Elle est libre. Elle-même peine encore à y croire tant cela lui paraît impossible, et pourtant… Pour la première fois de sa nouvelle vie, faute de se souvenir de l’ancienne, Margot peut le ressentir dans toutes les fibres de son être, avec une douce et puissante certitude : elle peut enfin faire ce qu’elle veut, comme elle l’entend. Ses entraves désormais dissoutes, Margot se découvre une existence faite de perspectives, de vraies perspectives, qui ne se limitent pas seulement aux exigences folles et anxiogènes de Mason. Son frère est mort. Il ne viendra plus hanter de son existence sa vie ou celles d’Alana et de leur fils, plus de menaces, de cris, de larmes, de chairs martyrisées sans qu’elle ait la force de se débattre. Le poids dont elle se sent délestée est sans comparaison possible avec aucun autre, c’en est presque… déstabilisant tant c’est enivrant. Quand on a vécu pieds et poings liés presque toute son existence, comment savoir quoi faire une fois ses liens brisés ? Mais des rêves, heureusement, Margot en a. Elle a heureusement pu compter sur les bonnes personnes pour en avoir Les plus évidents, bien sûr, sont de pouvoir enfin construire une véritable vie de famille avec sa femme et son fils (même si d’autres menaces risquent fort de venir perturber l’équilibre de leur famille). Mais elle sait d’avance que ce n’est pas assez. Si elle veut pouvoir se rendre aussi disponible que possible pour Morgan (hors de question que ce dernier se retrouve de nouveau captif des mauvaises mains), elle veut aussi faire les choses pour elle-même.
Margot n’a jamais travaillé. C’était une idée au plein contrôle que son frère voulait exercer sur elle, cela aurait été lui octroyer une marge de liberté trop grande, sans même parler, bien sûr, de l’autonomie financière qu’elle aurait pu acquérir. Elle n’a jamais travaillé, oui, si bien que pour tout dire, elle n’est pas certaine de savoir comment faire. Mais elle veut travailler, elle veut faire quelque chose, avoir ce sentiment d’utilité qu’elle ne possède pas encore. La fortune plus que conséquente héritée de Mason (et qui n’aurait jamais dû lui revenir entièrement dans tous les cas) est dorénavant sienne, elle n’aurait techniquement pas besoin de s’échiner à la tâche, mais elle le veut… De même qu’elle souhaite faire de cet argent quelque chose qui lui importe. Récemment, elle a songé à cette conversation qu’elle avait eue il y a quelques mois de cela, avec Ennis Del Mar, le propriétaire d’un ranch où elle appréciait venir régulièrement, ayant toujours favorisé la compagnie des chevaux à celle des humains par la force des choses (à quelques notables exceptions près). Le ranch était un endroit qu’elle adorait, mais elle a cru comprendre qu’il pouvait aussi être un véritable gouffre financier pour lui. Le souvenir de cette discussion l’a rapidement décidée. Et c’est armée de son chéquier qu’elle s’est rendue sur place.
S’ils ont eu plusieurs occasions de parler (même si on ne peut pas dire que Del Mar soit un bavard – d’un autre côté, Margot n’a jamais aimé les pipelettes non plus), elle ne peut pas prétendre le connaître suffisamment pour présumer de ce qu’il pourrait être capable ou non de lui répondre. Elle verra bien. Dans le doute, elle a préparé ses arguments. Portée par un rêve comme elle ne se pensait pas capable d’en caresser, quelque chose qui ressemble à de l’ambition certes folle mais en même temps contrôlée, elle se sent prête à tout. Sa voiture garée à proximité du ranch, c’est d’un pas volontaire qu’elle va retrouver Ennis, et dès que son regard a croisé le sien, elle n’attend pas beaucoup plus longtemps pour prendre la parole.
« Bonjour Ennis, je sais que je ne t’ai pas prévenu de ma venue, j’espère que je ne te dérange pas ? » Elle n’attend pas vraiment de réponse de sa part. « J’ai une proposition à te faire, et elle ne peut pas attendre. » Elle reprend, toujours du même ton déterminé. « De combien est-ce que tu aurais besoin pour renflouer les caisses ? »
Ennis Del Mar était dans une merde noire. Un constat implacable que lui imposaient ses comptes qu’il refaisait pour la quatrième fois de la matinée tant il n’y croyait pas. Désabusé, il jetait son stylo contre son carnet de comptes et s’affalait dans sa chaise. Il poussait un soupir d’agacement avant de s’étirer de tout son long en passant ses mains sur son visage jusque dans ses cheveux non sans inquiétude. Il se grattait la tête dans un ultime geste nerveux et quand il s’asseyait plus correctement, il regardait par la fenêtre pour tenter de trouver une solution à ce problème épineux. Il y en avait tout bonnement pas. Il pourrait revendre le ranch et se trouver un travail dans une tout autre branche, mais il n’en avait aucune envie. Il aimait sa ferme, ses bêtes, ce qu’il avait construit ici à la fois parce qu’il était fier de ce qu’il avait accompli, lui qui avait toujours travaillé pour les autres et qu’on pensait trop bête pour mener sa barque, mais aussi parce que ce ranch se rapprochait indubitablement du rêve de Jack. Dans le plus grand secret, Ennis avait toujours espéré que ce songe devienne réalité pour enfin vivre comme il l’entendait. Alors, il ne pouvait tout bonnement pas y renoncer aussi facilement. Il trouvera une solution. Il s’en sortira. Comme toujours. Mais entre son cheval blessé à la hanche il y a deux semaines, un autre malade la semaine dernière et la jument qu’il avait dû abattre à cause d’un accouchement difficile, il faut dire qu’il avait bien du mal à trouver de l’espoir dans tout ce marasme.
