[TERMINE] Both strong in this world, both ambitious. [Marisa & Asriel]

Tout était parti d'une discussion que Marisa n'avait pas souhaité avoir, au beau milieu de la bibliothèque. Elle avait commis l'erreur de poser une question à ce qui ne devait être qu'un stagiaire, ou un nouvel employé. Et ce dernier, trop enthousiaste, trop avide de rendre service et trop intimidé par sa présence, avait eu la désastreuse idée de parler. Beaucoup. Trop. Ce qui avait bien failli lui attirer le courroux légendaire de Mrs. Coulter mais, fort heureusement pour lui, un curieux phénomène avait été mentionné durant ce monologue. Il avait évoqué un théologien dont les théories se rapprochaient des siennes, ce qu'il avait qualifié de "curieux". Mais cette information, d'apparence anodine, avait hanté les pensées de Marisa durant chacune des nuits suivantes.

Et donc, ce matin-là, elle était retournée à la bibliothèque et avait interrogé brusquement le stagiaire :

- Ce théologien. Quel est son nom ?
- Euh... Laissez-moi vérifier... Ah, voilà. Belacqua. Asriel Belacqua.

Un long silence s'était installé. Nul doute que si son daemon avait été présent, le singe aurait détruit férocement chaque objet qui se trouvait dans la pièce, et s'en serait même sans doute pris à son interlocuteur. Mais Marisa, elle, avait gardé un visage impassible tout en fixant le pauvre homme d'un regard glacial, mâchoire crispée. Il lui avait fallu quelques secondes avant de trouver le contrôle nécessaire pour afficher un sourire faux et demander d'une voix mielleuse et menaçante :

- Où puis-je trouver cet homme ?


Ce qui l'avait menée en ce lieu, après avoir obtenu l'adresse grâce à de multiples menaces venimeuses.

Marisa observa la devanture de l'immeuble d'un oeil critique. Mais, pressée par sa soif de réponses - et l'envie, bien malgré elle, de revoir Asriel -, elle ne s'attarda pas davantage à contempler la bâtisse et s'avança.

Pendant qu'elle se rapprochait de l'appartement d'Asriel, elle repensa à cette troublante et obsédante proposition qu'il lui avait faite, des années plus tôt. Un nouveau départ. Asriel lui avait proposé de l'accompagner dans ses explorations et elle avait refusé, ce qui n'avait pas empêché les circonstances de les réunir de nouveau. A croire que son âme ne serait jamais en paix tant que cet homme serait en vie. Mais cet homme serait toujours en vie tant qu'elle refusait de l'exécuter. Et, n'en déplaise au Magisterium, Marisa avait pour Asriel d'autres desseins, plus cruels à leur manière que la simple mort.

Arrivée devant la porte d'entrée de l'appartement, elle hésita, une seconde à peine. Mais, le visage figé, arborant l'expression maintes fois pratiquée de la femme du monde inatteignable, elle frappa finalement trois coups secs. Quand il lui ouvrit, elle ne s'exprima pas immédiatement. Elle était trop focalisée sur une contemplation obsessionnelle du visage de cet homme.

Finalement, elle eut un rictus.

- Nous nous retrouvons finalement dans le même monde. Quelle ironie du sort, observa-t-elle froidement.

Elle le toisa encore quelques secondes avant de poser une main sur son torse pour l'obliger à se décaler afin de la laisser entrer. Et elle pénétra donc dans son appartement sans s'embarrasser d'aucune forme d'invitation, son regard s'attardant sur chaque détail.

- Si tu es encore ici, c'est que nous en sommes venus aux mêmes conclusions : il est impossible de quitter l'île. Et donc, je te pose la question. Dans quel monde sommes-nous, Asriel ?

Marisa arqua un sourcil. La défiance d'Asriel ne pouvait signifier qu'une chose : il était aussi à court de réponses qu'elle. Et, tout comme elle, il se gardait bien de laisser percevoir le moindre trouble. Ce qui, naturellement, éveilla chaque envie dévorante et destructrice de Marisa, qui s'efforça cependant d'afficher son habituel sourire teinté d'assurance méprisante.

Mais son sourire se déroba lorsque surgirent les inévitables questionnements d'Asriel. Marisa se contenta d'abord de le toiser avec méfiance. Mais à sa dernière question, elle fit claquer sa langue contre son palais en signe d'agacement.

