Tout avait commencé assez simplement par une séance de cinéma. Je n’avais jamais vu de film d’horreur humain et je m’étais dit que c’était une occasion à ne pas rater pour mieux connaître les êtres humains. Quant au principe d’appliquer la réalité virtuelle à des films comme cela, je trouvais que ça pouvait être brillant. A condition de bien prévenir les utilisateurs. L’idée était pourtant bonne : découvrir les peurs et les craintes des humains à travers leur art cinématographique… c’était plus soft que de les voir en situation réelle. Et puis, honnêtement, je n’avais pas compris ce qui s’était passé. Les lumières de la salle s’étaient éteintes et le film devait commencer, mais l’île avait fait des siennes à ce moment là et si le film commença, je n’en sus rien avant de me rendre compte que j’étais dans la peau de l’un des personnages du film !
Nous étions six dans cette voiture, à traverser les bois. Deux hommes, trois femmes et moi.
« J’ai entendu parler de cette région… il y a eu beaucoup de disparitions inquiétantes. » Je fus surpris de ce que je savais, mais je devais être un mélange entre moi et un personnage du film. Ce devait être ce système de réalité virtuelle des humains…
Quatre des cinq autres me rirent au nez, me traitant de « poule mouillée », le grand musclé alla même jusqu’à caqueter comme le font les gallinacés. Je n’avais pas la référence, alors je souris simplement. C’était bien souvent ma réponse dans ce genre de situation.
« Comme vous voulez. » La musique était sympathique, dans le véhicule, et j'aimais assez bien. C'était AC/DC, un groupe que j'avais eu l'occasion de voir sur scène à ses débuts. Et, bizarrement, je trouvais que la chanson Highway to Hell se prêtait assez bien au contexte dans lequel nous étions.
Quand la voiture se mit à nous secouer de façon étrange, je sus que l'action allait commencer. Nous dûmes sortir pour voir de quoi il s'agissait : trois pneus sur les quatre étaient crevés par des trous qui ressemblaient un peu trop à des cercles très réguliers. « Restons toujours au minimum par trois. » Comme nous étions six, cela permettait de faire deux "équipes". Trois me semblait être un bon chiffre, puisque si l'un était en danger, il y en avait deux autres pour l'aider... si le danger était un ennemi, à deux contre un, c'était plus jouable qu'à un contre un. Evidemment, le grand musclé partit avec deux filles, qu'il prit par les hanches comme s'il les amenait à une soirée dansante ou comme s'ils s'apprêtaient à aller passer un moment ensemble dans les buissons. Je ferais donc équipe avec Amber et Ianto, celui qui n'avait pas ri tout à l'heure. M'accroupissant près des roues de la voiture, je ramassais un clou.
« Soit on n'a vraimant pas de chance, soit on est tombé dans un piège... »
Je palpais mes poches, cherchant mon tournevis sonique mais, dans cette réalité virtuelle, je ne l'avais pas. J'aurais pu réparer la voiture facilement si je l'avais eu, mais... tant pis.
Quelle idée saugrenue avais-je eu de vouloir voir un film d'horreur ? Tout d'abord, je n'en étais pas vraiment fan, et puis passer une heure et demi à se demander si on allait finir par avoir peur ou non….ce n'était pas la définition de la soirée idéale, mais je m'étais laissé convaincre par un client du bar où je travaillais qui avait déjà vu ledit film trois fois, si j'en croyais ses dires et qui en était enchanté. De toute manière, je n'avais rien d'autre de prévu, alors ça ou autre chose. Je m'étais donc rendu dans la seule salle de cinéma qui diffusait l'œuvre. Le film commença donc, mais sans que je ne m'en rende compte, je me retrouvais rapidement assit dans une voiture, en compagnie d'autres personnes. Je ne semblais pas inquiet de la situation. Non, l'inquiétude qui rongeait mes entrailles avait une autre provenance, je ressentais aussi de la colère et un désir de vengeance. J'étais dans le film, assurément, je décidais donc de me "laisser porter" voyant où ça nous mènerait.
