((FB)) Signer son arrêt de mort ((Love x Ennis))

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feat @Love Quinn

Début 2021.

L’histoire entre Ennis et Love n’avait rien d’un conte de fées. Ce n’était pas ce qu’Ennis attendait d’une relation de toute manière — il était du genre à chérir les choses simples, d’une banalité affligeante et qui ne sort pas des chemins préétablis. Ennis Del Mar était un homme très routinier et se satisfaisait de cette situation. S’il avait été toujours ainsi, son histoire destructrice et passionnée avec Jack Twist l’avait doublement convaincu que la routine et sa normalité étaient la meilleure des choses. La rencontre avec Love était comme le reste : banale. Il l’avait croisé à l’Anavrin et connaissant le type, c’était elle qui avait fait les trois quarts de la conversation tandis que lui ne répondait jamais avec des mots de plus de quatre lettres. Ça limitait le champ des possibles conversationnels, mais Love avait l’air de s’en satisfaire puisque les rendez-vous avec Ennis s’étaient succédé pour devenir une relation au bout d’un mois minuscule. Il ne savait pas pour Love, mais lui, il ne prenait pas cette histoire bien au sérieux — chaque fois qu’il voyait Love, ça n’allait pas plus loin que deux, trois politesses échangées avant de terminer dans son lit à elle, le sien ou ailleurs.

Au fil des mois, Ennis s’était enfin décidé à avoir de réelles conversations avec elle (toujours avec parcimonie, le type ne se lançait pas non plus dans des monologues interminables, faut pas rêver), à faire des sorties en sa compagnie et autre chose que de coucher avec elle. Même s’il trouvait la présence de Love à ses côtés agréables, ce n’était pas une raison pour qu’il la considère encore comme sa petite amie. Il vivait les choses comme elles venaient, sans se prendre la tête puisqu’il se l’était trop prise pour ce genre de truck dans son monde — Alma, Jack puis cette serveuse dont il avait totalement oublié le nom avec le temps tant elle avait été insignifiante dans le flot de son existence… ça va bien. Il considérait Love comme le piment dont sa vie avait besoin par moment. Rien de plus. Puis, pourquoi rejeter sa compagnie alors qu’il n’avait franchement rien de particulier à lui reprocher ? Loin de se douter du double visage de la jeune femme, elle maintenait l’illusion de la perfection auprès d’Ennis selon les critères (bien arriérés) de son époque à lui — il n’avait pas à se plaindre de sa cuisine, elle se chargeait de tous les trucs qu’il ne voulait pas faire, elle ne le faisait pas chier pour des trucs à la con et surtout, c’était un bon coup. Il y avait juste des fois où il lui faisait sentir qu’elle parlait trop en lui jetant un regard semi-blasé qu’il eût naturellement, comme s’il était né ainsi, tout en poussant un soupir irrité qui en disant long. Enfin bref, il était bien avec elle — six mois que cela durait. Avec elle, il avait l’impression de retrouver la simplicité des débuts avec Alma ; des débuts dont il gardait un excellent souvenir malgré la fin de leur histoire précipitée par une tempête aussi dévastatrice que délicieuse.

Et cette tempête… Elle n’avait jamais réellement quitté Ennis. Bien souvent, ce n’était pas Love qu’il voyait à ses côtés, mais Jack. Dès qu’il l’avait dans les bras, il imaginait son amant à sa place, tentant de se rappeler l’odeur de son parfum pour rendre l’illusion encore plus réelle. Bien souvent, les sourires, gestes de tendresse ou mot affectueux (aussi rares soient-ils) qu’il disait à Love ne lui étaient pas adressés, mais était encore et toujours réservé à la même personne : Jack. Ennis savait parfaitement ce qu’il recherchait en se mettant avec Love — il voulait se rassurer au sujet de son hétérosexualité et sa masculinité, prouver qu’il n’était pas « pédé » selon ses propres dires et avoir de nouveau une vie normale selon ses critères et ceux de son époque qu’il avait transposé dans ce monde bien plus moderne, soit avec une femme bien sous tous rapports. Puis par-dessus tout, dans les bras de Love, il voulait oublier Jack pour toujours, qu’il ne soit plus ce rêve lancinant qui agite ses nuits et les moments plus intimes partagés avec Love. Ça n’avait pas eu l’effet escompté, bien au contraire. Son envie de le retrouver et de vivre avec lui n’en avait été que décuplée. Ennis ne pouvait pas vivre sans Jack. c’était un fait, une vérité ancrée dans le marbre et toutes les Love du monde ne parviendront pas à changer ce commandement presque religieux. Ennis n’aimait pas Love et ne l’aimerait jamais, car Jack possédait encore la totalité de son cœur et de son âme jusqu’à la fin des temps et bien plus encore. Dès qu’il avait fait cet amer constat, son histoire avec Love commençait à s’effriter bien qu’il tentait de maintenir le plus longtemps possible l’illusion de bonheur et d’affection entre elle et lui jusqu’au jour fatidique.

