Home is where is there are donuts ϟ Rei

Le commissariat était un univers familier pour Rei ; et « familier » était rassurant quand on était loin de chez soi. Il avait pris l’habitude regarder les autres s’afférer lorsqu’il attendait qu’un policier vienne l’accoster, ou de pouvoir s’incruster dans une conversation afin de s’intégrer à une enquête intéressante grâce à un sourire et des arguments valables. Les agents ici n’étaient pas aussi organisés qu’au Japon, moins stricts également, néanmoins il était rassuré de voir qu’ils étaient efficaces. Il hésitait parfois à abandonner son poste de serveur et revenir aux fondamentaux : servir la justice à temps plein. Sans avoir de mafieux à poursuivre, bien qu’il cherchât souvent la présence de ses ennemis ici par méfiance, Rei se retrouvait sans but concret.

Son observation discrète du fonctionnement du commissariat fût bruyamment interrompue, et il tourna les yeux pour observer le nouvel arrivant. L’homme, qui venait d’entrer de manière à attirer volontairement l’attention sur lui, faisait vraisemblablement parti de ceux qui cachaient quelque chose derrière une extraversion surjouée. Il l’observa distribuer les pâtisseries. Était-ce une manière de les forcer à lui être redevable ? De ne pas soupçonner une double identité ? Il nota en tout cas qu’il était un habitué des lieux – pourtant, Rei ne l’avait jamais croisé auparavant.

Le japonais ne s’attendait pas à ce que l’autre homme s’approche de lui. Il retint un rictus à son commentaire ; non, il ne sortait pas de l’école de police. Presque dix ans à exercer son métier, bien des enquêtes menées avec brio, et des hommes à diriger. Rei haïssait être comparé au FBI mais, habitué à gérer les affaires de terrorisme et de dangers plus importants que de petits crimes à Tokyo, son rôle chez lui n’était pas celui d’un simple policier. Il se leva de son siège et tendit sa main, naturellement poli ; son éducation japonaise le voulait.

-  Enchanté, Monsieur Morningstar. Tooru Amuro. Je suis détective amateur et je viens ici pour proposer mon aide, en espérant apprendre des policiers… Voyez-vous, j’ai toujours trouvé les polars passionnants alors…

Les mensonges s’enchaînaient avec fluidité, une vérité au milieu pour ne pas éveiller les soupçons ; Rei se contentait de resservir sans originalité ce qu’il avait dit de nombreuses fois dans son ancienne vie. Tooru fit un large sourire, Rei se méfiait de cette nouvelle rencontre, notant d’effectuer des recherches sur lui plus tard.

- Vous avez l’air d’être un habitué des lieux… J’espère pouvoir apprendre beaucoup de vous.  

Au vu de son costume, soit un policer haut gradé qui n’avait plus à se soucier de porter l’uniforme, soit un consultant. Dans le premier cas, il pourra feindre d’avoir l’air gêné de son erreur, dans le deuxième… Il s’attendait à ne pas être apprécié d’un homme semblant aussi confiant en lui-même. Il préférait en faire un allié plutôt qu’un ennemi ; même si ce n’était que façade.

L’autre homme semblait sûr de lui, un brin dominateur, manipulateur sans aucun doute. Rien qui ne pouvait impressionner Rei, qui avait côtoyé plus dangereux au cours de sa carrière – bien qu’il restât naturellement sur ses gardes. Il se contenta de continuer à sourire, hochant la tête au ton moqueur qu’il avait très bien entendu. Si sa nouvelle rencontre pensait qu’il était un simple curieux avide de morbide, ce serait bénéfique pour son rôle.

Il l’écouta parler théâtralement, notant ainsi qu’il était le propriétaire de la boite de nuit douteuse, néanmoins rien ne lui vint à l’esprit quant aux « enfers ». Il pensait effectuer une recherche plus tard à ce sujet. Ce Lucifer Morningstar n’aurait en tout cas guère apprécié la personnalité qu’il adoptait au commissariat de Tokyo, sérieuse, réservée, quoique passionnée. Et l’inverse était également vrai : on ne s’amusait pas au travail, surtout dans son métier. Les policiers ne pouvaient se permettre en danger la vie des citoyens et celles de leurs collègues. Amuro hocha la tête, visiblement enchanté d’être traité comme un égal.

- C’est très gentil de votre part, monsieur Morningstar, je vous remercie. Quant à l’apprentissage, hm…

Il posa un index sur son menton, faisant mine de réfléchir. Une parfaite occasion pour Amuro d’apprendre quelque chose de nouveau ; un alibi en or pour Rei, si on lui demandait pourquoi il était aussi doué pour enquêter… Il suffirait de dire que Morningstar lui avait enseigné les ficelles du métier. Il ne pensait pas que ce dernier ferait un mentor exemplaire, loin de là, néanmoins il semblait intelligent, ainsi qu’un excellent choix à accuser si Rei se montrait tête brulée et transgressait quelques règles plus tard. Il devait veiller à ce qu’Amuro Tooru soit convaincant du début à la fin. Aucune erreur permise. Son sourire s’agrandit.

- Je sais ! Pourquoi ne m’apprendriez-vous pas à déterminer le profil typique du meurtrier. C’est ce que les policiers font, non ? Réussir à trouver des personnes louches, sur une photographie ou dans une foule… J’aimerai beaucoup savoir cela !

