Blanche était la lune, noire la nuit. Je marchais simplement, les mains dans les poches, pour retrouver mon frère. Entre lui et moi, les relations avaient toujours été quelque peu complexes… Nous étions très différents et cela influençait forcément nos comportements l’un envers l’autre. Ce soir, nous étions censés nous retrouver pour discuter affaires. Je n’avais pas souvent affaire à lui, étant plus que nanti, mais il m’arrivait d’avoir besoin de lui, pour récupérer mon dû chez des indigents. Question de principe plus que d’argent, mais je devais m’y tenir… Dans ce monde, après tout, l’argent gouvernait bien plus que la politique, alors il me fallait garder en tête que j’accroissais mon pouvoir en multipliant une fortune.
Le quartier n’avait rien de sinistre, pourtant, il régnait quelque chose d’étrange ce soir. Il y avait comme un parfum d’incertitude et puis, peu à peu, une brume vint alourdir l’atmosphère, alors que je rejoignais mon aîné.
« Mon cher grand frère ! » Je surjouais toujours un peu les sentiments positifs devant lui. Je savais que cela l’énervait, alors j’en rajoutais. J’étais le petit dernier de la fratrie, je savais comment taper sur le système de mes aînés.
Mais l’accolade n’eut pas lieu. Nous n’étions pas ce genre de frères qui pouvaient se tomber dans les bras comme cela, sans prévenir. Et puis, entre nous, je tenais beaucoup à garder un minimum d’espace personnel.
Le brouillard nous enveloppa bientôt et je m’attendais presque à entendre jaillir de nulle part un quelconque cri ou un enfant affublé d’un déguisement ridicule, parti pour une longue chasse aux bonbons. Après tout, la brume avait toujours été un lieu propice pour faire s’épanouir la magie ou les songes s’y rapportant… Et les mortels aimaient se raconter des histoires de fantômes, de têtes arrachées ou de mains coupées quand l’ambiance s’y prêtait de la sorte.
En compagnie de mon frère, bien peu de choses pouvaient m’étonner. Et il me semblait qu’il était encore plus blasé que moi. Pourtant, quand le premier mouvement se fit sentir, ma moustache frissonna légèrement.
« Tu as senti ça ? » Oh, je me doutais bien que le grand Hadès n’avait peur de rien et qu’il n’hésiterait pas à essayer de se moquer de moi… d’ailleurs, c’était peut-être son œuvre, ce mouvement… mais bientôt, une ombre se laissa deviner dans le brouillard. Aussi floue que fugace, à quelques mètres de nous.
« C’est à toi ? »
Je préférais demander, parce que bon, entre Cerbère et ses autres petits compagnons, mon frère avait un peu l’habitude de faire dans le pas net. Une ombre floue, ça collait parfaitement avec ses petites habitudes.
Ce monde semble n’avoir de cesse que de mettre ses nerfs à rude épreuve. La régence des Enfers n’avait pour ainsi dire jamais été une vocation, puisqu’on avait décidé pour lui de ce qui serait sien sans lui laisser voix au chapitre, mais au moins disposait-il d’un empire, d’une influence, d’un pouvoir, d’une femme qui ne pourrait pas lui échapper à loisir, au gré de ses caprices pour mieux l’enfoncer dans une insupportable solitude. Ici, il semble avoir tout perdu. Certes, il bénéficie d’une position confortable, d’une fortune conséquente, d’une demeure que beaucoup lui envieraient, mais le revers de la médaille est cher payé, bien trop pour qu’il sache ou puisse puiser la moindre consolation dans ces quelques maigres constats… Perséphone fait des siennes et refuse obstinément de demeurer à ses côtés… et comme si cela ne suffisait pas, récemment, il a retrouvé celui qu’il espérait le plus, probablement, ne jamais revoir. Son frère. Zeus… le tant acclamé Zeus, l’insupportable frère dans l’ombre duquel, au sens propre comme au figuré compte tenu de l’obscurité ambiante des Enfers., il avait vécu beaucoup trop longtemps. Si cet endroit avait dû avoir un avantage, cela aurait été définitivement celui de ne surtout pas voir son frère… Mais il est là, et par conséquent, même si cela lui déplaît profondément, Hadès n’a pas d’autre choix que de faire avec sa présence.
Ils doivent parler « affaires », la simple idée l’agace profondément, mais il a tout de même accepté de se pointer au rendez-vous. Il a la ferme intention d’en finir rapidement. Ils n’échangeront que quelques mots, et après, ils s’en ira, il retournera à ses affaires et s’épargnera de se mêler de trop près de celles de son frère… Quand ils se retrouvent, Zeus donne le ton… il se montre si familier, si amical envers lui qu’Hadès n’est pas capable d’y voir autre chose que de la réelle condescendance. Ce « grand frère » le débecte presque autant… C’est lui l’aîné des deux, mais c’est tout de même Zeus qui s’est toujours permis de tout chapoter, et ça… ça, c’est insupportable. Oui, il pourrait probablement renverser la tendance s’il s’en donnait les moyens, mais à la place, il se laisse dominer par ses vieilles inimitiés, et au final… Leur relation reste précisément la même. Froide et distante. Les deux restent à une distance respectable loin l’un de l’autre, et Hadès veut lui demander d’entrer directement dans le vif du sujet quand quelque chose… semble changer, évoluer. Comme si l’atmosphère s’épaississait… une brume épaisse semble jaillir de la terre, et une ombre, dans la brume.
"Tu te fous de moi, c’est ça ?" réplique amèrement Hadès quand Zeus suggère qu’il est à l’origine de ce phénomène, alors qu’une ombre se laisse deviner dans le brouillard. "Je peux savoir à quoi tu joues exactement ? C’est quoi cette mise en scène ?"
Il pousse un soupir et marmonne dans sa barbe un « C’est ridicule » qui en dit long sur son actuel état d’agacement. Il s’avance de quelques pas pour mieux apercevoir l’ombre en question, mais à peine a-t-il fait quelques pas qu’elle avance. Pour s’arrêter en même temps que lui… comme si cette ombre attendait… qu’ils la suivent.
L’amour fraternel… ça vous dit quelque chose ? Sur l’Olympe ou ici, je n’avais pas vraiment eu l’occasion de faire l’expérience une telle réalité. Un peu plus avec Poséidon qu’avec Hadès, peut-être, mais je n’avais pas de réel point de comparaison. Les humains, eux, pouvaient vivre leurs relations familiales bien plus simplement que nous. Hadès était mon aîné, certes, mais il était mon frère… et en cette qualité, nous nous haïssions cordialement. Enfin, lui me haïssait, ça se voyait aussi bien que son nez au milieu de son visage. Quant à moi… disons que je ne pouvais pas imaginer haïr mon frère mais que je ne pouvais pas non plus l’aimer, parce que les relations à sens unique, honnêtement, cela n’avait jamais été mon truc. Je ne voulais pas paraître hypocrite, je n’étais pas de ceux qui jouaient un rôle ou portaient un masque, mais tous les efforts que j’avais toujours faits pour essayer de créer un vrai lien avec mon grand frère s’étaient soldés par des échecs. Ce n’était pas simple de bien s’entendre quand on était si différents.
En réalité, Hadès me détestait parce qu'il me devait la vie. Au fond de lui, il savait qu'il me devait beaucoup, alors que j'étais son plus jeune frère. Ce n'était pas le genre de choses dont il allait se vanter. Et moi, j'avais arrêté de lui rappeler que sans moi, notre géniteur ne l'aurait jamais vomi et il ne serait pas ici. Je ne pouvais pas le détester, mais je ne pouvais pas non plus l’aimer. C’était parmi ces relations un peu étranges, comme en ont les humains entre eux. Je ne m’y habituerais sans doute jamais.
