Il raturait copie sur copie. Une pile compacte en remplaçait une autre. Le second semestre étant entamé de moitié, Severus avait soumis ses étudiants à un partiel de mi-parcours. En résultait un néant abyssal jeté sur papier. Pareille ignorance le désolait. Non. À la vérité, il eût fallu pour cela une empathie dont il était incapable à leur égard. Severus éprouvait pour ces jeunes pousses le mépris le plus total. Nul déception n'était. Trop conscient des lacunes de ses étudiants, il n'avait formé aucun espoir naïf. Leur incompétence lui était apparue de longue date. Ils la cultivaient avec soin. Le nez collé à leurs écrans, la plupart croyaient faire montre de discrétion. Inattentifs, ils l'étaient à plus d'un titre, discutant sur messagerie instantanée, riant de memes stupides, hantant d’obscures pages internet, fermés au moindre mot professoral. Ils ricanaient bêtement, se vautraient dans l'impéritie estudiantine, fainéants devant l'éternel. C'était à se demander ce qu'ils faisaient là, plantés sur ces bancs universitaires, quand il semblait si évident qu'il n'y prenaient aucun plaisir. Leur passivité le débectait. Peu de copies atteindraient la moyenne. Les feuillets se zébraient de rouge. Il ne cessait de biffer çà et là, annotant en marge. Quelques perles s'offraient à son regard, un dessin stupide, une réponse à se tordre ou s'étouffer, etc... Certes, d'aucuns ne manquaient pas d'imagination. Fallait-il vraiment donner un point pour l'encre ? Quelques professeurs suivaient ce principe absurde. Severus, lui, ne faisait pas la charité. Écartant une énième liasse, il se trouva face à une nouvelle copie. Ses sourcils se froncèrent imperceptiblement à son survol. Un numéro de téléphone se trouvait inscrit en bas de page, jouxtant ce qui lui sembla être une trace de rouge à lèvres. Il n'était pas rare de faire face à quelques avances dans l'espoir d'une bonne note. Deux ou trois collègues l'en avaient avisé. Plissant les yeux avec dégoût, il retira l'examen compromis pour le glisser dans un pochette. Conformément au protocole, il allait devoir signaler la copie. Severus en sourcillait. De la paperasse à remplir... Une tasse de thé fumante reposait sur la table basse, près de sa sacoche. Il avait trouvé refuge dans un café de Baker Street Avenue, le Central Perk. Assis sur une banquette d'un confort relatif, il se tenait penché sur son ouvrage. Le breuvage, quant à lui, tendait à refroidir. Il n'y avait pas encore porté ses lèvres, accaparé par la bêtise de ses pairs. Toutefois, il se décida enfin à en boire une gorgée. Une note d’agrume explosa agréablement en bouche. La température s'avérait idéale. Tout en continuant de siroter sa boisson chaude, il reprit sa correction. Le brouhaha des conversations ne le gênait en aucune façon, il en avait l'habitude. Il tenait toutefois une posture peu confortable, laquelle vint troubler sa concentration accrue. Severus se détacha de son feutre rouge, étirant légèrement sa nuque . Les membres gourds, il céda un soupir insatisfait. Voilà que son attention se dissipait. Une dizaine de copies attendaient encore. Il n'en avait cure, se sentant étrangement las. Son regard se porta alors sur la salle qui l'entourait. Distraitement, il balaya une table vide, puis une autre. Non loin de sa banquette se trouvait un fauteuil occupé. Une jeune femme s'y tenait, absorbée par ses propres pensées. Il se prit à l'observer du coin de l’œil. Severus n'était pourtant pas homme à contempler. Cependant, il ne pouvait en détacher son regard. Elle avait des traits d'une rare finesse, un port gracieux. Un jeu d'ombre et de lumière dansait joliment sur son visage. Quelques taches de rousseur constellaient sa peau. Il la détaillait, analogue au peintre prêt à croquer un profil inspirant sur un carré de papier dessin, mais il ne détenait aucun carnet et n'était pas un artiste. Se rappelant à son propre souvenir, il expira enfin. Une étrange chaleur s'épandait autour de lui. La fulgurance de cette fièvre le laissait interdit. Ses pensées fleurissaient de façon désordonnée. Son cœur battait au rythme du monde, trop vite. Ses coups rudoyaient sa poitrine. Une force inconnue, de l'ordre de l’impulsion, du besoin viscéral, lui intimait de se lever. Souffrait-il quelque maléfice ? Son poing serra l'accoudoir, en quête d'un ancrage. Il se sentait ineffablement attiré par elle. Jamais il n'avait éprouvé cela, pas même pour Lily. L'intéressée lui semblait soudain insignifiante à côté de cette inconnue dont il ignorait jusqu'au nom. Cette pensée même aurait dû l'inciter à la prudence, mais toute raison semblait l'avoir quitté. Extérieur à son propre corps, il se redressa, faisant peu de cas des copies qui encombraient sa table. La distance rompue, il se tint face à elle, incapable du moindre mot. Il tenta de se rassembler, de parler, mais ses chaînes naturelles l'entravaient à nouveau. Son regard se heurta alors au sien et il se sut perdu.