Cela fait, il ne restait qu’à calquer ses techniques de manipulation, utilisés dans son ancienne vie – sur un homme bien moins dégourdi que Lucifer. Toujours aller en son sens, complimenter ses actions. Rien de compliqué.  

- J’avais un mentor dans mon ancienne vie, il m’apprenait à mener des enquêtes… Je ne l’ai malheureusement pas encore retrouvé ici.

A la simple évocation du mot « bourbon » Rei prit une inspiration plus audible que les autres et ses yeux s’écarquillèrent légèrement. Bourbon, son nom de code lorsqu’il travaillait sous-couverture. Impossible que cet homme connaisse sa double identité ; ou bien était-il membre de la mafia dont il ne connaissait pas tous les membres. Dans les deux cas, c’était dangereux de relâcher sa garde. Il força un sourire joyeux sur son visage, l’expression de surprise disparaissant aussi vite qu’elle était apparue.

-  Je saurais m’en rappeler, ne vous en faites pas !

Il agrémenta sa promesse d’un rire léger de personne qui n’avait absolument aucun passif sombre. Toru Amuro n’avait aucun problème avec les alcools. Toru Amuro n’avait d’ailleurs aucun problème, serveur optimiste apprécié de tous, menant une petite vie tranquille, tout ce qu’il y avait de plus banal. Cette histoire de « don » ne calma en rien ses pensées. Essayant de décerner des sous-entendus dans sa phrase, il n’en trouva aucun qui concernait sa personne ou ses enquêtes, bien qu’il n’en fût pas rassuré pour autant. Lucifer était lui déjà passé à autre chose.  

A parler ainsi du Lieutenant, il ressemblait à l’un de ses sous-fifres ; bien que le comparer à son collègue serait sans doute assez insultant pour sa nouvelle rencontre. Ils n’avaient vraisemblablement pas la même personnalité, quoique tous deux intelligents. Il y avait autre chose qu’une simple admiration derrière ces paroles. Un sentiment qui pouvait rendre à la fois faible et fort un être humain. Il ne pensait pas se tromper sur le fait que Lucifer était amoureux de cette femme.  

-  J’aurai aimé faire sa connaissance. Ce n’est pas tous les jours que je peux rencontrer ce genre de personnes...

En réalité, si. Travailler dans la police secrète, c’était sacrifier sa vie pour sa nation ; des passionnés il en avait vu, il l’était lui-même. Le Lieutenant Decker devait sans l’ombre d’un doute être une femme formidable. Rei sourit brièvement ; bien trop honnête et nostalgique pour laisser cette expression à la vue de tout le monde. Il remit le masque d’Amuro correctement en place, se montrant alors enthousiaste à l’idée d’aller sur le terrain.

-  Allons-nous commencer l’entrainement aujourd’hui ?

Rei le laissa l’observer sans sourciller, sinon feignant un air confus, à pourquoi Lucifer le fixait ainsi. Il répondit à sa question, le mensonge glissant aisément d’entre ses lèvres – il n’en était pas totalement un. Il y avait quelqu’un qui l’avait apprécié, autrefois.  

- Ah. J’avais un ami qui appréciait le Bourbon…

Heureusement pour lui, l’autre homme ne souhaitait pas en savoir plus sur sa réaction. Il l’écouta enchainer sur la fameuse lieutenante ; un point faible, chez lui, nota-t-il. La tristesse le gagna par surprise, bien qu’il la masquât avant même qu’elle n’atteigne son visage. Il préférait ne pas penser à la possibilité de revoir ses amis décédés, ici. Avoir de faux espoirs, il ne parviendrait pas à le supporter. Pas après avoir été forcé à aller continuellement de l’avant. Pas après avoir nourri tant de colère quant au meurtre de son meilleur ami d’enfance.

- Je suis heureux de me contenter de vous !

Répondit-il, avant de le suivre à l’extérieur, remarquant aisément la Corvette puisqu’elle se démarquait des autres voitures. Il s’installa du côté passager et s’attacha, puis garda ses mains pour lui, comme demandé – non pas qu’il comptait toucher à quoique ce soit.

- Je vois cela, elle est magnifique.

Elle l’était ; pas totalement, aux yeux de Rei, qui trouvait que c’était davantage le style d’un des mafieux qu’il avait été forcé de côtoyer. Mais heureusement, ce n’était pas une voiture de son ennemi favori. Il n’aurait pas posé ne serait-ce qu’un orteil dedans.

- Chez moi j’avais une Mazda RX-7, je ne sais pas si je pourrai en retrouver une ici un jour… C’était déjà assez difficile.

Elles avaient cessé d’être commercialisé, et pourtant Rei arrivait à mettre la main dessus. Plusieurs. Les pauvres voitures avaient souvent fini salement amochée dans ses courses poursuites. L’une d’elle avait connu une chute libre du haut d’un immeuble – et heureusement, personne n’était en dessous. Cela lui manquait aussi, de pouvoir conduire sans se soucier du compteur de vitesse. Mais bon, la gravité ici ne semblait pas obéir de la même manière que chez lui. Mieux valait éviter. Pour le moment.

- Quoiqu’avec cette ville, tout parait possible.