L'un des deux autres hommes présent dans le véhicule fit part de la série de disparitions inquiétantes qui régnait ces derniers temps dans la région et c'est là où mon cœur se serra. Ma respiration se bloqua un instant et des images défilèrent dans ma tête, ainsi qu'un prénom…Andrew, un sentiment de culpabilité également. Voilà pourquoi je ressentais ce désir de vengeance. Andrew, mon petit frère bien aimé faisait partie des disparus, mais personne dans la voiture n'était au courant. Lorsque les autres occupants se mirent à rire, je n'esquissais pas le moindre sourire, me contentant de poser sur eux un regard dédaigneux qu'ils ne virent même pas puisque trop occupés à caqueter pour l'un et à rire pour les autres. Puis-je vous donner mon pronostic sur leur chance de survie ?
L'homme qui avait parlé se résigna quand il vit avec qui il voyageait. Naturellement, dans ce genre de situation, il arrive toujours un moment où le voyage se transforme en cauchemar et quelque chose me disait que cela serait bientôt le cas. Je descendis de la voiture avec les autres et hochais la tête aux paroles du Docteur. Je m'accroupis à ses côtés, ne prêtant aucunement attention au reste du groupe, c'était comme si je me devais de protéger le Docteur. Pourquoi ? Alors là, aucune idée.
Lorsqu'il dit que nous allions devoir trouver du secours, j'ouvris mes yeux en grand et posais ma main sur la bouche du Docteur, lui montrant, d'un geste du bras, une créature qui était un tout petit peu plus loin devant nous. C'était un monstre hideux comme je n'en avais jamais vu…ou plutôt si…la dernière fois que j'avais vu un exemplaire comme celui-ci…Andrew était encore en vie. Je cherchais autour de moi et attrapais la pierre la plus grosse que je pouvais trouver, je me concentrais ensuite, faisant appel à mes anciens réflexes de joueur de base-ball et je lançais la pierre dans la direction opposée à la nôtre, faisant ainsi fuir la créature, puis je me tournais vers le Docteur avec un petit sourire d'excuse. - Désolé pour ces manières un peu cavalières, Docteur, mais ces monstres ont horreur du bruit…ils ne réagissent qu'à cela, ils sont aveugles et se dirigent donc grâce au bruit. Le plus petit bruit pour eux est similaire à un coup de corne de brume pour nous. Andrew l'ignorait…et Andrew en est mort.
Conclus-je, d'une voix qui n'avait rien d'enjouée. Je ne voulais pas qu'il arrive aux autres la même chose que ce qui était arrivé à mon frère.
La situation était grave, mais pas désespérée. Il était clair que mes compagnons d’infortune et moi étions dans de beaux draps… Mais Amber et Ianto étaient avec moi, et c’était, clairement, des partenaires plus sympathiques que les autres de la bande… Parce que dans l’autre partie de notre groupe, même pour quelqu’un de plutôt non violent, comme moi… le grand musclé de service avec ses grands airs et sa manière de draguer les filles alors que nous avions mieux à faire… il donnait presque autant envie qu’on le frappe que le Schtroumpf à lunettes.
Mon comparse, Ianto, posa la main sur ma bouche pour que je me taise, pour que je ne fasse aucun bruit… J’avais toujours été assez bavard et j’avais du mal à me taire, c’était sûr… L’homme me montra une créature puis il prit l’initiative de faire du bruit en lancer des projectiles vers l’origine de quelques bruits étranges…
« C’est bon à savoir ! » Je me tournai vers Amber, la troisième membre de notre trio, et je l’invitai à venir plus près de nous, histoire que nous puissions tous les trois observer cet hideux monstre. J’avais perçu le changement dans la voix de Ianto, bien sûr, mais ce fut Amber qui lui posa une main compatissante sur l’épaule et lui dit quelques mots. Quant à moi… la tristesse, le deuil… c’était des choses que j’avais du mal à comprendre, parce que je ressentais bien la détresse des humains, mais les sentiments et les émotions, ce n’était pas quelque chose avec quoi j’étais très familier… peut-être parce que j’étais trop habitué à avoir des responsabilités assez compliquées…
« Mais… quelle est cette créature ? »
J’avais entendu parler, comme tout le monde, des rumeurs sur des créatures polymorphes, qui obéissaient à des êtres humains dégénérés, accusés de cannibalisme et de violences de toutes sortes… D’ailleurs, si la créature était là… ses maîtres étaient-ils dans les parages ? Si c’était le cas, nous étions peut-être mal barrés…
Mais soudain, un cri déchirant se fit entendre, un hurlement, qui mourut dans un son étranglé… la voix était féminine, et Amber reconnut celle de son amie, Helena.
