cependant, la déesse en gardait un certain ressentiment, et une crainte de ne pouvoir se protéger avant longtemps. Cette sensation d’insécurité ne lui plaisait pas du tout, mais elle ne parvenait pas à s'en débarrasser et elle savait qu'il faudrait du temps et le recouvrement de ses pouvoirs pour y arriver. Rien que d’en parler, elle tremblait encore.

Elle savait que si elle avait été la tutrice de Apollon, elle n'aurait certainement pas cherché à lui imposer quoi que ce soit. Ce n'aurait été que poudre aux yeux et il était évident qu'il n'aurait pas fugué et qu'il aurait profité de ce que cette liberté lui offrait. Mais il n'avait pas eu ce choix. Heureusement, il était désormais libre et indépendant et c'était tout ce qui comptait. Elle sourit à son commentaire et notamment au fait qu'il aurait essayé de négocier avec elle. Elle avait tellement l'habitude des caprices d'Apollon que cela n'avait absolument rien de nouveau, mais il n'empêchait que cela la faisait bien sourire.

« Tu sais très bien que tant que tu ne tournes pas autour de mes filles, je t'empêche rarement de faire quoi que ce soit. »

Elle supposait qu'après les aveux qu'elle venait de lui faire, elle n'aurait pas besoin de lui expliciter davantage pour quelles raisons elle était heureuse d'avoir retrouvé son père tout particulièrement. Et sans l'intervention providentielle de Zeus, elle n'aurait pu espérer redevenir un jour, ne serait-ce qu'une partie de la déesse qu'elle avait été. Quelque chose aurait été irrémédiablement perdu qui faisait tellement partie d'elle que ça l'aurait brisé jusque dans son âme. C'était pour cette raison que le souvenir de ces instants la faisait encore tellement souffrir et que la peur la tenait encore au ventre.

Aussi, quand il compatit sur le fait que cela devait être dur de ne rien avoir de celle qu'elle avait été, elle croisa son regard avec tristesse et il pourrait lire dedans absolument tout ce que son cœur regrettait de sa vie d'autrefois. C'était bien à-cause de ces regrets que la déesse s'était aventurée dans la forêt aujourd'hui en espérant apaiser les tourments de son cœur par la beauté de cette nature qui faisait partie d'elle-même autant que l'amour qu'elle portait à son jeune frère. Cela avait réussi puisque c'était lui qu'elle avait trouvé.

« Certes, mais à présent, tu es là pour me rappeler ce que je possède de plus précieux dans ma vie », affirma-t-elle en posant une main sur son épaule.

Elle avait oublié à quel point son frère pouvait comprendre ce par quoi elle passait. Après tout, il avait souvent été la victime des foudres paternelles, lequel s'était empressé de le renvoyer sur terre sous forme d'humain. En plus, la plupart du temps, il devait se mettre au service de demi-dieux, et il était rarement à son avantage. Cela devait lui occasionner de l'humiliation et de la douleur plus souvent qu’à son tour. Elle doutait qu'il en soit passé par ce qui avait failli lui arriver. Son père n'aurait permis à personne d'aller jusque là. Mais il avait dû comprendre ce que signifiait la douleur et la vulnérabilité.

« C'est éprouvant. Au début, je me suis terrée dans mon bureau. Je ne sortais des locaux de Artemis Security que lorsque je ne pouvais vraiment pas faire autrement, principalement pour les courses et quasiment pour rien d'autre. »

Elle hocha la tête, approuvant la justesse de son affirmation selon laquelle elle avait probablement loupé l'essentiel de la gravité de cette obsession parce qu'il s'agissait d'elle-même. L'orgueil des dieux faisait que l'on ne pensait pas forcément que les humains ordinaires aurait le cran de nous attaquer. Maintenant, elle revoyait quelque peu ses considérations à ce sujet, même s'il était clair que ce serait toujours plus simple d'éviter le danger une fois ses pouvoirs recouvrés tout ou partie. Elle sentait la colère bouillonner dans le cœur de son frère, et elle savait pourquoi. Quelque part, cela lui faisait chaud au cœur.

