(Terminé) Language of Flowers || ft. Eurydice Mélôidía

Mon business, c’était l’achat de petites et moyennes entreprises. J’agrandissais ainsi ma propre société en y intégrant toutes sortes de domaines où, bien souvent, je ne connaissais pas grand-chose. Mais l’avantage était de pouvoir ainsi faire fructifier mon chiffre d’affaires tout en restant aux commandes sans avoir à trop me mouiller. J’avais toujours délégué les tâches à d’autres, suffisamment efficaces ou, en tout cas, assez bien placés pour ne pas me gêner ensuite. Et rester le big boss me convenait tout à fait.

Il arrivait parfois que je me déplace en personne, tout de même, pour appuyer une proposition d’achat. Je savais que je pouvais me montrer persuasif et que mes arguments financiers attestaient bien souvent d’un pouvoir particulier. C’était la raison pour laquelle j’étais là aujourd’hui. Une petite vitrine de fleuriste, sans grande ambition, visiblement, hormis celle de proposer des plantes et des fleurs de qualité.
De ce que je savais, la propriétaire des lieux, Eurydice, était une jeune femme à la main verte et aux clients satisfaits. Il ne m'en fallait pas plus pour avoir des vues sur ce commerce florissant (ah ah ! le comble pour une boutique de fleuriste).

Costume trois pièces, tenue de qualité, je me passais un coup de peigne dans les cheveux et la barbe avant de pousser la porte du petit magasin. Le tintement annonçant l'arrivée d'un client était légèrement désuet, mais cela ne me dérangeait pas outre mesure. Après tout, il y avait un certain cachet à conserver des éléments plus anciens et cela conférait au lieu un charme certain.

« Bonjour ! » D'une nature plutôt polie et affable, je m'annonçais en saluant, à la cantonnade, toute vie pouvant m'entendre en ce lieu, en espérant que, dans le lot, il y aurait la propriétaire de l'endroit.

Peut-être que je pourrais amorcer la conversation après avoir fait l'acquisition d'un bouquet à offrir à mon épouse. Bien sûr, elle prendrait cela comme l'aveu d'un adultère, mais je n'étais plus à une suspicion près.

Je regardais un peu ce que proposait le magasin. En termes de fleurs, il y avait pas mal de choix, mais je fus attiré par un arbre minuscule, de la pure tradition asiatique. Un bonsaï dont les feuilles avaient une coupe très intéressante. Ginkgo Biloba. L'arbre aux quarante écus. Il y avait toute une gamme, classés par âge... et par prix, dès lors, je constatais, avec un rapide calcul mental, que la vente de trois de ces bonsaïs de plus de vingt ans pouvait assurer un confortable salaire à la fleuriste. N'était-ce pas là un investissement intéressant ?

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Lorsque j’étais entré dans ce magasin, je m’étais senti comme attiré par les différentes fleurs et plantes. Il y avait ici une atmosphère apaisante. Comme une sorte de petite oasis naturelle au sein d’une ville entièrement artificielle. Un endroit serein, calme et quiet, dans un monde où tout allait toujours très, voire trop, vite.
Dans un endroit comme celui-ci, les lieux calmes pouvaient sembler trop rares, aussi l’ambiance de ce genre de petit magasin était plutôt agréable. Cela me changeait du décor de mon quotidien… mon bureau me rappelait l’Olympe pour sa blancheur et le côté un peu trop propre pour être humain. Mais d’un autre côté, je m’y sentais comme chez moi, ce qui était plutôt bien, vu le nombre d’heures que je passais dans ma société.

Ma posture, en ce lieu ou un autre, était toujours plutôt semblable. J’étais moi-même, c’est-à-dire que je me tenais bien droit, avec cette habitude d’avoir le port altier et le regard franc.
Ma vie ici n'était pas vraiment comparable à celle que je menais jadis sur l'Olympe. Certes, l'argent me conférait du pouvoir et m'amenait le respect, mais il me manquait quelque chose... Quelque chose qui ne pouvait pas s'acheter ni se prendre par la force. Et, sans ce quelque chose, j'avais un peu l'impression de ne pas être tout à fait moi-même, c'était un sentiment d'incomplétude, d'insatisfaction par rapport à mes attentes... Et jusqu'à présent, je n'avais pas encore trouvé de moyen de passer outre ce sentiment.

Depuis que j'étais ici, je faisais tout pour retrouver petit à petit mes pouvoirs et ma puissance... Cette villr et cette île étaient bien différentes de laGrèceque j'avais connue et tant aimée, ces terres bénies par mes semblables et par moi-même... Les îles grecques avaient toujours porté et alimenté nos histoires et l'une d'elleen particulier était très chère à mon coeur : la Crète. En effet, c'était là que j'avais été élevé durant mon enfance et ma jeunesse, jusqu'à ce que j'aie la force de retrouver mon père et de lui faire cracher ma fratrie. Cette île était différente de ce beau pays. Pourtant, j'avais peu à peu pris mes marques pour m'y sentir de mieux en mieux.

Dans la boutique de fleurs, comme la vendeuse m'accueillait avec politesse et bienveillance, je me tournai vers elle avec un léger sourire flottant au milieu de ma barbe blanche.

