tomorrow never knows · Asile de la ville, fin d'année 2024. -- ft. @jack napier.
Acte I, scène 1 d’une pièce déjà courue d’avance. Deux ans et demi que tu vivais en dehors du temps aux côtés du Joker. Tu avais cependant toujours un pied dans la réalité — celle que tu vivais en tant que mère, personnalité publique de la ville, mais aussi en tant qu’universitaire reconnue. Tu avais su élargir ta palette de compétence également en gérant d’une main de maître ce luxueux casino que le Joker t’avait gracieusement offert. Plus de temps pour l’association, elle avait explosé de toute façon : un feu d’artifice de festivités, à base de dynamite et de C-4, qui célébrait le massacre qui eut lieu entre deux bandes rivales d’une maigre importance comparée à celle de celui qui partageait ton lit. « C’est ton quartier oui ou merde ?! Tiens-le ! » Tu étais saine et sauve, mais tu lui avais craché ta rage au visage après ton admission à l’hôpital pour vérifier que tu n’avais rien. Tu avais été aux premières loges de cette effusion de sang et tu avais quitté le Joker ce jour-là, mais faible comme tu es, tu étais revenue sur ta décision une heure plus tard. Parce que c’était aussi ça que le Joker t’avait apporté durant ses deux années et demie de vie presque commune, quand il ne décidait pas de partir pendant une durée indéterminée : un soupçon d’irréel, de folie dans lequel tu te perdais corps et âme, sans même hésiter une seule seconde. « On te reconnait plus, Padmé. » Tu te moquais de l’inquiétude de ton entourage désarçonné par ton revirement de caractère et de vie. Ils ne pouvaient pas comprendre. Ils ne savaient pas à quel point ce que tu vivais était puissant et addictif. Tu restais fondamentalement celle que tu avais toujours été ; droite, honnête, intègre, toujours là à te battre jusqu’à ce que mort s’ensuive pour tes principes, mais tu étais surtout muée en une jumelle maléfique, plus froide et antipathique. Tu étais nerveuse. Tu partais au quart de tour — tel était les conséquences de deux ans et demi de vie avec un psychotique durement atteint, chef de gang qui plus est, inconstant, toujours sur le fil. Avec lui, la frontière entre le bien et le mal s’effritait, devenait confuse au point que tu étais perdue dans ce confluent. Tu pataugeais dans les deux mares, celle de la raison et du cœur, sans savoir laquelle des deux était la plus viable. La haine que tu vouais au Joker à cause de cela t’aidait à rester du bon côté de la barrière, mais tu étais une femme passionnée, Padmé. Alors avec lui, tu oubliais bien vite tes névroses et embrassais à nouveau les ténèbres : les siennes, si alléchantes et tentatrices, sans trop de difficultés. Tu étais dépendante de lui. Trop. Tu le savais. Et bien souvent tu avais voulu partir sans en être capable, malheureusement. L’emprise qu’il avait sur toi était trop forte. Il avait su t’endormir bien comme il faut : aussi incroyable que cela puisse paraître, il te traitait bien, semblait même t’aimer. Enfin, c’est surtout toi qui mettais ce mot là sur son comportement, car en réalité, tu ne savais pas ce qu’il pensait de toi, comment il te voyait ou ce qu’il ressentait réellement. Même après tout ce temps, le Joker restait une énigme insoluble à tes yeux. Bien évidemment, ce n’était pas un total conte de fées que tu vivais avec lui. Il y eut des périodes très compliquées, d’une violence inouïe que tu peinais à décrire à cause de cette absence de mot assez fort pour dépeindre cet enfer dans lequel le Joker te noyait. Les disputes entre vous étaient démentes et enragées, des querelles où tu hurlais autant que lui, presque aussi fort. Tu sentais encore la lame froide de son couteau s’abattre comme un couperet sur la peau innocente de ton cou dans ces instants hors de toute raison. Le visage du Joker déformé par sa folie furieuse et sa perversité sadique restait profondément ancré dans ta mémoire au point de voir plus que cela dans tes souvenirs. Et, en vivant avec lui, à cause de ces confrontations magmatiques entre vous, sa folie dégoulinait inévitablement sur toi. Ton épiderme en était imprégné, totalement corrompu ; au toucher de sa lame, tu ne frissonnais plus. Provocatrice, tu te contentais de prendre sa main, de trancher superficiellement ta peau pour offrir à sa vue assoiffée un mince filet de sang qui tachait ton chemisier immaculé au moment d’atteindre ta clavicule. « La jugulaire c’est là. Vas-y, tranche là. Je sais que tu vas prendre ton pied, là, à me voir me vider de mon sang et t’implorer quand tu m’auras égorgé. Allez vas-y, abats toute ta colère puisque tu te prends pour Dieu ! » Tu crachais ta rage. Tu dévoilais ta colère. Tu te montrais aussi barge que lui. Tu t’attendais à mourir à chaque fois. Mais tu t’en sortais toujours. Certes dans un ébat aussi barbare que vos colères, mais tu t’en sortais. Tu étais née sous une bonne étoile, Padmé, ou un astre sadique, au choix. Tu avais conscience que seule la mort te permettrait de t’extirper de cette situation malsaine. Tu étais persuadée que le Joker serait ton bourreau tout comme Anakin l’avait été sur Mustafar. Tu te fourvoyais peut-être, mais en tout cas, cette violence entre vous n’était jamais apparue comme un motif nécessaire pour le quitter définitivement. Tu étais trop impliquée. Trop attachée. Trop folle de lui.
