(terminé) I want her with everything I have. [Marisa]

Ces soirées mondaines étaient aussi ennuyeuses que tristement nécessaires. Edward entendait se rapprocher de la royauté, et Mrs. Coulter comptait bien en profiter pour en faire de même. C'était elle-même qui avait longuement suggérer à Edward de convier l'aristocratie londonienne dans leur demeure. Et malgré cela, c'était elle qui se retrouvait à présent seule au beau milieu de ces hommes bedonnants aux barbes soignées.

Parce qu'elle était une femme, scientifiques et chercheurs ne prenaient pas la peine de converser avec elle. Alors elle rongeait son frein et patientait. Il n'y avait plus que cela à faire. Son avis intimidait les hommes, sa beauté effrayait les Erudits et les membres du Magisterium. Edward lui-même lui avait vivement conseillé de ne pas se mêler aux groupes d'aristocrates en cravate qui n'en finissaient pas de répéter de vaines rumeurs à propos de concepts qu'ils ne comprenaient pas et n'auraient jamais les facultés intellectuelles de comprendre.

Un verre de champagne à la main, Marisa était silencieuse, le regard perdu dans le vide. Elle était plongée dans ses pensées, à défaut de pouvoir trouver une conversation un tant soit peu stimulante. Ce fut son daemon qui, le premier, l'avertit d'une possible approche. Le singe posa une patte sur son mollet nu afin d'attirer son attention, ce qui sortit la brune de sa mélancolie. Mais elle eut à peine le temps d'adresser à son daemon un regard sévère avant qu'une voix ne parvienne à ses oreilles. Une voix agréable, au demeurant, qui n'en avait pas moins les intonations typiques de l'aristocratie.

Intriguée, Marisa releva la tête et croisa sans crainte le regard glacial de cet homme qui devait être bien imprudent pour oser s'adresser à elle tout en connaissant son identité. Lorsqu'il cita son nom et son prénom, elle se contenta d'afficher un mince sourire. Elle n'hésita cependant pas une seule seconde avant de serrer cette main tendue.

- Le fameux Lord Asriel que le Magisterium craint tant.

Un homme craint car il n'adhérait pas aux dogmes de l'Eglise, un homme craint pour ses recherches et ses explorations. Un homme qui donc, nécessairement, attisait sa curiosité. Rares étaient ceux qui osaient défier le Magisterium, et plus rares encore étaient ceux qui le faisaient aussi ouvertement.

- Que raconte-t-on à mon sujet pour qu'un homme aussi actif et occupé que vous ait entendu parler de moi ? l'interrogea-t-elle avec un sourire fin.

Pendant qu'elle l'écoutait lui détailler ce que l'on racontait d'elle dans ce milieu, Marisa le fixait avec une étrange sérénité, l'ombre d'un sourire ne quittant jamais totalement ses lèvres peintes de pourpre. Elle ne s'intéressait pas réellement au contenu des rumeurs qu'il lui partageait, car elle les connaissait déjà toutes et en nourrissait son orgueil déjà vicieusement développé. Ce qui l'intéressait réellement, c'étaient les mots employés par cet homme qui avait fait le choix, malgré les avertissements qu'il avait reçus, d'engager la conversation avec elle. C'était un aplomb qu'elle respectait. Et une superbe preuve de l'esprit de révolte de cet homme qui était si craint pour sa liberté et ses ambitions.

Il savait employer la flatterie avec aisance. Marisa esquissa un sourire satisfait en l'entendant ponctuer son discours de cette observation qui n'avait rien de factuelle mais relevait nécessairement de l'interprétation. Néanmoins consciente que toute conversation de ce type pouvait n'être qu'un jeu tentateur dans une telle société, elle prit grand soin de recevoir ces flatteries avec suffisamment de détachement pour ne pas se laisser prendre au piège.

Lord Asriel désirait donc en apprendre davantage au sujet de ses recherches. A cela, le sourire de Marisa gagna en amertume.

- Le seul article publié à mon nom est intitulé Les pendules de bronze du Bénin. Rien de bien fascinant, n'est-ce pas ? Le Magisterium veille à ne pas me laisser signer mes autres essais.