« Je cherche un bel olivier en pot... » Repenser aux terres hellènes m'avait donné l'envie de retrouver des éléments de ce décor qui me plaisait tant. « Bio, évidemment. » A mes yeux, cela allait de soi : si j'avais souhaité faire l'acquisition d'une plante forcée par des produits chimiques et des engrais artificiels, je ne serais pas venu ici. Il y avait sans doute bien assez de grandes jardineries où des productions industrielles pouvaient s'acheter au rabais. « J'aimerais un jeune olivier qui pourra donner du fruit dans quelque temps. » Je souhaitais un arbre aussi fertile que moi, en somme, un arbre comme l'olivier de l'Acropole d'Athènes.

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Je suivis la vendeuse pour arriver dans le coin de la boutique où se trouvaient les oliviers. Je les observais, les mains dans le dos, avec une attention toute particulière. Je tenais à ce que l’arbre que j’allais choisir soit en forme, en bonne santé et prêt à m’apporter le sentiment d’être chez moi… « Je suis ravi d’apprendre cela. J’aime que la nature puisse être elle-même sans être dénaturée.» Je n’aimais pas utiliser deux mots de même racine dans la même phrase, mais tant pis, nous n’étions pas ici pour discuter de syntaxe ou de vocabulaire.

Je posais les yeux sur le premier olivier. Dans son pot, il semblait avoir été bien traité. Je me penchais un peu plus pour observer de plus près ses feuilles. « J’ai grandi entouré d’oliviers. En Crète. » C’était sur cette île que j’avais été recueilli, nourri et élevé, sur le mont Ida, par ma grand-mère, Gaïa, avec des nymphes. « C’est un arbre qui revêt une valeur particulière pour moi. Vous connaissez l’histoire de l’olivier sacré d’Athènes ? »

Lors de la fondation d’Athènes, quand les humains avaient besoin d’un dieu protecteur, j’ai lancé à Poséidon, mon frère, et à Athéna, ma fille, le défi de faire aux Athéniens un cadeau. Mon frère eut l’idée d’une source d’eau salée, qui se mit à jaillir d’un rocher, ma fille leur offrit un olivier qui poussa sur l’acropole, non loin de là où les caryatides pourraient, de leurs yeux de pierre, veiller sur cet arbre…
Tous ceux qui connaissaient les récits de la mythologie savaient que cet arbre avait la réputation d’apporter aux humains tout ce dont ils avaient besoin, à l’époque de la fondation d’Athènes : les feuilles de l’olivier serviraient à couronner les athlètes victorieux et les puissants, le bois d’olivier pour bâtir les demeures et les navires – qui ne se souvient pas de la prédiction de la Pythie dont l’oracle du « mur de bois » avais permis à Athènes de vaincre Xerxès -, l’huile d’olive pour alimenter les lampes, mais aussi pour enduire les corps en plus de servir en cuisine… quant aux olives, elles-mêmes, quel mets délicieux pour accompagner un excellent ouzo ou un bon petit mavrodaphne… Pris à l’ombre d’un bel olivier, c’était un moment bien proche de ce que j’estimais être le bonheur.
« La météo, j’en fais mon affaire, ne vous inquiétez pas pour cela. Dans le pire des cas, j’ai dans mes bureaux un jardin couvert qui serait parfait pour qu’un olivier puisse s’y épanouir. » J’avais le pouvoir de contrôler la météo, alors, évidemment, j’utiliserais ce don pour prendre soin de mon acquisition.

En passant en revue les différents spécimens, je m’arrêtais devant le plus petit. Son tronc n’était pas plus épais qu’un manche de balai et il me sembla que je pourrais bien vite me prendre d’affection pour lui. « Celui-ci… Quand il aura trouvé sa place, il sera le parfait symbole de longévité et de force…  » J'en fis le tour, comme pour m'assurer que le jeune arbre correspondait bien à ce que je désirais.
« Vous pourrez le faire livrer à cette adresse. » Je sortis ma carte, portant le nom de ma société de holding, ainsi que l'adresse de mes bureaux.

« J'envisage d'ajouter un peu de vie dans les bureaux. Auriez-vous des plantes à me suggérer pour améliorer l'environnement de travail de mes employés ? »

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On rencontrait parfois, par ici, des humains qui sortaient du lot, le genre de mortels qui auraient tout à fait pu avoir un statut supérieur aux autres s’ils avaient vécu à une autre époque que celle-ci, aussi post-moderne que décadente.
Croiser par ici des personnes ayant une culture pouvait les faire resituer un mythe antique dans son contexte, c’était suffisamment rare pour être souligné. Je lui souris et j’appuyais ses dires.
« C’est tout à fait cela… Athéna a fait un cadeau inestimable aux Grecs de l’Attique… Mais ils sont restés respectueux de Poséidon malgré son offrande moins… pratique. »

Les Athéniens avaient eu la décence de garder cette foi et cette tradition envers les dieux… Cela leur avait souri à plusieurs reprises, d’ailleurs. Moi-même, j’y avais une statue à mon effigie, œuvre de Phidias… L’Attique était une région que j’aimais pour cela. La foi, le respect, les traditions… Même dans sa version moderne, cette terre était riche à mes yeux, bien que j’eusse toujours une préférence pour l’Athènes antique.

Ainsi, ma présence dans cette boutique éveillait des choses qui n’étaient pas sans me rappeler, avec nostalgie, cette belle époque désormais révolue. J’aurais aimé, je pense, que les humains eussent la décence de poursuivre leurs prières et leurs offrandes à nos égards divins… mais la foi semblait être quelque chose d’oublié, mis à part dans des pratiques quelque peu obscurantistes de sectes ou de groupuscules religieux.

