"Si la mélodie ne te plaît pas, concentre-toi sur le texte." C'est ce que m'a conseillé cette amie qui, avec force insistance, me suggérer d'entrer en contact avec ce chanteur, poète et compositeur du nom d'Orpheus Mélôidía. La mélodie m'a plu. Pourtant, je n'étais pas partie gagnante, et relativement sceptique, au moment de pénétrer la salle de concert. Cet endroit et ses nombreuses subtilités ont eu le don, dès le départ, de titiller ma curiosité intellectuelle, et explorer tous ces horizons culturels n'était pas pour me déplaire. Cependant, j'ai rapidement compris qu'en matière de musique, moi qui n'ai toujours juré que par l'opéra, j'aurai peine à franchir ce fossé culturel qui rendait proche d'inaudibles certains morceaux populaires qui avaient la faveur, pourtant, des grandes chaînes de radio. Au moins, me dis-je, ai-je l'intelligence d'admettre que ce ne sont pas tant les artistes qui doivent en être responsable qu'une oreille musicale qu'ici l'on doit observer comme diablement vieillotte.
En matière de littérature, en revanche, je savourais avec un délice toujours grandissant l'audace de ces plumes qui n'existaient guère en mon temps. Au moment d'envisager de gagner ma vie, afin de m'assurer un confort d'existence un tant soit peu décent, c'est bien naturellement que j'ai tracé mon chemin dans ce domaine, ravie de voir éclore des talents qui pour beaucoup ne nécessitaient que d'$etre encouragés. Et certains talents ont à peine besoin d'éclore et d'être encouragés tant ils sont purs, brillants, évidents... Ecouter Orpheus, entendre la mélodie de ses mots, en savourer l'essence, c'est comme goûter à l'âme même de la poésie, et j'ai immédiatement compris ce que mon amie voulait dire. Si Orpheus Mélôidía n'avait pas d'agent littéraire, alors je devais devenir cet agent.
Pour cette raison, je lui ai donné rendez-vous pour un déjeuner d'affaires, je craignais qu'il refuse, et j'ai senti qu'il était réticent, mais rien de tel qu'un bon repas pour le faire changer d'avis, n'est-ce pas ? Quand il est question de mon nouveau travail, je penx me montrer particulièrement insistante autant que convaincante, pour ne pas dire acharnée. Mais que voulez-vous ? Il faut ce qu'il faut, n'est-ce pas, pour parvenir à ses fins.
En avance et déjà installée à la table réservée à mon nom, je lis rapidement mes derniers messages (il m'aura fallu du temps pour m'habituer aux portables, et rien ne remplacera jamais, à mes yeux, le contact de l'encre contre le papier, mais il faut tout de même admettre que ces petites choses sont terriblement pratiques), jusqu'au moment de voir Orpheus faire son entrée.
❝Orpheus ! Merci d'avoir accepté ce rendez-vous, c'est un plaisir de pouvoir enfin vous parler en personne.❞
Un talent brut.En apprenant qu'une agente littéraire souhaitait le rencontrer, Orpheus avait d'abord paniqué. Il était extrêmement réticent à l'idée que l'on puisse avoir une quelconque influence sur sa carrière ou, pire, sur ses écrits. Le poète, en son temps, s'était démené pour la liberté, pour que chaque homme bénéficie d'un libre arbitre et des qualités de réflexion et de beauté qui accompagnaient la poésie. Ses chants et ses écrits avaient pour vocation de donner de l'espoir aux hommes, de leur donner suffisamment de courage et de soutien pour qu'ils ne redoutent pas la révolte et n'acceptent plus la répression. Or, il avait travaillé avec trop d'acharnement sur sa première chanson, celle qui était destinée à faire renaître les saisons et à rendre au monde son harmonie, pour qu'il accepte, même à présent que les enjeux étaient différents, que l'on change quoi que ce soit à sa musique ou à ses paroles.
Mais finalement, il avait cédé et avait accepté de rencontrer la jeune femme. Car une conversation ne l'engageait à rien, et qu'il savait, malgré ses réticences et ses doutes, qu'il était dans un autre temps à présent et qu'il fallait vivre avec celui-ci.
Il se présenta donc au restaurant où elle lui avait donné rendez-vous, quoiqu'avec quelques minutes de retard à cause du temps passé à se convaincre qu'il ne craignait rien.
- Bonjour Roxane, la salua-t-il avec un bref sourire.
Il s'installa en face d'elle, ne perdant pas de temps à s'intéresser aux alentours et préférant au contraire se concentrer sur elle. Son regard brun, honnête et naturellement compatissant, s'attarda sur les traits de son visage, comme s'il tentait de discerner le caractère qui se dissimulait sous cette figure.
- C'est un plaisir partagé, répondit-il poliment quoiqu'avec moins de certitude. Face à tant d'insistance pour que nous discutions de vive voix, je me voyais mal refuser.
Les coins de ses lèvres se redressèrent en un sourire plus mutin. Il n'était pas dupe, car il connaissait le métier de cette personne et n'avait aucunement l'intention de prendre un agent littéraire. Mais Orpheus, en son temps, n'avait pour vocation que de laisser une chance aux hommes, à tous les hommes. Et donc, par honnêteté - et par curiosité sans doute -, il était prêt à entendre ses arguments.