Let's be a little chaotic together (( Cheshire

Même en dehors des moments où elle était à son poste, Cheshire aimait l’ambiance du casino, toutes ces machines et toutes ces tables qui provoquaient des évènements un peu au hasard lui donnaient ce sentiment de chaos dans lequel elle avait toujours vécu. Siroter un cocktail en observant les joueurs était plaisant, plus encore quand elle constatait des chamailleries ou des disputes. Quand elle n’était pas en service, elle n’avait pas à intervenir et pouvait se délecter du chaos ambiant en hochant la tête comme elle le faisait chez la Comtesse. C’était quelque chose de très amusant. Elle s’installait et regardait, nonchalante.

Mais la compagnie d’un ami n’était que plus agréable dans ces moments-là et en s’installant au bar, ce soir-là, elle fut accueillie par un habitué de sa table. Il s’appelait Jesper, et il aimait presque autant les situations aussi folles qu’elle les aimait. Il était de bonne compagnie et il répondait plutôt favorablement à ce qui faisait de l’effet à la jeune chatte version humaine. Elle lui sourit comme elle en avait l’habitude, de toutes ses dents pendant qu’il lui demandait si elle avait envie de passer un peu de temps en sa compagnie. C’était le genre de choses auxquelles elle disait rarement non, du moins, si elle en avait le temps.

« Mais c’est ce bon vieux Jasp, comme c’est intéressant ! J’ai fini ma journée, je peux rester avec toi. Comment se fait-il que je ne t’ai pas vu à ma table aujourd’hui ? Tu es arrivé tard ? »

Elle n’avait pas le style de son interlocuteur. Dès qu’elle était un peu en confiance, elle passait rapidement au tutoiement et si la personne ne lui disait rien, elle poursuivait. C’était sa façon d’être et elle se sentait à l’aise comme ça. Elle observa autour d’elle et constata que la soirée était plutôt calme. Ca ne lui plaisait pas, mais elle n’en était pas à créer elle-même des incidents. Si elle avait eu son pouvoir de chat, elle serait apparue et disparue pour troubler les gens et provoquer des réactions chaotiques. C’était ainsi qu’elle s’amusait au Pays des Merveilles. Elle faisait tourner le monde en bourrique.

« Alors, tu as eu la main heureuse, ce soir ? »

Cheshire aimait à jouer le mystère et la discrétion. Elle aimait se faire oublier et observer le chaos de loin. Elle n’avait pas besoin d’être sur le devant de la scène, d’être au centre de toutes les attentions pour apprécier le moment. Elle adorait d’autant plus le chaos engendré par les autres qu’elle n’avait aucun pouvoir dessus. Les agents du chaos lui étaient d’autant plus agréables qu’ils se montraient complètement imprévisibles. Mais elle aimait partager cet amour du chaos avec d’autres qui avaient la même façon de voir les choses. C’était la raison pour laquelle il était tellement plaisant de passer ce moment avec Jesper.

« Ne va pas vers la lumière, Jesper ! » lança Cheshire avec une voix mystérieuse, avant de sourire toutes dents dehors.

Perdre ou gagner n’était pas le sens que Cheshire donnait à tout cela. En fait, plus la situation était imprévisible, plus cela lui plaisait. Elle était une bonne employée dans le sens où elle poussait les gens autour de la table à jouer encore et encore, mais elle ne correspondait pas à la logique des employés du casino, dans le sens où elle se moquait que les joueurs gagnent ou perdent. Elle voulait simplement que le jeu se poursuive et que le hasard s’amuse des circonstances. C’était l’imprévisibilité qui était la plus intéressante, et c’était pour cette raison qu’elle avait choisi la roulette, jeu de hasard auquel on ne pouvait tricher, sauf à avoir une installation particulière qu’elle n’aurait jamais accepté d’avoir.

« Ah c’est la folie du hasard », dit-elle comme si tout cela l’amusait follement. « On ne sait jamais de quoi le jeu sera fait. Mais tu as raison de t’arrêter avant que le couperet ne tombe. »

Cheshire ne participait pas vraiment aux activités à la limite de la légalité du casino. Elle savait que les patrons n’étaient pas toujours en train de s’employer à des choses parfaitement légales. Mais elle ne s’en mêlait pas. Elle rapportait les mauvais comportements comme c’était demandé et cela suffisait, elle n’allait pas chercher plus loin. En revanche, elle n’avait pas forcément envie que les rares amis qu’elle pouvait avoir se fassent prendre au piège des dettes envers le casino. Cela pouvait coûter cher. Elle-même ne se considérait pas en dette, elle faisait son travail mais rien de plus, et elle ne se mettrait pas en difficulté face aux patrons. Il ne valait mieux pas.