Lorsque je lui avais tendu ma carte, je n’avais pas eu l’intention de faire spécialement un grand coup de théâtre. Il me semblait tout à fait normal, lorsque je trouvais une humaine qui semblait douée dans son domaine de lui proposer du travail. J’ignorais si c’était une coutume que les mortels adoptaient également, mais j’avais gardé cette habitude de la grande époque, bien sûr. Et, effectivement, la fleuriste œuvrait avec un professionnalisme qui me plaisait. Il me fallait quelqu’un comme cela.
« Vous pourriez venir voir par vous-mêmes et me proposer l’un ou l’autre devis ? » C’était plus simple de fonctionner de cette manière… D’ailleurs, c’était quelque chose que j’avais appris auprès des humains. Les devis, c’était quelque chose qu’ils utilisaient beaucoup, comme une sorte d’haruspices modernes, mais se contentant de lire un avenir concernant les finances uniquement.

Et puis la jeune femme m’interrogea sur mon nom. J’arquais un sourcil avec un léger sourire.
« C’est bien cela. » Zeus… un prénom qui avait la même racine que le deus latin… un nom qui rappelait les cieux… un nom qui me plaisait et dont je n’aurais voulu changer pour rien au monde. « Vous semblez pour le moins surprise. »

Je n’allais pas y aller par quatre chemins, mais je ne voulais pas non plus paraître trop inopportun. Ma présence ici n’était pas un hasard, je le pressentais de plus en plus, et il me semblait bien que cette jeune femme avait un potentiel qui n’était pas à ignorer.

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Il y avait quelque chose de serein dans les boutiques de fleurs. Je ne savais pas si c’était une conséquence des parfums naturels qu’essaimaient les plantes, ou bien de l’atmosphère qui rappelait parfois des climats autres que ceux que l’on connaissait… En tous les cas, il y avait quelque chose, ici, au niveau de l’ambiance, qui faisait du bien. La nature avait généralement cet effet d’apaiser et de donner envie de respirer…
Le regard que la jeune femme portait sur moi avait un peu changé, mais je ne m'en formalisais pas. J'imaginais bien que le fait de réaliser qu'on avait en face de soi un dieu n'était pas quelque chose de très courant... Comment réagir dans ce genre de situation ? C'était assez difficile à imaginer.

Cela dit, il n'y avait pas de raison de ne pas envisager une collaboration pour autant. Et comme la jeune femme semblait réceptive à l’idée de peupler mes bureaux d’un peu de végétation, je sortis mon téléphone pour consulter mon agenda électronique.
« La semaine prochaine, peut-être ? J’ai des possibilités le mercredi vers 15h ou le vendredi à 9h. » Mais j’étais bien conscient que cela correspondait à des heures d’ouverture de sa boutique, alors j’ajoutais : « Je vous dédommagerai pour le déplacement, évidemment. »

J’avais toujours été quelqu’un de très occupé alors gérer une société de holding ou bien gérer l’Olympe, la transition s’était faite plus facilement que pour d’autres. J’avais rapidement intégré les méthodes des mortels pour s’organiser, j’avais compris l’utilité et l’importance de la technologie dans ce monde et j’avais fait en sorte d’être capable d’utiliser tout cela à bon escient.

Et puis elle me parla de mon nom et de ce qu’elle savait de moi. Quand elle évoqua ma puissance, je ne pus m’empêcher de sentir une bouffée de fierté m’envahir, mais pour ce qui était de la réputation… « J’ose espérer que ce ne sont pas juste à quelques aventures frivoles que vous faites allusion… » Parfois, j’étais quelque peu ennuyé de ces histoires qui s’étaient passées il y avait de nombreux siècles. Ici, j’avais pris la décision d’essayer de contrôler un peu mieux mes envies charnelles et de respecter le concept de consentement auprès de la gent féminine… ce que je n’avais pas toujours fait par le passé.

« Vous auriez aimé me rencontrer plus tôt ? » Autant lui poser la question directement. Je n’avais pas besoin de tourner autour du pot ou de faire semblant d’être quelqu’un d’autre.

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Pianotant sur l’écran de mon smartphone, j’encodais aussitôt le rendez-vous. Je mettais un point d’honneur à n’en oublier aucun et à ne jamais être en retard. C’était là des règles de base de savoir vivre, après tout, et je tenais à ce que mes employés les appliquent, alors je montrais l’exemple, en quelque sorte. J’étais un homme d’affaires, donc, par définition, j’étais toujours très occupé, mais pour certaines situations, je pouvais me libérer relativement facilement. C’était aussi l’avantage d’avoir une secrétaire efficace.

Et puis, comme nous avions commencé à faire connaissance, la jeune femme exprimait des choses que je n’aurais pas suspectées venant d’elle. Elle trouvait impressionnants les pouvoirs du dieu que j’étais… j’avais un peu l’impression que c’était une sorte de compliment.

« Impressionnants, vous trouvez ? » C’était sans doute vrai pour les mortels, oui, mais je n’avais pas spécialement l’impression que c’était la réalité.
Bien sûr, je pouvais lancer la foudre, déchaîner des tempêtes, provoquer des catastrophes naturelles… Quant à ma capacité à me métamorphoser et à métamorphoser autrui, il était évident que cela pouvait être très utile en certaines circonstances, mais était-ce réellement aussi impressionnant que le trouvait cette jeune personne ?

« Oh, vous avez eu affaire à mon frère… Je suis désolé de vous l’apprendre, mais il n’écoute jamais personne, seul son avis lui importe… » Et de plus, Hadès me détestait suffisamment pour que je me sente obligé de lui rappeler que s’il était en vie et s’il avait un royaume, c’était grâce à moi, son plus jeune frère. « Si j’avais eu le pouvoir de changer son fichu caractère, je l’aurais fait depuis bien longtemps… »

Bien sûr, en entendant ce qu’elle me disait, j’avais très envie de me montrer utile et efficace… Mais il était sans doute trop tard. Beaucoup trop tard, puisqu’elle m’avait parlé d’une autre vie.