- Ce n'est pas pour toi que je suis ici, mais pour Lyra, affirma-t-elle sèchement.

Par réflexe, elle chercha Stelmaria du regard. Marisa et le daemon d'Asriel avaient toujours eu une relation étonnante. Stelmaria lui avait été, bien des années plus tôt, un plus véritable soutien que son propre daemon. Mais ce fut du bien du soulagement que Marisa ressentit en plus d'une certaine déception. Asriel était aussi démuni qu'elle, sans daemon, sans réponse. Une satisfaction mesquine illumina son regard à l'idée que, pour une fois, il n'ait aucune avance sur elle. Marisa le connaissait trop pour se laisser berner par ses propos. Du reste, il ne s'était pas privé, par le passé, de lui partager ses théories et le résultat de ses recherches.

Asriel avait perdu de sa supériorité et c'était un constat qui la rendait plus mielleuse. Momentanément apaisée, elle continua de s'approprier les lieux comme s'ils lui appartenaient d'emblée et continua d'une voix doucereuse :

- Je l'ai retrouvée, Asriel. Je rentrais, dans notre monde, avec elle et l'instant d'après... Je me réveillais ici. Sans daemon. Et sans Lyra.

Cette dernière information était la plus difficile à énoncer. Elle déglutit, submergée par des émotions qu'elle avait pour habitude de réprimer violemment. Mais elle se ressaisit rapidement et, avec un calme trompeur, reprit :

- Si nous sommes ici tous les deux... Alors Lyra l'est aussi. Elle n'a pas essayé de te contacter ?

Un ricanement coupa la première phrase d'Asriel. Marisa, comprenant qu'elle possédait plus d'informations que lui, le corrigea aussitôt :

- Ah, mais c'est là que tu te trompes. Lyra t'a suivi.

Une action qu'elle ne s'expliquait pas. Elle comprenait la méfiance de Lyra à son égard, mais n'en était, pour cette raison, que plus surprise et envieuse de savoir que leur enfant semblait tout de même avoir voulu le rejoindre. Ce qui, naturellement, donnait plus d'intensité à son envie de remettre la main sur Lyra et de lui enseigner tout ce qu'elle avait à lui transmettre. A commencer par les relations à éviter à tout prix, avec Asriel en tête de liste.  

La question d'Asriel coupa court à ses ruminations. Retrouvant de sa superbe, Marisa s'inspecta les ongles d'un air nonchalant, veillant à instaurer un temps de silence avant de daigner lui résumer ce qu'elle savait :

- J'ai découvert deux autres mondes en plus de celui-ci. Le premier était similaire à celui où nous nous trouvons actuellement. Même culture fondée sur la consommation, même technologie, mêmes mœurs. L'autre... Était pratiquement désert. C'est dans celui-là que j'ai retrouvé Lyra. Et c'est lorsque j'ai voulu le quitter, avec elle, que je me suis réveillée ici.

Les doigts de sa main droite ne cessaient de se crisper et de se détendre, compulsivement. Elle éprouvait une nervosité colérique, non pas à l'idée de faire face à son ancien amant mais à l'idée de ne pas retrouver leur enfant. Marisa était par ailleurs tourmentée par des questionnements moins glorieux. Et l'occasion d'obtenir des réponses se présentait enfin.

Droite, fière, elle entra dans l'espace personnel d'Asriel. Elle le fixa d'un regard dur. Son corps était tendu comme si elle s'apprêtait à lui bondir dessus pour le violenter. Mais sa voix, elle, n'était qu'un souffle :

- Je sais que tu étais prêt à condamner notre fille pour ouvrir cette brèche entre les mondes. Lyra est intelligente, elle doit le savoir aussi. Alors explique-moi : pourquoi a-t-elle choisi de te suivre, toi ?

Le ton ferme d'Asriel était convaincant. Mais, tout comme elle, Asriel était un excellent menteur. Marisa le dévisagea donc avec méfiance, cherchant à dépasser ses limites sensorielles et à se fier à ce qu'elle lisait dans son regard plutôt qu'à ses paroles. Mais force était de constater qu'il semblait sincère en affirmant qu'il n'avait pas eu l'intention de sacrifier Lyra. Marisa continuait d'être prudente, mais c'était tout de même une observation qui la rassurait. Elle avait adoré la passion et l'ambition d'Asriel, avait admiré sa subtile cruauté, mais quand il s'agissait de leur fille, elle revoyait ses priorités.

