Pour une juste cause

feat. Eloise

S’il est une chose que Nala a rapidement constaté au moment de s’approprier une apparence humaine qui n’avait jamais été sienne, et de s’adapter à des codes sociaux si différent des siens, c’étaient que les humains avaient, par bien des aspects, l’art de se compliquer diablement la vie. Mais ce n’est pas la seule chose qui lui a sauté aux yeux, loin de là. La jeune lionne qui n’en est dorénavant plus une a considéré avec une certaine circonspection les divergences qui pouvaient exister au sein d’une même espèce.

Elle avait vécu et grandi dans un monde qui n’était pas exempt de hiérarchie, ni de distinctions : on ne mélangeait pas les hyènes et les lions, par exemple (et au vu du résultat quand on s’y essayait, Nala avait tendance à penser que la Nature donnait raison à cette règle basique), mais ici, il n’est pas question de distinguer les humains des lions, les lions des hyènes… Les humains s’y entendaient parfaitement pour se faire la guerre, sans besoin d’intervention extérieure, à l’évidence.

Quand le premier combat que Nala s’était senti la nécessité de mener était allé très directement à la protection des animaux (quelle distinction absurde selon elle – les humains étaient des animaux comme les autres à ses yeux, et elle ne reste pas bien convaincue du fait qu’ils soient véritablement aussi civilisés que ce qu’ils peuvent bien prétendre, en réalité), elle n’avait pas été au bout de ses peines. La première fois qu’elle avait visité un zoo, elle en avait eu l’estomac retourné : ces pauvres créatures en cage avec si peu d’espace pour se mouvoir, et livrés à la distraction d’une race qui se croyait absurdement supérieure. Certes, sur cette île, difficile de savoir où il serait de bon ton de libérer ces créatures, mais quoi qu’il en soit, c’est une chose qu’elle a très mal vécu… Elle a cependant aussi compris qu’en plus de se battre au nom de ceux qui furent les siens autrefois, elle devait aussi se battre au nom de ceux qui sont les siens aujourd’hui.

Le sexisme, le racisme, l’homophobie, la transphobie… tous ces concepts, elle les avait découverts au moment de se retrouver sur cette île, et elle en a été en partie heurtée pour en avoir été l’incompréhensive victime (il n’était pas intuitif pour elle de songer que la couleur de peau qui était dorénavant la sienne puisse poser problème, pas plus que son sexe, pour certains). Parce qu’elle ne sait voir une injustice sans espérer la combattre, Nala s’est rapidement rapprochée d’organismes destinés à combattre ces injustices. À se rapprocher des milieux que les humains qualifient semble-t-il de militants, elle a fini par croiser régulièrement les mêmes têtes.

Parmi elles, Eloise Bridgerton, qu’elle retrouvait régulièrement à toutes les manifestations où elle se rendait elle-même. Cette jeune femme à l’aplomb et à l’énergie remarquables n’ont pas tardé à la toucher, et c’est tout naturellement qu’elle est devenue son amie. Ce jour-là, donc, tandis qu’elle s’apprête à participer à une marche chapoté par un mouvement féministe autour duquel elle gravite, elle n’est pas vraiment surprise de retrouver la jeune femme parmi la masse des manifestants.

« Eloise ! Je m’attendais à te voir ici. Comment vas-tu ? »

Pour une juste cause

feat. Nala Rock

Eloise se souvenait qu'à son arrivée ici, il y a trois ans, elle avait été complètement dépaysée. Des termes comme homophobie, transphobie (elle n'avait d'ailleurs jamais entendu parlé de personne trangenre avant).  Tous ces concepts, qui, maintenant, faisaient du sens. Ici, les femmes avaient quasiment les même droits que les hommes (enfin, il y avait encore du chemin à faire, mais c'était tout de même mieux pour la féministe fondamentale qu'était Eloise Bridgerton qu'au IXIème siècle !) Ici, elle pouvait enfin être celle qu'elle souhaitait, avoir de grandes ambitions sans être muselée par la haute société londonienne. Si seulement Pénélope était là avec elle pour voir tout le chemin qui a été accomplie... elle pouvait assumer son attirance envers les filles sans avoir peur de faire la une des Chroniques de Lady Whistledown. Autant dire que la brunette ne s'était jamais autant sentie à sa place.