« Puis-je savoir dans quelles circonstances mon frère vous a fait subir les aléas de ses changements d’humeur intempestifs ? »
Je voyais Hadès comme un être bipolaire, pour reprendre une expression humaine. Ses humeurs changeaient aussi facilement que se remplissaient les Enfers. Il n’était pas un être raisonnable ni raisonné. Ce qu’il lui fallait, c’était une poigne forte, capable de le mettre face à ses propres limites, lui faire prendre conscience qu’il n’était ni tout-puissant, ni omniscient. Et cela, ce n’était pas donné à n’importe qui.

« Mais il a fini par décider de ne pas vous garder aux Enfers, c’est que vous avez eu l’occasion de négocier avec lui sans qu’il ne se braque directement… »

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C’était plutôt ennuyeux de parler de mon frère aîné, puisque ce dernier n’était pas quelqu’un de très intéressant… Il y avait quelque chose qui me dérangeait chez Hadès et ce n’était pas le fait qu’il soit mon aîné, à vrai dire, cela, je m’en fichais pas mal. Je n’étais pas vraiment enchanté qu’il soit ici, bien sûr, et encore moins de le savoir toujours aussi bourru et asocial que par le passé, mais il fallait bien faire avec ce que le destin nous donnait comme cartes pour la partie de poker qu’était la vie…
Parfois, j'avais même envie de m'excuser d'avoir pour frère un être pouvant être aussi abject... mais je ne pouvais pas non plus m'empêcher d'éprouver pour lui une forme d'affection qui supplantait toute rivalité, bien que je sois parfaitement conscient que mon cher grand frère préférait se contenter d'essayer de mépriser tout le monde et se sentir supérieur. Dommage...

Plus j'écoutais cette jeune femme, plus j'avais envie de lui venir en aide. J'ignorais comment, j'ignorais pourquoi, mais le fait de ne pas être intervenu plus tôt me donnait le sentiment d'avoir failli à mon devoir. Mon intervention divine aurait peut-être pu éviter bien des souffrances à la fleuriste et, en tant que dieu protecteur des humains, il y avait quelque chose qui me dérangeait dans le fait de ne pas avoir fait, à l'époque, ce que j'aurais pu faire.
Hadès avait manipulé Eurydice. Il s'était joué d'elle et avait utilisé la pureté des sentiments humains pour s'en servir comme d'une arme contre la jeune femme et son compagnon. Des négociations avaient certes pu être faites, mais à quel moment Hadès était-il devenu un être dont la parole ne devait jamais être remise en doute ? Nous parlions bien du dieu des Enfers, pas d'un chérubin potelé sur un nuage... et même si Perséphone avait intercédé et qu'elle était de mon sang, je ne me sentais pas suffisamment impliqué dans cette affaire d'Orphée et Eurydice aux Enfers.

« Puis-je savoir pourquoi vous avez décidé de le suivre aux Enfers ? Je veux dire... ce n'est pas un endroit très recommandable et personne n'a envie d'aller s'y balader sans une excellente raison... »

Mais mon frère avait déjà montré et démontré qu'il n'hésitait pas à enlever des êtres vivants pour servir ses propres intérêts. Ou ses propres désirs. Parfois, je le comparais à un humain, adolescent, d'une quinzaine d'années qui confondait ses désirs et ses besoins... Il désirait faire l'amour, mais ce dont il avait vraiment besoin, c'était de se sentir aimé. Il agissait comme s'il était un être supérieur alors que cela le mettait dans l'ombre et le plongeait dans une sorte de brouillard mystifiant... Les humains ne vénéraient Hadès que par peur de la mort, quand on y réfléchissait, et c'était sans doute une situation bien triste pour un dieu grec... mais mon frère avait fait des choix, une fois qu'il avait eu son royaume, et il s'était enfermé dans une vision très archaïque de son rôle. Mais jamais, oh non, jamais, il ne m'aurait demandé mon avis ou un petit conseil pour améliorer son image...
Peut-être était-ce un peu à cause de moi qu'il s'était ainsi aigri comme une bouteille d'un mauvais vin, devenu piquette puis vinaigre...

Mais mon aîné avait tout de même eu un sursaut de générosité, finalement, en laissant fuir les deux amoureux. Une histoire qui se terminait bien... vraiment ? Les derniers mots de la jeune femme me firent légèrement tiquer.

« Une seule condition ? Pardonnez ma curiosité, mais puis-je savoir de quoi il s'agit ? » Quand Hadès posait ses conditions, à vrai dire, cela pouvait relever un peu de tout et n'importe quoi. Un contrat signé avec lui, c'était pire qu'un mariage pour le meilleur et pour le pire... C'était un enchaînement éternel... Peut-être comparable aux tâches des Danaïdes ou de Sisyphe, pour reprendre des exemples connus... « Est-ce toujours d'actualité dans ce monde si différent ? »

Mieux valait poser directement la question. Et en fonction de la réponse, j'aviserais... mais je me devais de conserver mon rôle de protecteur. Et si cela devait passer par des méthodes humaines pour justifier de mes actes, je trouverais toujours un moyen pour que cela soit crédible.
Lorsque j'achetais une petite ou une moyenne entreprise, j'offrais gracieusement ma protection par la même occasion. Et si je devais commencer par des collaborations ponctuelles avant d'instaurer ce genre de principes, cela ne me dérangeait aucunement : j'avais le temps, ici comme ailleurs. L'éternité, peut-être, et je préférais m'occuper intelligemment et de façon bienveillante plutôt que de perdre mon temps avec de vieilles rancoeurs et d'antiques rancunes.