Acte I, scène 2 de cette pièce macabre qui prit un tout autre tournant du jour au lendemain. Un grain de sable fit dérailler cette machine chaotique. Le réveil matin annonçait six heures quand une brigade de police défonça ta porte à coup de bélier pour te surprendre au saut du lit comme si tu étais une dangereuse criminelle recherchée depuis des siècles par toutes les polices du monde. Tes petits de deux ans et demi hurlaient de terreur dans leur lit, appelant leur maman à la rescousse — un élément qui contrit ton cœur de mère et qui exacerbait ta colère à l’encontre de ceux qui vinrent vous importuner de si bon matin. « Je peux savoir ce que vous faites chez moi ?! Vous savez chez qui vous mettez les pieds ?! » On plaquait sous ton nez une commission rogatoire qui leur donnait le droit de retourner ton chez toi et d’y foutre le chaos. Tu contemplais la liste de chef d’inculpations aussi longue que ton bras, tous mariés avec le mot « complicité » qui martelait ton cerveau chaque fois que tu le lisais. Tu compris. Tout de suite. Et ce n’est pas la perquisition de ton appartement qui te mit en panique, mais plus l’arrestation simultanée du Joker. « Ne touchez à rien ! Je veux que mon avocat soit là ! De quel droit vous vous permettez ! » Tu vociférais, folle de rage, folle tout court. Tu pensais déjà à ta vie sans lui, à comment tu gérerais son absence éternelle alors que tu étais déjà tout bonnement incapable de subsister sans lui plus d’une heure. Tu craquais au téléphone. Les pleurs de Ruwee et Jinn inondaient l’appartement, couvrant les tiens. Tu avais l’impression d’être emportée dans une spirale infernale, tu perdais pieds. « SORTEZ DE CHEZ MOI ! JE VEUX MON AVOCAT ! SORTEZ ! SORTEZ ! » Tu avais tellement hurlé, grogné comme un chien enragé que le temps d’un instant, le chaos se muait en silence. Ton visage s’était transformé, déformé par l’angoisse : ils n’ont pas pu l’attraper. Non. Impossible. Ils n’ont pas pu. « Sortez… ! » lançais-tu mollement, mais personne n’accéda à ta requête. On t’embarquait même pour un interrogatoire en bonne et due forme au poste de police. À peine le temps de t’habiller. À peine le temps de dire au revoir à tes enfants et de les confier à ta fille. À peine le temps de rien. Au commissariat, les questions qu’on t’aboyait n’avaient aucun sens pour toi. Elles ne s’imprimaient pas dans ton cerveau. Elles se contentaient de creuser davantage tes traits à mesure que les heures s’écoulaient avec la plus grande des lenteurs. Tu te murais dans le silence, regardais ailleurs. Tu n’étais pas là. Tu n’étais plus là. Tu voguais vers d’autres horizons, vers ces instants qui avaient rendu ton histoire avec le Joker si particulière, presque douce. Tu n’échappais pas non plus à la violence de tes souvenirs, mais surtout tu pensais à ta vie après, commençant déjà à la gérer mentalement, à tout remettre en ordre. Parfois, les policiers tentaient de te manipuler d’une façon bien pathétique en clamant que le Joker t’avait mise en cause dans certaines affaires pour alléger sa peine. Tu les considérais d’œil arrogant, étouffais un rire dans la même veine avant de briser ton silence pour une seule et unique fois durant les quatre-vingt-seize heures que dureront ta garde à vue : « L’avoir entre mes cuisses ne m’a pas fait perdre mon intelligence, vous savez. C’en est presque insultant de penser que vous pouvez me manipuler de la sorte avec des techniques de bluff vieilles comme le monde. » Ils avaient fini par te relâcher, faute de preuves pour te lier aux crimes du Joker parce qu’en aucun cas tu n’avais trempé là-dedans et si jamais tu avais eu le malheur d’y glisser un orteil une ou deux fois au travers du casino, vous aviez bien couvert vos arrières. Tu ne voulais même pas parler du procès qui n’était qu’un simulacre, un spectacle uniquement monté pour couvrir de gloire les parties prenantes et dire « j’y étais » alors que la partie était déjà jouée d’avance. Tu avais passé ton temps à observer le Joker dans le box des accusés. Tu tripotais nerveusement tes doigts, le dévisageant en tremblant de colère, de terreur face aux abysses qui t’attendait, dirigée vers une vie que tu t’apprêtais à passer sans lui. Tu savais qu’à moins qu’il ne s’échappe, il ne sortirait pas de l’asile dans lequel on le condamnait. La seule fois où vos regards s’étaient croisés, tu lui avais promis avec seulement tes lèvres qui se mouvaient : « Je ne te laisserai pas tomber, J. Je te le jure. » Tu ne savais pas bien si des promesses envolées comptaient pour lui, mais tu avais tenu à lui dire, pour qu’il le sache au moins une fois qu’il avait une personne loyale derrière lui. Et tu l’avais réitéré à voix haute cette fois-ci, comme un cri du cœur, quand on t’avait sorti de force de la Cour une fois que la sentence fut tombée. « Je viendrais te chercher ! » Personne ne t’avait prise au sérieux, comprenant cette phrase comme les paroles vaines d’une femme désespérée encore sous l’emprise de son bourreau — une histoire que les journaux ont adoré développer tout au long de l’instruction et encore aujourd’hui pour faire vendre leurs torchons.
Acte I, scène 3 d’une tristesse qui se transforma en rage dévastatrice. Tu avais remué ciel et terre pour le voir ne serait qu’une minute, qu’une seconde, entre deux portes même s’il fallait. Parce que tu devenais folle. Parce que ça te rendait dingue de ne pas savoir ce qu’il devenait, comment il était traité, ou même de ne plus avoir son regard posé sur toi aussi perturbé et malsain soit-il, de ne plus avoir de conversation profonde ou non avec lui, d’être avec lui tout simplement. Mais les autorités compétentes semblaient prendre un malin plaisir à te torturer en apposant que des refus sur tes demandes de droits de visite pour des prétextes fallacieux. Tu envoyais quotidiennement des lettres que le Joker ne recevait jamais parce qu’elles étaient systématiquement jetées à la poubelle. On t’avait accordé cinq minutes de coup de fil par semaine et étrangement, il n’était jamais disponible pour être au bout du fil. Un jour, tu disjonctais complètement en massacrant tout sur ton passage chez toi. Tu ne voulais pas qu’il pense, enfermé entre ces quatre murs, que tu avais failli à ta promesse et que tu l’avais abandonné. Peut-être ne pensait-il plus à toi. Peut-être s’en moquait-il. Mais comme lui, tu étais une personne de parole, tu devais honorer ta promesse. C’est alors que tu eus cette idée farfelue, presque aussi démente que toi : organiser son évasion. Et une bonne partie de ton plan reposait sur du bluff et tes talents de comédienne : simuler une grossesse pour t’attirer la pitié et l’indulgence de tous. « Je suis enceinte. De Jack. De deux mois. » Il était enfermé depuis à peine plus longtemps, une durée qui suggérait alors à ceux que tu dupais que les choses s’étaient enchainées de façon malheureuse pour vous. Tu devinais parfaitement aux sourires hypocrites qu’on te félicitait par pure politesse, mais tu savais que tous s’inquiétaient du futur monstre dont tu allais accoucher. Ton ventre poussait par miracle grâce à ce dupe que tu avais acheté en toute discrétion. Les mois passaient, l’arrondi de ton faux ventre suggérait que tu étais au quatrième mois de ta grossesse — quatre mois où tu te débattais avec tes démons, quatre mois que tu ignorais de ce qu’il advenait du