Ces derniers temps, mes journées étaient rythmées par les dépannages habituels, mais surtout par des sorties avec Rose. Depuis que nous nous étions retrouvés, c’était comme si l’univers tout entier nous avait poussés à passer du temps avec elle et, vraiment, ça me rendait heureux.
Elle me faisait découvrir plein de choses… des trucs d’humain que je n’avais jamais eu l’occasion d’essayer avant. Il fallait dire, aussi, que quand nous voyagions ensemble, elle et moi, c’était surtout pour vivre des aventures en lien avec les aliens… Les activités des humains m’avaient plutôt échappé jusque là, mais Rose était prête à m’aider dans mon processus de découverte… ça tombait bien : j’étais toujours curieux d’apprendre de nouvelles choses.

Au fil de mes voyages sur terre, j’avais eu l’occasion d’apprendre déjà beaucoup de choses. La chance m’avait aussi été donnée d’essayer de multiples activités : il pouvait s’agir de méthodes intellectuelles, de jeux et de loisirs ou même d’émissions de toutes sortes… j’avais acquis une bonne maîtrise de pas mal d’outils humains et de connaissances sur un tas de sujets plus ou moins intéressants.
Pour le reste, Rose était prête à me faire découvrir et apprendre ce qu’il manquait à ma culture et à mes compétences. C’était ainsi que j’avais appris que les humains portaient parfois des « kigurumis » représentant différents animaux, ou que certains humains passaient leur temps à s’envoyer des photos qui disparaissaient après quelques secondes à peine… Je devais reconnaître que l’intérêt de certaines choses humaines ne m’apparaissait pas toujours très clairement… mais je n’étais pas le mieux placé pour juger de cela. Beaucoup de choses insensées m’amusaient et c’était toujours ça le plus important.

Sur cette île, retrouver Rose s’était avéré une chance immense. J’étais heureux de ces retrouvailles, bien plus qu’heureux, même, et j’espérais que c’était la même chose pour elle, qu’elle ressentait le même genre de choses…
Petit à petit, nous avions pris quelques habitudes, elle et moi : nous échangions pas mal par messages, elle m’avait montré l’utilité des émojis pour bien faire passer les émotions qui sous-tendaient nos envois… J’aimais bien ce principe de petits dessins qui agrémentaient les textes, j’en usais régulièrement depuis nos premiers échanges de SMS.

Aujourd’hui, notre sortie était programmée pour nous pouvoir glisser sur de la glace. Je n’avais pas patiné depuis longtemps, je devais être un peu rouillé, comme on dit dans ces cas-là, alors j’avais dit à Rose que je ne savais pas très bien patiner. C’était plus simple. De toute façon, j’étais loin d’être prêt pour participer à un spectacle de type Disney on ice (ça aussi, j’avais découvert lors d’une soirée télé : les humains aimaient mélanger des éléments culturels et artistiques avec des techniques de sport ressemblant plus à une danse qu’à un sport, pour le coup)…
J’étais arrivé à l’appartement de Rose avec quelques minutes d’avance. J’avais frappé à la porte, attendant un peu qu’elle vienne m’ouvrir… les cheveux encore un peu humides. Elle sortait donc de la salle de bain.

« Hello Rose… j’arrive trop tôt ?» Mais elle m’invita à entrer comme si j’étais là pile à l’heure.
Je ne faisais pas attention au désordre… je n’étais moi-même pas toujours un exemple d’ordre et d’organisation, après tout… « Fais à ton aise, je fais comme chez moi !»
Je me vautrais dans le canapé, prenant appui des deux coudes sur les coussins formant le dossier, et je me croisais les jambes.
C’est comme cela que je posais les yeux sur le bouquet de fleurs. Un bouquet assez gros pour être un cadeau. Et assez beau pour ne pas venir de n’importe qui. Je me mordis la lèvre inférieure : j’aurais peut-être dû venir avec un bouquet ? Et si Rose avait reçu ce bouquet, qu’est-ce que ça voulait dire ?
J’élaborais déjà tout un tas d’hypothèses quand elle réapparut, ajoutant un peu d’eau dans le vase, ce qui me fit songer que Rose tenait à ce bouquet… qui lui venait donc certainement de quelqu’un à qui elle tenait. Mais je ne dis rien. Mes deux cœurs se serrèrent un peu, peut-être, mais je restai silencieux sur le sujet.
Je me levai d’un bond pour la suivre, prêt à parcourir la ville en courant comme deux enfants qui se tiennent par la main et qui sont trop pressés d’arriver à destination. Nous avions l’après-midi pour nous et c’était une grande première depuis un bon moment.