« C'est sans doute un peu tard pour cela, mais votre histoire m'intéresse et j'aimerais vous apporter mon soutien. »

C'était une offre, en effet, sous les politesses et les convenances qui étaient de mise et auxquelles je ne me soustrayais que rarement. J'aimais l'éloquence autant que l'élégance, après tout, et cela n'était un secret pour personne.

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Si quelqu’un méritait d’être jugé dans cette affaire, ce n’étaient certainement pas les deux êtres humains. Lorsqu’un dieu était impliqué, c’était bien souvent lui qui devait endosser la responsabilité des faits. Je savais que mon frère était fourbe et manipulateur, qu’il était certainement bien conscient de ce qu’il avait exigé à l’époque…
Il y a quelque chose de très décevant dans le fait de découvrir sans cesse de nouvelles horreurs sur son frère. Ne pourrait-il donc jamais s’améliorer ? L’aigreur de sa personne, ce caractère âcre et jaloux, je m’y étais fait depuis plus que bien longtemps… mais je ne pouvais supporter l’idée que mon grand frère fasse des humains des dommages collatéraux de son obstination. Eux, ils ne demandaient pas grand-chose, sinon rien : être heureux, au moins une fois, avant de mourir. Ce n’était pas énorme, comme demande, et j’avais plusieurs fois accédé à ce genre de requête, quand les humains me les faisaient directement…
Quel malin plaisir Hadès pouvait-il bien prendre à malmener les humains ? C’était quelque chose qui m’échappait. Pourquoi n’arrivait-il donc pas à se satisfaire de la simple idée d’être un dieu et, par définition, d’être supérieur à ces vies ? Pourquoi fallait-il qu’il se complût de la sorte dans des plans un peu spéciaux pour systématiquement avoir sa dose de sentiment de supériorité ? Je n’avais jamais voulu qu’il se sentît ainsi, en réalité, j’aurais même sans doute aimé que mon grand frère puisse régner sur le monde des Enfers avec le même engouement que notre autre frère le faisait sur les eaux.

« Je suis sincèrement désolé que vous ayez eu à subir ça… Mon frère a besoin de se sentir supérieur pour se sentir exister… Mais vous ne devriez pas accorder votre confiance les yeux fermés… Même chez les humains, certains possèdent ce genre de caractère.»

Il existait tant de raisons qui poussaient les humains à essayer de pallier un sentiment d’infériorité… Bien souvent, c’était une sorte de frustration, au départ, qui rendait les gens aigris. Ajoutez à cela la jalousie et vous obtenez le portrait craché de mon frère. Un dieu fourbe, sournois, manipulateur et menteur. Cependant, je ne pouvais pas faire comme si je ne connaissais pas ses qualités, car, fussé-je loué, heureusement il en possédait… je le savais discret, par exemple, et bien plus fidèle que moi (ce qui, me direz-vous, n’était sans doute pas bien difficile…), mais également intelligent et stratège… C’était un dieu doté de traits de caractère non négligeables. Le souci, c’était qu’il ne les mettait pas en avant autant que sa jalousie, sa frustration, son caractère aigri…
Je ne pouvais pas me considérer comme mieux que lui, non, bien sûr que non… Mais l’humilité n’était pas trop mon fort non plus. Cela dit, j’avais une parfaite conscience de mes forces et de mes faiblesses… Et contrairement à mon frère, je n’étais pas un menteur. Je considérais que l’honnêteté et la sincérité étaient importantes… Les êtres humains méritaient que nous soyons honnêtes avec eux.

« Je pense que je peux le comprendre. Faire confiance à Hadès, c’est impossible pour de nombreux dieux et de nombreux humains. »

Si je pouvais régler les choses que faisait mon frère, ça aurait été avec plaisir. Mais dans la plupart des cas, c’était impossible. Quant à savoir si oui ou non il fallait faire confiance à Hadès dans ce monde… C’était effectivement difficile à savoir. Je considérais, de toute manière, que tout être humain qui avait besoin d’aide et de soutien pouvait compter sur moi. Bien sûr, mon pouvoir ici était surtout pécuniaire, ce qui n’atteindrait jamais Hadès… mais je pouvais faire en sorte de lui mettre des bâtons dans les roues s’il devait sévir en sa qualité d’huissier… un coup de pouce financier pouvait tout à fait venir d’un généreux donateur pour éviter les ennuis à des humains que j’avais à la bonne.

« Je ne peux pas tout voir ou tout savoir ici, mais ce qui est à ma portée, c’est de réagir lorsqu’on me prévient d’une quelconque manigance. » J’avais toujours été un dieu protecteur des humains. Quelque chose en moi m’avait toujours amené à ressentir pour eux de la compassion et une réelle envie d’aider. Ce qui était le cas pour cette jeune femme, notamment. Je ne me voyais pas l’abandonner à présent que je savais qu’Hadès lui avait cherché des noises.