Ce jour-là, la soirée s’était passée le plus normalement du monde, à quelques détails prêts. Ennis était peu loquace (rien de nouveau sous le soleil), mais surtout distant. On sentait qu’il avait quelque chose sur le cœur et qu’il ignorait comment formuler ses pensées — les mots, ça n’avait jamais été son truc, d’autant plus que… Le peu qu’il disait… C’était sans les formes. Il était incisif, sec. Il voulait quitter Love sans la blesser. (Comme si c’était possible, ça, tien.) C’était une fille bien et elle ne méritait pas tout ça. C’est juste que… malheureusement pour elle, le cœur d’Ennis était déjà pris et il ne pouvait plus se mentir à lui-même. Il se jetait à l’eau quand, alors qu’ils étaient devant la télé, Love venait s’asseoir sur lui à califourchon. Il savait où ça allait mener et vu ce qu’il avait à lui dire… Vaut mieux pas. « Mh… Pas ce soir. J’ai pas la tête à ça. » Bougon, Ennis la poussait sur le côté, un peu brusquement, sans un regard pour elle — il n’était pas connu pour sa douceur de toute façon. Il soupirait. Trop lâche pour la confronter, il reportait son attention sur la télé, sa joue écrasée contre sa main, avant d’annoncer avec une certaine nonchalance. « Faut qu’on arrête tout ça, là. Ça m’emmerde. » Il la regardait brièvement du coin de l’œil. Ça sortait de nulle part. Mais c’était Ennis — il mettait toujours les pieds dans le plat, même quand la situation ne s’y prêtait pas. Il était très loin de se douter de ce qu’il avait déclenché, parce que Love était loin d’être la boule de douceur qu’il imaginait.

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Dans son malheur, si on peut dire, Love avait de la chance. Le côté taiseux d’Ennis lui évitait d’être classé dans la catégorie des baratineurs qui, face à cette situation, auraient sorti les violons et tout le concerto qui allait avec pour chanter cette sempiternelle sérénade du « mais c’est pas toi, c’est moi le problème. » Au moins, dans ce genre de situation qui avait le don de profondément emmerder Ennis, il allait droit au but — une façon d’économiser des mots. Rien que le comportement de Love, déjà, lui faisait monter la moutarde au nez. Il soupirait d’agacement et passait sa main contre son front. Il n’avait vraiment pas envie de la voir jouer le rôle de la femme blessée bien qu’elle en eût légitimement le droit vis-à-vis de la bombe qu’il lui avait balancé. Ennis voulait régler cela au plus vite simplement parce qu’il ne savait pas gérer ce genre de problème.

Après un bref silence, l’homme bougon la regardait enfin. Sa manière de parler était abrupte, sèche: il n’allait pas mâcher ses mots. « Écoute Love, dans un autre contexte, toi et moi ça aurait sûrement marché parce que, franchement, j’ai rien à t’reprocher. T’es cool, marrante et super bonne, mais ça va pas l’faire. » Il marquait une pause. Il se grattait la tête pour réfléchir brièvement à la suite de son discours. Énième soupir las. Ça n’allait vraiment pas lui plaire, mais autant être honnête avec elle. Cette conversation était là pour ça. « J’peux pas te mentir. Et à moi non plus. Je l’ai trop fait. » Son regard glissait sur le côté, esquissant une moue mal à l’aise. Il marmonnait un peu. « J’ai quelqu’un d’autre dans la tête et… j’arrête pas d’y penser. Surtout depuis que j’ai vu cette personne en ville. C’est une histoire qui date de quand j’étais chez moi et tu peux rien y faire. Mon ex-femme non plus a rien pu y faire. C’est comme ça. » Bref silence. Soupir. Ennis levait les yeux au ciel avant de regarder Love à nouveau. « J’pensais que j’arriverais à oublier cette histoire avec toi et dans les premiers temps ça a foutrement bien marché… Mais plus maintenant. » Il haussait les épaules avec nonchalance. Ennis ne semblait pas touché par sa colère latente de Love. Il s’en moquait à vrai dire. Il aurait pu, par sympathie pour elle, terminer sur un mot gentil comme « je fais ça pour toi parce que tu mérites quelqu’un de mieux. » mais Ennis ne préférait pas s’avancer sur un autre mensonge.  Au fond, il ne la connaissait pas bien et n’avait pas cherché à la connaître plus que cela. Il ignorait donc totalement si elle méritait quelqu’un de bien ou non. Puis… Les gentillesses et les démonstrations affectives n’étaient pas un truc avec lequel il était à l’aise de toute façon. Il réservait ce côté-là de sa personnalité à ses filles et à Jack et pour le reste… et bien… les gens devaient s’en accommoder. Il était partisan du moindre effort pour le coup.