Parce qu'elle était une femme. Elle n'avait pas besoin de préciser cela, le sous-entendu était on ne peut plus clair. Elle noya sa rancoeur en buvant une gorgée de champagne avant de reprendre posément :

- Bien des mystères entourent pourtant notre monde et notre condition d'êtres humains. Et je suis d'avis que le contrôle vient avec la connaissance. Pour cette raison, je m'intéresse aux particules élémentaires. La Poussière.

Elle prenait un risque considérable en abordant ce sujet si délicat au beau milieu d'une réception, avec un homme qu'elle ne connaissait que de réputation. Et une réputation peu glorieuse, de surcroît. Elle n'aurait su dire si c'était le champagne ou la présence magnétique d'Asriel, mais elle se sentait soudainement plus audacieuse. Comme si, d'instinct, elle devinait quel tempérament se dissimulait sous ce regard glacial et les rumeurs.

- On vous dit hérétique.

Ce qui, manifestement, ne la contrariait pas. Bien au contraire. Marisa semblait fascinée par ce fait, sans doute car elle était consciente du risque qui pouvait si facilement naître à cause de cette conversation. Son regard s'attardait sur le moindre détail du visage d'Asriel, à l'affût de toute micro-expression, de tout indice qui lui permettrait d'en apprendre plus sur sa personnalité et ses ambitions.

La mention de la Poussière lui obtint l'attention de Lord Asriel. Ce fut un détail qu'elle nota soigneusement dans un coin de son esprit, mais elle se contenta pour toute réaction d'afficher un sourire énigmatique et, si l'on s'attardait à sa contemplation, légèrement cruel. La férocité de son expression fut plus évidente encore lorsque sa nouvelle connaissance l'interrogea sur le résultat de ses recherches et, surtout, lorsqu'il devina avec justesse qu'elle manquait des moyens nécessaires pour obtenir le progrès qu'elle désirait.

- Vous supposez bien. Et pour cette raison, pour l'heure, mes recherches n'ont pas le succès que j'espérais.

Lord Asriel lui confirma alors, avec une assurance et une audace époustouflantes, que l'on avait raison de le qualifier d'hérétique. Cette information la dérangeait-elle ? La réponse était simple et évidente. Mais ce n'était pourtant pas celle qui était attendue, celle qu'elle aurait dû énoncer au nom de la bienséance.

- Non, cela ne me dérange pas.

Mais cela aurait dû la déranger, en vertu de l'éducation terriblement stricte qu'elle avait reçue et de son lien étroit avec l'Eglise par le biais de son époux et des membres du Magisterium dont elle s'acharnait à gagner la crainte et la loyauté. Car il n'était guère question de respect. Parce qu'elle était une femme, et trop caractérielle de surcroît, elle n'obtiendrait jamais le respect de ses pairs, qui sous-estimeraient toujours la détermination et les capacités de Marisa. Mais cette dernière, consciente que la patience serait son meilleur atout dans ce jeu délicat qu'était la politique, acceptait de tisser lentement mais sûrement sa toile.

- Parlez-moi de vos recherches, intima-t-elle impérieusement.

Il était rare qu'elle s'intéresse aux travaux des hommes qu'elle rencontrait. Mais, puisque Lord Asriel venait de lui confirmer son statut d'hérétique et d'homme hors du commun, elle était curieuse d'en apprendre davantage au sujet de ce qui pouvait bien faire de lui la cible privilégiée des méfiances et des complots du Magisterium et des Erudits.

Marisa attendit patiemment la réponse que lui donnerait Asriel. Elle était avide de savoir quelle option il privilégierait pour lui répondre. Choisirait-il la franchise, honorant ainsi son esprit, ou se contenterait-il, comme bon nombre de ses pairs, de lui offrir une réponse évasive dans l'espoir qu'elle change de sujet ? Quel type d'homme était réellement Lord Asriel, connu pour sa passion et sa férocité ? C'étaient les interrogations qui traversaient ses pensées, mais qui furent réduites au silence lorsqu'il trouva finalement les mots pour lui répondre.

Et Marisa ne fut pas déçue. Il était franc, et surtout, il était brave. Peut-être même plus téméraire que brave, à oser prononcer de telles paroles au beau milieu de tous ces hommes qui s'insurgeaient au moindre soupçon d'hérésie et de péché.

- Dans quel but ? ne sut-elle s'empêcher de l'interroger, trop intriguée pour résister à l'envie d'approfondir le sujet.