Ce jour là, la cinquième des Bridgerton participait à une manifestation féministe qui avait pour objet: l'égalité salariale entre les hommes et les femmes dans les fonctions publiques. C'était une cause que la jeune adulte tenait tout particulièrement à coeur. En effet, elle visait la politique comme champ de travail. Dès l'année prochaine, elle changerait de cursus pour aller en sciences politiques. Eloise avait pour ambition de révolutionner le monde. Rien de moins.

C'est alors que son amie Nala arriva à ses côtés. Elles se voyaient souvent lors de diverses manifestations et mouvements de militantisme. Aussi engagée l'une que l'autre pour faire changer les choses, elles n'avaient pas eu d'autres choix que de finir par devenir amies. Venant toutes deux de réalités bien différentes de celles-ci, elles se comprenaient sur ce point également.

- Nala, quel plaisir de te voir ! Écoute, ça va aussi bien que l'on peut aller quand on manifeste pour l'égalité salariale et toi ? Comment va ton association pour les animaux ?

Pour une juste cause

feat. Eloise

Nala ne peut prétendre connaître suffisamment Eloïse pour présumer de sa sincérité quand elle dit aller bien, mais elle passe aux yeux de l’ancienne lionne pour une jeune femme constamment forte et positive, et que rien n’est susceptible d’atteindre. Elle a beau avoir conscience des injustices de ce monde, elle ne se lamente pas mais agit pour faire bouger les choses, et c’est une mentalité dans laquelle la jeune femme se reconnaît et qu’elle apprécie. Tout ça, toutes ces activités bien précises qui ont pour vocation de faire bouger les lignes, Nala s’y engage pour être heureuse, justement, pour donner un sens à sa vie, et elle pense qu’Eloïse fonctionne de la même manière. Nala ne sait pas tout ce qu’elle a perdu ou non à son arrivée ici, mais elle croit dans la sincérité de son sourire et dans sa volonté de fer, et elle les trouve particulièrement enthousiasmantes, en ce qui la concerne.

« La même chose que toi, je suis en pleine forme et prête à en découdre. »

Quand Nala disait aller bien, ce n’était jamais totalement vrai, car elle ne serait jamais complètement heureuse tant qu’elle n’aurait pas retrouvé son mari et sa fille. Et oui, même après trois ans, elle croyait encore que c’était possible. Des gens se retrouvaient tous les jours, alors pourquoi pas elle ? Oui, elle aussi finirait par retrouver sa famille, mais dans l’attente, elle se focalisait sur autre chose.

« Écoute, elle se porte comme un charme, on va faire un sitting devant le zoo mardi prochain, pour remettre en question les conditions de captivité des animaux sauvages. Si tu veux te joindre à nous, tu es la bienvenue. »

La cause animale touche naturellement profondément Nala… la première fois qu’elle s’est rendue au zoo de la ville, elle a eu le sentiment qu’on lui arrachait le cœur, littéralement. Le spectacle de grands fauves confinés dans des espaces beaucoup trop petits pour eux, ça l’avait ignoblement insupportée. Elle est la mieux placée pour savoir que ces créatures ont un cœur, une âme, un désir nécessaire de liberté…. Elle ne peut que vouloir se joindre à sa cause et faire tout son possible à ce sujet.

Ce faisant, elle s’est retrouvée confrontée à ses propres contradictions (elle, la chasseuse née, se retrouvait proches de fervents détracteurs de la chasse, et elle ne pouvait nier la validité de leurs arguments). Forcément, donc, elle ne manque jamais la moindre occasion d’en discuter, au bout du compte. Et avec Eloïse, elle sait qu’elle peut trouver à qui parler, et c’est toujours un plaisir de discuter de ses centres d’intérêt communs avec elle. Et elles en ont définitivement plus d’un.

Pour une juste cause

feat. Nala Rock

Eloise apprécie beaucoup Nala. Elle croit qu'elles ont pas mal en commun. Elle croit que toutes deux voient des tonnes de problèmes dans le fonctionnement de la société et qu'elles veulent tout faire pour régler ceux ci. Et afin d'y arriver, la brune avait récemment prit une décision. Elle allait changer de cursus à l'université pour aller en sciences politiques. Éventuellement, elle pourrait peut-être devenir députée afin d'aider directement la population. Cela lui semblait idéal, surtout que de là où Eloise venait, les femmes ne pouvaient pas participer à la vie politique. Cela était réservé aux hommes.

- J'aime cet état d'esprit !