« Excuse-moi, Ianto, mais… Andrew est mort comment ? »
La question était peut-être un peu déplacée, mais il fallait que nous ayons une idée de ce qui risquait de nous arriver…
Cela ne faisait pas longtemps que Andrew avait disparu et en parler était vraiment très douloureux pour moi, mais si je voulais que nous ayons une chance de survivre, il fallait absolument que j’avertisse mes compagnons d’infortune à propos des dangers que nous courions. La main d’Amber sur mon épaule et les paroles qu’elle m’adressa me réconfortèrent un peu, c’est vrai et je lui adressais un sourire reconnaissant. Je hochais positivement la tête aux paroles du Docteur, oui, je voulais bien leur donner toutes les informations que je possédais sur ces créatures. Informations qui étaient minimes et qui avaient été récoltées par mes soins avec l’expérience, malheureusement, à force de vous battre contre quelque chose, vous en apprenez un peu plus sur lui chaque jour que vous lui survivez. Malheureusement, je n’avais pas la réponse à la question qu’il me posa, je n’avais pas la moindre idée de comment on appelait ces monstres, ni de la raison de leur présence ici, tout ce que je savais, c’est qu’ils étaient très dangereux et que nous avions intérêt à rester toujours sur nos gardes.
- Honnêtement, Docteur, je n’en ai aucune idée. Je me bats contre eux depuis qu’ils sont arrivés ici, mais je n’ai pas réussi à trouver beaucoup d’informations sur eux et je….
Alors que j’allais continuer de parler, un cri déchira l’air. Je fermais les yeux de désespoir, sachant très bien ce qui était en train de se passer pour cette fille. La pauvre, même si elle n’avait pas l’air d’avoir inventé l’eau chaude, elle ne méritait pas cela, personne ne mérite une telle mort. J’ouvre les yeux sous la question du Docteur et plonge mon regard dans le sien. A côté de moi, Amber tremble comme une feuille, se doutant de ce qui est arrivé à son amie. Enfin, disons qu’elle se doute qu’elle est morte, mais ne sait pas vraiment comment. De toute façon, il vont bien finir par le savoir, alors autant qu’ils soient préparés à ce qu’ils pourraient éventuellement voir sur notre chemin. Résigné, je poussais un profond soupir et m’asseyais sur le sol, m’adossant aux roues de la voiture.
- C’était au début de l’invasion de ces monstres. Andrew avait toujours aimé les films d’horreur...la science-fiction aussi, mais les films d’horreur avaient sa préférence, alors évidemment, quand il a entendu parler de créatures monstrueuses qui faisaient régner la terreur en ville, il s’est dit que ce serait une bonne idée de se planquer pour aller les observer. Je lui ai dit que c’était une mauvaise idée, mais il a eu à peu près la même réaction que Ken dans la voiture tout à l’heure.
Certes, l’autre ne s’appelait pas Ken, mais je ne connaissais pas son prénom et je m’en moquais.
- Un soir, nous étions allé faire une course à la supérette et sur le chemin du retour, Andrew bifurqua, sans que je ne sache pourquoi. Tout en courant, il m’avait dit de rentrer à la maison, mais mon instinct me poussa à ne pas lui obéir. Malheureusement, il a toujours couru beaucoup plus vite que moi, et le temps que je le rejoigne, je l’ai entendu hurler à la mort. Une fois que je suis arrivé près de lui, il a fallu que je me planque et je regarde, impuissant, mon frère se faire démembrer par cette affreuse créature. Vous savez comme les gamins qui s’amusent à capturer une mouche pour lui enlever ses ailes et ses pattes...et bien là c’était exactement ça...avec mon frère dans le rôle de la mouche. Ils sont sadiques….et cannibales. Il ne restait plus grand-chose de lui quand ils en ont fini avec lui.
Je me tus ensuite, chassant d’un geste rageur de la main les quelques larmes qui coulaient sur ma joue.