Dernière édition par Severus Snape le Mar 12 Avr 2022 - 10:09, édité 1 fois
Invité
Mar 15 Mar 2022 - 13:04
❝Rey & Severus❞ Love at first sight
Mon regard se perd dans le vide, sans fixer aucun point particulier tandis que, songeuse, je me perds dans mes pensées diverses et chaotiques, qui ne semblent pas trouver de fil conducteur cohérent. Je sirote doucement mon café, savoure l'effet de cette boisson dont j'avais le plus grand besoin. La machine à café, au garage, n'offre qu'un choix limité au goût de jus de chaussette... alors, quand je sais que plusieurs heures de travail m'attendent encore, je décide de faire une vraie pause, une pause où je ne fais effectivement rien en savoure mon arabica avant de me remettre en route. Je parais peut-être presque désœuvrée, à fixer ainsi un point invisible face à moi, mais il n'en est rien. Je laisse seulement mes pensées vaquer où bon leur semble sans daigner leur choisir une direction plus juste et plus cohérente. Parfois, la cohérence se crée dans le chaos.
La vibration de mon portable me ramène un instant à la réalité. Le fil de mes pensées brisé, je repose ma tasse sur la table et pianote avec rapidité quelques mots à l'adresse de Finn. Quand finalement, je détache mes yeux de l'écran, je réalise sa présence. Là, posté face à moi, il m'observe, silencieux, comme ému, comme troublé... Je devrais peut-être m'en inquiéter, mais ce trouble qui l'anime peut-être, je le découvre également en moi. Irrémédiablement. Inéluctablement.
❝Ben... ?❞
La confusion est compréhensible. Les deux se ressemblent comme deux gouttes d'eau, au point que c'en soit déroutant. Mais à le regarder de plus près, je réalise que non, il ne s'agit pas de lui. Quelques détails, infimes mais bien réels, le distinguent de l'homme qui partage ma vie. Je devrais m'amuser de cette confusion, être intriguée par cette ressemblance, mais l'émotion qui prime en moi, en cet instant, n'a rien à voir avec ces considérations spécifiques. C'est quelque chose que je n'arrive pas complètement à expliquer... L'impression soudaine de faire face à son destin, ce n'est pas une chose qui se décrit en mots.
❝Désolé, vous ressemblez comme deux gouttes d'eau à mon...❞ Mari. Soudain, j'ai honte de prononcer ce mot... Je ne veux pas qu'il sache que j'ai donné hasardeusement mon coeur à un autre quand il est sous mes yeux, et que j'ai à présent le sentiment qu'il devrait lui revenir de droit, sans aucune hésitation. ❝C'est sans importance... Vous vouliez me demander quelque chose ?❞ j'ajoute avec l'espoir qu'il me réponde oui.
Je ne veux surtout pas qu'il retourne à sa table et me laisse seule avec mes pensées. J'ai besoin de sa compagnie, ce besoin si soudain est tel que je ne me vois pas le contrarier. Surtout pas. Je veux lui donner tous les prétextes du monde de passer du temps avec moins, comme si chaque seconde en sa compagnie devait valoir tout l'or du monde.
Il s'était pris à l'observer, elle, une parfaite inconnue. Le regard irrémédiablement attiré par ce profil intriguant, figure mystérieuse parue dans son champ de vision par quelque hasard. Une contemplation pour l'arracher à son assidue correction, lui qui avait élevé son travail au-dessus de toute chose. Severus était un être imperturbable, assuré de sa personne et confit dans la plus extrême gravité. Rien ne pouvait le détourner de sa tâche, à tout le moins, certainement pas une moldu. Le sorcier était contraint de vivre parmi eux depuis trois longues années et méprisait ces misérables vauriens. Il avait vu assez de son père pour s'être fondé une opinion froide et tranchée, renforcée par un éventail de rencontres aussi déplaisantes que malheureuses. Son dédain à leur égard se trouvait accentué par la perte de sa magie, absence l'ayant réduit à cette existence stérile et médiocre qui était autrefois leur apanage. Il se tenait néanmoins face à l'objet de sa contemplation, loin de sa table et de ses copies.
Une obscure nécessité l'avait conduit ici, à son corps défendant. Dragué de ses noires profondeurs, il avait quitté les eaux glacées pour parvenir à elle. Ulysse avait su lutter contre l'appel des sirènes, Severus avait misérablement échoué. Il dévisageait l'inconnue et aspirait à connaître sa pensée, aspirait à la connaître, elle, tout simplement. Ses lèvres demeuraient scellées, l'idiome skakespearien l'ayant abandonné. Ainsi figé, il devait paraître plus qu'étrange, sinon inquiétant. Doux paradoxe pour un homme qui semblait cultiver sa différence et se caractérisait pas une singularité patente. Severus ne se souciait guère de trancher par son attitude ou son apparence. Il avait toujours été à part et s’accommodait des remarques. Voici pourtant qu'il s'inquiétait du regard porté par son vis-à-vis.