Elle avait évoqué à plusieurs reprises son mari, un certain Orpheus, et la curiosité me brûlait le bout de la langue...
« Votre mari est ici avec vous ? » Soyons bien clairs, la curiosité qui m'animait n'avait ici rien à voir avec une quelconque attirance possible. Même si Eurydice était une très jolie jeune femme. Depuis mon arrivée sur l'île, j'avais multiplié les efforts pour limiter mes infidélités et essayer d'être plus respectueux de mon mariage avec Hera. Peut-être parce que sa souffrance m'était apparue bien plus clairement ici que sur l'Olympe. « J'aimerais m'assurer que vous êtes en sécurité. »

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Il était étrange de constater que je ne pouvais me défaire de cette impression d’être responsable des errements de mon frère. Il s’était aigri, sans doute par ma faute, et ses actes s’étaient retrouvés teintés de choix subversifs. Je ne me souvenais pas d’Hadès sous un meilleur jour, il ne m’avait pas souvent montré tout le positif dont il était capable, préférant entretenir une image sombre et mystérieuse de lui-même…
Mais, au départ, avant tout cela, il y avait une forte frustration dont j’étais à l’origine. Le royaume des Enfers n’était pas assez bien pour lui. Mon frère s’était renfrogné à partir de là… donc possiblement à cause de moi, même si certains comportements devaient être innés tout de même.

Entendre cette jeune femme raconter ce qui lui était arrivé, cela ne m’étonnait qu’en partie. Si j’avais pu savoir ce qui se passait au moment où cela se passait, je n’aurais pas pu rester sans réaction. Mon frère aimait faire du mal autour de lui… et moi, j’essayais toujours de faire le bien. Était-il comme ça de façon intrinsèque ou avais-je une part de responsabilité ? Était-ce ma faute si mon frère avait développé une forme de sadisme ?

Mais comme la jeune femme le disait, elle avait retenu la leçon et, par conséquent, elle ne risquait plus de se faire avoir… il était important pour les humains de pouvoir se préserver. A ses mots, je ne pus qu'opiner.

« C'est une bonne chose. » La différence était désormais que la jeune femme était avertie. Et l'on pouvait ajouter que maintenant que j'étais au courant, elle pourrait compter sur ma protection. Quant à mon frère... s'il fallait que je lui mette des bâtons dans les roues pour qu'il arrête son char, alors ce serait fait.

Une errance dans les Enfers, puis une séparation de deux longues années d'avec l'être aimé... Cela me semblait être une continuité des Enfers, dans une certaine mesure.

« C'est sans doute le meilleur moment pour essayer d'être heureux, en ce cas. » C'était tout ce que je pouvais leur souhaiter. Et si je poouvais agir en ce sens, je le ferais. Peut-être, pour commencer, en m'assurant que cette boutique de fleurs puisse ne jamais péricliter.

« Sachez, en tous les cas, que je ne laisserai rien de tout cela se produire à nouveau. Je tiens à m'assurer de votre sécurité financière également. Acceptez donc d'être la fleuriste officielle de ma société. Vous bénéficierez de mon soutien à tous les niveaux possibles. »

Ni plus ni moins qu'un contrat, avec quelques bénéfices supplémentaires. Je comptais racheter ici le fait de n'avoir pas pu intervenir pour Eurydice quand il aurait fallu. Un rachat tardif, certes, mais je tenais à faire de mon mieux.

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J’étais quelqu’un de positif, dans l’ensemble. Le temps ne m’avait jamais empêché de constater que l’espoir pouvait être comblé. Des attentes justifiées, des demandes judicieuses… Et puis une bonne âme de l’Olympe pour veiller et pour prendre soin. Voilà ce qui me nourrissait. Ah, l'espoir et l'espérance, deux notions profondément liées à la condition humaine et à la recherche de sens et de possibilités dans la vie… deux notions dont j’avais eu plusieurs fois l’occasion de faire moi-même l’expérience…
L'espoir était une force motrice puissante qui résidait au cœur de notre être. C'était la croyance en un avenir meilleur, en la possibilité de changement et d'amélioration. Lorsque nous espérions, nous nous élancions vers l'inconnu avec optimisme et confiance, même si les circonstances présentes pouvaient sembler sombres ou incertaines. L'espoir donnait la volonté de persévérer, de surmonter les obstacles et d'entreprendre des actions en vue d'atteindre nos aspirations.
L'espérance, quant à elle, était plus profonde et intime. Elle était liée à notre nature la plus profonde et à notre vision du monde. L'espérance transcendait les difficultés et les revers, car elle était ancrée dans une conviction plus profonde de la valeur et du sens de la vie. C'était une confiance fondamentale en la bonté de l'existence et en la possibilité de réaliser des idéaux plus élevés. L'espérance encourageait à chercher des réponses, à poursuivre la vérité et à cultiver notre être intérieur.
L'espoir et l'espérance étaient étroitement liés à notre capacité d'imagination et à notre faculté de nous projeter dans le futur. Ils nous aidaient à envisager des possibilités alternatives et à nous tourner vers des horizons nouveaux. Ils nous donnaient la force de croire en quelque chose de plus grand que nous-mêmes, de transcender nos limites et de créer un sens dans notre existence.

Je n’avais jamais été un dieu mauvais. Je pouvais me montrer strict et sévère, bien sûr, mais les humains m’avaient toujours ému, d’une certaine façon. Ils avaient en eux une forme de puissance qu’aucune autre créature ne possédait et ils avaient cette subtilité que même certains dieux n’avaient pas.