Joker, quatre mois que tu survivais sans lui et où tu ne devenais plus que l’ombre de toi-même. Tu ne perdais pas de ta superbe, mais tes traits se creusaient, te rendaient livides. En quatre mois, tu avais pris dix ans. Tu ne mangeais plus, ne buvais plus, ne vivais plus. L’emprise sur toi était si forte que tes souvenirs que tu te remémorais en boucle ainsi que ta détermination à toute épreuve étaient ta seule nourriture. « Je vais venir te chercher… Je vais venir te chercher… » C’était tout ce que tu murmurais, avec la même solennité qu’une prière entre tes crises de larmes à la nuit tombée. Quatre mois, c’est aussi le moment où tu décidais de réapparaitre dans le bureau du juge pour demander un énième droit de visite. Il s’apprêtait à te débouter. Encore. Jusqu’à ce que tu sortes ton meilleur jeu d’actrice. « Je n’en peux plus. Je suis à bout… » Tu éclatais en sanglots. De vraies larmes se mêlaient à la comédie — tu ne supportais plus ce manque. Tu ne retenais pas ta fureur. « Je sais que pour vous et les gens de votre genre vous ne le voyez que comme un monstre, mais il est humain. Avec des sentiments, des émotions aussi complexes soient-elles ! Il va être père, il a le droit de le savoir ! » Tu pleurais tellement que tes paroles étaient souvent étouffées par tes sanglots. Tu faisais peine à voir et tu en rajoutais avec des gestes grandiloquents et ce tic de toucher ton ventre, ce faux ventre que tu prenais pour vrai le temps d’un instant. « Il a le droit de connaître son fils. » Rideaux sur cette scène. Tu baissais ta tête pour regarder ton ventre, faisant mine d’être perdue dans ta tristesse, ta fatigue alors qu’un sourire mesquin et satisfait de te prestation se dessinait discrètement sur tes lèvres. Tu ne distinguais plus vraiment ton jeu de la réalité tant les deux étaient entremêlés. Le juge jetait un coup d’œil sur un cadre posé sur son bureau qui contenait une photo de sa petite famille parfaite, bien clichée. En un quart d’heure de comédie, tu l’avais convaincu — il te prit en pitié : pauvre, pauvre petite Padmé qui fut manipulée par l’ignoble monstre qu’était le Joker et qui lui avait foutu en plus de cela un polichinelle dans le placard ! Pauvre petite Padmé qui était tant sous l’emprise de son bourreau qu’elle n’avait eu nul d’autre choix que de garder l’odieux fruit de leur union contre nature ! Dans un tout autre contexte, tu l’aurais insulté pour te regarder avec autant de pitié, mais dans celui-ci, tu en tirais une pleine satisfaction parce que tu obtenais ton Graal : un droit de visite dans deux semaines. Le temps nécessaire pour monter le restant de ton plan. Ce n’est pas de gaité de cœur que tu avais menti à ta fille, jouissant de sa place à la mairie. « Chérie, j’aimerais acheter une maison un peu plus grande avec le bébé qui va arriver… Mais je ne suis pas bien sûre de la taille du terrain, de ce qui serait ou non à moi. Tu crois que je pourrais accéder aux plans du cadastre ? » Qui aurait pu te croire capable d’un mensonge aussi odieux ? Personne. C’est bien pour cela qu’on te laissait te mouvoir en toute liberté dans les archives de la mairie. Personne n’aurait pensé que tu aurais profité de cette solitude pour consulter autre chose que les plans du cadastre, comme celui de l’asile où était enfermé le Joker par exemple… Tu le trouvais après des recherches minutieuses. Tu le dépliais, le prenais en photo sous tous les angles avec ton téléphone pour pouvoir l’étudier avec plus d’attention chez toi. Et une fois ton méfait accompli, tu remis tout en place comme si de rien n’était. Une fois dans ton appartement vidé de toute vie, tu fignolais les derniers détails de ton plan.
Acte II, scène 1 d’une évasion rondement préparée. La fausse grossesse n’était pas uniquement là pour susciter la pitié, mais aussi empêcher la fouille au corps à l’hôpital psychiatrique. Tu avais lu ça quelque part que les femmes enceintes étaient très rarement fouillées — qui serait assez fou pour soupçonner une mère en devenir d’un acte abject et aussi fou que celui que tu t’apprêtais à commettre ? Tu savais pertinemment que cela reposait principalement sur de la chance dans ton cas, que tu avais plus de chance de te faire attraper qu’autre chose, mais elle était de ton côté aujourd’hui. À l’entrée de l’asile, on te demandait simplement de vider tes poches, chose que tu fis sans sourciller. Personne ne pensa à te demander d’enlever la baguette qui nouait tes cheveux en un chignon brouillon. Personne ne l’avait remarqué comme elle se noyait dans cette masse de cheveux bouclés. Tu présentais ta convocation. On te dévisageait. Le Joker avait de l’entourage ? Tu te moquais des regards médisants. On t’escortait jusqu’à l’aile réservée aux malades de sa trempe. Plus tu t’engouffrais dans les couloirs, plus tu sentais la mort t’effleurer et t’appeler à elle. L’ambiance dans les profondeurs de l’asile était pesante, malsaine. Tu sentais que tu voguais dans les bas-fonds de ce monde, ce milieu caché que les gens catalogués comme normaux refusaient de voir dans leur univers qu’ils voulaient à leur image : parfait. Les couloirs se dégradaient à mesure que tu avançais dans l’antre de la folie, observant avec effrois les murs décrépis et rongés par la crasse et les moisissures en tout genre. Les malades n’avaient-ils donc pas le droit à un environnement sain ? Ça te révulsait, te donnait envie de te battre pour rendre un tant soit peu d’humanité à ses êtres traités comme des animaux. Tu avais l’impression d’être à l’embouchure des enfers. Si tu t’écoutais, entre les cris de certains patients qui traversaient les portes capitonnées et les divers bruits plus inquiétants les uns que les autres, tu aurais pris tes jambes à ton cou. Mais tu pensais à ton Éden à l’autre bout du tunnel, et c’est ça qui te faisait tenir : le Joker qui te manquait tant. C’est d’ailleurs l’état dans lequel tu allais le retrouver qui te préoccupait le plus. L’ambiance macabre apparaissait presque comme un détail dérisoire une fois que tu t’y étais habituée malgré toi. Tu avais toujours envie de partir, mais pas sans avoir vu celui qui hantait tes jours et tes nuits. Partir… Mais pas sans lui. « Attendez-là. » Sec, le gardien te fit signe de t’asseoir sur la chaise en fer placée au milieu de cette immense salle. Elle était impersonnelle et séparée par un mur surmonté d’une vitre épaisse trouée à un endroit pour que vous puissiez vous entendre parler, au niveau de ta chaise et de la table en béton froid coupée en deux par le mur. La pièce était tout aussi sombre que le reste de la bâtisse, éclairée par deux néons aveuglants dont l’un des deux ne cessait de crépiter. Le cliquetis te rendait déjà folle. Tu jugeais la pièce du regard. Il y avait la porte par laquelle tu étais rentrée, une autre de l’autre côté de laquelle tu verrais rentrer le Joker plus tard et une troisième, contre le mur qui séparait l’endroit en deux et qui permettait d’aller d’un côté ou de l’autre de la pièce quand elle était déverrouillée. Tu te représentais mentalement le plan de l’asile, pensais déjà à ta stratégie pour t’échapper de cette pièce et de cet endroit glauque tout court. Tu te repassais le film des millions de fois, assise sur cette chaise qui te glaçait à cause du métal froid. Heureusement que tu n’étais pas réellement enceinte : tu avais déjà le dos cassé.
