Les doigts lentement glissent le long des cordes, les pinçant doucement dès que le moment est opportun, les caressant, les titillant jusqu’à produire un son salvateur ; guzheng adoré, chéris instants. Xingchen aux yeux clos joue de son précieux instrument, ce sourire ne le quittant plus. Des notes familières, boucle ininterrompue, il aurait presque envie de chanter, d’accompagner ces louages de sa voix si douce. Toutefois, il se retient, inutile d’alerter les voisins. Cette idée ridicule lui arrache un rire et une fausse note se perd. Il est temps d’arrêter, de filer. Le spectacle va bientôt commencer.
Cirque qu’il voudrait connaître par cœur, numéros toujours répétés et cette ombre dans l’assistance qui bat des mains joyeusement, toujours autant impressionné. Xingchen comme un enfant découvre et redécouvre. Une fois par semaine, ses pas le mènent sous le grand chapiteau, au premier rang pour mieux voir, payant sa place de ses quelques deniers, sûrement jamais remarqué. Ce soir n’échappe pas à ses tourments, et le guzheng oublié, il quitte l’appartement, veste sur le dos, sans se retourner. Ses pas le mènent là où ses désirs soupirent, les pièces sautillent au creux de la paume, et il salue la personne à l’entrée, achète sa place, trottine pour s’installer, invisible âme qui regarde autour d’elle comme pour trouver un chaleureux visage, quelqu’un qu’il connaîtrait, mais personne, comme toujours. Les minutes défilent, et le spectacle commence. Les artistes sont monstrueux, incroyables, et Xingchen se sent con la bouche ainsi entrouverte comme si c’était la première fois qu’il voyait les tours. Parfois, il voudrait les rejoindre, faire partie de la troupe, mais il est trop timide et n’a rien à offrir, alors ses rêves demeurent muets. Malheureusement, les moments de plaisir finissent trop tôt et il se hâte vers la sortie, cette fois sans regarder en arrière. L’épée qu’il avait placée entre ses cuisses le temps de la représentation retrouve sa juste place dans son dos et l’homme connaît sa prochaine destination, mains dans les poches – tiens, des poches, comme c’est pratique ! – et museau levé vers les étoiles. Il sourit.
Il arrive au parc, il n’a pas encore mal aux jambes, mais les kilomètres ont été avalés. Il n’a pas ralenti une seule fois. Lentement, les mains dénouent la lanière qui maintient la lame accrochée fermement dans son dos. Tristement, il observe cette épée qui redeviendra sienne un jour, mais qui pour l’instant demeure une simple copie. Ce n’est pas avec elle qu’il a tué Song Lan. Ce n’est pas avec elle qu’il s’est tranché la gorge. Une imitation. Grossière. Pourtant, les proportions semblent parfaites. Il soupire. Il veut recouvrer son habilité de jadis, croiser le fer et protéger l’ordre fragile de cet univers. Les mouvements sont lents, comme une danse, il les effectue les yeux fermés, car les habitudes ont la dent dure, qu’il ne veut pas contempler à quel point il est grotesque à bouger ainsi, le noyau d’or arraché, les rêves envolés. Peu à peu, il accélère. Les coups fusent, la danse devient furieuse, amour violent qu’il échange avec le vide, l’imagination le guide jusqu’à ce visage tant honni, la rage est déchaînée et Xingchen le tue, plante cette épée solide au creux de sa poitrine, arrache les organes vitaux. La mort est arrivée, et lentement la main retombe le long du corps. La lame n’est pas tachée de sang. Aujourd’hui, elle n’a touché personne. Il tremble, et le calme revient.
@Hisoka Morow