Un but qui ne pouvait, en effet, qu'être considéré comme hérétique par le Magisterium. Et par Marisa elle-même, sans doute, dont l'éducation stricte et religieuse avait eu un impact non négligeable sur sa personne et son caractère. Mais avant d'être une femme soumise à la volonté de l'Eglise, elle était une femme qui rêvait avant tout de rejoindre les Erudits, et de comprendre ce monde pour mieux le plier à sa volonté et à ses ambitions, qui étaient nombreuses et impitoyables.

Plus ils conversaient, plus Marisa comprenait ce que redoutaient tant les hommes qui ne cessaient de maudire Asriel. Ces mêmes hommes qui, d'ailleurs, dressaient de Mrs Coulter un portrait si peu élogieux. Lord Asriel était un homme qu'il était agréable d'écouter parler. Il avait la conversation intéressante et l'audace exaltante. Marisa s'intéressa à son regard, d'un bleu si clair qu'il en devenait perçant, presque glaçant. Et pourtant, elle soutint avec un plaisir non-dissimulé ce regard qu'elle commençait à vouloir croiser chaque jour qu'il lui était donné.

La proposition voilée de son interlocuteur la fit sourire plus sincèrement.

- En effet.

Sa réponse était sobre, prudente. Et pourtant, il ne faisait aucun doute qu'elle était terriblement tentée, et pas seulement d'un point de vue intellectuel. Mrs Coulter n'avait eu aucun scrupule à séduire les hommes pour arriver à ses fins, y compris son époux, qu'elle avait jugé être le meilleur parti pour lui permettre d'accéder à ses ambitions. Mais ce soir-là, elle s'aperçut que c'était bien la première fois qu'elle était, à son tour, séduite.

Marisa n'était pas novice dans l'art de la séduction. C'était une arme qu'elle employait sans remords dès qu'elle estimait que c'était la meilleure stratégie. Et, dans ce monde de contraintes, de règles strictes et de condamnation du moindre péché, du moindre écart, les hommes étaient pourtant nombreux à ne savoir résister à la tentation qui se glissait dans un sourire trop séduisant ou un regard trop appuyé.
Pour cette raison, elle sut que cet homme causerait très certainement sa perte si l'on venait à soupçonner publiquement ce qui se jouait déjà dans l'intimité de son cœur. Lord Asriel était charmant, et d'autant plus charmant qu'il était également brillant. Audacieux, téméraire peut-être, mais décidé et impitoyable. Des qualités qui plaisaient sans l'ombre d'un doute à Marisa, qui ne parvenait plus à détacher son regard de la personne de cet homme intrigant. Ses réponses concernant ses recherches piquaient vivement son intérêt, mais Marisa avait obtenu tous les détails qu'elle désirait dans ces quelques mots. Elle sut, aussitôt, pourquoi le Magisterium redoutait tant cet homme. Et elle sut, tragiquement, qu'elle était incapable de résister à cet attrait magnétique qu'elle ressentait. De lui, elle désirait tout aussi bien la conversation que la présence et, si elle s'écoutait, le corps.

Etonnée par ses propres pensées, Marisa but une gorgée de sa boisson. Elle baissa cependant son verre lorsqu'Asriel ajouta qu'il veillerait à mettre son nom en avant s'ils s'associaient. C'était un projet attirant, et un argument qu'il avait raison d'énoncer.

- Voyons ce que l'avenir nous réserve, en ce cas, souffla-t-elle comme une promesse.

La promesse de se laisser aller à la tentation, à ses côtés. Et la promesse de se retrouver aussi souvent qu'ils l'estimeraient nécessaire, que ce soit dans le cadre de leurs recherches ou dans un cadre plus... Intime. Et, à ce sujet, la proposition de Lord Asriel tombait merveilleusement bien.

- Suivez-moi.

Elle para sa requête d'un sourire ouvertement enjôleur, avant de le dépasser pour quitter cette pièce trop pleine d'aristocrates et d'Erudits à la nauséabonde bien-pensance. Elle aurait pu faire le choix, plus raisonnable, de mener son interlocuteur au balcon qui se trouvait à cet étage. Mais, par souci de discrétion et parce qu'elle était certaine qu'Edward était trop occupé à charmer ses invités pour remarquer ou s'inquiéter de son absence, Marisa privilégia un balcon qui se trouvait à l'étage du dessus.