Dernière scène de cet acte final. Un quart d’heure s’était écoulé depuis que le garde t’avait laissé là. Il te surveillait depuis ton coin de pièce. Mais tu étais silencieuse, comme le reste de l’endroit. Jusqu’à ce que tout s’éveille au bruit des serrures des lourdes portes qui te séparaient encore du Joker. Tu savais qu’ils l’emmenaient, qu’il arrivait et ton cœur s’emballait sous l’impatience, la peur, l’excitation, la colère, la joie et l’appréhension. Un conflit d’émotions que tu ne contrôlais plus. Tu ne lâchais plus des yeux la porte par laquelle il devait entrer et enfin, après un moment qui avait duré une éternité, il apparaissait enfin. Et tu te pris la claque de ta vie. Au départ, tu ne le reconnaissais pas. À tel point que tu crus qu’ils s’étaient trompés de patient. Il était si amaigri, les traits aussi creusés que les tiens, si…éteint. Seules ses cicatrices qui agrandissaient éternellement son sourire te permirent de confirmer que c’était bien lui. Tu t’efforçais de sourire pour ne pas craquer, mais ton visage se tordait d’effroi. Ils sont en train de le tuer, à coup de médicaments, pensais-tu en toute légitimité. Le temps d’un instant, confrontée à cette vision d’horreur, tu oubliais le but premier de ta venue. Or, cette colère sourde grimpante en toi te rappelait que tu faisais le bon choix en transgressant mille et une lois pour le sortir de ce mouroir. Tu voulais pleurer, de rage, mais tu te retenais. Tu gardais tes larmes pour plus tard, pour ce moment où tu auras besoin de tes talents de comédienne. Pour l’instant, tu voulais juste le retrouver après quatre mois à vivre avec son absence et… te faire à cette image de lui que tu avais devant toi. Ils l’avaient assis sur la chaise en face de toi, de l’autre côté de la vitre. Tu ne prêtais pas attention aux gardes, autant de son côté que du sien. Un silence de plomb planait et t’écrasait, te forçant à te ratatiner sur ta chaise, la tête baissée. Pour la première fois de ta vie, tu te trouvais à court de mot. Parce que tu étais émue. Choquée. Tu avais envie de hurler. Tu voulais qu’il se réveille. Qu’il te fasse rire. Mais les médicaments l’avaient éteint. Les lèvres tremblotantes sous cette émotion, timidement, tu t’approchais pour tenter de capter son regard. Tes doigts tout aussi agités grippaient sur la vitre pour te donner l’impression que dans un bref instant tu pourrais le toucher. « Jack… » Tu savais pertinemment que ce n’était pas son prénom, mais tu ne lui en connaissais pas d’autres. Tu considérais que le moment n’était pas approprié pour l’appeler J comme tu en avais toujours eu l’habitude ou Joker. Tu marquais une pause. Tu ne l’admirais plus comme avant, constatant simplement les dégâts que quatre mois d’enfermement et de camisole chimique avaient causés sur lui. « Je t’avais dit que je ne te laisserais pas tomber… » Tu pensais à tes lettres envoyées chaque jour. Après ce silence et vu son état, tu te doutais qu’il ne les avait jamais reçues. « J’ai tout fait pour te voir avant. Mais on m’en a empêché. Je te promets. » Tu réprimais un sanglot pour ne pas perdre la face. Tu sentais déjà le regarde moqueur du garde derrière ton dos parce que tu lui faisais pitié. « Tu m’as manqué, J… » murmurais-tu, plus bas, pour te donner l’impression qu’il soit le seul à entendre cette tendresse. Tu chassais vite ses larmes qui coulaient en silence sur tes joues. Il fallait vraiment les garder pour plus tard, même si… même si là tu ne jouais pas.
(c) mars.
Dernière édition par Padmé Skywalker le Jeu 12 Mai 2022 - 21:59, édité 1 fois
Invité
Dim 8 Mai 2022 - 12:31
Tomorrow never knows (FF)
Padmé Skywalker & Joker
Asile psychiatrique de St. Andrews, fin 2024.
Il se trouvait en plein deal avec un client, un proxénète tenant plusieurs rues et trottoirs de Lockwood Hill, lorsqu’un de ses hommes de main s’approcha de lui et lui murmura à l’oreille :
- Boss, les flics sont chez Padmé.
Il se retourna vers lui et le regarda comme si c’était la première fois qu’il le voyait, ou comme s’il s’était exprimé dans une langue qu’il ne comprenait pas. Il y avait constamment une sentinelle qui observait, à couvert, la demeure de Padmé. Au départ, c’était pour la surveiller, pour qu’il sache ce qu’elle faisait, à quelle heure et avec qui. Mais en plus de deux années d’une relation aussi passionnée que violente entre eux, la présence de la sentinelle avait eu un autre but. Désormais, elle devait protéger Padmé. Certes, le Joker savait qu’elle était capable de se défendre seule. Depuis qu’elle le fréquentait, la femme douce et bien élevée avait cédé la place à une véritable tigresse ! Mais même une tigresse seule ne pouvait rien faire si les ennemis du Joker devaient débouler en force chez elle. C’est pourquoi il avait décidé de mettre constamment quelqu’un non loin de chez elle, pour pouvoir être prévenu si quelque chose de louche se passait chez elle en son absence.
- Boss ? Vos ordres ?