« Je ne sais rien, mais je ne te le conseille effectivement pas. »

Elle afficha un regard mystérieux quand il lui demanda combien de personnes elle avait dupé. Cheshire ne dupait personne. C’était la beauté du jeu, elle n’avait pas d’influence réelle, elle se contentait d’animer la fête. Elle s’amusait avec le hasard, elle savourait le non contrôle, elle se laissait porter par l’ambiance aussi folle que dénuée de raison. Elle était tout simplement heureuse de voir la petite boule rouler sans savoir où elle allait atterrir. Elle aussi pariait dans sa tête, et elle aussi savait que rien ne pouvait l’aider.

« Duper ? Moi ? Oh mais non, je me contente de laisser le destin s’en charger pour moi. »

Il n'avait pas fallu longtemps à Cheshire pour comprendre à quel point le jeu pouvait devenir addictif. Pas pour elle, bien qu'il fallût admettre qu'il était addictif de laisser le hasard prendre le contrôle de la situation, mais c'était son boulot et du coup, elle pouvait le faire et gagner de l'argent alors que les autres, qui étaient accros, ne faisaient que perdre. Il fallait savoir choisir ses obsessions, quand on était intelligent. C’était la raison pour laquelle elle avait choisi ce job. Mais bien sûr, tout n'était pas aussi simple pour tout le monde. La plupart des gens n'avaient pas cette connaissance d'eux-mêmes qui permettait de savoir comment gérer sa vie de son mieux, en mélangeant le travail et le plaisir quand on le pouvait.

Elle n'était donc pas étonnée quand des personnes lui disaient qu'ils avaient sombré dans l'excès de jeu, à une époque ou à une autre. Elle était quand-même bien contente que ce soit terminé. Elle trouvait cet homme plutôt sympathique et elle n'avait pas vraiment envie qu'il lui arrive des bricoles. Pourtant, il était évident que ses patrons ne plaisantaient pas avec les dettes. Elle leur était fidèle mais pour Jesper, elle n'avait pas tellement envie qu'il tombe entre leurs griffes. La demoiselle n'avait pas facilement d'attachement envers quelqu'un, mais elle le considérait lui. Pour cette raison, elle y faisait plus attention qua à la plupart des autres.

« Je suis bien contente que tu saches désormais où sont tes limites. »

Fondamentalement, elle comprenait ce besoin de se laisser guider par la chance et on pouvait même dire qu'elle le partageait, mais ce n'était pas une raison pour qu’elle lui souhaite de tomber entre les mains de gens dangereux. Il y avait des limites. Après, si cela l’amusait de jouer avec sa vie, elle ne le privait pas de le faire, mais elle n'était pas forcément d'accord avec ça pour autant. Si elle aimait jouer avec le destin, elle n'avait jamais hésité à disparaître dès que sa vie pouvait être en jeu. Ce pouvoir lui manquait décidément vraiment.

« Pour ma part, je préfère disparaître, avant que ma vie ne soit en jeu. Mais je ne suis peut-être pas assez joueuse pour toi, Jesper. »

C’était bien parce qu'elle avait la possibilité de jouer avec le destin qu'elle avait choisi ce métier. Il demeurait néanmoins que son objectif ne serait jamais de faire prendre aux gens des vessies pour des lanternes. Elle était honnête sur les chances et elle ne trafiquait pas la roue. Ce qui lui plaisait était de ne pas prévoir, la manipulation et la duperie ne pouvaient pas faire partie d'un tel objectif. Ce n'était pas forcément facile à comprendre, mais quelqu'un comme son ami en était capable, justement parce qu'ils étaient amis.

« Avant ? Oh non, avant de venir ici, je ne faisais rien. Je me promenais de-ci de-là et je m'alanguissais. Il y avait toujours quelqu'un, généralement la cuisinière de la Duchesse, pour me donner à manger. C’est une vie agréable, sais-tu, que celle de chat. Et toi ? Que faisais tu ? »