Et cette ombre étrange, de plus en plus massive, qui approchait et qui, semblait nous appeler… Si elle n’était pas à mon frère, de quoi s’agissait-il ?
« Tu crois vraiment que je n’ai que ça à faire ? Mon temps est aussi précieux que le tien, frérot. » Je savais qu’il abhorrait les petits surnoms du genre, alors… je ne me gênais pas pour lui en servir. Tout en restant poli, bien sûr. Je ne m’abaisserais pas à faire usage d’un langage de charretier. A la réflexion, peut-être mon frère était-il en train de me tester pour je ne savais quelle obscure raison. Il lui passait parfois des idées bien étranges par la tête, après tout. Voulait-il que je lui prouve que j’avais récupéré suffisamment de pouvoirs pour dissiper une brume et faire gronder le tonnerre ? Si tel était le cas, son subterfuge était une stratégie bien peu idoine…
« Tu peux rappeler ta bête, Hadès, je ne suis pas du tout impressionné. »
Je fis un geste de la main pour écarter le brouillard un instant, mais la masse sombre n’apparut pas plus clairement pour autant. Et il était plus évident que jamais que cette créature voulait que nous la suivions.
« Montre-moi donc ce que tu peux faire, mon frère, je suis curieux de voir ton talent de dresseur. »
Il était tellement évident pour moi que tout cela n’était qu’une machination d’Hadès, désormais, que je lui faisais même la grâce de le laisser passer au devant de moi.
Avec Zeus, toute conversation est vouée à s’achever en règlement de comptes en règles. Les deux sont incapables d’avoir ne serait-ce qu’un semblant de conversation cordiale. La faute surtout au dieu des Enfers (qui dans ce monde n’est plus le dieu de grand-chose), qui ne sait faire preuve que d’une très relative en patience de son frère. Tous les prétextes à lui sauter à la gorge sont bons à prendre pour lui. Il prétendrait presque n’y être pour rien. A ce stade, la chose est presque devenue instinctive. Il serait probablement capable de maudire tous ses enfants (enfin, sauf Perséphone, ça va sans dire) pour ce qui ne serait qu’un compliment de sa part, et qu’il interpréterait tout naturellement comme une moquerie déguisée. Il a accumulé trop de rage et de rancœur à son adresse pour que le moindre terrain de réconciliation puisse être trouvé entre eux. Et cette ville, ces lieux étranges, ne seront certainement pas l’occasion d’un nouveau départ, non. Pas pour eux en tout cas, et encore moins dans les conditions préoccupantes où ils se retrouvent. Hadès ne comprend pas ce qui leur arrive, et le fait de se retrouver dans une situation qu’il ne maîtrise pas, qui plus est en présence de Zeus, l’insupporte assez naturellement.
« Vraiment ? Et à quoi l’emploies-tu, je te prie ? » se sent l’obligation de répliquer Hadès quand Zeus lui affirme avoir autre chose à faire que de mettre en œuvre une mise en scène aussi obscure et incompréhensible. Son « frérot », au passage, lui arrache une grimace et lui reste en travers de la gorge. Il ne saurait apprécier décemment une telle familiarité de sa part. Tout frère soit-il, il refuse de se reconnaître en lui, ou d’accorder la moindre forme d’appréciation à leur sang commun. « A engrosser toutes les femmes qui ont le malheur de lever le regard sur toi ne serait-ce qu’un millième de seconde ? » ajoute-t-il avec défi.
Et voilà à présent que c’est au tour de Zeus de s’imaginer que la bête qui semble comme les inviter de les suivre soit la sienne. Non, la créature n’a des traits communs que lointain
« Si tu t’intéressais un tant soit peu au royaume dont tu m’a si gentiment confié la charge, dans ta si grande mansuétude, mon frère, tu saurais que cette… chose… n’a rien à voir avec Cerbère. »
Et aussi qu’il y a bien longtemps qu’Hadès a cessé de vouloir l’impressionner en quoi que ce soit. Que Zeus soit si prompt à le penser capable de cette mise en scène quand il trouvait en revanche si crédible qu’il en soit responsable ajoute à son agacement. Hadès n’a guère le temps ou l’intention de réellement s’inquiéter de ce qui se trame et de la singularité des événements.
« Plutôt que de nous renvoyer inutilement la balle, pourrait-on songer à présent à comprendre ce que nous faisons ici et ce qui nous arrive ? »
A quelques ridicules mètres d'eux, la bête se met à grogner.
Ceux qui n’avaient jamais connu ce que c’était que d’avoir un frère plus âgé aussi imbu de lui-même que l’était Hadès ne pouvaient qu’ignorer la chance qu’ils avaient. Mon grand frère avait autant d’humour que son chien à trois têtes… heureusement que lui n'en avait qu’une, soit dit en passant, c’était bien moins ennuyeux de n’avoir affaire qu’à un seul Hadès, je n’aurais pas vraiment apprécié en avoir trois. Difficile de savoir ce que j’aimais le moins chez lui. Peut-être le fait qu’il était aussi inexpressif et blasé qu’imperturbable et barbant. Pourtant, je savais que mon frère aurait pu être quelqu’un d’intéressant, j’aurais pu aimer discuter avec lui, faire en sorte que le passé soit le passé et que nous puissions faire en sorte que la vie ici serait différente… mais Hadès avait choisi de prendre la décision que ce ne serait pas le cas. Est-ce que cela pourrait changer un jour ? Je n’en avais aucune certitude… Hadès avait une fierté assez inébranlable pour refuser que je puisse faire partie de sa vie d’une façon un peu plus positive que le lien que nous partagions tous les deux.
Ses propos étaient aussi désagréables que lui. Je ne savais pas pourquoi il avait besoin d’exposer comme cela les pensées qu’il avait. Cela ressemblait fortement à de la convoitise, mais son ton condescendant camouflait la vérité sous l’aspect de pseudo-reproches. Nom de moi, mais quel idiot… ! Je lui souris, bien conscient que cette mimique n’allait pas arranger les choses. « Je n’ai pas la prétention de te contredire, mon frère, mais permets-moi de souligner la petite once de jalousie dans tes propos. »
Il était aussi assez ingrat, puisqu’il me remettait à nouveau en face de la distribution des royaumes… le pauvre petit Hadès n’avait jamais vraiment apprécié avoir à gérer le royaume des Enfers… il aurait peut-être préféré n’avoir aucun royaume, à l’entendre. Voulait-il de l’apitoiement sur son triste et sombre sort ? Il s’y prenait bien mal pour susciter des émotions chez moi. « Ne me dis pas que tu n’as que Cerbère comme créature dans ton royaume… Les chiens des Enfers sont connus, mais il ne peuvent être les seuls animaux à courir tes contrées… » Il avait raison sur le fait que je ne m’intéressais sans doute pas suffisamment à lui et à son domaine… mais à quoi bon ? Je vivais très bien sans avoir à partager mon quotidien avec un frère qui aurait pu n’être qu’inexistant si je n’avais pas été là…
Quant à cette créature… Eh bien, il se faisait que cette bestiole s’approchait et se mettait à grogner. « Tu as décidé d’arrêter ton petit jeu, ça y est ? » Chercher à comprendre, venant de quelqu’un qui jugeait si vite qu’Hadès, c’était une grande première, de mon point de vue. Jamais il n’avait cherché à comprendre quoi que ce soit lorsque j’étais dans les parages.
« Un peu de lumière devrait nous permettre d’y voir plus clair…» La première idée qui me vint fut d’illuminer la zone. La paume de la main droite tournée vers le ciel, j’y fis apparaître une lumière vive, comme un petit bourgeon d’éclair naissant. Si la créature était si proche, il me fallait l’éblouir pour la faire s’éloigner. Le bras ensuite levé, l’éclair frappa bientôt le sol à à peine deux mètres de nous, zébrant à la fois le ciel et la brume.