Rester sur nos gardes, éviter d’attirer les créatures, tout faire pour survivre… C’était un peu les conseils de base qu’il nous fallait appliquer… Mais comment pouvions-nous être sûrs de bien faire ? C’était compliqué de pouvoir distinguer ce qui était possible de ce qui ne l’était pas… Nous devions rester ensemble, c’était aussi ce qui me semblait évident. Dans ce genre de situation, se séparer équivalait à signer son arrêt de mort. C’était bien connu : ensemble, on était toujours plus fort…
Si Amber avait peur, le cri déchirant qui s’était fait entendre n’allait certainement pas arranger les choses. Elle avait besoin de se sentir soutenue et protégée… ce que Ianto et moi devions faire sans pour autant oublier la nécessité de sauver le reste de notre groupe. Si c’était encore possible.
Ianto prit le temps de nous expliquer ce qui était arrivé à Andrew. Son frère avait connu une mort violente et tragique… La comparaison avec la mouche me fit avoir un frisson tout le long de l’échine. Je faillis demander si les créatures avaient mangé Andrew vivant ou s’ils avaient ramené des morceaux dans leur repaire, mais j’étais curieux de savoir, tout de même.
« Je suis désolé, Ianto… » Je n’avais pas vraiment de mots pour dire à Ianto que ça me faisait mal pour lui, cette histoire… je n’avais pas vraiment de lien fraternel avec personne, mais mes compagnons étaient aussi importants pour moi que ce que devait être un frère pour quelqu’un qui en avait un. « Il faut que nous récupérions le reste du groupe ! »
Si tout le monde était en danger, il fallait absolument que nous ayons une sorte de stratégie pour qu’on puisse se protéger les uns les autres. Surtout s’il ne restait plus grand-chose de la belle Helena. Je ne pus m’empêcher d’imaginer des créatures mi-hommes mi-phacochères lui arracher des membres pour croquer dedans à pleines dents. Ce fut ensuite la voix de Ken qui se fit entendre. « Vite, il faut y aller ! » Même si Ken n’était pas la personne la plus appréciable du groupe, il était tout de même un être humain et méritait, en tant que tel, qu’on lui témoigne un peu de respect et de sollicitude. Au moins le minimum.
Je pris Amber par la main, tandis qu’elle attrapait celle de Ianto, et je me mis à courir vers la voiture. Il allait falloir convaincre les autres… enfin, ce qu’il en restait. Naomi était encore là, normalement. Et Ken… eh bien… nous allions voir ça… Nous n’étions, heureusement, pas très loin, alors il ne fallut que quelques instants pour que nous rejoignions l’endroit où se trouvait le véhicule.
« Le bruit les attire mais les fait fuir, c’est bien ça ? » Si Ken était en partie perdu, peut-être pourrions-nous utiliser cela pour faire une diversion suffisamment importante pour que l’on puisse chercher du secours ou trouver leur repaire et le détruire… Enfin, cela pouvait avoir plusieurs incidences… J’imaginais que sans leur nid, ces créatures pourraient aussi bien vouloir plus encore nous faire la peau ou, au contraire, se sentir tellement blessés et brisés par un tel attentat qu’ils pourraient se sentir affaiblis… Mais il fallait tenter quelque chose. Nous ne pouvions pas rester comme cela.
Penser à Andrew était encore vraiment douloureux, sa perte était très récente. C'était assez paradoxal comme sensation compte tenu du fait que je ne connaissais aucun Andrew. Enfin, rectification, le Ianto que j'étais et qui a consacré une partie de sa vie à Torchwood ne connaissait aucun Andrew, ou tout du moins, aucun qui ne soit réellement proche de moi au point d'être affecté par sa mort à ce point, par contre le personnage du film que j'étais actuellement avait son frère qui s'appelait ainsi et dans ma tête défilaient des images qui appartenaient à un passé avec cet Andrew, ces scènes de la vie quotidienne me semblaient si familières que c'en était vraiment perturbant. Depuis que j'étais arrivé dans la ville il y a quatre ans à cause de cette lune rouge, j'avais décidé de ne plus me poser de question quant au pourquoi des événements qui se produisaient, ma nouvelle vie était en soi un mystère puisque j'étais mort dans mon "univers", alors je n'allais pas gâcher cette chance qui m'était offerte de pouvoir avoir une nouvelle vie, cependant dans le film dans lequel j'avais atterri, je ne savais pas quelles étaient mes chances de survies. Quel destin était réservé à mon personnage, allait-il mourir avec plaisir pour pouvoir enfin rejoindre son frère comme il semble le désirer de toute son âme ? Ou bien allait-il survivre ? Si c'était la première option qui lui était réservé, est-ce que cela signifiait que j'allais à nouveau mourir dans la réalité ? Je ne l'espérais pas, je ne voulais pas mourir maintenant, pas alors que j'avais enfin retrouvé Jack, je ne voulais pas que le destin soit de nouveau aussi cruel avec nous. La voix du Docteur me sortit de mes pensées. Je lui adressais l'esquisse d'un sourire.