« Il l'a punie. je ne sais pas ce qu'il lui a fait et je ne veux pas le savoir. J'étais trop bouleversée sur l'instant pour lui poser la question. Elle est en vie, il ne l'a pas tuée, c'est tout ce que j'ai besoin de savoir. Vu comment les choses se passent ici, je ne voudrais pas que mon père soit accusé de meurtre, en prime. »

Elle sourit, amusée à l'idée de voir ce gringalet en train de lui servir de garde du corps. Voilà qui étaient des plus distrayants. Il était bien mignon, mais Apollon était fait pour les parades et pour se pavaner devant une foule d'adorateurs, pas pour boxer les vilains qui voulait s'amuser d'un peu trop près avec sa grande sœur. De base, ce n'était pas une si grande sœur, puisqu'ils étaient jumeaux. Mais aujourd'hui, ça se vérifiait vraiment beaucoup dans le sens où elle était beaucoup plus âgée que lui naturellement. Ce petit sourire moqueur eut au moins le mérite de lui remonter le moral.

« Mon garde du corps ? Toi et ta hauteur de trois pommes ? J'aimerais voir ça. Tu sais que je dispose d'une tribu de gardes du corps entraînées si je le souhaite, n'est ce pas ? Ne t'en fais pas. Maintenant que je connais la dangerosité de ce monde, j'ai bien l'intention de faire ce qu'il faut pour combler mes lacunes. »

Et puis, elle finirait forcément par retrouver certains pouvoirs. Elle en était à peu près persuadée. Jusqu'à présent, elle avait pu se rendre compte qu'un certain nombre de personne voyait leurs dons revenir petit à petit. Elle ne voyait pas pourquoi cela ne pourrait pas être son tour à un moment donné. Elle regrettait tout de même de ne pas avoir su que son frère était là. Elle aurait facilement pu lui servir de famille d'accueil à l'époque. Et il était avéré qu'il était peu probable qu'elle lui impose des règles insoutenables. Il y avait beaucoup de chance qu'elle ne lui impose pas de règles du tout. Toutefois, elle avait envie de le taquiner.

« Ho, j'aurais sûrement fixé la règle selon laquelle Artemis a toujours raison. Après tout, ce n'est pas comme si ça n'était pas vrai, n'est-ce pas ? Tu ne dirais pas le contraire à ta grande sœur ? »

Il avait tellement l'air d'un adolescent désireux de protéger sa sœur adulte que c'en était attendrissant. Elle avait vraiment l'impression qu’il lui aurait donné n'importe quoi pour lui faire retrouver son calme et son sourire. Cela lui faisait vraiment l'effet de retrouver une partie d'elle-même à travers son jumeau. Elle le regarda avec une tendresse profonde et caressa sa joue. Pratiquer les arts martiaux avec lui serait assez nouveau parce que Apollon n'était pas vraiment du genre à faire ce genre de choses. Mais pourquoi pas, après tout. En revanche, sa seconde suggestion lui ressemblait énormément.

« Un affrontement de tir à l'arc ? Quelle brillante idée ! Par contre, depuis quand tu pratiques les arts martiaux ? C’est de devoirs muscler ton corps pour séduire les filles dans ce bas monde qui t'a motivé à te bouger les fesses ? »

Elle avait rarement vu son frère se montrer à ce point doux et attentionné. Ce n'était pas qu'il ne fasse pas attention à elle, bien au contraire, mais les affronts qui lui étaient faits avaient pour moteur principal la colère et la revanche divine, davantage que la douceur du réconfort. C'était aussi probablement parce que, pourvu de tous ses pouvoirs de déesse, Artemis avait les moyens de laisser éclater sa colère plutôt que de se morfondre ou de s'abandonner dans sa vulnérabilité. Pour autant, elle ne pouvait dénier cette vulnérabilité qui n'était autre que celle que l'on devait à être devenu humain.