J’appréciais pouvoir aider les humains. Sans doute à cause de la satisfaction que cela me procurait de les voir mieux et presque heureux. A moins que je n’aie simplement pris goût, par le passé, aux offrandes et aux éloges… Dans un cas comme dans l’autre, le résultat demeurait identique : j’aimais être ce dieu puissant et protecteur que tous vénéraient. Et même s’il n’était nullement question de vénération sur cette île, j’aimais tout de même le sentiment presque paternel que m’apportait le fait d’assurer et de rassurer.

« Mon frère n’a rien à voir avec moi. J’ai toujours cherché à protéger les humains. » Mais j’étais bien forcé de le reconnaître : « Peut-être maladroitement, parfois. »

Est-ce que je voulais racheter ce qu’Hadès avait fait au couple ? Ou est-ce que j’avais pitié ? Ni l’un ni l’autre, dirais-je… Je me sentais appelé à aider les humains et ce, quel que puisse en être le prix.
« Je n’ai aucune idée de comment vous prouver ma bonne foi, mais je puis vous assurer que je dispose d’assez de pouvoir et de fortune pour assurer votre sécurité.»

Devais-je lui prouver que je ne mentais pas ? Devais-lui démontrer ma puissance ?
J’avançais la main et j’y fis naître un éclair bleuté de petite taille. Un éclair tenant dans la main. Un éclair qui était aussi bien l’un de mes attributs qu’une démonstration de mes pouvoirs retrouvés.

« Je maîtrise de nouveau la foudre et, dans ce monde, l’électricité également. Ce n’est peut-être pas grand-chose, mais les preuves tangibles sont parfois plus parlantes que les mots. »

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Ici ou ailleurs, je ne dérogeais pas à mes principes. J’étais un dieu bon, protecteur, bienveillant… du moins, la plupart du temps. Mes colères avaient, certes, marqué les récits mythologiques, mais dans ce monde, mes humeurs impactaient surtout mes employés directs et un peu moins le monde entier que lors de mon règne sur l’Olympe.
J’étais Zeus, le puissant roi des dieux, le tonnerre qui gronde dans les cieux et le gardien de l'Olympe !
J’étais le maître de la foudre, le manipulateur des éléments, l'incarnation de la puissance suprême. Ma force était incommensurable, et ma sagesse, infinie. J’étais doté d'une autorité incontestable et d'un charisme imposant qui faisait trembler les cieux. Je veillais sur l'ordre cosmique et la destinée des hommes, en exerçant une justice implacable lorsque nécessaire.
Mais toute grandeur avait sa part d'ombre, et je n’étais bien sûr pas exempt de défauts. Ma passion, parfois dévorante, pouvait me conduire à des actes impulsifs et à une colère dévastatrice. Mon amour ardent pour les plaisirs charnels et les conquêtes amoureuses était bien connu, et mes infidélités pouvaient semer le chaos parmi les mortels et les immortels, car Héra, mon épouse, n’en pouvait plus d’avoir un mari si volage.
Pourtant, en dépit de ces imperfections, je portais en moi des valeurs fondamentales. La justice était au cœur de mes préoccupations, et je punissais avec fermeté ceux qui transgressaient les lois divines. La famille et l'unité de l'Olympe étaient sacrées pour moi, et j’étais prêt à me battre pour protéger ceux qui m’étaient chers. J’étais également guidé par une profonde bienveillance envers les mortels, car c’était grâce à leur dévotion et à leurs prières que je trouvais ma grandeur, comme toutes les divinités des différents panthéons.

« La confiance est une chose bien précieuse. Je ne l’accorde pas non plus à la légère. » Ce qui faisait que je comprenais Eurydice. Je comprenais aussi fort bien qu’une confiance bafouée ou une parole non tenue pouvaient briser une personne, qu’elle soit mortelle ou non.

Pour un mortel, la confiance était une offrande sacrée, un lien fragile tissé entre mon essence divine et leur cœur vulnérable. C'était lorsque les mortels plaçaient leur foi en moi, qu'ils se soumettaient humblement à ma volonté, que la confiance s'éveillait. Elle naissait de l'assurance que je protégerais et guiderais ceux qui m'offraient leur dévotion. En retour, je leur accordais ma faveur et ma bienveillance, je répondais à leurs prières et je veillais sur leur destinée. Mais que les mortels prissent garde, car cette confiance, une fois trahie, se transformait en courroux céleste, et ma colère pouvait s'abattre telle une tempête dévastatrice.
Quant aux immortels, la confiance était un fil ténu qui reliait les divinités dans la cour céleste. Elle émergeait de la loyauté et de l'honneur, de la reconnaissance des liens qui nous unissaient en tant qu'êtres éternels. La confiance entre les dieux était un équilibre fragile, car nos pouvoirs et nos ambitions pouvaient nous pousser à des actes de trahison et de rivalité. Mais lorsqu'un dieu pouvait inspirer confiance à ses pairs, lorsqu'il se tenait droit et honorait les alliances, il s'élevait dans l'échelle de la divinité. La confiance entre immortels scellait des pactes indestructibles, créant une unité face aux défis cosmiques et renforçant la puissance de notre royaume céleste.

« La confiance est un joyau précieux. Elle peut élever les mortels vers de nouvelles hauteurs et renforcer les dieux dans leur grandeur. Mais elle demande un engagement sincère, une loyauté inébranlable et une honnêteté sans faille. Que ce soit dans le monde des mortels ou au sein de la cour divine, la confiance brisée peut engendrer des conséquences redoutables, capables de secouer les fondations mêmes de notre existence. »

Je n’avais plus confiance en mon frère, Hadès, depuis bien longtemps, même si je cherchais toujours à lui laisser une chance de changer et de se repentir, mais il fallait la jouait fine, avec lui, il fallait qu’il pense que l’idée venait de lui pour qu’elle puisse être réalisée.
Et Eurydice ? Eh bien, dans toute son humanité, dans toute sa mortalité… elle me donnait cette curieuse envie de la protéger, de veiller sur elle. Peut-être parce qu’elle s’était confiée à moi, peut-être parce qu’elle avait eu ce courage de me dire la vérité…
Alors je lui avais montré que je n’étais pas un être humain, je lui avais révélé une infime partie de mes pouvoirs et ses propos m’amenèrent à sourire.

