Quand vient la nuit, les ombres s’éparpillent, parfois se regroupent et offrent aux spectateurs muets un ballet des plus saisissants. Xingchen enfant de la Lune observe sans un mot de son piédestal doré, oublié, ignoré. Le soleil se couche, fatigué de les avoir tous éclairés pendant un jour si long, offre l’opportunité à sa sœur de s’exprimer. Blotti au creux de son lit, il ferme les yeux. Mais les humains n’ont pas sommeil. Ils s’agglutinent et dansent. Xingchen ferme boutique, salue les derniers clients. Conseils prodigués, sourires échangés, son cœur est un peu consolé mais bientôt les tourments reviendront le hanter. Il étouffera sous leur poids, versera les larmes d’un désespoir fané. Il ne peut s’y résoudre. Lentement, les pieds grimpent les marches et le mènent à son logement, tout petit, mais suffisant. Regard circulaire, son lit refait, sa minuscule cuisine, la table où sa tasse a été abandonnée, un tapis au sol pour méditer, le guzheng qui y est posé. Il pousse la porte de la salle de bain, fait couler l’eau du robinet, si fraîche, éclabousse son visage où la fatigue creuse de jolis sillons. Ce n’est pas l’heure de se reposer. Des projets l’attendent, qui se répètent mais il ne se lasse pas. Les vêtements tombent sur le sol, il file sous le jet brûlant de la douche – ce monde n’est pas si mauvais. Propre, cheveux sentant le jasmin, il se change, laisse chuter sur son corps des habits nouveaux, ceux qui laissent apercevoir l’idée que ses desseins sont autres, intéressés, une belle soirée qui commence, une sortie excitante. Souvent la même.
Ce cirque, Xingchen commence à ne plus ignorer l’ordre des numéros, il finira peut-être par connaître les acteurs d’un spectacle si beau, désirs secrets qu’il garde pour lui alors que dans l’assistance il sourit et applaudit. Les minutes filent, elles sont courtes et se moquent de ses envies à lui. Pourquoi ce spectacle superbe ne pourrait-il pas durer plus longtemps encore ? Le laisser loin de ses pensées obscures, effrayantes. Il voudrait ne faire qu’un avec la beauté présentée, les rêves s’agitent mais ne durent pas. S’il pouvait, s’il osait, il demanderait à être aidé, qu’on lui offre l’espace d’une nuit l’opportunité d’expérimenter cet art qui lui est étranger. Malheureusement, la timidité le prend au ventre et l’empêche de bouger. Pourtant, ce soir, il tentera. Son regard coule sur les artistes, s’attarde sur une jeune femme. Dans son poing, un mot. Qui lui est destiné, tendrement tracé à l’encre noire. Ça commence à s’agiter autour de lui. Les spectateurs en ont assez vu, heureux du moment qu’ils viennent de partager. Certains sont seuls, d’autres accompagnés. Xingchen aux habitudes ancrées, la foule s’étire et disparaît. Quelques pas, il retrouve la dame. Leurs regards se croisent peut-être, il offre un sourire. Le mot, une petite phrase, éventuellement deux si l’on est généreux, lui est offert. Il salue et sort. Comment réagira-t-elle ?
« Je vous invite à partager un repas avec moi. Votre prestation était, comme toujours, à couper le souffle. »
Les caractères suivants, élégamment tracés, un nom, le sien, dans cette écriture qui lui est propre, maternelle, naturelle. Xiao Xingchen, mais sûrement ne comprendra-t-elle pas. Ce n’est pas grave ; peut-être pourra-t-il lui-même se présenter. Des rires se font entendre, il suit de ses yeux tristes les retardataires. Ont-ils prévu un after ? Xingchen a ses rêves, ils incluent cette femme qui attire ses pensées. Pourquoi elle, pas une autre ? L’Asiatique l’ignore. Il parle peu, n’y réfléchit pas. Elle ne viendra pas. Des messages stupides, elle doit en recevoir si souvent qu’elle ne les lit même plus. Lèvre mordillée, il attend pourtant.
@Nagini Jedusor
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