Sûre d'elle, elle ne prit pas la peine de vérifier que Lord Asriel la suivait mais Ozymandias, lui, veilla à rester auprès de Stelmaria, jetant des regards derrière son épaule pour s'assurer qu'ils étaient bel et bien suivis. Fort heureusement pour lui, Marisa ne songeait pas encore à réprimer tout ce qui la rendait purement et simplement humaine, dans tout ce qu'il y avait de plus complexe, de vicieux mais aussi de superbe en toute humanité.  

Finalement, elle arriva au balcon. Elle s'avança aussitôt jusqu'à la rambarde où elle appuya les mains. Une pulsion macabre la poussa à baisser le regard sur les jardins sous leurs yeux. La hauteur était impressionnante, et assurément mortelle pour quiconque aurait la curieuse idée de plonger dans le vide. Et pourtant, bien malgré elle et malgré le vertige qui la saisit instantanément, Marisa fut tentée, le temps d'une fraction de seconde, de sauter. Cette pulsion la fit sourire comme si elle était enivrée par cette possibilité.

- J'ai toujours redouté les hauteurs, murmura-t-elle à l'intention d'Asriel.

Car elle avait toujours redouté de ne pas savoir résister à cette envie, presque irrépressible, de se laisser emporter par le vide.

La formulation employée par son interlocuteur l'amusa. Non pas d'un amusement frivole et léger, si vite oublié, non. Mais de l'un de ces amusements qui frôlaient d'autres sentiments, plus sombres. Luxure, envie, appétit et curiosité. Telles étaient les émotions qui traversèrent le regard de Marisa, et qui donnèrent à ses inspirations une cadence plus rapide. Le pauvre n'avait sans doute pas eu l'intention de la faire réagir ainsi.

- A quel point serait-il nécessaire que je me penche, Lord Asriel ? l'interrogea-t-elle d'une voix chargée d'une émotion nouvelle et tendue.

Tandis qu'elle le dévorait du regard, elle tentait de percevoir avec justesse la sincérité de cet homme. Elle fut tentée - c'était le mot de la soirée - de le mettre à l'épreuve en se laissant aller à affronter sa peur, à se laisser tomber du haut de ce balcon qui commençait tout juste à devenir le témoin des péchés de Marisa Coulter et de Lord Asriel. Et, pendant que son imagination lui donnait à voir des images fantasmées où elle se laissait tomber d'une telle hauteur, elle ne sut quelle fin elle préférait : celle où il lui démontrait sa sincérité en la rattrapant, ou celle où ce regard glaçant était la dernière vision qu'elle avait avant la chute fatale.

Son sourire, jusque-là enjôleur quoique prudent, prit une allure plus sinistre. Chacune des envies les plus perverses, les plus vicieuses et les plus immorales de Marisa ajoutaient des ombres éloquentes à ce sourire qui n'atteignait pas totalement son regard. C'était un sourire forgé par des années de manipulation, de pensées envieuses et violentes, de recours à chaque moyen nécessaire pour obtenir ce qu'elle désirait à l'instant où elle le désirait. Marisa avait obtenu une infime quantité du pouvoir qu'elle désirait tant en épousant Edward. Et pourtant, elle était prête à mettre ce même pouvoir et cette victoire en péril pour obtenir une autre victoire qu'elle jugeait, en cet instant, autrement plus jouissive : celle de percer à jour Lord Asriel en l'attirant dans ses filets. Celle de découvrir l'homme qui, déjà, accentuait l'intensité de chacun de ses sens.

Marisa lança à son interlocuteur un regard brûlant après sa première réponse. Il lui parlait de limites, et elle se voyait déjà les franchir, toutes, avec lui. C'était ce qu'ils avaient commencé à faire en s'isolant, et en conversant en des termes aussi francs. C'était ce que leurs daemons faisaient en se toisant comme s'ils tentaient de s'apprivoiser mutuellement.

Elle resta à sa place lorsqu'il se rapprocha. Il était plus séduisant de près. D'une beauté aristocratique et presque intimidante. Mais loin de la rebuter, cette proximité la rendait au contraire plus audacieuse.