Hadès, en lieu et place d'une quelconque réponse un tant soit peu constructive, rétorque par une grimace quand son frère lui fait remarquer n'avoir pu s'empêcher de déceler une once (si seulement ce n'était que ça) de jalousie dans son discours. Bien sûr, il ne l'admettrait jamais. Il préférerait se crever les deux yeux plutôt que d'avouer être profondément jaloux de son frère. C'est pourtant le cas. Depuis presque toujours, et plus encore bien sûr depuis que son frère lui a ni plus ni moins que sauvé la vie, Hadès le déteste. Ou du moins... il s'efforce de le détester. Il envie son aura, son influence, le respect qu'il a su imposer à ses pairs, il a envié la place qu'il tenait auprès des Olympiens quand lui-même se retrouvait cantonné à l'obscurité des Enfers... Hadès est infiniment jaloux de tout ce que Zeus incarne et de tout ce qu'il représente. Mais le reconnaître une bonne fois pour toutes ? Oh non, il n'en sera jamais question. Hadès a de l'orgueil à revendre pour des millénaires et des millénaires. Et c'est une chose qui ne changera jamais. De même pour la rancoeur trop profonde, trop ancrée en lui, qu'il a fini par nourrir à l'adresse de son cadet.
"Tu t'intéresses à ce qui se passe aux Enfers, tout à coup ?" rétorque Hadès, autant de mauvaise volonté que de mauvaise foi, quand son frère lui fait remarquer que son fidèle Cerbère n'est probablement pas la seule créature à hanter ces ténèbres.
Ce n'est effectivement pas le cas. Aux Champs-Elysées, la faune et la flore sont même florissantes, d'ailleurs, mais ce n'est pas là qu'Hadès est le plus en droit de s'attarder. Sa demeure, bien plus sombre, ne tolère presque rien qui respire. Rien d'anormal, par conséquent, à ce qu'il s'y soit toujours senti oppressé. Condamné. Asphyxié.
"Il est un peu tard pour ça."
Quelle que soit la créature qui les pourchasse, en tous les cas, Hadès n'est pas à l'origine de sa présence en ces lieux, et il ne veut pas débattre de la question plus longuement alors que ni l'un ni l'autre ne sont en mesure d'évaluer la dangerosité de la créature en question. Ici, ils ne sont plus des dieux (bon, Zeus a retrouvé un nombre conséquent de ses pouvoirs quand Hadès, de son côté, se contraint à vivre comme un stupide mortel - encore une autre raison d'être jaloux - mais c'est un autre débat).
"Je ne joue pas, c'est toi qui joues les idiots", s'agace Hadès de plus en plus, comme toujours quand son frère se trouve dans les parages. "Enfin, tu me diras, c'est un rôle taillé sur mesure pour toi", ajoute-t-il, sa patience proverbiale (connue pour être inexistante) se retrouvant plus que largement entamée.
En attendant, Zeus agit, contrairement à Hadès, qui ne fait que se plaindre. Et il agit comme à son habitude, avec grandiloquence. Hadès croise les bras sur sa poitrine, les yeux levés au ciel, en voyant son frère employer les grands moyens. Un éclair vient zébrer le ciel et illuminer les lieux... Ce qui leur offre de constater qu'ils se trouvent sur un vaste terrain sans point de repère confortable.
"Il faut toujours que t'en fasses trop." Mais en vérité, heureusement qu'il est là. "Tu ne veux pas viser cette chose et la tuer, plutôt ? Ca nous épargnera du temps et de l'énergie..."
Encore faudrait-il déterminer où la créature a filé, car Hadès ne la voit ni ne l'entend plus, ce qui n'est pas du tout bon signe. Si cette chose ne s'est pas enfuie, elle pourrait bien surgir et les attaquer de nulle part.
Garder mon calme face à mon frère, c’était un exercice qu’il m’avait fallu pratiquer à de très nombreuses reprises. Hadès avait toujours aimé se plaindre et se faire passer pour le pauvre malheureux petit dieu des Enfers, parce que dans ce complexe d’infériorité qui l’habitait, il était évident qu’il fallait qu’on le plaigne… Mais j’étais sûr, au fond, qu’il savait aussi bien que moi que lui seul était capable d’avoir une gestion des Enfers digne de ce nom. Régner sur le monde souterrain et sur les âmes des défunts, c’était un rôle que bien peu de dieux auraient pu endosser. Moi-même, si l’on me posait la question directement, je reconnaissais aisément que j’avais trop besoin de la lumière et du ciel pour pouvoir mener cette existence-là. Peut-être que je ne me montrais pas suffisamment admiratif de ses compétences au goût de mon frère, mais je n’étais pas du genre à en faire des tonnes pour si peu. Plus on insistait, moins c’était crédible, n’est-ce pas ?
Je me souvenais des temps anciens, quand moi, Zeus, et mon frère Hadès, étions jeunes et insouciants. Nous étions des dieux, des immortels, et nous régnions sur les cieux et les enfers. Mais notre relation n'était pas toujours facile. Hadès était un être sombre et taciturne, plus enclin à la solitude qu'à la compagnie. Il préférait passer ses journées dans les profondeurs de son royaume, entouré de ses morts. Moi, au contraire, j'aimais la lumière et la vie. J'aimais la compagnie de mes frères et sœurs, et j'aimais les festins et les célébrations. Je m'efforçais toujours de ramener Hadès à la surface, de l'encourager à rejoindre notre joyeuse compagnie. Mais parfois, nos différences nous conduisaient à des conflits. Hadès était jaloux de ma position de chef des dieux, et il me reprochait souvent de ne pas accorder suffisamment d'attention aux enfers. Cependant, je ne pouvais pas abandonner mes autres responsabilités pour passer tout mon temps avec lui. D’ailleurs, aurait-il seulement accepté que je lui montre que je savais ce qu’il en était de sa jalousie et de sa frustration ? Il l’aurait sans doute mal pris… Pourtant, malgré nos disputes, je ne pouvais m'empêcher d'admirer Hadès. Il était l'un des dieux les plus puissants et les plus respectés de notre panthéon. Son royaume des enfers était un lieu de mystère et de fascination, et ses pouvoirs sur les morts étaient incroyables. Nous étions des frères, et même si nous avions des différences et des différends, nous partagions un lien indestructible. Et dans les moments où nous étions d'accord, quand nous travaillions ensemble pour régner sur le monde, il n'y avait rien de plus fort que notre alliance. Cela dit, c’était chose si rare que je ne pouvais même plus forcément être sûr que les récits mythologiques disaient vrai. Peut-être avions-nous changé, aussi, c’était fort probable…
Mais j’avais beau reconnaître à mon frère certaines qualités, il suffisait parfois qu’il ouvrît la bouche pour me rappeler assez clairement qu’il pouvait aussi être pire qu’un humain borné. Parfois, j’avais l’impression qu’Hadès aimait que l’on se chamaille. Il cherchait le conflit, régulièrement… d’ailleurs, c’était bien ce qu’il faisait en essayant de me faire passer pour un roi des dieux qui n’en avait que faire du royaume souterrain. Je ne répondis pas. Ce genre de paroles ne demandait guère de réponse, c’était une sorte de petite provocation qu’il valait mieux étouffer dans l’œuf. Mon frère était un maître dans l’art des provocations du style. Il valait mieux ne pas envenimer des choses qui n’étaient déjà pas simples au départ.