Après tout, il fallait bien qu'il y ait des femmes prêtes à se battre pour leurs droits. Comme Eloise et Nala, en l'occurrence. Des femmes prêtes à se déchirer les poumons en criant pour finalement avoir le droit au même salaire que celui d'un homme. C'était fou comment le sexisme était toujours présent, même en 2022. Honnêtement, ça l'horrifiait, même si tellement de chemin avait été accompli depuis 1814.

- Je serai là avec plaisir. Certaines de leur condition de vie sont juste inhumaine... bien qu'il y ait eu beaucoup de chemin accompli depuis mon époque. De là où je viens, les gens différents étaient mis en exposition pour le plaisir des gens "normaux". Mais il y a encore beauoup à faire.

Pour elle, c'était important que les animaux en captivités aient d'excellentes conditions de vie et qu'ils soient heureux. C'était important qu'ils aient des amis, de grands espaces où courir et autant d'eau et de nourriture qu'ils en avaient besoin.

- Des fois je me dis... c'est quand même fou à quel point les choses ont changé depuis mon époque mais aussi à quel point les mêmes problèmes restent présents...

Pour une juste cause

feat. Eloise

Il est facile de s’entendre avec Eloise, c’est du moins ce que ne peut s’empêcher de penser Nala, mais elle est évidemment biaisée par ce qu’elle pense tout naturellement elle-même. Elles ont beaucoup de traits en commun, et c’est cela, au fond, qui les rapproche avant tout autre chose. Les deux ont l’intention de réparer les injustices, de faire entendre leurs voix, de réparer si elles le peuvent ce qui ne va définitivement pas dans cette société. Les humains peuvent se prétendre plus organisés que les animaux, Nala aurait du mal à partager cet avis quand elle les observe au quotidien et alors qu’elle en était devenue une elle-même… L’ancienne lionne sait encore se laisser surprendre par tout ce qu’elle estimerait devoir être acquis, et qui ne l’était pas le moins du monde dans une société qui se targuait d’être évoluée, et qui pourtant, par bien des aspects, faisait affront aux bases de ce que l’humanité devrait être.

Pas étonnant, donc, qu’Eloise aime son état d’esprit puisque les deux partagent très exactement le même. Elles veulent se battre bec et ongles pour ce qu’elles estiment être juste, et rien au monde ne serait susceptible de les arrêter… C’est une promesse qu’elles se sont faites à elles-mêmes, et qu’elle peuvent se permettre d’afficher, de hurler même, à la face du monde, à des occasions comme celle-ci.

Nala affiche un grand sourire quand Eloise affirme qu’elle participera avec plaisir au sitting qui s’organisera le mardi suivant. Nala sait que la cause des animaux n’est pas celle qu’Eloise veut défendre en priorité (et c’est normal, on défend en priorité ce qui nous touche : Nala, par exemple, se sent naturellement touchée par la cause animale parce qu’elle s’y reconnaît, peut-être même plus qu’en la cause des femmes, quand bien même elle en est une également, et qu’elle est choquée par les différences qu’elle observe – chez les lions, les femmes tiennent un rôle indispensable en tant que chasseuses, il ne viendrait jamais à l’idée de les dévaluer)… mais elle sait qu’Eloise saura tout de même donner de la voix le moment venue, parce que toutes les causes méritent d’être défendues de manière égale.

« Les gens différents… Tu veux dire qu’on les exposait dans des cages ? Comme… les animaux du zoo ? » Nala fronce les sourcils à cette idée. Elle n’arrive pas à croire que de telles pratiques aient pu exister un jour. « Et qu’est-ce que sont les gens différents pour commencer ? Tu penses qu’on m’aurait fait ça, à moi ? »

En arrivant sur cette terre en tant qu’humaine, Nala a découvert, entre autres joyeusetés, le racisme banalisé. C’est une notion très improbable pour elle, qui ne la comprend pas très bien (pourtant, il y avait bien des distinctions de races dans son monde, mais une antilope n’est pas un lion, quand une femme noire reste une femme, pas vrai ? Ils avaient toutes sortes de pelage, dans la terre des lions, elle n’était jamais jugée en fonction du sien). Bien sûr, elle a surtout rencontré de nombreux gens tolérants, qui ne faisaient aucun cas de sa couleur de peau, mais ce n’était pas toujours le cas.