Toutefois, tout ceci paraissait bien secondaire lorsqu’Ennis repensait au poulain né ce matin : en l’absence de sa mère dont le cow-boy avait abrégé les souffrances, il devait s’en occuper pour qu’il survive. Le bébé ne se levait pas, ne bougeait pas des masses et cela n’était pas bon signe du tout. Ennis avait commencé par lui donné quatre biberon d’affilés que le poulain affamé s’était empressé de vider. Ensuite, au milieu de son pré, l’homme s’était tué à la tâche en essayant de le lever et de le pousser pour qu’il fasse quelques pas, l’encouragent à coup de « Allez vas-y ! Tu vas y arriver ! » Mais toutes ses tentatives s’étaient révélées infructueuses : soit le bébé retombait immédiatement après avoir été remis sur ses quatre pattes, soit il arrivait à faire quelques pas, mais retombait aussitôt. À bout de force comme le poulain pesait un certain poids, Ennis poussait un soupir tout en retirant son chapeau avant d’éponger du revers du poignet son front perlé de sueur. Sa chemise était aussi complètement tachée de sang et de placenta — la mère n’avait pas eu le temps de nettoyer son petit. L’animal regardait d’ailleurs son propriétaire d’un air fatigué et désolé. Ennis le prit immédiatement en pitié. Il lui rappelait étrangement sa fille, Junior, qui avait aussi eu du mal à marcher et qui, lasses de ne pas y arriver et apeurée à l’idée de tomber encore et encore, était venue se réfugier dans les jambes de son père en rampant comme un vers de terre. Ennis se souvient de ce qu’il lui avait dit en la prenant dans ses bras : « Tu vas y arriver, ma puce, t’en fais pas. » Une phrase qu’il répétait au poulain en changeant « ma puce » pour « mon grand » tandis qu’il s’asseyait à ses côtés dans l’herbe et qu’il lui grattait avec tendresse le creux du cou.
Si Ennis comptait profiter de ce bref moment de tranquillité en s’allumant une cigarette, son programme fut interrompu par l’arrivée d’une voiture qu’il reconnaissait au premier coup d’œil. C’était Margot. Un moment qu’il ne l’avait pas vue d’ailleurs, mais c’était totalement de sa faute. Il était en effet très mauvais pour entretenir ses amitiés. Sans l’avoir particulièrement dit ou montré, il appréciait la compagnie de Margot qui aimait au moins les chevaux autant que lui. Certes, comme bien des gens avec Ennis, elle faisait l’essentiel de la conversation, mais il appréciait malgré tout leurs échanges. Il devait le reconnaître : il était content de la voir et appréciait d’autant plus cette visite surprise. Alors qu’elle s’approchait de lui, il fit la moitié du chemin de son côté pour la rejoindre, s’arrêtant au niveau de la clôture en bois de son pré. Il l’accueillait avec un sourire étonnamment chaleureux et secouait la tête pour répondre à sa question. « Non pas du tout. J’suis même content de t’voir. Désolé de pas avoir appelé, j’aime pas trop ces machins. » Suivant la conversation, l’homme perdit son sourire, chassé par l’étonnement qui le saisissait. Margot avait une proposition à lui faire ? Sa curiosité fut bien vite dissipée comme elle ne tourna pas autour du pot. Une franchise qui lui fit doucement froncer les sourcils de colère.