Tout comme ses phrases, qu’il voulait sans doute assassines, qui me semblaient aussi puériles que celles que se lancent des enfants dans une cour de récréation. « Je prends cela d’où ça vient, cher frère. » Il pensait peut-être me blesser en m’insultant ? Mais si j’avais été réellement idiot, j’aurais été renversé bien vite de mon trône olympien. De même, si j’avais manqué d’intelligence ou de jugeotte, n’aurais-je pas laissé ma fratrie dans les entrailles de notre géniteur ? La mauvaise foi d’Hadès était presque remarquable, tant elle avait de l’ampleur. Une mauvaise foi titanesque, gigantesque, démesurée… Mais qui me laissait surtout une impression vivace : Hadès n’avait en lui ni joie ni espoir. D’aucune sorte. Un dieu aigri et frustré était souvent plein de ressentiment. Il éprouvait de la rancœur envers les autres pour les réussites que lui-même ne parvenait pas à atteindre… Il était souvent méfiant et peu enclin à faire confiance aux autres, humains comme dieux, car il croyait que tout le monde cherchait à le tromper ou à le manipuler. Outre son complexe d’infériorité, en effet, mon frère avait quelques tendances à la paranoïa… Il se montrait souvent colérique et peu patient, réagissant facilement aux moindres contrariétés et cherchant à provoquer la même chose chez ses interlocuteurs, qu’il percevait comme des ennemis. Sa mauvaise humeur était régulièrement contagieuse et il avait souvent des disputes avec les personnes qui l'entouraient. Il avait une vision du monde très pessimiste et n'arrivait pas à voir le bon côté des choses. Il était souvent critique et cynique, et prenait plaisir à dénigrer les autres. En somme, Hadès était un dieu qui avait du mal à trouver de la satisfaction dans la vie. Sa vision négative du monde l'empêchait de voir les belles choses qui l'entouraient, ce qui ne faisait qu'accentuer sa frustration et son amertume… Pauvre de lui. Et moi qui tentais de l’amener parfois à la lumière, moi qui cherchais à lui montrer les beaux aspects de l’existence, je me trouvais face à un mur. Un mur qui jugeait. Et qui se prenait toujours un peu de haut.
J’en faisais trop ? Oui, peut-être. C’était impressionnant, c’était fulgurant... « Je préfère en faire trop que ne rien faire du tout. » Je ne voulais pas spécialement l’attaquer en retour en disant cela, mais il fallait tout de même bien garder à l’esprit que, comme pour les êtres humains : c’était toujours ceux qui ne faisaient rien qui ne commettaient pas d’erreur. Était-ce une erreur d’utiliser la foudre ? Je ne pensais pas. La lumière, vive et brève, avait tout de même révélé que nous ne nous trouvions pas dans un endroit facile à analyser. Un terrain neutre, certes, mais surtout un terrain où la créature n’apparaissait nulle part. La brume se referma bien vite pour nous envelopper de nouveau… et les mots de mon frère furent, une fois de plus, aussi inutiles que superflus. « Je ne la perçois plus. » Sinon, oui, bien sûr que je pourrais la foudroyer pour la faire griller sur place… mais je n’avais pas encore le don de déceler la présence d’une créature inconnue dans un lieu pareil. Je ne me voyais pas non plus tout résoudre seul car, même si c’était sans doute possible que j’y arrive, il me semblait que c’était là une occasion rare de faire équipe avec mon frère, de lui montrer que nous pouvions encore œuvre de concert, dans un objectif commun, pour neutraliser la bête et sauver nos peaux… J’ignorais si Hadès avait eu l’occasion de récupérer quelques-uns de ses pouvoirs, ou même son immortalité, mais dans le doute, je ne tenais pas à lui faire prendre un trop grand risque. On ne savait jamais. « Cette créature se rend invisible, comme toi tu peux le faire… Hadès, je pense que tu es le plus à même de cerner son mode de fonctionnement. »
Le reproche pas le moins du monde déguisé de Zeus n'échappe pas à Hadès, et ce dernier admet qu'il ne l'a pas volé, car son frère a tout à fait raison... Plutôt que de se plaindre comme il le fait si bien à tort et à travers de ce que son cadet ne ferait pas suffisamment bien selon lui, il devrait probablement y mettre du sien et intervenir à son tour. Peut-être bien, mais c'est sans compter sur l'orgueil particulièrement mal placé sur le dieu des Enfers qui le conduit toujours à prendre les décisions les plus déplorables en n'importe quelles circonstances, surtout quand est en jeu son éternelle rivalité avec son frère qui semble lui couper presque aussitôt toute capacité de raisonnement. Hadès est loin d'être un idiot, pourtant, et il est loin de manquer de ressources également (quoique dans ce monde, cela se discute, Hadès est très naturellement limité par les contraintes de ce monde, et contrairement à son interlocuteur, il n'a pas eu la chance de retrouver ses anciennes capacités).
"Je ne voudrais pas te contrarier, je sais à quel point tu prends plaisir à tout contrôler", rétorque Hadès qui est incapable de ne pas s'épargner une ou deux répliques acerbes pour chaque parole adressée à son frère.
Si Zeus et lui se retrouvent dans de telles circonstances, ce n'est peut-être pas sans raison, c'est peut-être une manière de les inciter à collaborer et à mettre de côtés leurs vieilles querelles... Enfin, tout ceci concerne surtout Hadès. Zeus semble capable de faire preuve de tolérance et de collaboration, mais il est toujours plus simple de tendre la main à l'autre quand on est en position de supériorité. Accepter cette main tendue, en revanche, reviendrait définitivement à faire un aveu de faiblesse auquel il se refuse catégoriquement en début des circonstances.
"Correction, Zeus... Comme moi je pouvais le faire", soupire Hadès, obligé d'admettre sa vulnérabilité en ces circonstances, alors que son frère lui fait remarquer qu'il serait probablement le plus à même d'appréhender cette créature.
Même si cela lui en coûte, Hadès est bien obligé d'admettre cela, sinon ils n'avanceront pas. Il s'est toujours senti inférieur, il se sent à présent nettement diminué, au nom de raisons tangibles, et impuissant dans des circonstances où il voudrait être totalement invulnérable. Il se sent... perdu... désorienté... et foncièrement désappointé.
"Mais si cette créature procède comme j'ai l'habitude de le faire moi-même, la meilleure manière de la faire apparaître et donc de la faire réagir." Il pousse un soupir, agacé par son propre discours. Mais cette situation mérite qu'il mette de côté... au moins un petit peu... cet ego démesuré qui est le sien. "... c'est de la provoquer."
L’interminable conflit entre frères avait ressurgi, une fois de plus, sans que ni Hadès ni moi n’ayons empêché que cela arrive. Chez les humains, c’était courant ce genre de conflits dans une fratrie. Mais chez les dieux, tout prenait toujours des proportions assez importantes… Il suffisait de presque rien pour déchaîner la colère et, par conséquent, les éléments. Mon frère avait raison sur ce point, j’aimais le pouvoir, j’aimais avoir le contrôle. Cela faisait-il de moi un maniaque ? Ce goût du pouvoir que j'avais… En tant que roi des dieux, je savourais le pouvoir d'une manière indescriptible. J'étais au sommet de la hiérarchie divine, régnant avec une autorité incontestée sur le mont Olympe. Tous les autres dieux et déesses se rassemblaient là-bas pour discuter des affaires divines et prendre des décisions, mais c'était moi qui décidais ultimement. Mon pouvoir était absolument immense. En tant que dieu du tonnerre et de la foudre, je possédais une puissance destructrice sans égale. Lancer des éclairs et provoquer des tempêtes me donnait un contrôle total sur les forces naturelles, renforçant ainsi ma position de souverain. En tant que roi des dieux, j'avais également le pouvoir de décision. On me décrivait souvent comme un juge suprême, résolvant les différends entre les dieux et distribuant la justice divine. Je veillais au respect des lois et de l'ordre, garantissant ainsi l'équilibre cosmique. Le goût du pouvoir que je ressentais était une sensation de supériorité et de maîtrise absolue. Je me délectais de mon influence sur les événements divins et terrestres, de mon autorité sur les autres dieux, et de ma capacité à dicter le cours des destinées. Cependant, ce pouvoir était également accompagné d'une grande responsabilité. Je devais prendre des décisions qui avaient des conséquences profondes.