« Je ne suis pas certaine que ce que tu dis me rassure », fait Nala avec une esquisse de sourire quand Eloise observe comme les lignes on l’air d’avoir bougé depuis son époque, et être identiques en même temps. « Qu’est-ce qui a changé ? Qu’est-ce qui n’a pas changé ? »

Pour une juste cause

feat. Nala

L'ambition d'Eloise était, ni plus ni moins, de changer le monde, de le rendre meilleur du mieux qu'elle le pouvait. La plupart de ses professeurs étaient d'accord pour dire que grâce à son intelligence, un avenir littéraire brillant lui était d'ores et déjà destiné. Cependant, elle n'était plus vraiment sûre que c'était ce qu'elle souhaitait, oeuvrer dans la littérature. Elle a envie de réparer, réinventer le fonctionnement de la société. Ce n'était pas en écrivant des romans qu'elle arriverait à ce résultat, c'était certain. La brune ne savait pas trop encore comment elle allait s'y prendre, mais elle était certaine de réussir.

La Bridgerton était heureuse de voir Nala. Elle avait espéré, peut-être, lui parler de l'organisation qu'elle était en train de monter avec Brooklyn contre le harcèlement scolaire. Il était temps de montrer à ces élèves qu'ils n'étaient pas pas les rois de l'université et qu'ils ne pouvaient pas faire ce qu'ils voulaient impunément sans conséquence. Leur règne allait se finir par un coup d'état.

Nala lui proposa de participer à son sitting pour de meilleures conditions de vie pour les animaux, et accepta avec joie. La brune entreprit de lui raconter comment étaient les zoos de là où elle venait.

- Ouais, exactement. Les gens les appelaient des "curiosités" et payaient cher pour aller les voir. Elle avait toujours trouvé ça épouvantable, le racisme, même si à son époque cette idéologie n'existait pas. Probablement. Personnellement, j'y ai jamais mis les pieds, mais je sais qu'il y avait des personne venant d'Afrique ou alors du Canada entre autre.

La jeune fille soupira. À chaque fois qu'elle pensait à sa situation passée versus à sa situation antérieure, elle ne pouvait s'empêcher de se sentir dépassée. Qu'est-ce que l'être humain pouvait être stupide et cruel.

- On a plus de droits et de libertés, entre autre. De là où je viens, les femmes ne vivent que pour se marier et avoir des enfants. Je trouvais ça pathétique. On avait pas le droit de travailler ou d'étudier, et c'était mal vu de lire ou alors de fumer. Mais moi... je défiais toutes les règles, dit-elle avec un léger sourire.

Pour une juste cause

feat. Eloise

Nala ne peut s'empêcher d'afficher une grimace horrifiée tandis qu'Eloise lui confirme ce qu'elle avait malheureusement deviné. Elle aurait voulu se tromper... Mais elle ne fait que commencer à effleurer la surface de la cruauté humaine, et déjà, elle ne peut que constater combien cette dernière peut atteindre des seuils de violence insoupçonnés. Certes, Eloise vient d'une autre époque, les choses ici semblent bien différentes de ce qu'elle a connu (elles connaissent toutes les deux le dépaysement, chacune à leur manière propre, il est naturel que ça les ait rapprochées, en plus de leurs convictions), mais ça n'empêche absolument rien.

Eloise lui apprend que oui, il aurait sûrement été possible qu'elle se retrouve dans un de ces zoos humains à son époque. L'idée a de quoi vous retourner l'estomac... Déjà qu'elle éprouve la plus profonde des indignations face aux zoos animaux... Au fond, c'est la même chose. Nulle créature vivante ne devrait jamais être parquée et mise en cage, c'était contraire à l'ordre naturel des choses, au cycle même de la vie qu'on lui avait appris à respecter depuis sa plus tendre enfance.

"C'est inhumain de faire une chose pareille. Non, ce n'est pas juste inhumain, c'est inacceptable." Elle pousse un soupir. "Et je suppose que les tiens se trouvaient de "bonnes excuses" pour agir de la sorte, n'est-ce pas ?"

Elle affiche un sourire cynique. Devenir un être humain à part entière la rend tout de même indulgente vis-à-vis de cette espèce. Les problèmes ne sont pas individuels, ils sont systémiques... Ce qui les rend d'autant plus dangereux, mais il serait absurde de blâmer des personnes en particulier pour ce qu'une société entière avait institué à grand renfort de discours mensongers.