« Patinoire ! » Mon amie était toujours prête à m’emmener dans des lieux humains typiquement humains, loin des planètes étranges et des mystères difficiles à démêler. « Et après la glisse, on se prend une glace ? »

Patiner sur de la glace, c’était une activité qui me tentait bien mais qu’il ne m’avait pas été donné de pratiquer depuis bien longtemps… pour ne pas dire jamais. Sans doute que lors de l’une de mes régénérations précédentes, j’avais dû faire ça, mais ça ne m’avait pas plus marqué que cela. De toute façon, une fois que j’étais avec Rose, toute activité prenait une tout autre dimension et, même, une tout autre saveur.
Quand elle se préparait pour sortir, elle prenait toujours le temps de s’apprêter parfaitement. Pour moi, elle était toujours parfaite telle qu’elle était, mais les humaines aimaient bien ajouter une petite touche de couleur sur leurs paupières ou allonger un peu leurs cils avec du mascara… après ça, en un battement de cils, Rose était capable de faire sauter mes deux cœurs à l’unisson, sans doute même sans s’en rendre compte.

J’eus un haussement d’épaules, parce que manger une glace ensemble, ça me plaisait bien. Peu importait la température.
« Chocolat chaud XXL et glace vanille, c’est parfait ! » Je comptais bien l’inviter, évidemment.

Et quand nous nous mîmes en route et qu’elle aida un enfant, au moment où elle parla de sa copine qui allait bientôt avoir un bébé, je ne pus m’empêcher de me demander ce que ça donnerait, Rose enceinte. « Les bébés, c’est toujours tellement mignon ! » Est-ce que Rose voulait des enfants ? Je n’en étais même pas sûr… On n’avait jamais vraiment abordé le sujet… mais quand je la voyais agir avec les enfants, c’était évident qu’elle ferait une super maman. « Et toi, tu aimerais avoir un bébé ? »
Elle n’était pas du genre à répondre quelque chose comme "Je vais d’abord prendre un chien, pour voir si je peux assumer la responsabilité d’une autre vie que la mienne", mais la question était intéressante.

Et puis, une fois arrivés près de la grande surface de glace où un tas de gens faisaient déjà des figures et des courses de vitesse, une voix que je n’aurais jamais pu oublier appela mon amie… Et elle, spontanée et vive à réagir, se tourna aussitôt vers lui. Je regardais la scène de leurs retrouvailles, non sans me sentir un petit peu mis à part lorsqu’ils s’étreignirent tous les deux… mais bientôt, quand leur câlin prit fin, j’eus l’occasion de me mêler des choses…
« Cap’tain ! Mais… Qu’est-ce que tu fais ici ? »
Question un peu bateau, parce qu’au fond, on faisait sans doute tous un peu la même chose, ici : on s’adaptait à un nouveau terrain de jeu et de vie, sans que cela n’ait été prévu au départ.
Je le pris dans mes bras un instant, quand Rose me laissa la place. Quelque chose me disait que le Capitaine Jack Harkness était bien plus doué que moi pour le patinage et que notre petite sortie à deux allait se transformer en un moment à trois où Rose allait sans cesse être au centre des préoccupations.
« Toujours aussi souriant, Cap’tain ! C’est bon de te revoir ! »

Rose avec un bébé… l’image mentale qui s’était dessinée dans mon esprit était toute de douceur et de tendresse, de sourires aussi… Je ne pouvais m’empêcher d’imaginer ce que ça devait être de voir grandir son propre bébé…
Un ou une mini moi, plein ou pleine de cheveux, super dépendant ou dépendante et hyper mignon ou mignonne. Je n’avais pas vécu cela dans cette régénération et la seule expérience que j’avais de la paternité se résumait à une fille : Jenny, née adulte, sur la base seule de mon ADN combiné à une machine. Ce n’était absolument pas une conception romantique ou désirée. Mais Donna m’avait convaincu et je m’étais senti père.

« Techniquement… j’ai déjà été père, mais je n’ai pas profité bien longtemps de cette expérience… » Il y avait quelque chose d’un peu gênant à annoncer à Rose que j’avais conçu une vie… mais je ne pouvais pas lui cacher cela !
« En quelques heures à peine, Jenny est morte dans mes bras… »

Je m’étais souvent demandé si les êtres vivants dont l’existence était éphémère vivaient plus intensément leur courte vie que ceux qui pouvaient traverser les décennies et les siècles. Est-ce qu’un papillon vivait à 2000 à l’heure tandis qu’une tortue terrestre avait à peine le temps de traverser une route ?