Il n'y décela aucune crainte ou aversion, au contraire. Une forme de familiarité se détachait de ses iris. Elle le considérait avec chaleur, comme s'ils s'étaient toujours connus. Sa voix l'appela alors d'un nom étranger, à la sonorité quelque peu barbare. Ben ? Un prénom pour le moins disgracieux. Il n'était pas la personne qu'elle semblait espérer, et une inexplicable culpabilité le gagna à l'idée de la décevoir. Le sentiment fut promptement supplanté par une vague de jalousie aussi injustifiée. Qui était donc ce Ben pour elle ? Tout étranger fut-il, il devint en un instant son rival de l'ombre, son ennemi mortel. Ses pensées se faisaient délirantes, sans qu'il y put quoi que ce soit.
Un trouble sembla envahir la jeune inconnue. Réalisant son erreur, elle s'excusa et il n'eut d'autre désir que de balayer ses scrupules. Sa question, du reste, le laissa interdit. Un éclair de lucidité le frappa. Une fraction de seconde, il parut retrouver ses esprits. Que faisait-il face à cette personne ? Avait-il même quelque chose à lui dire ? Nonobstant, ces considérations lui parurent secondaires, grotesques. Il devait être là. Là où son cœur le guidait. « Je corrigeais mes copies, quand je vous ai vue. » dit-il, retrouvant enfin l'usage de sa voix. « Et j'ai été porté par le désir de vous connaître. » Son observation l'amena à remarquer la présence d'une bague à son annulaire. Un anneau était souvent synonyme d'alliance, impliquant par prolongement un mariage. Derechef, la jalousie s'empara de lui. « Ce Ben, est-il votre mari ? » demanda-t-il, le ton amer.
Un simple mot de sa part a le don de me faire chavirer. Et de tout remettre en question. Voilà que les battements de mon coeur se font chaotiques, que sa voix si familière me berce d'une douce mélodie, voilà que tout ce qu'il peut me dire de lui, même un insigne indice de ce qui constitue sa personne, me semble valoir de l'or. Je pense n'avoir jamais ressenti cela auparavant. En fait, je n'en suis plus tout à fait sûre. Je ne suis plus certaine de rien alors qu'il se tient là, face à moi, et que la moindre de mes certitudes s'en retrouve chancelante, ébranlée.
Je baisse le regard sur l'anneau à mon doigt, et cet objet si précieux, à la valeur symbolique si puissante pour moi semble soudain peser lourd, comme un poids dérangeant. Il est le révélateur de ma condition maritale, il est aussi le rempart morale entre moi et cette irrésistible rencontre. Je ne veux pas trahir Ben, mais je ne veux pas non plus que cet homme qui lui ressemble s'en aille. Je découvre une douloureuse contradiction entre mes envies et mon devoir, et pour cette fois, juste pour une fois, je veux faire passer les premières avant le second.
D'un geste qui ne peut être discret, puisque cet homme a clairement vu mon alliance, je la recouvre de mon autre main, comme si ce geste pouvait annuler la scène qui vient de se produire. J'ai envie de répondre "non" tout en sachant que ce n'est pas crédible, je devrais répondre oui par souci d'honnêteté. A la place, j'élude complètement le sujet et décide de faire comme si de rien n'était. S'il s'en incommode, cela vaudra sans doute mieux, j'étoufferais ces émotions trop forte et les regretterais plus tard. Seulement voilà, j'ai l'impression que le laisser m'échapper serait renoncer à quelque chose proche de la destinée. Je ne peux pas faire ça.
❝Moi aussi j'aimerais mieux vous connaître❞, je me risque avec douceur avant de désigner la place libre en face de moi. ❝Vous voudriez vous asseoir avec moi ?❞ Au fond de moi, j'appréhende la possibilité qu'il me dise non et la douleur qui en découlerait. C'est absurde, je ne sais même pas qui il est. Sa ressemblance troublante avec Ben me perturbe à peine à présent que j'ai déterminé qu'il ne s'agissait pas de lui. Je ne me concentre que sur sa personne et dissipe tout le reste. ❝Je m'appelle Rey.❞ Et je n'ai pas envie de m'arrêter là. Je veux tout savoir de lui, rebondir sur n'importe quel prétexte afin d'en apprendre toujours davantage à son sujet. ❝Vous parliez de corriger des copies... vous êtes professeur ?❞
La question doit sembler bête tant la réponse est évidente, mais je veux surtout trouver un prétexte à le garder avec moi.