Elle lui proposait de l’argent pour le ranch. Beaucoup auraient sauté sur l’occasion, mais pas Ennis. Il était si fier qu’il prit presque la générosité de Margot comme une insulte à son égo. Que croyait-elle ? Qu’il avait mendié auprès d’elle, l’air de rien, quand il avait eu une fois le malheur de lui parler de ses difficultés au ranch ? Fruit d’une époque bien rétrograde dans un petit coin perdu des États-Unis, Ennis se sentait même courroucé dans sa virilité : dépendre d’une femme de cette façon ? Plutôt crever. C’était complètement ridicule, arriéré, voire sexiste, si on poussait un peu, mais on ne pouvait pas demander à un homme qui avait vécu de cette façon pendant quarante ans de changer en un claquement de doigts. De plus, ce n’était pas la seule chose qui le mettait profondément en colère. En effet, cette conversation lui rappelait désagréablement une autre qu’il avait eu avec Jack bien des décennies plus tôt. Ennis avait toujours eu des soucis d’argent, même quand il était en ménage avec Alma. Il l’avait extrêmement mal pris quand Jack, richissime grâce à la famille de sa femme, lui proposa de l’argent au point que « Tu m’as pris pour ta pute ou quoi ? » avait failli lui échapper ce jour-là. Fort heureusement, Ennis s’était muré dans son silence habituel et avait pris la fuite face à Jack après l’avoir envoyé chier. Un comportement qu’il réitérait avec Margot, de façon plus polie du moins. Il savait quand même se tenir, il était moins impétueux qu’à ses vingt ans. « T’es gentille, mais j’ai pas b’soin d’argent, Margot. » Il avait l’œil mauvais en plus de son ton de voix qui était très loin d’être agréable. Il était même froid, sec et préférait écourter cette conversation qui n’avait pas lieu d’être (celui lui) en retournant auprès du poulain. « J’sais très bien me débrouiller tout seul, merci. » rajoutait-il en haussant le ton à mesure qu’il s’éloignait de la source de son agacement pour qu’elle l’entende. Qu’est-ce qu’elle croyait et pour qui se prenait-elle surtout ? Trop fier, Ennis était incapable de voir l’élan de générosité totalement désintéressé de Margot.
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Lun 21 Nov - 20:49
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feat. Ennis
Dans un premier temps, Margot se sent un peu rassurée par l’accueil que lui réserve son ami. Quand il affirme être content de la voir, elle sait qu’elle peut le croire sur parole : Ennis Del Mar n’est pas homme à prétendre inutilement tenir à autrui si cela l’oblige à des interactions sociales en supplément de celles que, par la force des choses, il s’inflige d’ores et déjà. S’il lui affirme être content de la voir, c’est que c’est vrai, et c’est réciproque. Margot gratifie Ennis d’un sourire qui pourrait se traduire par « Ce n’est rien » quand il s’excuse de ne pas avoir appelé récemment. Elle ne lui en veut pas. Elle est la dernière à pouvoir blâmer quiconque de ne pas entretenir des relations sociales équilibrées et pérennes. Ces dernières avaient été interdites si longtemps à Margot, pour sa part, qu’elle n’est pas tout à fait sûre de savoir comment les entretenir dans tous les cas. Son frère, de son vivant, pistait tous ses faits et gestes, et il était rare que même un simple échange de SMS échappe à sa vigilance… C’était d’ailleurs l’un de ces échanges qui avait failli la perdre, avant que la tendance ne se renverse finalement. Par ailleurs, elle-même a été très occupée ces derniers temps, au point même d’en perdre la notion du temps. Elle n’a pas plus appelé qu’il ne l’a fait, ils sont donc tous les deux fautifs.
Elle élude très vite le sujet en prenant la décision de lui parler directement de cette proposition qu’elle veut lui faire et qui, elle le constate bien vite, n’est pas du goût de son interlocuteur dont le visage se ferme presque immédiatement. Elle aurait dû s’en douter, peut-être faire preuve de plus de subtilité, mais elle n’avait pas eu envie de tourner autour du pot. Elle n’avait pas eu envie de jouer avec les attentes d’Ennis ou encore de nier les raisons de sa présence : elle aurait trouvé cela particulièrement injuste autant qu’injustifié, par de très nombreux aspects. Alors oui, elle avait peut-être débarqué avec de trop gros sabots de bon samaritain, et dans le fond, elle peut comprendre que cela déplaise à son ami… Elle aurait dû s’y attendre. Si Margot apprécie beaucoup Ennis, elle a également très vite compris que ce dernier était doté d’une fierté disproportionnée, qui l’empêchait de réclamer de l’aide quand il pourrait pourtant en avoir besoin.
« Bien sûr, je n’en ai jamais douté », répond-t-elle, prenant le soin d’abonder dans son sens (abonder dans le sens de la gent masculine pour obtenir gain de cause, c’est devenu un art dans lequel elle excelle). « A vrai dire c’était plutôt à moi que j’espérais que tu acceptes de rendre service », explique-t-elle d’un ton prudent.
Elle a conscience de s’engager sur un terrain relativement houleux, mais maintenant qu’elle s’y trouve, et quitte à s’y embourber, elle n’a certainement pas l’intention de changer son fusil d’épaule. De même qu’elle espère ne pas repartir bredouille.
« Je voudrais te proposer de travailler avec moi. Une sorte de partenariat, disons. » Elle marque une pause. « Pour la première fois de ma vie, j’ai l’opportunité d’investir et de m’investir dans quelque chose qui me tient vraiment à cœur. Bien sûr, je pourrais faire l’acquisition d’un autre ranch, de mon côté, mais outre le fait que je bénéficierais terriblement de ton expérience, je pense vraiment qu’on pourrait faire une belle équite, tous les deux. Je pourrais te racheter une part du ranch – minoritaire si cela te rassure. Et on s’épaulerait ? »
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