"Heureusement que je t'ai connue dans cette époque et pas dans la tienne", fait Nala avec un peu plus de décontraction. "Enfin, tu me diras, si ça avait été le cas, tu n'aurais pas voulu me parler, tu aurais pris tes jambes à ton cou", tu fais en songeant à ce qu'aurait donné sa rencontre avec Eloise si elle avait encore eu son apparence de lionne...

Quand on réfléchit à tout cela, que l'on met ces incohérences bout à bout, l'on réalise à quel point elles n'ont pas de sens. Cet endroit n'a définitivement ni queue ni tête.

En tout cas, Nala s'étonne toujours de cet immense fossé culturel entre le monde qu'Eloise a connu et celui qu'il est devenu. Vivre ces bouleversements en tant qu'humaine devait vraiment être quelque chose de particulier.

"Est-ce que je suis surprise d'apprendre que tu étais une grande rebelle même dans ton monde ?" s'amuse Nala. "Pas le moins du monde. Je n'ai jamais rien entendu de plus absurde. Vous interdire de travailler ? Les hommes avaient peur que les femmes leur fassent de l'ombre, on dirait."

Eloise, au fond, n'avait jamais compris pourquoi les humains tenaient une telle importance à l'apparence physique. Déja, à son époque, il y avait eu la règle de "plus tes habits sont riches, plus ta famille est puissante". Théorie qui lui faisait fortement penser au mercantilisme, idéologie économique selon laquelle plus un pays possède de métaux précieux, plus il est puissant. C'était la même chose, version haute société londonienne. Et puis il y avait le racisme. Chose qu'elle détestait, et n'avait jamais comprise. La brune avait toujours jugé les gens sur leur valeurs et leur personnalité. Sa famille proche n'était pas raciste. Personne n'avait fait de cas lorsqu'Anthony s'était mis à courtiser Edwina Sharma, qui était issue à la fois d'une famille indienne et d'une famille anglaise. Au contraire, les Bridgerton l'avaient même encouragés dans ses démarches, contents qu'ils veuillent enfin trouver l'amour, et par la même occasion une vicomtesse. C'était la raison pour laquelle la quatrième des Bridgerton n'avait jamais voulu se rendre dans un zoo du XIXème siècle.

- En gros, selon eux, les non-Européens étaient des êtres sans éducations, sans littérature et sans culture. C'était juste que les gens d'autres origines n'avaient pas la même définition d'éducation de nous. En sommes, on les traitait comme cela parce qu'ils étaient différents de nous. Les humains méprisent la différence.

Eloise eut un petit rire, songeant qu'elle aurait probablement eu peur de Nala si elle l'avait rencontrée sous sa forme de lionne. La brune aurait probablement eu peur de se faire dévorer. Surtout en sachant que c'était les femelles les plus aggressives... en plus que l'on apprenait très tôt aux enfants que les animaux de la jungle, c'est dangereux...

- J'aurais effectivement eu probablement très peur de finir dans une fosse à lions, comme on dit !

Eloise lui raconta alors que, dans son monde, elle était déja une rebelle. Peut-être même encore plus qu'aujourd'hui. En tout cas, elle avait malheureusement gardé cette vieille habitude de fumer pour montrer aux autres que fumer n'était pas réservé aux hommes. Une forme de féminisme en soit.

- Totalement ! Ce monde était fondé sur le sexisme. Nous n'étions là que pour enfanter, en fait.

Elle marqua alors une pause.

- Au fait, avec une autre fille, on a fondé une coallition contre le harcèlement scolaire à l'université, et on a besoin de gens. Ça te dirait de nous rejoindre ?

Pour une juste cause

feat. Eloise

Nala a beau pensé avoir rapidement su apprivoiser et comprendre l’humanité, elle réussit encore à se sentir déroutée par les horreurs dont l’humain peut ou a pu être capables… Imaginer qu’un individu, sous le prétexte de venir d’un autre endroit que vous, vaudrait moins que vous ? L’ancienne lionne ne peut s’empêcher de trouver cela particulièrement absurde. Les humains méprisent la différence, voilà un résumé sinistre, mais que Nala ne peut que comprendre… Comprendre sans le cautionner. Certes, les choses sont différentes, ici, mais elle a déjà constaté que la couleur de sa peau pouvait faire qu’on la traite différemment de quelqu’un d’autre, dont la peau serait plus blanche.