- Lorsque me viendra la volonté de me jeter dans le vide, je préfère en effet que l'on ne me retienne pas.

Paroles prophétiques, et pourtant murmurées sur le ton badin du jeu de la séduction. Marisa faisait face à Asriel comme elle aurait fait face à la beauté du Grand Nord. Stupéfaite aussi bien par la magnificence que par la dangerosité de ce lieu, et de cet homme.

Elle n'avait rien à gagner à courtiser Lord Asriel. Certes, il possédait des terres, son titre, des richesses. Une certaine influence qui n'était pas déplaisante, mais trop controversée pour que Marisa puisse profiter de cette influence. Elle n'avait donc rien à gagner, mais tout à perdre, en revanche. Et pourtant... Pourtant, malgré les appels de sa raison, elle était incapable de résister à l'attrait cruel qu'elle ressentait déjà pour lui.

Marisa était douée pour refouler ses émotions, mais ce qui la rendait aussi douée à cet exercice était sa capacité à savoir précisément ce qu'elle ressentait. Elle était trop impétueuse pour se voiler inutilement la face et rejeter l'évidence : ce sentiment qu'elle éprouvait en cet instant, si étranger, ne pouvait être que la naissance de sentiments amoureux. C'était inhabituel. Marisa charmait les cœurs avec un sourire et les brisait avec un regard froid, mais n'avait jamais subi, jusque-là, ce qu'elle infligeait si cruellement à d'autres.

Réduisant au silence les avertissement soufflés par son esprit, Marisa tendit le bras droit et saisit la main du théologien qu'elle plaça sur sa taille, réduisant le peu d'espace qui demeurait encore entre eux.

- Nous voilà seuls. Je suis étonnée que vous n'en profitiez pas, Asriel, murmura-t-elle en laissant son souffle s'écraser contre ses lèvres.

Il n'y avait guère plus alarmant et dangereux que l'assurance de Lord Asriel et la facilité avec laquelle Marisa succombait à son charme indéniable. Elle aurait dû être alertée. Et elle l'était, d'une certaine manière. Mais pas suffisamment pour résister à l'attirance indéniable qu'elle éprouvait pour cet être qu'elle aurait déjà pu décrire en des termes passionnés et élogieux. Bien des années plus tard, une gitane raconterait que Marisa était immédiatement tombée amoureuse de Lord Asriel. Et ce ne serait pas un mensonge. Et pourtant, elle devinait la nature des drames qui étaient voués à assombrir leur relation. Elle était mariée. Il était impétueux. Ils étaient tous deux ambitieux, trop ambitieux. Il possédait déjà une terrible réputation, défiait déjà l'Eglise et le Magisterium, alors qu'elle mettait tout en œuvre pour fréquenter ce milieu et en faire pleinement partie. Leurs intérêts respectifs, à terme, rivaliseraient sûrement avec leur relation passionnelle. Et pourtant...

Pourtant, Marisa délaissa son beau contrôle dès l'instant où il déposa ses lèvres sur les siennes. Yeux clos, elle répondit instinctivement à sa passion, n'hésita pas à approfondir langoureusement ce baiser qu'elle avait désiré dès l'instant où elle lui avait adressé la parole.

Elle avait envie de lui, là, maintenant. C'était indéniable. Mais leur environnement l'empêcha de se laisser pleinement aller à ses désirs et de commettre un nombre incalculable de péchés dès cet instant. Mais ce n'était que partie remise. Elle craignait trop le courroux de son époux et la perte de sa réputation et de ses privilèges pour risquer qu'une telle liaison - car il s'agissait bien de la naissance d'une liaison, n'est-ce pas ? - ne soit découverte à peine entamée. Mrs. Coulter risquait déjà trop en s'isolant avec Lord Asriel. Il suffisait d'un regard trop curieux, d'un murmure trop médisant de la part des autres convives et ils seraient tous deux ruinés.

Néanmoins, et ce en dépit de tous ses efforts de raison, elle souhaitait le revoir. Elle avait besoin de le revoir. Alors, à contrecœur, elle se détacha de ce baiser qui en appelait pourtant tant d'autres et, le front collé au sien, yeux baissés sur ses lèvres, souffla :

- Je serai présente demain après-midi à l'Institut Arctique Royal. Mon époux, lui, sera absent.