⋆ It's a beautiful lie It's a perfect denial Such a beautiful lie to believe in
Une vive douleur réveilla Chuck en sursaut au petit matin. Il mit quelques secondes à émerger, on pouvait dire qu’il avait la tête dans le cul après sa soirée de bringue au Pandémonium la veille. Les relents d’alcool de sa propre haleine lui retournèrent l’estomac et il manqua de lâcher une galette au beau milieu de son lit. Son regard se posa alors sur son poignet où il remarqua la présence d’une toute petite marque. Elle était assez discrète pour passer pour un grain de beauté, mais sa forme géométrique, similaire à une ancienne rune, lui parut bien suspecte. Il inspecta son épiderme rouge et boursouflé de plus près. Cela ressemblait à une petite brûlure discrète. Il cligna des yeux plusieurs fois afin de s’assurer qu’il ne rêvait pas. Depuis son passage à l’état de mortel, Chuck peinait à distinguer ses songes de la réalité, les deux se mélangeaient souvent dans son esprit. Il supposait que cela était dû au contrecoup de son changement de nature. On ne pouvait passer du statut de Dieu à celui d’humain sans subir des séquelles. À peine effleura-t-il sa mystérieuse blessure qu’il ressentit comme une décharge électrique dans tout son bras. Quelle était donc cette sorcellerie ? Qui pouvait bien le marquer de la sorte ? Il décida de ne plus y toucher pour le moment, il était plus sage d’attendre avant de tenter quoique ce soit pour s’en débarrasser. Rien de mieux que de se rendre à la bibliothèque pour trouver la signification de cette étrange marque.
La pièce se mit à tourner lorsqu’il se leva, cette fois-ci son estomac ne supporta pas le mouvement soudain et décida de se rebeller. Chuck courut vider son contenu dans la cuvette des toilettes. Comment était-il tombé si bas ? Une accumulation de mauvais choix, le karma, le Néant ? Impossible de répondre à cette question temps qu’il était dépourvu de pouvoirs. Il trouva le courage de prendre une douche et de s’habiller malgré l’atroce migraine battant ses tempes avec ferveur. Sur le chemin de la sortie, il s’empara d’une bouteille d’eau pour contrer la déshydratation qui accompagnait la gueule de bois. Une fois dehors, son poignet commença à le lanciner à la manière d’un hématome tout frais. Il fut tenté d’y jeter un coup d’œil et découvrit avec horreur que la marque s’étendait petit à petit, le minuscule symbole faisait maintenant la taille de son ongle. Cela signifiait que son temps était compté, quoi que cela veuille dire. Chuck pressa donc le pas pour se rendre à la bibliothèque la plus proche. Sitôt les portes poussées, il se rendit sans aucune hésitation vers le rayonnage d’ésotérisme. Ses yeux parcoururent les tranches de livres à la vitesse de l’éclair, il savait exactement ce dont il avait besoin. Sauf que, chanceux qu’il est, le dictionnaire de symboles était emprunté à l’heure actuelle. Il pesta dans sa barbe de trois jours et passa une main dans ses boucles brunes.
La marque sur son poignet commença s’échauffer, ce fut d’abord des picotements qui se transformèrent rapidement en décharges électriques. Les lampes se mirent à clignoter, la température s’abaissa de quelques degrés. Chuck leva la tête et fut surpris de faire face à une silhouette noire. « Qu’est-ce que… ? » Murmura-t-il tandis que son regard croisait les iris abyssaux de la créature. Son âme sembla se détacher de son corps. La bibliothèque se disloqua et disparue pour laisser place à un noir d’encre. Il flotta quelques instants dans le néant avant de se retrouver projeté dans ce qui ressemblait à un souvenir. Le jour où il avait enfermé Amara. Le jour où il avait créé le Diable. Il se trouvait face à Lucifer, Gabriel, Raphael et Mickaël se trouvaient à ses côtés, contenant tant bien que mal Amara. Il n’avait pas beaucoup de temps pour performer le rituel permettant de sceller les Ténèbres dans leur cage. Ses fils étaient en mauvaise posture et risquaient de céder à tout moment. Chuck avait déjà pris sa décision il y a longtemps, son favori deviendrait le gardien de l’équilibre, sa grâce était aussi pure que les Ténèbres étaient sombres. Les chances qu’il se fasse corrompre par celles-ci étaient donc infimes, enfin, en théorie. Il savait aujourd’hui qu’il s’était fourvoyé. Les Ténèbres demeuraient plus puissantes, plus anciennes, elles trouvaient toujours un moyen de subsister et de s’approprier ses créations. Voir Lucifer ronger par l’obscurité était son plus grand regret. Le premier d’une longue lignée.
Chuck fut renvoyé dans son corps, étalé sur le sol de la bibliothèque. Essoufflé comme s’il venait de faire un marathon, il se redressa afin de s’assurer que la créature ne se trouvait pas tapie dans un coin. La marque sur son poignet ne lui faisait plus aussi mal, il en déduisit qu’il était sauf pour l’instant. Un soupire de soulagement s’échappa de ses lèvres sèches, il se laissa tomber sur la moquette, le regard rivé sur le plafond. Que venait-il de lui arriver ? Quelle était cette créature ? Que lui voulait-elle ? Tant de questions et si peu de réponses. Il inspecta le symbole qui ne cessait de grossir au fil du temps. Ce maléfice semblait se nourrir de ses regrets, autant dire qu’il était condamné avant le début de ce jeu tordu. Sa vie n’était qu’une succession de regrets. Des pas approchèrent de lui, des chaussures lustrées s’arrêtèrent à hauteur de sa tête. De son point de vue incongru, Chuck put discerner des traits tendus, un regard sérieux et des sourcils froncés qu’ils reconnaîtraient entre mille. Raphael. Non, il hallucinait encore. Raphael était mort, Castiel l’avait détruit. Il le regarda, ébahi quelques instants durant lesquels l’archange le jaugea d’un air sévère.