Mais il ne fallait pas oublier que j’étais un dieu complexe. Parfois, j'étais volage et colérique, mais je pouvais aussi être bienveillant et protecteur. Le goût du pouvoir que je ressentais était donc teinté d’une grande diversité d'émotions, allant de la satisfaction et de l'accomplissement à l'inquiétude et à la pression inhérente à mon rôle de roi des dieux.
« Il est vrai que j’aime cela. » Il ne servait à rien de nier la réalité. Ce goût du pouvoir, je l’avais emmené avec moi depuis l’Olympe jusqu’ici. C’était pour cela que j’aimais la puissance que pouvait conférer l’argent dans ce monde.
Et puis, un tel monde, où l’on pouvait retrouver tous nos pouvoirs… que demander de plus ? Nous avions ici les bons aspects de la vie humaine en plus des meilleurs aspects de la vie divine. C’était un peu comme être en vacances, en quelque sorte… Mais pas pour tout le monde, apparemment. Je ne pus m’empêcher de ressentir une sorte de compassion pour mon frère. Il n’avait pas encore retrouvé ses pouvoirs… alors que j’en avais déjà récupéré un certain nombre. Y avait-il une sorte de jugement qui décidait qui de nous pouvait ou non retrouver ses attributs ? Si tel était le cas, j’étais béni par la chance… « Hadès, mon frère… La lune rouge peut te rendre tes capacités, comme elle l’a fait pour moi. » Je me voulais rassurant, sachant pourtant pertinemment que toute parole bienveillante envers mon aîné risquait toujours d’être reçue avec aigreur. Un peu comme si je lui envoyais une colombe de la paix et qu’elle me revenait plumée, avec un œil et une patte en moins.
Mais ces pouvoirs, il était clair que mon frère pourrait les récupérer. Devais-je l’y aider ? Allait-il seulement accepter si je lui proposais de lui tendre la main ? Hadès avait un fichu caractère et il était fort probable que la moindre de mes propositions soit tout bonnement refusée.
En attendant, les idées d’Hadès pouvaient être utiles. Ni lui ni moi n’étions idiots, même si nos conflits perpétuels pouvaient laisser entendre le contraire, et en alliant nos théories et nos stratégies, nous pourrions peut-être arriver à un véritable résultat. Provoquer la bête… L’idée était intéressante. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’elle me plaisait, mais mon frère avait raison, si nous ne pouvions la débusquer, il nous fallait la forcer à se montrer d’elle-même.
Je me passais la main dans la barbe, réfléchissant un instant. Une créature qui se tapissait dans l’obscurité ne pouvait qu’être une créature des ténèbres. Je pouvais écarter ce brouillard, d’un souffle. Et puis… La lumière devait pouvoir l’offusquer. Quant à la provoquer plus encore… peut-être qu’une fois qu’elle apparaîtrait, je pourrais la frapper de ma foudre. Un petit combat à l’ancienne. « Je vois… »
Je pris une profonde inspiration puis je soufflai tout autour de nous, déblayant ce brouillard qui semblait protéger la bête. Quelques gestes suffirent ensuite pour garder ainsi la voie libre. Un terrain de jeu idéal pour déchainer tonnerre et foudre.
Si j’avais eu le don d’ubiquité, j’aurais couvert les arrières de mon frère sans le lui dire… mais ce n’était pas le cas, alors, au risque de susciter de nouveau l’agacement en lui, je fus bien obligé de le prévenir. « Il te faudra rester derrière moi, mon frère. »
Je le défendrais, quoi qu’il puisse m’en coûter. Malgré son caractère, son amertume et son ingratitude, Hadès restait mon frère… et une partie de moi ne pouvait s’empêcher d’avoir de la tendresse pour lui.
Hadès lève les yeux au ciel. L'attitude qui se lit sur son visage pourrait se traduire par un "Tu m'en diras tant", quand Zeus admet qu'en effet, il aime le pouvoir... Une chose qu'il serait bien hypocrite de la part de l'ancien dieu des Enfers de lui reprocher, car s'il en est un qui, également, aime le contrôle par-dessus tout et ne supporte pas de le perdre, c'est définitivement lui. Au fond, en dépit de leurs très nombreuses différences, tous les deux se ressemblent beaucoup, ils ont des points communs non négligeables, et qu'ils ne peuvent certainement pas ignorer. Quoi qu'il en soit, discuter de leur besoin de contrôle et de leur désir de diriger, dans ces circonstances qui échappent à leurs habitudes, n'est peut-être pas la chose à faire. Cette situation, qui plus est, ne fait que rappeler à Hadès qu'il est... démuni, affaibli, dans ce monde. Lui qui a toujours souffert d'un évident sentiment d'infériorité vis-à-vis de Zeus, l'éprouve d'autant plus en cet instant, où Zeus semble tout pouvoir... et Hadès, absolument rien.
"Je n'ai pas besoin de ta pitié", rétorque amèrement Hadès (cette tête de cochon), quand Zeus se montre rassurant, en affirmant que cette fichue lune rouge, celle qui semble avoir fait qu'ils se trouvent ici, à présent, rendra un jour ses anciennes compétences à l'ancien dieu des Enfers. "Pourquoi je devrais dépendre de la volonté de cette fichue lune...", ajoute-t-il en serrant les dents.
Sa frustration se laisse voir avec de plus en plus d'évidence. Il peut bien dire ce qu'il veut, Hadès voit le temps passer, et rien changer... Comment pourrait-il ne pas perdre espoir. Hadès ne sait pas ce qui le crispe le plus : l'absence de ses compétences ou la compassion affichée par son frère... parce qu'au fond, il ressent que cette compassion est sincère... Et endurer la bienveillance de Zeus lui est plus compliqué que de supporter sa colère. Il devrait apprécier le soutien de son frère... surtout, il devrait admettre qu'il a besoin de ce soutien... Mais il n'en est pas capable... Sa fierté prend, comme toujours, le dessus.
La seule satisfaction d'Hadès, en cet instant, est que Zeus accepte d'écouter ses suggestions. C'est tout ce qu'il peut vraiment apporter à cette situation... Et accepter de se réfugier derrière Zeus, comme c'est déjà arrivé par le passé, met un coup violent à son orgueil surdimensionné.
"Je m'en voudrais de te faire de l'ombre", cingle Hadès qui accepte néanmoins... de faire ce que son frère demande. Cette fois, il mettra son ego de côté. Il est temps de résoudre cette situation, et il est évident que Zeus et ses compétences exceptionnelles saura y faire plus facilement qu'Hadès et ses jérémiades incessantes. Positionné derrière lui, passif, il attend donc... l'intervention divine.
Il était très surprenant, parfois, de constater à quel point des adultes, des êtres âgés, dans leur cas, de plusieurs millénaires, pouvaient encore se comporter comme des enfants rivaux. L’aîné jalousait le cadet. Et, dans une certaine mesure, le cadet jalousait son aîné. Parfois. Le vaste univers était le miroir de ma grandeur, et j'étais Zeus, le roi des dieux. Mais aujourd'hui, mes pensées étaient tournées vers mon frère, Hadès, le seigneur des Enfers. Hadès, avec son royaume souterrain, était toujours empreint d'une aura sombre et mystérieuse. Il était réputé pour son inflexibilité et son intransigeance, des traits de caractère qui semblaient s'amplifier au fil du temps. J'avais cherché maintes fois à le raisonner, à lui faire comprendre que son isolement et son éloignement des autres dieux ne lui apporteraient rien de bon. Je soupirai, sachant que convaincre Hadès serait une tâche ardue. Cependant, je ne pouvais pas me permettre de rester les bras croisés, en observant son petit jeu.