La dernière remarque d'Asriel la fit grimacer avec dédain.

- Elle est à moi, Asriel. Tout ce que je veux, c'est la protéger. D'elle-même, de ce monde... De toi, ajouta-t-elle avec moins de conviction tout en le fixant de son regard inquisiteur.

Elle le connaissait mieux que personne, de ça elle était convaincue. Ce qui incluait également ses défauts. Et elle craignait que la passion, par ailleurs séduisante, d'Asriel ne mène leur fille à sa perte. Mais force était de constater que Lyra ne se trouvait pas chez Asriel, et que ce dernier ignorait tout de la présence potentielle de leur enfant dans cette ville.

Alors, puisque la mère ne pouvait être contentée par cette visite, elle fut remplacée par la femme et amante. Décidant de s'aventurer sur des sujets de discussion moins dangereux que leur fille, Marisa expira et recula d'un pas, délaissant sa posture belliqueuse. Elle reprit, avec plus de calme :

- J'ai appris que, tout comme moi, tu poursuivais tes recherches ici. J'espère cependant que tes recherches ont été plus fructueuses que les miennes.  

Elle en doutait, pour être honnête. La surprise d'Asriel au moment où elle avait mentionné les deux autres mondes qu'elle avait connus était éloquente. Mais la pensée sournoise et diablement tentante de ce qu'ils seraient capables d'accomplir en joignant leurs forces et en travaillant ensemble, comme ils l'avaient si souvent rêvé... Etait en train de s'insinuer vicieusement dans l'esprit de Marisa au point qu'elle en éprouva un léger vertige qui lui fit clore les paupières, le temps pour elle de remettre soigneusement en place masque de froide impassibilité.

Les réponses d'Asriel déplaisaient à Marisa, qui le considéra d'un regard furieux. Maudit Asriel. Il parvenait toujours à la rendre furieuse. De ces fureurs passionnées qui dissimulaient des sentiments bien plus complexes et impérissables. Paradoxalement, c'était lorsqu'il la rendait aussi furieuse qu'elle se souvenait à quel point elle l'avait aimé, autrefois. A quel point, même en cet instant, lui seul avait le pouvoir de faire battre son cœur de glace.

Mais puisque c'était leur amour qui avait causé tant de peine et avait bien failli causé sa perte, Marisa préféra, comme à chaque instant depuis leur séparation, se concentrer sur ses émotions les plus viles. Pour le conseil qu'il lui donna de rester loin de Lyra, elle voulut le gifler. Elle s'abstint cependant et vociféra plutôt :

- Moi seule sait les dangers qu'elle devra affronter. Je suis la seule à pouvoir veiller sur elle, assura-t-elle avec une force de conviction qui frôlait la démence.

Aussi soudainement que sa rage s'était exprimée, Marisa retrouva son masque implacable de froideur et de dédain. L'aveu d'Asriel au sujet de ses recherches l'apaisa. Elle se fendit même d'un bref sourire mesquin.

- Mh. Quel dommage.

Son ton, bien loin d'être compatissant, trahissait au contraire sa satisfaction. Si ses propres recherches n'étaient pas aussi concluantes qu'elle l'avait espéré, elle était en revanche ravie de savoir que son ancien amant et rival ne la surpassait pas.

Elle laissa passer un temps de pause, où elle continua de le fixer, subissant de plus en plus cette envie fondamentalement pécheresse de l'embrasser. Au lieu de céder, elle l'interrogea à voix basse :

- T'arrive-t-il de t'interroger sur ce que notre vie aurait pu être, dans ce monde ?

Ici, Marisa avait obtenu un doctorat. Ici, leur liaison n'aurait pas été si sévèrement condamnée. Ici, ils auraient pu se marier et élever Lyra, ensemble. Faire leurs recherches, ensemble. Ces possibilités étaient tentantes, encore à ce jour. Mais insidieuses également. C'étaient de belles rêveries, que Marisa s'autorisait à envisager lors de ses rares instants de faiblesse et d'honnêteté. Mais c'étaient des rêveries qui lui faisaient prendre pleinement conscience du regret, réel, qu'elle ressentait à l'idée de n'avoir pu voir sa fille, leur fille, grandir et s'épanouir.