- On fait rien. Ils trouveront rien chez elle. C’qu’ils cherchent est planqué ailleurs. Mais vas-y et ramène-la chez elle. Ils vont l’emmener pour l’interroger…J’les connais…J’sais comment ils fonctionnent… Un hurlement de sirènes de la police commença à se faire entendre de plus en plus distinctement. Visiblement, les forces de l’ordre avaient choisi d’agir sur deux fronts en simultané ; un chez Padmé et l’autre qui venait le cueillir ici, dans son repère. Grouille !! Puis il se retourna vers son client et lui arracha sa chemise pour découvrir un micro dissimulé contre la peau de son torse. Mmmmmh…ça, c’était vraiment pas malin…. Et il le tua de plusieurs balles en pleine tête, rendant son visage méconnaissable tandis que ses hommes se chargeaient de ses deux accompagnateurs qui connurent le même sort. A peine eurent-ils vidés leur chargeur qu’ils furent à leur tour tués par leur employeur. Pourquoi ? Même lui ne le savait mais mieux valait nettoyer derrière lui, ne laisser personne en vie car il ne faisait confiance à personne, pas même à ceux qui bossaient pour lui. En revanche, il savait que Padmé ne dirait rien, déjà parce qu’elle était plus forte que la plupart de ses hommes en matière de pression psychologique et aussi parce qu’il y avait beaucoup de choses qu’elle ignorait au sujet de son business. La marchandise ? Elle était perdue de toute manière et il lui serait impossible de la dissimuler à temps avant l’arrivée de la police. Qu’ils s’en saisissent, après tout…Il s’en referait un stock en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. En revanche, il fallait qu’il se débarrasse d’une chose compromettante : son dossier personnel qu’il maintenait dans un coffre-fort auprès de lui, dans la chambre à coucher de son appartement situé au-dessus du hangar où il effectuait ses tractations d’achat et de ventes d’armes à feu. Il monta donc les escaliers quatre-à-quatre, se rua sur ledit coffre-fort, entra la combinaison, l’ouvrit et se saisit de la seule chose qu’il contenait. Un dossier. A l’instant où il l’avait eu dans les mains, il entendit la porte de son appartement s’ouvrir avec fracas, signe que la police était là. Sans attendre, il sortit un briquet et mit le feu à son dossier qu’il jeta dans le coffre-fort.
- POLICE ! LES MAINS EN EVIDENCE ENFOIRÉ !!
Sans un mot mais mort de rire, il obtempéra. Un policier lui saisit les bras avec violence et les lui tordit dans le dos avant de lui passer les menottes. Il ne sentit toutefois pas la douleur, trop heureux de les voir s’échigner à sauver ce qu’il restait du dossier en feu. Cependant, son rire finit par s’estomper lorsqu’il se rendit compte que la police était arrivée trop vite et que le feu n’avait pas pu dévorer l’intégralité des pages du dossier. Son acte de naissance, stipulant sa véritable identité, avait été détruit, de même que les premières pages de l’énorme roman qu’avait été son suivi médical et psychiatrique à l’asile d’Arkham de Gotham. Mais il restait encore une bonne moitié d’observations médicales ainsi que l’intégralité de son dossier judiciaire établit par la police de Gotham… Un grognement mécontent s’échappa de sa gorge tandis qu’on l’emmenait, menotté, au poste de police de la ville.
Plusieurs jours passèrent où il fut retenu dans une des cellules situées dans les sous-sols du poste de police. Tous les jours, un inspecteur et son adjoint venaient l’interroger et tous les jours, les mêmes questions se répétaient, auxquelles le Joker restait silencieux. Il se contentait de les observer, tour-à-tour hilare puis fou furieux ou indifférent, répondant des inepties n’ayant aucun rapport avec les questions posées et pas une fois, il ne demanda son avocat. La seule question à laquelle il répondit vraiment fut celle concernant Padmé et son implication dans cette affaire. Elle est ma femme et rien que ma femme, leur avait-il déclaré. En réalité, elle était bien plus que cela mais il estima qu’ils ne pourraient jamais comprendre la passion destructrice et enivrante qu’ils vivaient ensemble. On finit par lui en attribuer un d’office qui se mit à transpirer à grosses gouttes en parcourant son très long dossier judiciaire et médical.
- Il faut plaider la folie, Monsieur Napier. C’est la seule solution. Si vous allez en prison, vous serez condamné à perpétuité. C’est certain. Le Joker le regarda comme s’il était face au plus gros crétin de l’humanité.
- Parce que tu crois vraiment que j’ai plus de chances de ressortir d’un asile ?! T’es sérieux ?! Tu sais pas lire ou quoi ?! D’une de ses mains menottées, il se saisit du dossier des mains de son avocats et l’agita devant lui, faisant tomber plusieurs pages sur la table et au sol. Relis ça et fais en sorte qu’ils m’envoient en taule. J’mettrais PLUS JAMAIS un pied dans un asile. Tu piges ??? L’avocat avait compris mais le jour du procès – très expéditif – finit par arriver et malgré le plaidoyer somme toute très médiocre de son avocat, la sentence lui coupa toute envie de rire.
- Monsieur Napier, au vu de vos nombreux crimes, de vos antécédents judiciaires dans la ville de Gotham ainsi que dans cette ville et de vos multiples pathologies qui sont, je les rappelle : troubles bipolaires sévères, psychose, schizophrénie à un stade avancée, troubles obsessionnels-compulsifs et troubles multiples de la personnalité, la cour vous condamne l’internement à vie à l’hôpital psychiatrique de St. Andrews, sans visite, et où vous serez immédiatement mis sous traitement. La sentence prend effet à compter de ce jour. Son marteau s’abattit sur le socle ; la sentence était rendue. Deux officiers de police le prirent par les épaules et le forcèrent à avancer vers la porte de sortie mais il se raidit, refusa de mettre un pied devant l’autre et se mit à hurler telle une bête à la fois enragée et affolée en se sentant conduite à l’abattoir. Il chercha Padmé du regard, la vit, l’entendit lui promettre de ne jamais l’abandonner mais il ne put rien lui répondre en retour tout comme il ne lui fut pas permit de lui faire ses adieux. On le jeta dans une fourgonnette. On lui attacha les mains et les pieds à une longue chaîne ancrée directement dans le sol du véhicule et, durant tout le trajet entre le palais de justice et l’asile, il ne fit que hurler un seul mot. Un prénom. Celui de Padmé.