Il est difficile de comprendre de telles constructions sociales quand on a pas grandi avec. Elle-même, de son côté, avait également reçu une éducation telle qu’elle en avait gardé des a priori qu’il lui avait fallu déconstruire dans ce nouveau monde, mais elle en faisait l’effort… Un effort que d’autres ne semblent en revanche absolument pas prêts à faire… On pourrait considérer cela avec défaitisme, se dire qu’on ne changera pas la nature humaine, mais Nala a de l’espoir, et Eloise n’a jamais cessé de lui en donner, d’autant plus que les choses ont tout de même bien changé entre son époque d’origine et celle-ci. La preuve donc que les lignes peuvent bouger, même si cela prend parfois du temps.

« J’aimerais te dire que je t’aurais épargnée, mais j’en doute », s’amuse Nala quand Eloise observe qu’elle aurait naturellement eu peur de finir dans la fosse aux lions si elle l’avait rencontrée sous son ancienne forme. « J’étais une excellente chasseuse », ajoute-t-elle, bien consciente de combien cela pourrait sembler terrible si l’on ne prêtait pas garde aux subtilités qu’elle avait assimilées elle-même. La donne avait changé, les règles n’étaient plus les mêmes, sa nature n’était plus la même, et ses connaissances aussi sont bien différentes. Et forcément, cela change tout.

Au moins, vouée à son ancienne nature, elle était intègre à elle-même, elle a le sentiment que les humains ne respectent pas toujours les règles qui devraient naturellement les régir, et à ses yeux, ça n’a aucun sens.

« Tu dois te sentir soulagée des progrès que tu constates ici », remarque Nala avec un sourire encourageant quand Eloise remarque que le monde où elle avait vécu était fondé sur le sexisme, et que le rôle des femmes n’était que d’enfanter. Après quoi, Eloise reprend la parole, lui parle du groupe qu’elle a décidé de former avec une autre camarade. Nala n’hésite pas une seule seconde. « Oh. Bien sûr, j’en suis ! De quoi est-ce que vous auriez besoin ? Qu’est-ce que tu voudrais que je fasse ? »

Une chose qu'Eloise aimait de ce monde, était qu’elle avait l’impression que certaines des pires atrocités humaines étaient en partie derrière elle. Certes, certaines personnes étaient encore fondamentalement racistes, mais tous les gens de couleurs n’étaient plus des serviteurs ou des esclaves, maintenant. Ils étaient leurs égaux. Ou, du moins, pour Eloise, ils l’étaient. Elle se doutait que les non-caucasiens devaient avoir une vie plus difficile que la sienne, mais elle jugeait leur personnalité, et non leur couleur. Au fond, elle avait toujours eu cette pensée sauf que celle là, elle l’avait gardé pour elle-même, parce que les femmes ne devaient pas avoir d'avis sur tout. Sois belle et tais-toi, qu'ils disaient.

Elle s’était souvent demandé si les animaux avaient des concepts du style. Nala était bien la réponse à cette question. La lionne n’avait pas intégré tous ces concepts discriminatoires, mais les avait plutôt découvert avec horreur en arrivant ici. Ça devait être difficile, de voir ses semblables être aussi méchants les uns avec les autres…

Les filles se mirent à parler de la nature de lionne de Nala en riant. À quel point Eloise aurait eu peur d’elle si elle l’avait croisée sous sa forme de lion. À quelle point l’adolescente qu’elle était aurait fait un bon repas pour sa tribu.

- J'ai entendu dire que les lionnes sont les déesses de la chasse. Surtout dans la savane, dit-elle, se remémorant cette information qu’elle avait lue un jour dans un bouquin.

La brune lui parla ensuite de la différence entre la société d'où elle venait et celle où elle vivait maintenant. Eloise, elle, se sentait encouragée en voyant ces progrès, mais il était certain que Nala devait se sentir découragée de voir tous ces problèmes absurdes qui n’existaient pas dans son monde. Elle acquiesça.

- Il est vrai que je suis soulagée de voir ces améliorations, mais je sais qu'on a encore beaucoup de chemin à faire avant de faire de ce monde, un endroit agréable pour tous.

La Bridgerton lui parla ensuite de la coalition qu’elle avait formée avec Brooklyn, pour contrer le harcèlement scolaire à l’université. Parce que c’était une cause importante pour laquelle il fallait se battre. Heureusement, son amie accepta de l'aider avec celle-ci.