Naturellement, Marisa regretta d'avoir posé la question aussitôt qu'elle l'eût posée. Mais le mal était fait. Et, si elle ne se serait pas abstenue de passer sa frustration en malmenant son daemon dans son monde d'origine, c'était chose impossible dans ce monde-ci. Ce qui était, selon cette femme qui se voulait dénuée de tous sentiments, une véritable bénédiction. Et l'un des nombreux avantages de cette dimension. Elle avait été choquée, la première fois qu'elle avait découvert le Londres de cet autre monde dans lequel s'était trouvée Lyra, et de voir qu'aucun des habitants, dans ce monde là, ne possédait de daemon. Mais elle avait été envieuse, surtout. Et à présent, son souhait était exaucé. Marisa ne pouvait pourtant nier qu'une part d'elle ressentait le manque de ce singe qu'elle s'évertuait pourtant à ignorer. Mais, comme toute émotion déplaisante, elle avait refoulé ce manque et se convainquait avec plus ou moins de succès selon les jours qu'elle vivait mieux ainsi.

Elle redoutait la réponse d'Asriel tout autant qu'elle redoutait la confrontation nécessaire que cela provoquerait entre ses pensées et ses intentions. Car à l'instant où elle avait posé cette question, elle ne savait pas quelle réponse elle espérait. Ou plutôt, si, elle ne le savait que trop bien. Mais, toujours soumise au conditionnement d'années de servitude et de pensées haineuses et religieuses extrémistes, elle se maudissait d'avance pour ces envies pécheresses au possible. Et d'autant plus déplaisantes qu'elles avaient le pouvoir de faire fondre ces murs de glace qu'elle avait dressés autour d'elle.

La proposition d'Asriel, comme elle s'y attendait, était donc tentante. Elle avait attendu, guetté sa réponse, à l'affût du moindre signe de mensonge. Mais elle ne trouva pas de cruauté dans ce regard pourtant impitoyable, ni de faille dans la voix assurée de son ancien amant. Il était sincère. Et parce qu'il était sincère, elle voulut l'attaquer. S'en prendre à lui, physiquement pour l'empêcher de prononcer d'autant plus de paroles tentatrices. Tout en étant consciente d'avoir été celle qui avait provoqué cette conversation.

Plongée dans son dilemme intérieur, Marisa esquissa finalement un sourire qui n'atteignit pourtant pas la dureté de son regard.

- Repartir de zéro, répéta-t-elle avec une douceur étonnante pour une femme si féroce. Et comment ferions-nous cela, Asriel ?

Pendant qu'elle prononçait ces mots elle s'avança et, finalement, posa la main droite sur le torse du seul homme qu'elle considère comme un égal. Elle n'attendit pas sa réponse, faisant fatalement le choix de réduire le peu d'espace qui les séparait et de l'embrasser avec une avidité qu'elle n'avait guère besoin de feindre.

Le moindre contact avec Asriel était douloureux. Physiquement douloureux, souvent. Leurs gestes, leurs démonstrations de sentiments avaient toujours une part de cruauté. Même leurs baisers étaient voraces et féroces. Et pourtant, Marisa laissa Asriel poser son front contre le sien. Elle se permit même de clore les paupières, une démonstration de confiance qu'elle n'aurait offerte à personne d'autre.

- Tous les deux nous sommes dangereux, Asriel, souffla-t-elle cependant.

Les traits de son visage se crispèrent, une brève seconde, avant qu'elle ne se recule pour ouvrir les yeux et le dévisager.

- Le seul bien qui soit issu de notre liaison, c'est Lyra.

Et pourtant, malgré sa froideur apparente, malgré le détachement qu'elle entendait s'imposer, les propos d'Asriel venaient de déclencher un véritable tumulte dans l'esprit et le cœur de Marisa. Cette dernière s'aperçut qu'il était bien plus simple de refouler des émotions d'une telle intensité lorsque l'on avait un daemon à portée de main, un daemon à malmener pour se souvenir de la douleur provoquée par le chagrin qu'elle avait connu par le passé. Certes, ni elle ni Asriel ne risquaient l'opprobre, dans ce monde. Ils n'avaient ni titres, ni richesse, ni réputation à sauver. Mais leurs intérêts avaient tant divergé par le passé qu'il était inconcevable, pour Marisa, qu'il en soit autrement en cet instant. Et ce, malgré les belles paroles d'Asriel, certes tentantes, mais trop plaisantes pour être fiables.