- Merci, Docteur. Il avait raison, nous devions aller récupérer ce qu'il restait du groupe, mais avant cela nous allions devoir rassurer Amber, ce que je m'employais à faire depuis que nous avions entendu ce cri déchirant. Je hochais positivement la tête. Oui, je ne sais pas combien il en reste, mais nous ne pouvons pas les laisser à ce destin si cruel.
Un nouveau cri se fit entendre, Ken, tiens donc. Curieusement, je ne parvenais pas à me réjouir de ce retour de karma pour lui. Même s'il n'avait pas inventé l'eau chaude, il ne méritait pas une telle fin. Je fermais douloureusement les yeux. Quand est-ce que ce monstre sera stoppé ? Amber prit ma main après que le Docteur ait pris la sienne et nous courions tous vers notre Destin, quel qu'il soit. Arrivés au véhicule, il fallait analyser la situation. Je secouais négativement la tête à la question du Docteur.
- Non. Le bruit les attire bien, mais il ne les fait pas fuir. Si le monstre a fui tout à l'heure c'est parce qu'il a été attiré par le bruit que j'ai fait en lançant cette pierre, il a sans doute pensé que nous nous déplacions. J'ignore malheureusement s'il a un point faible, j'ignore comment le tuer, n'ayant pas eu vraiment le temps d'étudier la question. J'enrageais de mon impuissance, mais je me devais de garder la tête froide. Auriez-vous un plan, par hasard ?
Je n’avais jamais eu l’occasion de rencontrer le frère de Ianto, mais il n’avait pu qu’être quelqu’un de bien. L’un de ces pauvres humains, victimes d’on ne savait quelle créature étrange, venue d’on ne savait où. Je savais à quel point l’île pouvait être bizarre et imprévisible, mais ce qui se passait ici, cela me faisait plutôt penser à quelque chose d’irréel, d’impossible… N’avions-nous pas absolument tout du cliché de film d’horreur ? J’en avais bien l’impression…
« Alors, allons-y, Alonzo ! » Aussitôt, je me plaquai une main sur la bouche. Il fallait éviter de faire trop de bruit… Mais nos "amis" étaient plus bruyants encore et il y avait de fortes chances que ce ne soit pas le dernier cri que nous allions entendre…
Je m’attendais à un véritable carnage. Nous allions aller à la rencontre de nos "amis" et découvrir l’étendue de l’horreur… Des filles en larmes, le corps de Ken en… lambeaux, peut-être ?
« D’abord, il faudrait savoir pourquoi ces créatures chassent les humains… Peut-être que vous êtes de la nourriture… ou peut-être qu’elles défendent un territoire ou quelque chose qui est précieux pour elles… »
Il suffirait qu’il y ait un bébé créature – peut-être carrément le bébé de leur chef, par exemple – quelque part pour que toutes les autres créatures de l’espèce se mettent à prendre en chasse tout intrus, même pacifique. « Je pense qu’il va falloir trouver leur nid si nous voulons les empêcher de continuer à terroriser toute la région ! »
Oh lala… c’était bien le genre d’idée qui équivalait à "Allons-y, fonçons droit dans la gueule du loup, qu’il puisse nous avaler sans avoir à mâcher…" Est-ce que j’étais fou de proposer cela ? Non. Il fallait que nous sachions. Si nous étions là, e n’était pas juste pour servir de petit en-cas à un monstre indescriptible qui devait sans doute avoir des dents acérées comme des lames de rasoir, peut-être aussi des yeux qui rougeoyaient dans le noir… Mais il me semblait qu’il valait mieux tenter tout ce qui pouvait l’être pour protéger la population.