Ils durent s’y mettre à quatre pour le sortir de la fourgonnette et le porter jusque dans l’aile de l’asile réservée aux malades mentaux les plus dangereux. Ils se débattaient et, même attaché, il parvenait à leur envoyer coups de poing et coups de pieds tout en leur hurlant les pires horreurs. On l’attacha finalement contre un mur et un des quatre infirmiers lui administra un calmant à l’aide d’une seringue. A peine eut-il senti l’aiguille s’insérer dans sa peau qu’il commença à ne plus sentir son corps ni ses pieds toucher le sol. Il glissa mollement contre le mur et s’écroula sur le sol. Lorsqu’il reprit connaissance, il se trouvait dans une chambre blanche avec un lit pour seul mobilier, ainsi que des toilettes et un lavabo dans un coin de la pièce. Les murs étaient capitonnés et lui-même portait une camisole de force. Ses pieds étaient toujours enchaînés et un long filet de bave s’écoulait de sa bouche. Péniblement, il se leva pour retomber sur le sol deux fois de suite tant il était prit de vertiges. Lorsqu’enfin il parvint à tenir debout, il s’avança jusqu’à la porte. Une petite fenêtre carrée lui renvoya son reflet et il comprit qu’ils l’avaient entièrement lavé car il n’y avait plus aucune trace de son maquillage. Quant à ses cheveux, ils lui avaient rasé la tête. Peu à peu, sentant ses forces lui revenir, il se mit à crier de plus en plus fort, se projetant contre les murs aussi vite que ses pieds enchaînés le lui permettaient. Au final, il se mit à se frapper violemment la tête contre cette même vitre, si fort qu’il finit par la fissurer et par s’ouvrir le front. A cet instant, la porte s’ouvrit sur trois infirmiers qui le projetèrent contre le mur si brutalement qu’il crut étouffer contre le mur capitonné. Et, à nouveau, le corps étranger de la seringue dans sa peau. Puis ce fut le noir complet…
Combien de temps s’était écoulé depuis qu’il était dans cet asile ? Il n’en avait aucune idée. Il avait pourtant cherché, au départ, à compter les jours mais ceux-ci avaient fini par se mélanger dans son esprit ; la faute aux nombreux médicaments qu’on lui administrait de force. Sur ce point-là, le traitement était bien différent de celui qu’il avait connu à Arkham. Là-bas, il devait avaler une quantité monstre de pilules de toutes les couleurs chaque jour et à raison de trois fois par jour. A St. Andrews, son état était à un stade si avancé que les psychiatres qui l’avait à leur charge, avaient décidé de procéder par injection. Tous les jours donc, et toujours trois fois par jour, on lui injectait du poison dans les veines. Sels de lithium pour les troubles bipolaires et de la personnalité. Un cocktail d’antipsychotiques pour la schizophrénie et la psychose. Paroxetine, fluvoxamine et citalopram pour les troubles obsessionnels-compulsifs, auxquels s’ajoutaient une séance quotidienne d’électrostimulation. Et puis, il y avait la longue liste d’effets secondaires qui allaient conjointement avec ces traitements. Perte d’appétit, problèmes rénaux et de la thyroïde, nausées, vomissements, tremblements parfois violents et incontrôlables, somnolence, sécheresse buccale ou encore dyskinésie tardive qui se manifestait par des mouvements involontaires de la bouche, des lèvres, de la langue, des bras ou des jambes. On ne le sortait de sa chambre – ou plutôt on le traînait puisqu’il était incapable de marcher tant il était assommé par ce traitement cruel – qu’une fois tous les deux jours pour une douche glacée ou pour ses séances d’électrostimulation qui lui avaient laissé de vilaines marques aux niveaux des tempes où sont apposées les ventouses de ce traitement barbare et, disons-le, encore expérimental. Un infirmier l’aidait à manger et à boire, le lavait, le portait de son lit aux toilettes et inversement. Il n’était plus capable de rien seul. A bien le regarder, il n'était plus qu’un corps vide. Son âme avait été neutralisée depuis longtemps par les maladie avant d’être définitivement éradiquée de son corps par le coup de grâce de ce traitement très lourd.
Il ne remarqua donc pas qu’un jour, on ne le traînait ni au secteur des douches, ni à la salle d’électrostimulation. D’un air hagard, il observait ces murs nouveaux et sales défiler de part et d’autre du couloir tout aussi crasseux sans un mot ou le moindre geste. Un des infirmiers lui abandonna brièvement l’épaule le temps d’ouvrir la porte d’une salle presque vide. Ses yeux mirent du temps à s’acclimater à l’ambiance de la pièce dont la luminosité, instable, reposait essentiellement sur deux néons dont l’un était en fin de vie. Comme lui, en réalité. On le posa sans ménagement sur une chaise, un peu trop fort car il manqua de tomber par terre, son corps glissant sur le côté et rattraper de justesse par l’un des infirmiers. Le second lui attachait les pieds à une chaîne soudée à même le sol puis ils reculèrent et il se retrouva seul face à une femme dont tous les traitements du monde ne pourraient jamais lui faire oublier son si beau et si doux visage. Mais qu’elle était triste. Elle faisait son possible pour contenir ses larmes, pour faire bonne figure devant lui. Il voulut lever un bras, poser sa main contre la vitre juste au même niveau que sa propre main à elle, cherchant désespérément le contact avec lui. Mais tout ce qu’il put faire, fut un mouvement incontrôlé et raté de ses bras qui vinrent s’écraser sur la table en faisant rentrer douloureusement l’acier des menottes dans la peau de ses poignets.
- Ppp….Pppp… essayait-il d’articuler son prénom. Parler était devenue une épreuve encore plus handicapante que celle de pouvoir marcher seul. Pppp…Padm… Il y était presque mais sa bouche sèche et sa langue pâteuse refusaient d’aller jusqu’au bout de ce prénom synonyme de salvation. Ppppadm…Padmé…Padmé ! ça y est ! Il l’avait fait ! Il avait vaincu le poison de ses traitements pour pouvoir prononcer ce si doux prénom. Mmmanqué…aussi… répéta-t-il, ne se sentant toutefois pas la force de faire des phrases complètes. Mais Padmé était intelligente. Elle saurait la compléter par les mots manquants. Sa tête tomba sur le côté droit mais ses yeux étaient grands ouverts, s’abreuvant du corps de cet ange de l’autre côté de la vitre. Un mince filet de bave s’échappa de ses lèvres et ses yeux se mirent à le brûler atrocement. Il se refusait toutefois à les fermer ne serait-ce qu’une seconde, de peur de voir Padmé s’en aller de son champ de vision. Alors il maintint ses yeux ouverts et une larme finit par couler lentement le long de sa joue droite. Dans un ultime effort qui relevait du surhumain pour lui tant le poison était puissant dans son organisme, il se redressa et se pencha en avant vers la vitre, vers la main de Padmé. Vers elle.Aaa…Aide…Aide-mm…Aide-moi…Aide-moi… parvint-il enfin à murmurer à sa seule et unique attention à elle, son phare dans les ténèbres. Son ange-gardien.