« Sois juste un peu patient, Hadès. Tu verras que cette lune rouge est une bonne chose, parfois. » Sans doute avait-il du mal à se faire à l’idée de ne plus vraiment être le roi des Enfers.
Son sale caractère, j’y étais habitué depuis bien longtemps, pourtant, chaque fois, cela me faisait un petit pincement. Il ne pourrait jamais être heureux s’il restait comme il était. De mon côté… je savais bien que j’avais de nombreux défauts également, mais je n’avais pas l’impression d’avoir un si mauvais caractère. J’étais même capable d’écouter les conseils de mon frère et de les mettre en œuvre, comme il s’agissait ici d’une suggestion avisée. J’avais souvent eu envie de lui dire quelque chose comme ça : "Hadès, frère, tu es un dieu puissant et respecté, mais ton isolement te consume. Les autres dieux ressentent ton absence et ne comprennent pas tes motivations. Ton royaume, aussi sombre soit-il, ne doit pas devenir ta prison. Il est temps d'ouvrir ton cœur à la possibilité de changement." Mais m’aurait-il seulement écouté ?
J'étais debout au milieu de la nuit, observant avec suspicion la brume épaisse qui enveloppait cet endroit. On murmurait que dans cette nébulosité se dissimulait une bête redoutable, invisible aux yeux des mortels et des dieux. Mon cœur battait plus fort à l'idée de cette menace sournoise. La brume tourbillonnait autour de moi. Je pouvais sentir son aura maléfique, une présence qui menaçait l'équilibre de notre monde. Je ne pouvais pas rester sans rien faire et permettre à cette créature insaisissable de semer le chaos. Déterminé, je m'élançai dans les airs, traversant les nuages jusqu'à atteindre la lisière de la brume. La visibilité était quasiment nulle, et j'utilisai ma puissance pour invoquer des éclairs qui déchiraient l'obscurité environnante. Leurs lueurs vacillantes me montraient brièvement les silhouettes des objets et bâtiments à proximité. Je sentais les battements d'ailes d'une créature invisible, un grondement sourd qui se rapprochait de plus en plus. Je modelai rapidement un éclair pour en faire une arme puis je dégainai mon épée foudroyante et la brandis en l'air, illuminant mon chemin de son éclat divin. J'étais prêt à affronter cette bête, quelles que soient ses intentions. Soudain, j'entendis un rugissement retentissant, un cri de défi provenant de l'obscurité. Mes sens m'alertèrent de sa position approximative, mais je ne pouvais toujours pas voir son apparence réelle. La brume semblait être son alliée, la cachant aux yeux du monde. Sans hésitation, je bondis en avant, balançant mon épée dans toutes les directions. Les éclairs qu'elle libérait fendaient la brume, éclairant temporairement les contours de la bête invisible. Ses griffes effleurèrent ma peau, mais je me refusai à flancher. J'étais le dieu des dieux, je me devais d’être invincible et inébranlable. La bataille se poursuivit, mon corps esquivant les attaques invisibles avec une agilité divine. Chaque coup de mon épée était précis, tranchant l'air et créant des décharges électriques qui brûlaient les ténèbres environnantes. J'étais déterminé à révéler cette créature, à la soumettre à ma volonté. Enfin, après un combat acharné, les nuages sombres commencèrent à se dissiper, révélant une silhouette massive et féroce. La bête, prise au piège dans ma toile de foudre, révéla sa véritable forme. Ses yeux brûlaient d'une lueur rougeâtre, sauvage et affamée, et ses crocs acérés étaient prêts à déchirer ma chair. Mais je ne fléchis pas. Je concentrai toute ma puissance dans un dernier éclair, le projetant directement sur la bête. Son cri de douleur résonna dans l'air, tandis que son corps se dissipait dans la brume, ne laissant derrière lui que le vide, comme si elle n’avait même pas été là… comme si tout n’avait été qu’illusion.
Il me fallut un peu de temps pour me rendre compte que c’était fini, que cette bête n’était plus et que, désormais, nous étions, je l’espérais, en sécurité. Je lâchai mon épée de foudre et j’eus un profond soupir avant de me retourner sur mon frère. « Tu n’es pas blessé ? »
Ma chemise était un peu déchirée, œuvre des griffes de la créature des ténèbres, mais j’avais retrouvé mon immortalité et ma capacité de régénération, alors je ne risquais rien.
« Tu as raison, je manque seulement de patience. »
Ces propos pourraient presque laisser suggérer que le dieu des Enfers accepte enfin de se ranger à l’opinion de son frère, mais ce serait aller un peu vite en besogne, car ce n’est pas le cas le moins du monde, et son frère, qui connaît par cœur son sens appuyé de l’ironie, ne peut avoir aucun doute à ce sujet. Bien sûr qu’il ne le dit pas en le pensant, parce qu’il estime avoir bien assez usé de patience au cours de son existence pour ne plus faire tant d’efforts à présent. Voilà ce qu’il pense, oui… Hadès s’est toujours entendu dire que tout viendrait à point pour peu qu’il sache attendre, mais il n’a que le sentiment d’être abusé, constamment, sans jamais récolter le fruit de cette insoutenable exercice de patience exigée de lui. C’est une leçon qu’il refuse d’entendre, de la part de qui que ce soit… Et quand il doit qui plus est l’entendre de la bouche de son frère, c’est avec d’autant plus d’amertume qu’il accueille ses dires.
Oh, ce n’est pas que Zeus ait tort, bien au contraire… Mais il est bien connue que les propos les plus blessants sont aussi les plus vrais, et il est ainsi des vérités que, encore à ce jour, Hadès refuse catégoriquement d’apprécier pour ce qu’elles sont, en dépit de l’évidence qu’elles reflètent. Oui, il manque de patience, mais il en a assez d’attendre, pour un résultat qui n’est jamais à la hauteur… ses pouvoirs, dans ce monde, toujours aux abonnés absents, ne sont qu’un exemple, une frustration à ajouter à une masse importante de frustrations identiques… Et comme toujours, Hadès réagit aux propos quelque part assez bienveillants de son cadet avec une mauvaise foi et le sale caractère qui a toujours été le sien… Et ne cessera jamais d’être le sien.
Le combat qui se joue sous ses yeux est un combat dont il ne sera que le spectateur… là encore, cette situation paraît symptomatique de tout autre chose… Hadès vit en dehors de tout, en dehors de sa propre vie… Et s’il prétend que son isolement n’est pas de son fait mais a été provoqué par ceux qui à présent l’accusent de se mettre à l’écart, tout ceci est en fait un cercle vicieux, et qui à ce stade promet de n’avoir jamais de fin. Hadès est inquiet, fébrile, il se reproche mentalement son impuissance face à la situation, le tout mâtiné d’une inquiétude qu’il n’avouera pas au sujet de son frère. En dépit de toute la rancœur qu’il peut avoir envers lui… il ne lui veut du mal que si c’est lui qui le lui adresse. Ici et maintenant, il tient à ce que Zeus ressorte victorieux de cette confrontation – mais à quoi bon s’en inquiéter le moins du monde ? Cette créature ténébreuse, quelle qu’elle puisse être, ne saurait être capable de quoi que ce soit face à la puissance de ce dieu légendaire. Et en effet, le combat est acharné mais se résout d’une manière étrange. La brume se dissipe tout à coup et… c’est comme si tout ceci n’avait été qu’un songe, une illusion.. la bête a disparu et… ils sont sain et sauf.
« Non, ça va », répond-t-il un peu abruptement, alors que Zeus lui demande s’il n’est pas bessé. « Toi ? » Hadès baisse les yeux sur sa chemise déchirée… bien sûr, sa blessure aura déjà guéri, la question ne devait même pas se poser. Hadès fourre ses mains dans ses poches, un ange passe. « Je… » Il se racle la gorge. Il ne sera pas capable de le remercier en bonne et due forme d’avoir été là pour lui, mais il peut faire un semblant d’effort, ou au moins faire une micro-trêve. « Je t’offre quelque chose à boire ? Pour célébrer ta victoire. »
On ne se refait pas, il n’a pas été capable de prononcer ces mots sans afficher une sévère ironie.