« Que pourraient bien craindre ces créatures ? Le feu ? Les ultrasons ?» C’était ça le cœur du problème, il fallait découvrir leur faiblesse pour avoir une petite chance de parvenir à les éloigner. Peut-être que, dans cette idée, il valait mieux ne pas tarder à rejoindre les autres… Ken était un véritable adorateur des chiens, il me semblait que le porte-clefs de ses clefs de voiture était doté d’un sifflet à ultrasons… Voilà déjà une première chose à tenter.
Nous avançâmes vers la voiture, pour découvrir un Ken démembré, qui faisait de drôles de bulles de sang chaque fois qu’il respirait. Il faisait moins le malin, comme ça, c’était sûr, mais en attendant, il fallait vérifier qu’il ne manquait aucun morceau si nous voulions savoir si les humains étaient un mets de choix pour ces créatures.
« Qu’est-ce qu’elles cherchaient ? » demandais-je à voix basse. Ken tentait de parler, mais cela ressemblait surtout à des bruits de craquements et des sons étouffés par du liquide. Le sang, certainement. Il devait en avoir perdu pas mal.
Est-ce qu’un jour ce cauchemar prendrait fin ? C’était à espérer. Est-ce que j’en ressortirait vivant ? Cela aussi je l’espérais. Andrew était un chic type. De ce que je pouvais voir dans les souvenirs du personnage que j’étais, son frère était un gars bien, victime de la malchance et aussi de son caractère fonceur. Personne ne l’obligeait à aller voir directement le monstre, il n’était pas le maire de cette ville, n’avait pas la sécurité de ses habitants dans ses mains. Je pense qu’il n’avait pas réalisé que tout cela c’était la réalité, il devait sans doute se croire dans un jeu vidéo grandeur nature. Honnêtement, je n’en savais rien.
Je haussais un sourcil lorsque le Docteur s’exprima. Dans d’autres circonstances, j’aurais sans doute ri légèrement, mais là je n’en avais pas vraiment envie et puis, il s’est rendu compte lui-même qu’il n’aurait pas dû dire cela. Amber ne put s’empêcher de le fusiller du regard. Je parlais à voix vraiment basse.
- Honnêtement, je ne pense pas que ces créatures défendent quoi que ce soit, j’ai plutôt l’impression qu’elles sont...je ne sais pas...perdues ici. Comme si quelqu’un les avait déposé là un jour et était parti et depuis ce jour, elles le recherchent et ne s’arrêteront qu’une fois qu’elle l’auront trouvé. Ne me demandez pas pourquoi je pense cela, je n’en sais rien moi-même, c’est plus une sensation que j’ai, une impression.
Je ne savais pas si ces créatures avaient un nid, mais peut-être que si on trouvait l’endroit d’où les attaques étaient parties, nous aurions un peu plus de renseignements. - Peut-être que si nous trouvions l’endroit où a eu lieu la première attaque, nous aurions un peu plus de réponse. De toute façon, il faut bien commencer quelque part.
Je regardais le Docteur, réfléchissant à ce qu’il venait de dire.
- Le son les attire, mais je ne pense pas que les ultrasons soient leur faiblesse, j’ai l’impression, au contraire, que cela les excite encore plus, que soumis aux ultrasons, leur combativité redouble. Le feu pourrait peut-être utile, mais vous avez un briquet ou des allumettes avec vous ? Parce que moi, non.
Nous étions arrivés près du cadavre de Ken et je fermais les yeux, ravalant la bile qui montait dans ma gorge quand je vis son état. Amber se jeta toute tremblante dans mes bras et je tentais de la calmer. Je regardais le Docteur puis je scannais les alentours. Un peu plus loin, un autre corps était dans un meilleur état que Ken, mais le pauvre homme n’avait plus longtemps à vivre. Je fis signe au Docteur.
- Peut-être que celui-ci pourra vous répondre quelque chose ?
Il était particulièrement étrange de se retrouver dans une situation comme celle-ci. Des créatures qu’il fallait à la fois traquer et fuir. Des cadavres tailladés et dévorés. Des tas de questions et aucune véritable réponse… Je n’avais jamais vu cela avant et je n’avais jamais pensé vivre ça un jour sur une planète comme la Terre. Ianto semblait être le plus à même d’apporter des réponses, même s’il n’était pas complètement certain de ce qu’il avançait. Je me fiais à son jugement, tout en étant, comme lui, aussi perdu que pressé d’en finir avec ces bestioles.