L’homme qui se trouvait en face d’elle n’était pas celui qu’elle avait aimé et qu’elle aimait encore. Dire qu’il était l’ombre de lui-même était un mensonge — elle avait une personne totalement différente en face d’elle, un zombie dont l’âme était partie il y a fort longtemps déjà. Le Joker n’était plus qu’une carcasse décharnée. Ne pouvant accepter cette image, Padmé imaginait que c’était une énième face malsaine de sa part, que le vrai Joker était caché là, quelque part. Elle s’attendait à ce qu’il surgisse du coin de la pièce, bondissant comme un trublion sans manquer de rire d’un air dément, car il s’amuserait de la blague de mauvais gout qu’il venait de faire en mettant ce pantin à sa place. Une bouffonnerie qui mettrait Padmé hors d’elle sur le coup, mais elle aurait fini par rire, parce que J savait toujours réveiller le soleil en elle bien qu’il soit habité par des ténèbres trop épaisses. « Mais que tu es bête, mon Dieu ! » Elle lui aurait donné une tape sur l’épaule, lui aurait jeté son petit regard sévère sans retenir son sourire amusé puis l’aurait laissé l’embrasser. Rien de tout ceci n’arriva. Pas de Joker caché dans un coin, pas de blague. Juste elle face à ce vide. Il devenait de plus en plus difficile pour elle de retenir ses larmes qui s’écoulaient silencieusement le long de ses joues et qu’elle chassait au plus vite. Elle n’avait nul autre choix que d’être forte. Pour lui. Pour le faire sortir. Elle se demandait même comment elle allait s’y prendre — elle avait oublié d’inclure l’état physique de son amant dans son plan. Elle ne pourrait pas le soulever ni le trainer. Padmé était intelligente, elle trouverait une solution. Pour le moment elle comptait sur les dernières forces qui habitaient le Joker pour qu’il fuie avec elle. Mais l’espoir était maigre dans cette noirceur. Son cœur s’effritait, mourait à petit feu chaque fois qu’il tentait de parler. Elle était brisée de le voir lutter contre lui-même. Puis, restant l’homme fort qu’il avait toujours été, il trouvait le moyen de la faire sourire. Revivre. Son rictus montait jusqu’à ses oreilles — adieu la reine triste, revoilà le Soleil ! Les yeux de la reine naboo étaient noyés de larmes, mais qu’elle était belle en rayonnant de la sorte, simplement parce qu’il avait réussi à prononcer son prénom. Simplement grâce à ces mots, à cette force qu’il avait trouvée en lui, la tristesse de Padmé s’était transformée en rage, en huile pour le moteur de sa combativité.
Elle avait tant à lui dire, tant à lui montrer et à lui prouver. Elle voulait simplement une conversation avec lui avant de prendre le large. Le Joker ne lui manquait pas seulement physiquement en tant que présence tangible, mais aussi psychiquement — il était dérangé, collectionnait un paquet de maladie mentale, mais Padmé aimait sa personnalité, sa façon de parler, d’agir et de penser. Aussi étrange que cela puisse paraître, elle ne s’était jamais sentie autant en phase avec quelqu’un, autant écoutée, mais surtout considérée qu’avec lui. Et ce genre d’échange lui manquait atrocement. Tout en réalité lui manquait. Elle avait pris gout à cette vie sur le fil à ses côtés. En voyant l’état du Joker, elle ne cherchait pas à le faire parler d’avantage, mais chaque mot qu’il parvenait à prononcer était bénéfique pour son cœur qui peinait à rassembler ses débris. Et l’appel à l’aide de Joker, bien qu’il lui éreintât cet organe déjà si fragile, était loin de la mettre à terre. Il lui rappelait sa mission première. « J’, écoute-moi. Je ne vais pas te laisser ici, tu m’entends ? Je ne vais pas te laisser mourir. Je ne vais pas t’abandonner, je te l’ai promis. Tu ne resteras pas dans ce mouroir. » Elle s’était rapprochée de la vitre pour qu’il soit le seul à l’entendre. Ses iris avaient abandonné leur peine pour s’habiller de flammes de colère, de rage et de hargne. Elle avait même la mâchoire crispée, à deux doigts de tout faire exploser ici juste pour aller le cherche de l’autre côté de cette foutue vitre. Rien ni personne ne pouvait l’arrêter. Elle était prête à y laisser sa vie si cela permettait à l’homme qu’elle aimait de retrouver sa liberté. Padmé n’avait pas pu sauver Anakin de ses démons et toute sa vie, jusqu’à ce qu’elle pousse son dernier soupir, elle s’en voudra, mais ici et maintenant, elle comptait bien tout tenter pour secourir le Joker. Sans qu’elle ne sache vraiment pourquoi, ce moment lui rappelait une chose que le Joker lui avait dite au tout début de leur histoire : « J’suis beaucoup de choses et là-dedans, réel et irréel se mélangent tout le temps, mais y’a une chose qui les rassemblent depuis quelques semaines. Toi. Je. Te. Vois. Partout. Padmé. Tu. M’obsèdes. » Ils étaient le moteur de l’un et de l’autre. Le phare dont ils avaient besoin dans leur existence troublée. Si Padmé devait ramener le Joker avec elle, ce n’est pas simplement pour le sauver, c’était aussi pour se sauver elle, se sauver de cette folie et de cette tristesse qui la guettaient. Elle mourait sans lui. Littéralement. N’avait plus de but, de raison de se lever le matin. Elle cherchait encore à le rassurer. « Je suis réelle, J. Bel et bien réelle. Je ne vais pas partir et tu vas sortir. C’est toi et moi contre les autres. Je ne t’abandonne pas. Tu es la seule raison qui me pousse à me lever le matin. (Elle serrait les dents, appuyant chacun de ses mots, tremblant sous le coup de tout un tas d’émotions même si la rage la dominait. Jamais elle ne le quittait des yeux. Jamais elle ne perdait le contact.) Est-ce que tu comprends à quel point tu es important pour moi ? Que tu es mon monde ? Tu. Ne. Vas. Pas. Rester. Ici. Comment puis-je briller sans mon soleil ? » murmurait-elle plus bas pour qu’il n’y ait que lui qui entende même si cela attirait légèrement la suspicion des gardes qui se trouvaient de leur côté respectif. « Je meurs sans toi. » Elle réprimait un sanglot. C’était le moment pour elle de prouver qu’elle était bien réelle en mettant en place la seconde partie de son plan.