Elle aurait dû imposer le plus de distance possible entre eux. Elle aurait dû quitter l'appartement d'Asriel pour ne plus jamais lui accorder le moindre regard, la moindre pensée honteuse. Mais son corps était soumis à une attraction étrange et magnétique. Il lui était physiquement impossible de s'éloigner d'Asriel, en dépit de chacun de ses efforts de contrôle et de maintien d'une façade qu'elle avait passé trop de temps à soigneusement ériger en guise de défense.

Incertaine quant à la conduite à adopter, Marisa passa quelques longues secondes à fixer son ancien amant d'un regard assombri par une fureur présente depuis de nombreuses années. Mais également par une luxure et une dévotion bien réelles à l'égard du seul homme qui ait su charmer son cœur et séduire son esprit.

Elle hésita. Puis, montrant les dents comme si elle s'apprêtait à le mordre, elle s'avança vers lui et reprit possession de ses lèvres, l'embrassant avec une férocité éloquente, ses mains agrippant sans douceur le haut d'Asriel. Comme si elle hésitait toujours entre l'attirer au plus près d'elle ou le repousser. Comme si, par ce baiser, elle entendait lui faire payer ces émotions tumultueuses qui faisaient bataille en son sein.

Lorsque son corps brûlant, après plusieurs minutes d'étreinte, s'apaisa enfin, elle poussa un soupir. Avec moins d'agressivité qu'elle n'aurait dû y mettre, Marisa repoussa le corps de son amant d'une pression sur le torse et se redressa, lui tournant le dos. Elle resta là, silencieuse, le temps de quelques secondes. Puis, après avoir soigneusement revêtit son masque d'impassibilité habituel, elle eut un rictus froid. Elle se redressa alors complètement et quitta le lit, remettant ses vêtements avec hâte.

- Cela n'aurait jamais dû se produire, fit-elle d'une voix sèche. Abstiens-toi de m'approcher à l'avenir, Asriel. Tant que ton intention est de me défier, je ne veux plus te voir.

Ces mots-ci lui donnèrent le courage de se tourner vers lui et de le fixer avec, dans le regard, un sombre mélange de défi et de démence.

Marisa se maudissait déjà d'avoir failli et succombé à la tentation de retomber entre les griffes d'Asriel.  Cet homme était une malédiction à lui tout seul, un véritable fléau. Même lorsque l'on se pensait suffisamment distant de lui, il parvenait à piéger sa proie. Marisa n'avait pas prévu de se laisser avoir par ses paroles cajoleuses et par ses gestes trop familiers, trop irrésistibles. Tout comme par le passé, elle ne prévoyait jamais de le laisser soulever sa robe ou de le plaquer aux murs plongés dans la pénombre des recoins les plus discrets de l'Institut Arctique. Mais l'attraction presque magnétique qu'elle ressentait pour lui était toujours décuplée par sa proximité physique. Et lorsqu'ils se retrouvaient seuls dans la même pièce, Marisa éprouvait de grandes difficultés à occulter l'envie constante de sceller ses lèvres aux siennes et de se laisser, pour quelques minutes, quelques heures, aux douces illusions d'un amour libre de se manifester sous la plus éclatante des formes.

La précision d'Asriel, juste, accentua l'intensité de sa peine et de son agacement. Chez Marisa, tristesse et colère allaient souvent de paire, à tel point que par moments, elle ne savait elle-même plus distinguer l'une de l'autre. Oui, c'était elle qui était venue le voir. Mais c'était à deux qu'ils avaient succombé à la tentation charnelle, à un énième péché.

Elle l'ignora donc et, tout en terminant de remettre de l'ordre dans sa tenue, dans ses cheveux, elle l'écouta distraitement. Lorsqu'il lui suggéra de s'en aller, elle eut un sourire froid, arqua un sourcil et releva son regard vers lui.

- Pour une raison qui m'échappe, Lyra se figure que ta compagnie est moins risquée que la mienne. Elle se trompe. Je ne m'attends pas à ce que tu me tiennes informée si tu retrouves Lyra. Mais contrairement à notre fille je ne suis pas dupe, Asriel. Tu n'es pas un bon père et tu n'as jamais tenté de l'être.

Sur ces mots, elle lui adressa un dernier regard appuyé avant de lui tourner le dos, quittant son appartement en claquant la porte derrière elle.