- On veut organiser une énorme manifestation devant l’université et pour ça, on a besoin de gens pour y participer et nous aider à organiser tout ça. Pour l’instant, on est que deux. Je voudrais rassembler le plus de gens qui ont subi des moqueries possibles, pour montrer les conséquences de l’harcèlement scolaire, pour qu'ils soient enfin entendus. Mais faut être aussi discret, pour éviter de se faire arrêter en cours de route. Alors, ça va passer du bouche à oreille, conclut Eloise.

Pour une juste cause

feat. Eloise

Nala affiche un sourire fier quand Eloise remarque qu’elle a ouïe dire que les lionnes, surtout dans la savane, étaient les déesses de la chasse. Déesses, elle n’en savait rien, mais il est certain qu’elles tenaient un rôle clé sur la terre des lions. C’était grâce à elles que la tribu pouvait subsister, et Nala avait toujours pris son rôle très à cœur – trop à cœur peut-être. Au gré des associations privilégiant la protection des animaux, Nala avait bien vite compris que le terme de « chasseur » était bien davantage celui que l’on imputait à l’« ennemi », et elle n’avait pas mis longtemps à en comprendre les raisons. C’était en effet compréhensible quand on admettait que la chasse n’était pas tant pour les humains une manière de subsister véritablement que de s’amuser tout simplement : s’amuser du fait de tuer, c’était ignorer ce qui faisait le cycle de la vie : du brin d’herbe au sol au saut élégant de l’antilope, il fallait respecter la vie sous toutes ses formes : et ça, l’être humain avait tendance, à l’évidence, à l’oublier beaucoup, beaucoup trop souvent.

« Tu es bien informée », répond tout de même Nala sans perdre son sourire avant que le sujet ne dévie sur l’évolution des sociétés humaines depuis l’époque qu’avait connue Eloise.

Nala ne peut qu’être heureuse de constater que l’humain est capable de progresser, mais elle constate aussi qu’il semble vouloir régresser par certains aspects, détruisant petit à petit le précieux et fragile écosystème sans lequel il ne pourrait pourtant survivre.

« C’est pour ça que le monde a besoin de personnes comme toi : pour ouvrir la voie et changer le monde », confirme Nala avec la plus grande assurance.

De personnes comme elles deux, peut-être : elles ont bien l’intention, en tout cas, de jouer leurs rôles et de ne pas s’en laisser compter quoi qu’il en soit. Les personnes déterminées et volontaires telles qu’Eloise ont toujours eu la faveur de la lionne pour cette raison : elle ne recule devant rien, et ça se sent.

Quand la jeune femme ajoute qu’elle a l’intention d’organiser une grande manifestation devant l’université, Nala dresse l’oreille, immédiatement volontaire. Elle est de ceux qui estime que rien ne se résout autrement que par l’action. Quand quelqu’un décide de mener ce genre d’opérations, elle se sent donc immédiatement parée et investie, prête à intervenir.

« D’accord, donc l’objectif pour le moment, c’est de fédérer le plus de personnes possibles, si j’ai bien compris. Tu as utilisé quels moyens de contact, pour le moment ? Tu as suggéré que l’on te contacte anonymement sur les réseaux sociaux, par exemple ? Je pense que ça pourrait être une piste. »

Pour une juste cause

feat. Eloise

Nala adresse à Eloise un sourire indulgent quand cette dernière lui apprend que c’est une des choses les plus intéressantes que tu puisses faire quand tu es dans l’obligation de rester à la maison. Ah, la lecture ! Par un miracle que Nala ne s’explique pas vraiment, la chose lui est venue intuitivement, comme le don de parole humaine ou le fait de savoir tenir sur ses deux jambes. Tant mieux d’ailleurs, car lecture et écriture sont absolument partout dans ce monde, et il lui aurait été très probablement impossible de s’en sortir si elle n’avait pas déjà acquis ces notions essentielles. Elle perd assez vite patience quand il faut se plonger dans un roman en entier mais elle prend plaisir à la lecture malgré tout, surtout de journaux ou d’articles sociologiques, de ceux qu’elle doit se coltiner pour ses études. Tout ce qui lui permet de s’informer davantage la ravit.

« L’effort d’une communauté entière prime toujours », reconnaît Nala avec conviction quand son amie observe que le monde a besoin d’un grand groupe de personnes prêtes à se battre.