Ce que Apollon avait vécu au fil du temps n'avait évidemment rien de commun avec ce que l'on pouvait faire à quelqu'un comme Artemis ici, mais il savait ce que c'était de vivre dans la peau d'un humain bien longtemps avant de se retrouver dans ce monde bizarre. Être la cible du courroux paternel n'était jamais quelque chose d'enviable. D'ailleurs, celle qui s'en était prise à Artemis avait pu le constater à ses propres dépens. La déesse accepta le soutien de son frère comme elle ne l'avait jamais accepté auparavant de personne, simplement parce que c'était en lui et que les circonstances étaient spéciales.

« Aussi difficile que ce soit, je suis persuadée que c'est quelque chose qui restera derrière moi, surtout maintenant que notre père a les moyens de sentir lorsque ses enfants sont en danger. »

C’était vrai, mais ce n'était pas la seule raison. Artemis avait décidé de se ressembler à elle-même, bien davantage que ce qu'elle avait fait jusqu'à présent. Cela voulait dire qu’elle admettait le fait d'avoir fait preuve de fragilité et qu'elle évitait que cela se reproduise en affrontant les choses, la tête haute, et en développant ses armes de combat à la manière des humains. Cela ne l'empêchait pas d'être têtu comme une mule et de vouloir la protéger à tout prix, et c'était bien mignon, mais elle savait que ce n'était pas en comptant sur les autres, y-compris ses gardes du corps, qu’elle allait retrouver la confiance en ce qui faisait d'elle une déesse.

« Je sais que ce n'est pas ce que tu veux. Et je sais que tu feras de toute façon attention à moi. Je t'en remercie. Mais ce n'est qu'en me battant contre mes propres démons, et en me rendant plus forte, avec ou sans pouvoir, que je pourrais retrouver le sentiment que j'ai de m'appartenir pleinement. Ni toi, ni notre père, ni aucune des filles de l'entreprise ne pourra être aussi efficace sur mon mental que moi-même. Et tu le sais. »

Si elle avait toujours été entourée de chasseresses, elle n'avait jamais laissé aucune d'entre elles devenir sa protectrice. Se battre et se débrouiller seule avait toujours été capital pour la déesse, bien plus que beaucoup d'autres qui aimaient à se faire servir. Elle avait fini par comprendre que le seul moyen de guérir, c'était de faire le nécessaire pour n'avoir jamais à dépendre des autres. Elle ne serait jamais plus soumise aux dangers de ses ennemis. Elle était certaine que c'était la voie qui la reconduirait vers son statut. Son frère rattrapa le cours de ses pensées en lui parlant de leur père. Elle avait eu l'occasion de le voir à de nombreuses reprises depuis qu'elle était ici, et il était certain que cela faisait une différence.

« Oui, il est clairement devenu plus fréquentable depuis qu'il s'est décidé à aborder d'un œil un peu plus respectueux tout ce qui concerne la notion de consentement. Plusieurs de mes filles travaillent pour lui et je n'ai eu à déplorer aucun incident. Il me semble même qu'il les protège contre ses propres employés quand ceux-ci se montre importuns. Une bonne surprise, je dois le reconnaître. »

Elle lui sourit tendrement en pensant à ses contestations. Elle était à peu près persuadée qu’il n'aurait réussi à convaincre personne quant à la validité desdites contestations. De toute façon, il aurait été probable que ce genre de débat ait davantage pour vocation des taquineries entre les deux plutôt qu'une véritable volonté de l'un de prendre le dessus sur l'autre. Ils n'étaient pas comme ça. Et puis, elle l'avait mis au monde, cela lui semblait naturel de veiller sur lui et d'être la grande sœur, même s'ils étaient jumeaux. Elle n'avait jamais vraiment vu son frère comme un dieu du sport, mais il aimait s'entretenir et apparaître sous son meilleur jour. Elle lui sourit donc malicieusement, émettant avec son visage des doutes sur sa nature très sportive.

« Bien-sûr que ça m'intéresse ! Il faudrait même que j'en organise également avec les filles. Après tout, le tir à l'arc est l'un des outils qu'une fille d'Artemis se doit de maîtriser, même si je dois reconnaître que ce n'est pas ce que je mets en priorité en ce qui concerne l'entraînement de base. Il y a beaucoup de choses à apprendre lorsqu'on veut être un garde du corps. Ce n'est pas exactement la même chose que de recruter une chasseresse. »