Pour se donner du courage, elle déposait un baiser contre ses doigts avant de les coller contre la vitre au niveau de la joue du Joker comme si elle lui avait donné un vrai baiser. Padmé lui adressait un dernier sourire puis pivotait sur sa chaise pour s’adresser au garde posté dans son coin de pièce. Elle faisait attention à ce que son faux ventre ne se plie pas d’une étrange manière pour éviter d’attirer les soupçons. « J’aimerais le voir. Laissez-moi passer de l’autre côté. » Elle était ferme, se servant de son autorité naturelle, mais le garde se moquait d’elle. « Vous savez où vous êtes ici ? Vous savez qui c’est ? C'est pas la f...» Padmé ne lui laissait pas le temps de finir. À son tour, elle riait, aussi méprisante dans sa voix que dans son regard. Elle ne se laissait pas démonter. « Oh oui, merci je sais très bien où je suis parce que ça fait des mois que j’essaie de venir ici pour voir mon mari. Et je comprends mieux pourquoi on m’a refusé l’accès : vous être en train de transformer son cerveau en purée pour qu’il ne fasse pas de vague, qu’il se tienne bien tranquille (Elle commençait sérieusement à lever le ton) et que personne ne trouve quoique ce soit à y redire alors CROYEZ-MOI QUE VOUS ALLEZ ME LAISSER ALLER DE L’AUTRE CÔTÉ, MONSIEUR. » Padmé ne jouait pas. Padmé ne jouait plus. Elle était profondément en colère, profondément peinée. La discussion houleuse entre le garde et elle courrait sur plusieurs minutes encore, de longues minutes où elle pleurait, vociférait… Elle était parfaite dans son rôle, à tel point que ce fut le garde du côté de la pièce du Joker qui intervenait en passant par la porte qui séparait la salle en deux. « C’est bon ! Laisse-la passer. » Il regardait Padmé, autant sur les nerfs qu’elle. « Cinq minutes. Et t’as pas intérêt de faire de vague. » Elle reprenait brièvement ses esprits pour lui jeter un regard assassin. « Ne me parlez pas sur ce ton. » Trop de gens se permettaient d’être impolis avec elle depuis qu’il avait été révélé publiquement qu’elle était la compagne du Joker. Aux yeux de l’opinion publique, elle était aussi coupable que lui. Aussi monstrueuse. Aussi sadique. Mais Padmé s’en fichait. Elle n’avait jamais eu besoin du monde pour vivre ou se sentir exister. Elle n’avait besoin que de lui.
C’est non sans appréhension qu’elle passait cette fameuse porte. Son regard rencontrait immédiatement celui du Joker — elle oubliait intensément l’univers autour d’elle. Son cœur s’emballait, ravivait ce corps endormi depuis trop longtemps et qui fonctionnait de façon purement mécanique depuis qu’on lui avait retiré le moteur de son existence. Son sourire se tordait sous l’émotion qu’elle peinait à contenir. Elle était heureuse de le revoir de plus près, mais Padmé ne put s’empêcher d’éprouver une certaine culpabilité en se présentant à lui avec ce faux ventre de quatre mois, alors que ses sens altérés à cause des médicaments. Peut-être qu’il n’en penserait strictement rien. Peut-être qu’il ne réaliserait même pas tant il était drogué. Peut-être serait-il en colère. Ou peut-être que ça le ferait marrer qu’elle ait eu un plan aussi déluré pour le sortir de là. Elle préparait dans sa tête une liste d’excuses et d’explication sans que cela parvienne à lui ôter ce poids de la culpabilité. « Détachez-le. Je veux le prendre dans mes bras. » Elle tournait sa tête vers l’un des gardes qui la fustigeaient du regard. « Vous croyez pas que vous en demander trop là. » Elle se tournait vers eux. Padmé avait beau être petite, son aura écrasait tout le monde dans la pièce. Elle haussait le ton, restant ferme et autoritaire sans manquer de sévérité dans le regard. « Ça n’était pas une question, messieurs. Détachez-le. Il n’a plus rien, alors il a au moins le droit de toucher mon ventre. De connaitre ce bébé qu’il ne verra jamais. Puis où voulez-vous qu’il aille où ?! Il ne tient même pas debout ! Je vous ai vu tout à l’heure : si l’infirmier ne l’avait pas rattrapé, il serait tombé de sa chaise ! Puis tout est verrouillé ici, il ne peut pas s’enfuir ! Qu’est-ce que vous voulez de plus ?! C’est juste cinq minutes. » Les gardes se concertaient du regard. Au bout de plusieurs secondes, l’un d’eux finit par soupirer et enleva au Joker les chaines qui l’entravaient. Sans perdre plus de temps, Padmé réduisait à néant l’espace qui les séparait. « Mon amour. » Peut-être un peu brusque et trop rapide pour lui vu l’état dans lequel il se trouvait, elle couvrait ses lèvres et son visage de tout un tas de baisers plus amoureux et tendres les uns que les autres. Son cœur avait explosé de nouveau, mais de bonheur cette fois-ci. Les papillons dans son estomac se mêlaient aux feux d’artifice qui éclataient de toute part en elle. Revigorée par ses retrouvailles, puisant en elle une force qui lui était étrangère, elle glissait ses bras sous ceux du Joker pour l’aider à se mettre debout. « Lève-toi, chéri… Lève-toi, tu vas y arriver… » Elle avait la sensation de soulever une montagne — un bien maigre poids face à tout ce qu’elle avait surmonté depuis quatre mois. Et quand il se trouvait enfin debout, par miracle, elle profitait de ces quelques secondes de répit pour nicher sa tête dans son cou et profiter de lui, de son odeur, de son tout qui lui avait manqué. Elle tremblait presque tant l’instant lui semblait irréel — elle en avait tant rêvé depuis des mois, au point de se complaire dans un royaume d’illusions. « Réel et irréel se mélangent tout le temps… »Tu es réel, tu es réel, tu es réel… Elle l’attrapait, l’agrippait férocement pour s’en convaincre, couvrant la peau de son cou de quelques baisers. Rien d’autre autour d’eux n’existait. Padmé avait retrouvé son Paradis.
Même si elle ne souhaitait pour rien au monde quitter ses bras, elle n’oubliait pas la raison première de sa venue. Elle profitait de sa proximité avec lui et d’être hissée sur la pointe des pieds pour lui murmurer au creux de l’oreille pour qu’il soit le seul à l’entendre. « J'… Je suis désolée… » Elle déglutissait. « Je… Je ne suis pas enceinte de toi, ni enceinte tout court d’ailleurs. C’est la seule solution que j’ai trouvée pour rentrer ici sans attirer les soupçons sur moi. » Délicatement, elle caressait son dos — une douceur que le Joker avait dû oublier après des mois de maltraitance dans cet enfer. Dommage qu’il ne la vît pas : Padmé avait un sourire satisfait au visage, plus carnassier. « J’ai un cadeau pour toi… Dans mes cheveux. Sers-t’en. Aujourd’hui tu sors. Je t’emmène loin. On se tire. » La fameuse baguette qui nouait ses cheveux en un chignon brouillon, mais élégant était en réalité un couteau-papillon. Elle étouffait son bref rire dans le cou de son amant, lui donnant un énième baiser avant de lui détailler son plan : l’alarme à incendie pour déclencher l’ouverture des portes. La porte de secours à prendre dans une vingtaine de mètres pour débouler sur l’arrière du bâtiment et la voiture qui les attendait chaudement — elle serait la conductrice et lui le tireur si besoin. Elle redressait son visage pour que leur regard se croise. Elle l’admirait, l’aimait encore plus — un constat qu’elle fit en glissant ses mains contre ses joues. Ses lèvres n’étaient plus très loin des siennes quand elle lui soufflait. « N’hésite pas à me secouer. Rends ça réel… » La fin de sa phrase était étouffée par le baiser qu’elle lui donnait.