La patience était une vertu importante et plus que necessaire dans la vie, surtout sur cette île, surtout depuis que les brumes cachaient des creatures et que les pouvoirs pouvaient refaire surface après un certain temps… Rien n’avait pu me faire plus plaisir que de pouvoir retrouver mes capacités, mais je devais reconnaître que je n’aurais sans doute pas aimé rester un simple mortel, comme les autres. Ce qui était, apparemment, le cas de mon frère, encore aujourd’hui. A vrai dire, si j’en avais eu la possibilité, je lui aurais transféré le don de l’immortalité pour l’aider à se sentir un peu mieux dans ce monde… Mais je doutais, tout de même, que mon frère aurait accepté un don venant de moi. Ce n’était pas son genre et puis… je n’étais pas le mieux placé pour lui faire un cadeau qu’il prendrait bien.
Nous nous étions retrouvés par hasard, pour régler cette affaire de créature de la brume et, finalement, il dut y avoir un combat aérien. C’était tout à fait dans mes cordes même si j’aurais sans doute préféré pouvoir partager quelque chose d’un peu plus collaboratif avec mon frère. Mais ce type de situation n’était pas au programme pour nous, en tout cas pas cette fois-ci. Je réglai donc son compte à la bestiole, sans pouvoir faire autrement que de me battre, moi qui oeuvrais plutôt comme un pacifiste la plupart du temps… il aurait pu être intéressant, même pour Mrs Hellsing et son université, de pouvoir plancher sur une créature étrange et fantastique… mais je n’avais pas vraiment eu l’occasion de laisser la vie sauve à cette chose. Dommage…
Mais tout à ma concentration pour le combat qui se jouait, je ne pouvais être présent aux côtés de mon aîné pour le protéger et le défendre en cas de besoin. Je n’étais pas le meilleur frère du monde, je le savais bien… personne ne pouvait se targuer d’être le meilleur dans quoi que ce soit, d’ailleurs, mais j’aurais aimé l’être. Juste une fois, peut-être… Quoi qu’il en soit, je ne pouvais pas être aux côtés d’Hadès et combattre en même temps. Ce que je fis, donc, c’était me battre et laisser mon frère en retrait. Une façon de le protéger, mais sans être aussi présent et efficace que je l’aurais voulu.
Le temps ne me parut pas bien long, mais j’étais incapable d’estimer la durée de ce combat. Et quand j’arrivai enfin à mettre à terre la créature, je me retrouvai bientôt près de mon frère, dont je m’enquis aussitôt de la santé et de l’intégrité physique. Il n’avait rien, Zeus merci, mais il devait bien se douter que les rares blessures que j’avais pu avoir allaient guérir presque instantanément.
« Ça va aussi. » Du tissu déchiré, ce n’était rien du tout, et je n’allais pas mal prendre son regard vers ma chemise. J’eus l’impression qu’il avait hésité un instant à me parler un peu plus. Mais, finalement, les mots qu’il prononça ne furent pas vraiment ceux auxquels je m’attendais. Et tant mieux. Je lui souris. « Avec plaisir, mon frère, je ne souhaite rien de plus que pouvoir discuter avec toi plus longuement. »
L’idée de prendre un verre avec lui laissait dans mon esprit une agréable sensation. Oui, ce serait un bon moment que nous pourrions partager, lui et moi. Mais je ne voulais pas que ce soit ma victoire qui nous amène à nous retrouver autour d’un breuvage.
« Mais je préférerais que nous célébrions nos retrouvailles. » La famille… Voilà ce qui m’importait le plus. Je rêvais de retrouver les miens. Ceux de mon sang. « Connais-tu un endroit agréable où nous pourrions prendre un bon petit ouzo ? ou… autre chose… »
Bien sûr que tout va bien pour Zeus. Zeus s’en tire toujours à bon compte. Son très cher frère ressort toujours victorieux de tout ce qu’il entreprend. Bien sûr qu’il sera revenu sans égratignure de cette confrontation… il en faut bien évidemment plus pour lui faire du mal. Hadès a très envie de se fendre d’une réflexion cynique à l’adresse de son frère, mais pour cette fois, il s’en abstient. En dépit de toute la mauvaise foi dont il est capable, il lui faut tout de même admettre qu’il a été bien heureux qu’il soit là, et qu’il s’en serait probablement bien plus mal sorti en son absence – comme souvent. Il peut bien, le temps d’un verre, accepter d’enterrer la hache de guerre… elle se déterrera bien assez vite d’elle-même… parce que Hadès se connaît… Il sait qu’il ne pourra pas s’en empêcher.
Il doit tout de même déployer des trésors de self control pour ne pas asséner à son cadet la multitude de réflexions amères et incisives qui lui viennent à l’esprit alors que son frère lui affirme qu’il ne souhaite rien de plus que de discuter plus longuement avec lui. La chose lui paraît parfaitement incongrue, pour être honnête… car personne n’espère passer du temps de qualité en sa compagnie… Hadès déploie trop d’efforts et d’énergie à se rendre désagréable pour cela, c’est un fait.
« Soit, si tu le souhaites », répond Hadès quand son frère suggère qu’ils célèbrent leurs retrouvailles plutôt que sa victoire. Bien sûr, il préfère cela, tant qu’à faire, mais… il reste difficile pour lui, bien évidemment, de faire plus convenablement la part des choses.
« Ce doit être dans mes cordes », répond Hadès alors que Zeus lui demande s’il saurait où ils pourraient se retrouver et parler convenablement, en somme.
Oui, il connaît effectivement un café, non loin, qui n’est en soi pas désagréable, et où ils pourraient passer un moment confortable ensemble… dans la mesure où ils en sont tous les deux capables… Dans la mesure où Hadès en est capable, surtout. Ils se dirigent donc en direction du café et Hadès accepte tant bien que mal de faire la conversation. Trop coutumier des discussions fermées, et de ne jamais faire le moindre effort, cet exercice de sociabilité n’a rien d’évident ni de naturel pour lui.
« Comment se porte Héra, dis-moi ? Et tes enfants, pour ceux que tu as peut-être retrouvé. » Il en a trop pour les dénombrer. Discuter de leur famille, où chacun est parent, enfant, oncle, tante, neveu et frère presque à la fois, lui semble encore être la meilleure manière de procéder. « J’ai fait la rencontre d’Artémis, d’ailleurs… »
Je n’arriverais jamais à me mettre à la place de mon frère, car lui et moi étions vraiment très différents. J’avais l’impression que nous ne pourrions jamais nous comprendre, mais cela ne m’empêchait pas de toujours espérer qu’un jour, peut-être, viendrait la possibilité d’une compréhension mutuelle. Je n’étais pas très doué en psychologie et peut-être que je ne l’étais pas plus comme frère, mais nos conflits duraient depuis si longtemps que j’avais besoin – et envie – de me dire que ce n’était que passager, qu’un jour tout cela prendrait fin et que lui et moi pourrions alors nous rendre compte de comment nous étions réellement et de ce que nous pouvions faire si nous nous mettions à agir ensemble plutôt que chacun pour soi.
Nos retrouvailles étaient inattendues, mais c’était quelque chose que nous pouvions fêter. J’avais tendance à voir les choses de façon positive, d’autant plus lorsque le hasard faisait si bien les choses. Alors, lorsque mon frère accepta que nous célébrions nos retrouvailles plutôt que ma victoire, cela me remplit de nouveaux espoirs. C’était peut-être là le rôle de cette île, au fond, nous permettre de renouer avec des fantômes du passé, de retrouver une stabilité relationnelle que nous n’avions pas ou plus…
Peu familier des troquets et bistrots, je ne connaissais pas grand-chose qui puisse être un lieu idéal pour converser tout en ayant suffisamment de confort et d’intimité. Et puis… il y avait sans doute aussi des boissons humaines qui, si elles n’atteignaient pas la cheville de l’ambroisie, pouvaient au moins nous rappeler les terres hellènes qui nous avaient vus prendre autant d’importance dans la vie des hommes.