« Mais je pense que j’aimerais beaucoup accompagner une femme pendant sa grossesse, faire en sorte qu’elle soit bien, qu’elle ne manque de rien… Je me mettrais même aux casseroles et aux fourneaux pour lui préparer une tartiflette à deux heures du matin si elle en a envie…» Et puis, j’aimerais la soutenir, bien sûr, être comme une sorte de béquille ou de prothèse vivante pour améliorer son quotidien en attendant le moment où l’anesthésie locale de la péridurale ferait effet.
Après tout cela, je savais que la date clef, sur le calendrier, deviendrait le jour rituel de la fête d’anniversaire de l’enfant, un jour, aussi, pour célébrer la maman… Je savais aussi que je pourrais facilement être un papa poule et le genre à tout faire pour essayer de rendre heureux femme et enfant. Même si cela devait impliquer d’emmener tout le monde à l’aéroport plutôt qu’au TARDIS, avec des billets d’avion soigneusement rangés dans une enveloppe… mais je préférerais sans doute aller sur un sommet pour faire du parapente et découvrir la quiétude du silence d’un vol sans machine…
« Et j’adorerais apprendre des tas de choses à mon enfant, comme la meilleure technique pour faire des pirouettes, la différence entre l’uranium et les géraniums, les lois du temps et des voyages… »

Oui, j’aimerais être papa un jour. C’était certainement quelque chose de très intense à vivre.
Voilà bien une pensée et une conversation qui allaient me rester en tête bien plus longtemps que ce que j’aurais cru au départ.


Jack Harkness était un ami. Du moins, c’était comme cela qu’il fallait (ou qu’il valait mieux) le voir. Il avait tellement tendance à en faire des tonnes pour montrer sa joie lors de retrouvailles ! Entre les étreintes, les sourires, les embrassades et les regards lancés vers Rose, je ne pouvais m’empêcher de ressentir une pointe de jalousie.
Je gardais le sourire tandis que Rose invitait le Capitaine à faire partie de notre programme du jour, même si cela modifiait d’emblée l’atmosphère des activités prévues…

Jack était du genre à montrer sa joie, à oser prendre les devants, à faire tomber les filles et les hommes par son sourire et ses clins d’œil… Toutes des choses que je ne faisais pas, qui ne me ressemblaient pas.
Rose lui répondait avec le même genre d’entrain… et moi, j’avais un peu l’impression que j’allais me retrouver à tenir la chandelle entre eux, alors que j’aurais aimé passer cet après-midi seul avec Rose…
Bien sûr, c’était agréable de retrouver des visages connus. Bien sûr, je comprenais le bonheur que devaient ressentir Rose et Jack. Mais j’avais un pincement aux cœurs et ça, je ne pouvais rien faire contre.

Le Capitaine nous apprit qu’il avait ouvert une agence de détectives. Un truc qui devait bien servir aux humains, il avait raison de se tourner vers ce type d’activité professionnelle… Mais reprendre le nom de Torchwood, c’était un peu comme mettre d’immenses néons en façade pour avertir les aliens qu’il était ici. Enfin, je ne dis rien à ce sujet pour le moment, de peur de passer pour un plombeur d’ambiance ou un paranoïaque. J’étais plus prudent et plus discret que Jack, ce n’était pas nouveau.

« Si mes clients ont besoin d’un enquêteur, je te les enverrai aussi. » dis-je, souriant.
Rose était plus démonstrative que moi, mais elle n’avait pas de jalousie à vaincre, elle. En tout cas, pas pour le moment. « On retrouve un tas de gens, par ici, c’est une île à la fois vraiment bizarre et intéressante, pour ça ! » Moi aussi, j’avais rencontré ma future regénération et je n’étais pas spécialement enchanté de cette rencontre.
« Et toi, Jack, tu as retrouvé des proches aussi ? »

Je lui lançais la question avec un intérêt sincère. Bien sûr, je lui souhaitais de retrouver les siens, qu’il s’agisse d’Alice, de Steven, de Ianto, de Gwen ou de toute personne qui compte un peu pour lui. Mais je gardais en tête que la Terre lui avait laissé cette terrible impression d’avoir perdu tous ceux qu’il aimait, dans le passé… Qu’en était-il à présent ? Car il semblait que l’île et la lune rouge avaient ramené à la vie des personnes décédées… peut-être était-ce arrivé à ces proches d’Harkness également.

Si la situation avec Rose avait été différente, si nous n’avions pas dû être séparés comme nous l’avions été, j’aurais sans doute été heureux de lui parler de tout cela plus au calme, juste entre nous… mais c’était très compliqué avec les voyages dans le temps de s’y retrouver sur une chronologie classique…
Cela dit, je n’étais pas surpris de voir que Rose éprouvait de la compassion pour cette perte… J’étais sûr qu’elle aurait pu apprécier Jenny, car les deux femmes avaient toutes deux un sacré caractère… Oui, elles auraient pu s’entendre.