« J’suis désolé Love, genre, vraiment. » C’était la seule chose qu’il trouvait à dire lorsqu’il se levait du canapé, mal à l’aise. On pouvait douter de sa sincérité à cause de cet éternel stoïcisme ancré sur son visage et de la monotonie de sa voix. Pourtant, Ennis était vraiment sincère. Il espérait que Love en reste là et se contente de lui déverser son fiel. Si elle avait le malheur de lui poser plus de questions par curiosité ou pour découvrir le loup qui se cachait derrière cette histoire, il était tout bonnement dans la merde. Il ne souhaitait pas lui révéler qu’il la plantait pour un homme et encore moins qu’il aimait dans le secret depuis plus de vingt ans et qu’il avait toujours un effet incroyable sur lui. Le choc serait doublement rude à encaisser et Ennis préférait ne pas parler de Jack à qui que ce soit. Encore moins à Love: il était déjà assez dans la merde comme ça rien qu’à voir les flammes qui dansait dans son regard.

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Ça y est. C’est bon. Love lui tapait définitivement sur le système. Pour commencer, Ennis n’était plus aussi calme. En deux secondes, Love avait réussi à lui faire monter la moutarde au nez et si Ennis était connu pour son côté lacunaire, Jack et Alma pouvaient aussi témoigner de l’extrémité de ses colères. Quand il explosait, il ne valait mieux pas se retrouver dans les parages au risque de s’en manger une comme Jack en avait malheureusement fait les frais. Alma aussi avait été à deux doigts de recevoir son poing lorsqu’elle l’avait acculé au sujet de cette fois où elle les avait vus, Jack et lui, en pleine empoignade passionnée au pied de leurs escaliers. Love avait cependant raison sur un point : Ennis n’en avait que faire des ressentis des autres, ou du moins, il ne savait pas comment les gérer en plus des siens qui parfois étaient… un chaos sans nom. Pour l’instant, comme il ne souhaitait pas en arriver à de telles extrémités, il se contentait de planter son regard noir de colère sur l’ahurie qui s’agitait devant lui, rongeant son frein. « Me fais pas chier Love. J’suis désolé, j’vais pas te lécher l’cul non plus. 'Pas mon truc. » Comme lorsqu’il était timide, son énervement lui fit mâcher le trois quarts de ses mots. Il aurait pu faire comme tous les autres, lui dérouler ce discours pathétique comme quoi ce n’était pas elle, mais lui le souci et bla-bla-bla, mais Ennis n’était décidément pas fait pour ce genre de connerie.