« Parfait ! »
Je pouvais faire confiance à Hadès pour trouver l’endroit idéal. Je l’accompagnais donc dans ce café, non loin de là, et je pris place en face de lui, à cette petite table qui semblait n’attendre que nous. Mon frère m’interrogea alors sur mon épouse et mes enfants. Une conversation banale entre deux frères, somme toute… Je commandais mon ouzo, laissant mon aîné décider s’il me suivait sur la boisson ou non. « Ah, Héra… elle va plutôt bien… Elle a eu un peu de mal, au début, sur l’île, mais on s’adapte chacun à sa manière, n’est-ce pas ? » Il y avait eu une période un peu plus difficile, où Héra avait eu des épisodes de profonde nostalgie… et cela arrivait encore, bien sûr, mais cela pouvait évoluer vers du positif. « Artémis ! je l’ai retrouvée aussi, quel plaisir de la voir aussi épanouie professionnellement ! elle a trouvé le job idéal pour ses compétences, j’ai fait appel à ses services pour assurer la sécurité de mon entreprise. » Une façon comme une autre de soutenir ma fille. « Tu l’as rencontrée dans quelles circonstances ? » Le monde était petit… surtout depuis que nous étions tous sur cette île. C’était le moins que l’on puisse dire.
« Et à part Artémis, tu as rencontré d’autres êtres de notre passé ? » Je ne lui avais pas parlé d’Eurydice, bien sûr, ma rencontre avec cette humaine avait été inattendue, mais j’avais appris quelques petites choses qu’il valait mieux garder à l’esprit. Je m’étais également engagé à jouer mon rôle de dieu protecteur. Il en allait de même pour Perséphone... je l'avais retrouvée dans des conditions assez surprenantes, mais je ne pouvais pas en parler librement pour le moment. J'ignorais même si mon frère était au courant de sa présence ici...
Au fond, Hadès se moque bien de Hera et de ses capacités d'adaptation à cet endroit. Il n'a jamais eu d'affection particulière pour elle, et encore moins d'intérêt, mais il ne peut tout de même s'empêcher de tiquer sur les propos de son frère quand ce dernier affirme que chacun s'adapte à sa manière... Il n'aime pas ce terme, s'adapter... L'idée de devoir se conformer à cet endroit plutôt que de pouvoir faire en sorte que cet endroit se conforme à nous... Il n'a pas le sentiment de s'être adapté, quoi qu'il en soit. Dans une certaine mesure, c'est le cas : il s'est trouvé un travail, une maison, il se conforme à sa manière aux codes de cet endroit, mais il en abhorre la plupart des aspects... Avant tout et surtout parce qu'il a peur qu'à force d'adaptation, ces lieux deviennent leur seule fatalité, et qu'ils finissent par ne plus rien avoir d'autre. N'est-ce pas ce qui leur pend au nez, après tout ?
Au sujet d'Artémis, également, Hadès n'a clairement pas le même enthousiasme que Zeus. Pas que leur conversation lui ait déplu, pourtant... il y a même trouvé un intérêt certain, mais il est bien loin d'accorder à sa famille ce même intérêt que d'autres... Exception faite de Perséphone, bien sûr... et, d'une certaine manière, de Zeus également, car leur éternelle rivalité, avant tout façonnée par sa propre perception, le lâche rarement d'une semelle.
"Le travail", il répond évasivement quand son interlocuteur lui demande dans quelles circonstances il a bien pu rencontrer sa très chère fille. "Je reconnais que ce qu'elle a construit ici est impressionnant. Quand on parle d'adaptation... elle est bien la fille de son père", il remarque avec une légère grimace, laissant suggérer que ce n'est pas forcément un compliment.
Pour le reste, avait-il fait d'autres rencontres surgies de leur passé ? Le fait est que oui, mais au moment de répondre à la question de son frère, Hadès est bien déterminé à garder les informations dont il dispose pour lui-même.
"D'autres êtres de notre passé ?" Il répète comme s'il lui fallait y réfléchir, rassembler sa mémoire. "Non." Si. "Pas à ma connaissance." La douce Eurydice, qu'il n'a pas tardé à abreuver de menaces, en souvenirs du bon vieux temps. Et ce cher Heracles, heureusement amnésique. "Mais on ne peut pas dire que je les ai cherchés assidûment. S'il est bien une chose de ma vie passé qui ne me manque pas, ce sont les Olympiens. - Sans vouloir t'offenser, bien sûr." Ou à peine.
Je n’avais pas grand-chose en commun avec mon frère aîné, mais il était tout de même bienvenu, de mon point de vue, de le retrouver. La présence de mon frère, c’était comme une façon pour moi de me sentir ici chez moi. Mais je savais bien que mon frère et moi n’avions pas exactement les mêmes centres d’intérêt ni même des désirs semblables. Nous étions un peu trop différents, sans nul doute. Mon frère était issu des profondeurs, lui, le gardien des ombres… Son existence et la mienne étaient liées et tissées… Dans la trame même de mon être, on trouvait son être. Et les émotions que j’éprouvais à l’égard de mon aîné étaient assez complexes… un entrelacs de positif et de négatif, des sentiments contradictoires… Quand je regardais Hadès, je voyais la tourmente qui le consumait. Régulièrement, une ombre de tristesse voilait mes pensées quand je songeais à lui, car je savais à quel point il était seul dans ses ténèbres…
« En parlant d'adaptation, ne crains-tu pas, mon frère, que ces terres ne deviennent notre ultime destinée, que nous n'y perdions notre essence divine ? Je te comprends. Je sens la tempête dans ton cœur, le tonnerre dans ton âme. Mais souviens-toi, nous sommes les dieux de l'Olympe, et notre force réside dans notre capacité à régner sur le changement, pas à le craindre. »
La peur était un moteur qui ne nous convenait pas. C’était bien trop en dehors de nos habitudes divines. Nous étions bien au-dessus de cela.
« Quant à Artémis, la chasseresse éternelle, fille de mon sang et de ma foudre, elle a construit ici un empire qui défie le temps lui-même. Tu as vu son œuvre, et tu as reconnu son pouvoir. Elle est, en effet, la fille de son père, et elle porte en elle le feu de l'Olympe. Mais ne te trompe pas, Hadès, son cœur est aussi sauvage que les forêts qu'elle chérit, et elle ne se pliera jamais entièrement à cet endroit. »
J’étais tellement heureux d’avoir retrouvé ma fille, mais aussi d’autres âmes de mon passé… c’était une bonne chose, pour moi, que d’avoir cette opportunité de renouer avec eux…
« N'oublie jamais que nous sommes liés par les fils du destin, pour le meilleur ou pour le pire. » Mon frère n’avait pas cherché à retrouver les autres… alors que de mon côté, je m’évertuais à essayer de retrouver le plus de divinités grecques possibles… Encore quelque chose qui nous différenciait, Hadès et moi. « Je te regarde, et je vois en toi le reflet de notre père Cronos, l’ombre de notre passé tumultueux. Les liens du sang sont éternels, mais les chaînes de la rancune sont lourdes. Je sens le poids de notre histoire, et je discerne le défi dans ton regard… »
Dans mon cœur de dieu, je désirais pour lui la paix et la compréhension, mais je savais que le chemin était long et tortueux. Je lui tendais la main, non pas pour le dominer, mais pour lui rappeler que même dans les ténèbres, la lumière de la fraternité ne s’éteignait jamais totalement.
...
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