« Je souhaite également pouvoir vous considérer comme telle. » Je n’avais pas beaucoup d’amies de sexe féminin, mais je savais bien qu’il valait mieux que j’apprenne qu’une telle amitié pouvait être possible avec quelqu’un comme Eurydice. Peut-être même qu’elle pourrait m’aider à devenir une meilleure version de moi-même. Je lui tendis la main droite, comme pour sceller un contrat. « Je vous inviterai prochainement à venir mettre un peu de verdure et de vie dans les bureaux de ma société. » Que cette amitié débute par une collaboration professionnelle me semblait important : nous pourrions alors envisager les deux versants de la relation. Et en cas de difficultés financières de sa part, j’étais prêt à racheter son magasin pour qu’elle puisse toujours y exercer, mais avec un statut d’employée plutôt que d’indépendante, avec les avantages que cela comportait, évidemment. Je ne cherchais pas à mettre en place une quelconque entourloupe, mais je voulais lui prouver que je serais à ses côtés et qu’elle avait désormais un allié divin pour la protéger.

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Il s’était passé quelque chose lors de ma visite dans cette boutique et je n’aurais su l’anticiper. Nous avions ici établi une sorte de pacte, la vendeuse et moi, un lien basé sur la confiance et la promesse d’un soutien réel… Pas uniquement des paroles, mais bien plus que cela.

J’étais un homme de parole. Hormis peut-être pour ce qui concernait les vœux du mariage, la fidélité et ce genre de choses assez factices et surfaites : personne n’était fait pour se restreindre ainsi. La vie offrait des tas de possibilités, des tas d’opportunités… et nous étions là pour en profiter. Ce qui importait, c’était de pouvoir assumer ses responsabilités et de respecter la liberté de chacun. J’avais lu quelque part, en arrivant ici, que ma liberté commençait là où s’arrêtait celle des autres. Et, en soi, l’auteur de cette citation n’avait pas tort. J’avais aussi appris à respecter plus les autres, quand j’étais humain, j’avais appris l’importance du consentement, du respect et de l’honnêteté.

Au fond, être humain pendant un temps, j’avais l’impression que cela m’avait permis de devenir une meilleure version de moi-même. J’avais eu l’occasion d’améliorer certaines de mes habitudes et tendances, j’avais pu tirer des enseignements de ces moments de vie de mortel. Et je m’étais reconstruit une vie dans un univers très différent de celui que j’avais connu jadis. Ici, je n’étais plus le dieu des dieux, ici j’étais un homme parmi les autres… et puis j’avais peu à peu fait les bons choix, j’avais bâti mon entreprise, noué des relations, fait les bons placements, spéculé un peu, agrandi mon business… J’étais devenu un homme influent et, détail non négligeable, avec le temps, j’avais aussi eu l’occasion de récupérer peu à peu mes dons et mes capacités. Car être un dieu avait des tas d’avantages, bien évidemment… la liste était longue et je n’étais pas ici pour faire l’inventaire.

En cet instant, ce qui m’importait, c’était cette rencontre, cette confiance… ce qui s’était produit ici était au départ le fruit du hasard, mais, de fil en aiguille, nous avions abordé des sujets plus personnels que professionnels… c’était là la marque de la confiance qui s’instaurait peu à peu.
Je lui avais promis de me charger de sa protection. Surtout contre Hadès, mon propre frère. J’avais été surpris d’apprendre ce qu’il avait fait à ce couple. Je savais que mon frère avait un sérieux problème, mais de là à en vouloir au monde entier…

« Je suis flatté, Eurydice, merci. » Combien d‘amies avais-je eues jusqu’à présent ? Athéna… mais elle était ma fille… Mélis ? mais elle avait été ma femme… Artémis ? encore une de mes filles… Hestia ? je l’avais respectée, mais je n’avais pas l’impression de pouvoir parler d’elle en tant qu’amie… Et Érope ? je m’étais plutôt mêlé de la vie de son mari, Atrée, et de leur famille, mais jamais je n’avais cherché à la séduire… Mais… le fait de ne pas désirer une femme ne faisait pas d’elle une amie pour autant.

Elle allait m’aider, à sa façon. Les études récentes sur le bien-être au travail évoquaient la présence de végétation dans les bureaux. Des fleurs, des plantes, il y avait là aussi bon nombre de possibilités. Peut-être même que je pourrais demander directement aux personnes qui travaillaient pour moi ce qui pourrait leur plaire ou leur faire plaisir.

« Je suis ravi de faire affaire avec vous. » lui dis-je avec un sourire. J’allais évidemment faire appel à ses services, j’allais tout faire pour pouvoir garder un œil sur elle, un œil protecteur, bienveillant… oui, vraiment, je ferais tout ce qui était en mon pouvoir pour la protéger de mon frère.

Peu après ce dernier échange, je pris congé et m’en allai, plutôt content d’avoir trouvé la personne idéale pour faire en sorte d’améliorer le bien-être de mes employés. Et elle allait peut-être trouver en moi un allié de taille.

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