« Merci… » Je n’avais pas connu ma fille très longtemps, mais le fait que nous ayons un ADN sensiblement identique faisait en sorte que je m’étais naturellement attaché à elle, suite à l’intervention de Donna, parce que sans elle, j’aurais sans doute été un peu plus neutre et un peu plus rude à convaincre. « Je te raconterai. »

Je n’allais pas entrer dans les détails maintenant, mais il était vrai que c’était sans doute un peu difficile de s’y retrouver.
Je lui souris. Les massages, les câlins… tout cela, au milieu de l’éducation d’enfants, c’était quelque chose qui pouvait faire rêver, à condition de ne pas imaginer le contenu des couches ou les nuits entrecoupées par les pleurs d’un bébé affamé. Ou de plusieurs. Est-ce que la gémellité était quelque chose de courant chez les Seigneurs du Temps ? Comme chez les humains, ça arrivait… mais ce n’était pas spécialement plus fréquent. Possible, donc.

Mais nous n’allions tout de même pas nous attarder sur le sujet alors que Jack était là et que les retrouvailles battaient leur plein. Rose eut la délicatesse de me serrer dans ses bras même si nous étions venus ensemble. Une petite attention que j’appréciais. J’avais besoin de me sentir important à ses yeux, j’avais besoin d’être sûr qu’elle tenait à moi et que le fait de retrouver le Capitaine Jack Harkness n’allait pas empiéter sur notre relation.

« J’ai rencontré une autre version de moi-même. C’était un peu bizarre… » Parce que j’avais trouvé un peu étrange de voir ce que j’étais devenu dans une autre régénération.
Je tiquais un peu chaque fois que Jack appelait Rose par des petits surnoms, comme [i]chou[/ci]… J’aurais aimé que Jack nous dise qu’il avait retrouvé quelqu’un d’important, avec qui il était en couple et qu’il lâche un peu Rose… Bien que je ne fusse pas en couple avec elle, j’avais tendance à me montrer un peu trop protecteur et possessif.

« C’est vrai… Il y a aussi des sorciers, apparemment… et des créatures qui sont devenues humaines en arrivant ici. On dirait qu’on est dans l’île la plus cosmopolite de l’univers… »

C’était à la fois plutôt rassurant de voir qu’il y avait tant de diversité, car cela voulait dire que l’univers restait aussi multiculturel et pluraliste qu’il l’avait toujours été.

Patiner, c’était une chose, mais le faire avec des amis, c’était tout de suite bien plus drôle et plus sympa. Je pouvais bien payer la tournée de chocolat chaud, ça permettrait de continuer cette belle activité tous ensemble.

J'avais enfilé les patins avec une anticipation grandissante, me demandant comment cela allait se passer. J'avais posé un pied sur la glace et, à ma grande surprise, je m’étais maintenu en équilibre sur ces deux portions métalliques…
La glace, ce n’était pas vraiment mon élément… Mon pas était hésitant, mais quand Rose me prit par les mains pour me faire aller sur la patinoire, je m’étais élancé avec elle, en riant de bon cœur. Les patins manquaient un peu de stabilité au début et je me retrouvai par terre deux ou trois fois avant de comprendre le principe. Mais une fois qu’on avait compris le truc, c’était vraiment très drôle ! Et puis, il y avait des gens qui patinaient avec autant de grâce et de confiance en eux que s’ils n’avaient fait que ça toute leur vie… Certains faisaient même des figures de gymnastique.
La vitesse, en glissant, ce n’était pas encore ça, mais je prenais peu à peu confiance. Sans doute grâce à Rose, sans doute grâce à nos rires…
Jack semblait plus doué que moi, et il attirait de nombreux regards, parce que son sourire avait toujours cet effet-là. Les gens le regardaient et certains, même, semblaient subjugués.

Après quelque temps de fous rires, de glissades et de chutes, notre temps sur la glace fut bientôt révolu, le moment était donc venu de se régaler ! Et mon goût pour le sucre prenait vite le dessus dans ces cas-là…

« J’ai une faim de loup ! » Un petit clin d’œil à tout ce qui concernait le fameux Big Bad Wolf… ça avait rythmé nos premières aventures, à Rose et moi… sous mon ancienne version de moi-même.
Mais même si je mourais de faim, j’allais éviter de prendre une glace à 17 boules. Je gardais ça pour des petites virées à objectif sucré.
Après la glace, j’offrirais ma tournée de chocolat chaud, certains avec supplément de chantilly, histoire de bien emmagasiner les doses de calories nécessaires pour se faire exploser de sucre.