D’ailleurs, il n’était tellement pas décidé à se disputer avec elle (il était fatigué d’avance) qu’il s’était levé du canapé, avait pris soin de jeter sa bière pas finie dans la poubelle et d’enfiler son manteau. Il s’apprêtait même à prendre la porte quand Love l’arrêtait sans le vouloir avec ses questions qu’il cataloguait comme irritantes. « Comment elle s’appelle ? Je veux savoir son nom. » C’était simple. Direct. Et ne requérait pas nécessairement une dissertation en guise de réponse. Pourtant, cette simplicité créait une forme de complicité en Ennis. Je veux savoir son nom. Combien de fois avait-il rêvé de crier au monde qu’il était amoureux de Jack ? Ça lui brulait même les lèvres, là, à l’instant, d’assener cette douloureuse vérité à la figue de Love. En toute honnêteté, avec le recul, continuer de fréquenter des femmes l’avait profondément agacé et enfoncé dans cette lassitude dont il ne parvenait pas à se débarrasser. Il avait fait ce que la société en son temps attendait de lui — se mettre en couple, se marier, avoir des enfants, et recommencer le processus chaque fois qu’il y avait une séparation. Mais Ennis n’avait jamais eu envie de séduire qui que ce soit d’autre que Jack, n’avait jamais eu envie de partager des instants de vie avec qui que ce soit d’autre que Jack, n’avait jamais eu envie d’aimer quelqu’un d’autre que Jack tout court. Il s’était forcé avec Alma, la serveuse, Love et d’autres pour fuir cette vérité qu’il ne pouvait accepter. Le constat était sans appel à chaque fois : il menait une course vaine en cherchant ce qu’il considérait être la normalité, mais surtout et par-dessus tout, c’était Jack qu’il cherchait en chacune d’entre elles et qu’il ne trouvait malheureusement jamais. Parce que personne ne pouvait le remplacer dans son cœur, son esprit, son âme, ses souvenirs, sa vie et son univers entier qu’il avait bâti autour de lui-même si Ennis n’en avait jamais dit mot. Une attitude qui lui fit plus de bien que de mal puisqu’il contribuait à sa propre déprime et mal-être. Ça lui avait pris un temps phénoménal à en avoir conscience, mais il n’était jamais trop tard pour ouvrir les yeux comme on dit, en dépit de tous les remords et regrets que cela entraînait.

Il se tournait alors vers Love. Son attitude était étrange parce qu’il avait l’air sur les dents et prêt à lui sauter à la gorge à tout moment — ce n’était pas pour lui qu’il s’inquiétait, mais plus sur ce qu’elle pourrait dire ou penser de cette fameuse prétendante qui n’était nul autre que Jack. Ennis était un ours rustre complètement hermétique aux attaques à son encontre, mais si quelqu’un avait par malheur l’idée de s’en prendre d’une quelconque manière que ce soit à l’homme qu’il aimait, là… Ça avait déjà était très dur de ne pas péter la gueule de son père ou de débarquer chez Lureen pour lui faire la peau quand il… avait décidé de voyager ailleurs sans lui. Pas sûr qu’il arrive à contenir son animosité. Motivé par une colère sourde, Ennis crachait alors à l’adresse de Love : « Pourquoi tu veux savoir son nom, mh ? Pour faire des recherches ? La trouver ? Savoir si tu peux rivaliser avec elle ? » Ça ne lui ressemblait pas, mais il étouffait un rire arrogant en toisant Love avec un air hautain. « J’vais te l’dire : t’étais juste là pour combler un vide, mais tu lui arrives tellement pas à la ch’ville que t’as absolument rien comblé du tout, t’as même empiré l’truc. Pouponne-toi comme une pétasse autant qu’tu veux, ça m’fait rien. Tu s’ras jamais rien pour moi, Love. » Ennis ne savait pas pourquoi il avait ressenti ce besoin d’être aussi exécrable, voire carrément mauvais avec elle. Sûrement parce que ça le rendait malade qu’elle puisse possiblement se comparer à Jack qui représentait tout pour lui alors qu’elle n’était rien et s’imaginer un seul instant qu’elle était meilleure que lui sur certains points. Se perdant tout seul dans son monde fantasmé, il avait même la sensation qu’elle insultait Jack, leur vécu et tout ce qu’il représentait pour Ennis en effleurant cette vague idée de rivalité qui n’existait probablement que dans la tête du blondinet. « T’es tellement loin du compte, pauvre conne. » Il était en colère. Parce qu’il allait définitivement devoir parler de Jack et il ne voulait surtout pas entendre Love le salir d’une quelconque manière ni même entendre son prénom sortir de sa bouche. Surprotecteur à souhait avec lui, il estimait qu’il n’était pas nécessaire d’expliquer à Love son histoire d’amour avec Jack parce qu’il était persuadé qu’elle ne comprendrait pas. Comment le pouvait-elle de toute manière alors que ça l’avait lui-même complètement dépassé à l’époque et encore aujourd’hui ? Ainsi, il préférait aller vers la simplicité et agir comme il l’avait toujours fait : comme un connard.