En regardant de plus près le cadavre de Ken, il nous fallut nous rendre à l’évidence, nous étions tous en danger. Et ces créatures ne cherchaient pas à se nourrir d’une partie particulière du corps humain. Tout semblait faire farine au moulin. Quand à l’autre corps… comme le disait Ianto, il était possible de recueillir un peu plus d’informations. Je sortis mon tournevis sonique et je le passais au-dessus du corps, en étant le plus attentif possible aux variations des sons émis par mon gadget. Il y avait là quelque chose de bizarre.
« Il y a une sorte de fluide dans les traces de morsures… » chuchotai-je. J’avais bien compris qu’il fallait éviter de faire trop de bruit, je n’allais pas faire deux fois la même erreur. Je me penchais pour observer le liquide de plus près. « C’est vert et… ça sent le… thé ? »
J’étais surpris par cette odeur qui me rappelait le thé que préparait la mère de Rose. J’étais sensible à cette odeur. Et c’était peut-être la clé pour résoudre nos soucis.
« Amber… tu avais du thé glacé pour la route… Peux-tu donner ta gourde à Ianto, s’il te plait ?» La voix basse, à nouveau, mais l’idée était bien implantée. Et je plaçais beaucoup d’espoir en Ianto : il allait sans doute comprendre ce que j’avais en tête, parce qu’il m’avait démontré qu’il était malin et avait tendance à agir et réagir comme il fallait et quand il le fallait.
Avec mon tournevis sonique, le thé glacé et notre volonté, j’étais persuadé que nous allions pouvoir suivre la piste des créatures. Ce qu’il fallait, c’était surtout rester soudés et faire le moins de bruit possible.
« Enfilez vos chaussettes au-dessus de vos chaussures, ça devrait atténuer le bruit de nos pas ! » L’idée était d’étouffer le bruit de nos semelles. Mais il allait, en outre, faire attention aux endroits où nous poserions les pieds. Assis sur le sol, je dénouais les lacets de mes Converse bordeaux pour passer par-dessus mes chaussettes décorées de babanes bien jaunes.
C’était dans ce genre de situation que je pensais à Jack...bon je n’avais pas besoin de situation de ce genre pour y penser, mais quand je me retrouvais confronté à de tels dangers, c’était son visage qui s’imposait à mon esprit. Avant c’était celui de Lisa, mais beaucoup de choses ont changé depuis. Enfin bref, Jack n’était pas là, nous étions littéralement dans un film mêlant horreur et science-fiction et il nous fallait sortir de là vivants. Le Docteur étant avec nous, j’allais pouvoir voir si Jack avait raison d’avoir autant confiance en lui. Quoi ? Non, ce n’était pas de la jalousie, mais quitte à placer ma vie dans les mains de quelqu’un, autant que ce soit dans celles de quelqu’un d’efficace.
Lorsque le Docteur reprit la parole après avoir analysé le corps, sa voix était un peu plus mesurée, heureusement, il avait compris que crier ne nous serait en aucune façon bénéfique. J’écoutais attentivement ce qu’il disait. Mes sourcils se froncèrent. Du thé ? Etait-ce une plaisanterie ?
- Du thé ? Mais….
Je n’eus pas le temps de développer plus ma réflexion que déjà il demandait à Amber de me donner son thé glacé. J’avais bien une petite idée sur les intentions qu’il avait, mais je préférais pour le moment ne rien dire. Amber me lança un regard qui semblait me demander si elle devait faire ce que le Docteur lui demandait. Je ne sais pas pourquoi, mais elle semblait plus se fier à moi qu’à lui. Je hochais positivement la tête et elle fila chercher sa gourde qu’elle me ramena aussitôt.
Pendant ce temps, j’avais imité le Docteur et j’avais passé mes chaussettes par-dessus mes chaussures. Contrairement à l’homme de l’espace, je n’avais pas de belles bananes sur les miennes, non, elles étaient d’une simplicité confondante. Je me saisi de la gourde que Amber m’avait donc ramené et je la tendis au Docteur.
- C’est étrange….cette histoire de thé dans le sang...c’est comme si l’on se trouvait dans le cauchemar d’un gamin qui verrait un monstre en l’un de ses professeur...un professeur amateur de thé.