En effet, seul, on a le sentiment de ne jamais arriver à rien, en revanche, on peut beaucoup dès lors que l’on peut compter sur d’autres, qui partagent nos opinions et nos convictions. Le rugissement d’un lion perdu dans la savane ne recueillera aucun écho, mais que tous les lions d’une même tribu rugissent d’une même voix, alors ils feront trembler la terre sur plusieurs kilomètres. Nala comprend la nécessité d’un effort de groupe, et c’est pour cette raison qu’elle est prête à le rejoindre, si cela peut aider le plus grand nombre.

Eloise présente son projet comme encore très petit. Ce n’est pas un problème : il faut bien commencer quelque part, après tout. Elle a distribué des tracts, allez savoir si cela aurait un effet boule de neige ou non. Les réseaux sociaux ont ceci de singulier et de remarquable qu’ils sont susceptibles de transmettre une information à un très grand nombre en un temps record. Ce n’est certes pas toujours efficace, mais ça vaut tout de même la peine d’essayer malgré tout.

« Vous voulez les prendre en flagrant délit ? Tu penses que c’est possible ? » Elle réfléchit. « En les filmant, j’imagine, mais ça pourrait se retourner contre nous ensuite et invalider nos preuves si on apprend qu’on a filmé au sein de l’université à l’insu des personnes responsables. » Elle marque une pause. « Après, si la vidéo devient virale… »

Elle en emploie, des mots actuels, Nala. C’est l’avantage d’être si présente dans nombre de milieux militants. C’était laborieux au début, mais elle a très vite adopté leurs codes et leur manière de faire.

Pour une juste cause

feat. Eloise

Nala ne sera sans doute pas d’une grande aide à Eloise pour ce qui est de la maîtrise de l’informatique, d’Internet et des réseaux sociaux. Il y a quelques années de cela, elle était tout sauf humaine, et elle n’avait pas la moindre idée de ce qu’un ordinateur pouvait bien être, elle n’avait d’ailleurs jamais croisé concrètement la route d’aucun être humain, autant dire que cette nouveauté-là, parmi tant d’autres, la dépasse largement, même si elle fait de son mieux pour, malgré tout, apprivoiser toutes ces nouvelles technologies, bien consciente de leur potentiel (comment pourrait-elle ne pas l’être au vu de tout ce que ces technologies lui avaient apporté jusqu’ici).

« Je pense que ça pourrait se retourner contre nous », confirme Nala quand Eloise suggère que filmer le doyen et les harceleurs de manière générale à leur insu pourrait se retourner contre eux. En effet, il y a certainement des lois qui régissent ce genre de comportement… « Toutes nos preuves seront immédiatement invalidées si on doit découvrir qu’elles ont été obtenues illégalement », reconnaît l’ancienne lionne, un peu dépitée.

Ce n’est définitivement pas une chose qu’elle apprécie de constater, mais c’est une chose qu’il lui faut bien admettre en revanche, car c’est une réalité à côté de laquelle elle ne peut pas passer. Là où Eloise se montre particulièrement maline, c’est au moment de suggérer d’utiliser les caméras déjà mises à disposition au sein de l’université. Elle réfléchit à sa proposition.

« Les caméras de surveillance, ça pourrait fonctionner, surtout si on diffuse les fichiers anonymement… Après, il n’y en a pas dans toute l’université, c’est le souci, mais ce serait un début. » Elle marque une pause. « Tu penses que tu pourrais contacter ton ami doué en informatique et voir ce qu’il peut faire ? » Elle réfléchit de son côté. « J’ai peut-être un ou deux contacts qui pourraient aussi nous aider, mais je ne suis pas tout à fait sûre que ce soit dans leurs cordes. » Elle marque une pause. « Dans tous les cas, on va devoir agir en dehors des clous, ce qui veut dire que si qui que ce soit a le moindre doute sur nous, on peut risquer gros. »

Elle, de son côté, est prête à assumer cette contrepartie. Dans la vie, on n’a rien sans rien, Nala est convaincue de cela. Elle fera ce qu’il est nécessaire de faire, pour peu que cela lui apporte le résultat escompté.

« Est-ce que tu es prête à prendre ce risque ? »

Nala pose la question, mais elle connaît Eloise, elle sait comment elle est, comment elle raisonne, elle pense, par conséquent, connaître d’avance sa réponse : elle sera d’accord, elle ne dira pas non. Elle sera prête à tout pour un peu plus de justice.