Je sais que cela pouvait sembler stupide, mais nous étions dans un film, alors tout était possible. Amber nous avait imité et avait passé ses chaussettes sur ses chaussures. Elle jetait des regards perdus autour d’elle. Si on s’en sortait vivant, elle aura besoin de beaucoup de séances chez le psy pour s’en remettre. Je glissais doucement une main dans la sienne, lui adressant un sourire aussi réconfortant que possible. Elle me le rendit et serra ma main dans la sienne.
De toutes mes vies, c’était la première fois que j’étais confronté à des créatures comme celles-ci, pourtant, je parvenais à garder mon sang froid, peut-être bien parce que, justement, j’en avais un peu vu de toutes les couleurs au cours de mon existence… Analyser les faits, c’était le meilleur moyen de parvenir à comprendre les choses. Si j’avais été un peu bruyant au départ, je faisais à présent preuve d’assez de jugeote pour me montrer à peu près silencieux. C’était comme avec les anges pleureurs, il fallait comprendre qu’il ne fallait pas cligner des yeux si on voulait s’en sortir… mais avant de comprendre cela, il avait bien fallu qu’il y ait quelques essais et quelques erreurs. Forcément.
Je remarquai à peine l’échange de regards entre Amber et Ianto, j’étais bien trop occupé à réfléchir au meilleur moyen de nous tirer de là sans qu’il n’y ait de nouveaux blessés… ni de notre côté ni du côté des créatures, d’ailleurs, parce que, quand on y pensait, c’était des êtres rares, que nous ne connaissions pas et qu’il serait intéressant de pouvoir étudier…
Avec nos chaussettes par-dessus nos chaussures – c’était assez drôle, d’ailleurs, parce que j’avais enfilé ce matin une paire de chaussettes rigolotes que Rose m’avait offertes : c’était des motifs représentant des planètes, mais dans le style de Van Gogh, La nuit étoilée… Plutôt sympa, mais ma chère Rose Tyler avait eu l’idée de demander à quelqu’un de doué en couture d’y ajouter un petit TARDIS. Bref, ça me fit évidemment penser à Rose, une fois de plus. Elle aurait sans doute très bien géré ce genre de situation, elle aussi.
Ianto finit par me tendre la gourde de thé glacé d’Amber et j’eus un immense sourire en entendant ses propos. « Tu es brillant, Ianto Jones ! Et comment fait-on pour aider un enfant qui fait des cauchemars ? »
Mon ton enjoué reprenait le dessus, mais la réponse était simple et claire : il fallait rassurer l’enfant. Souvent, pour ça, l’idéal, c’était un bon chocolat chaud, avec des biscuits sablés aux pépites de chocolat… mais je ne voyais rien de tel par ici. Alors il fallait lui montrer que ces créatures pouvaient être gentilles. « Le thé est là pour attirer une de ces bestioles. Il va falloir essayer de l’amadouer et de la calmer. » Je n’étais pas doué pour dresser des animaux, mais la plupart des êtres vivants réagissaient à la nourriture ou aux friandises. Alors si on parvenait à attirer l’une de ces créatures et à s’en faire une alliée, nous aurions toutes les chances de notre côté. « Je me demande si le bruit qui les énerve ne leur fait pas mal, en fait, tout simplement… Si elles ont l’ouïe sensible, ça expliquerait qu’elles se mettent dans tous leurs états au moindre bruit… » Peut-être qu’il suffirait alors de leur mettre un peu de coton dans les oreilles pour qu’elles trouvent la paix. A défaut de casque anti-bruit. On faisait avec les moyens du bord.
Je versais du thé un peu plus loin, avant de rejoindre mes deux amis, qui se tenaient la main comme si c’était leurs derniers moments à vivre.
« Bon, si ça ne fonctionne pas et que je suis appelé à me régénérer… Je compte sur vous pour dire à Rose Tyler que c’est à elle que j’ai pensé en dernier lieu. » Je pensais toujours à elle, alors ce n’était pas un scoop, mais c’était la première fois que je le disais ouvertement et à voix haute, même si je chuchotais encore et toujours. Peut-être qu'un jour, c'est à elle qu'il faudrait que je le dise, pour de bon...