Martin était venu tard dans la soirée au Lux pour passer un agréablement moment. Il avait maintenant l'habitude de venir régulièrement car ce lieu était important pour lui. Quand il ne passait pas du temps avec Lucifer, c'était pour rencontrer d'autres personnes, bien souvent des hommes avec qui passer la nuit. Des aventures sans lendemain comme il les aimait pour "assouvir ses besoins" sans s'attacher. Et quand sa chasse se montrait maigre, il buvait simplement de l'alcool en profitant de la piste de danse. Ce soir Martin était en très bonne compagnie car il était affalé sur un homme de son âge, et ses jambes étaient sur les genoux d'un autre. Il ne les connaissait ni d'Adam si d'Êve mais a priori ils allaient tous les trois finir dans le même pieu après s'être un peu plus enivré. Il parlait de tout et de rien à la fois, de simples mots pour meubler la conversation qui seraient oubliés demain. Martin leur racontait une histoire de braquage, son poème d'amour maintenant achevé qu'il faisait passer pour une histoire complètement fictive, inventée. « ... et vous savez comment ils ont réussi à faire sortir l'or ? » L'un des deux hommes était à fond dans son histoire et s'émerveillait à chaque phrase, attendant la suite comme un gosse. " Comment ?! " Dit l'inconnu. « Avec une pompe a eau qu'ils ont volé sur une plateforme pétrolière ! » Martin s'était mis à rire bruyamment et répéta entre deux éclats de voix : « Une putain de pompe à eau.. !! ». L'autre semblait déçu : " C'est impossible de faire rentrer ça dans une banque ! ... Qu'est-ce qu'ils ont fait ensuite ? " Martin s'était calmé, hésitant sur ce qu'il devait ensuite raconter, il fit mine de réfléchir avant de poursuivre. « Ils se sont tous assis, se sont embrassés, et ils ont chanté un chant de chez eux. »
"Chante pour nous chéri ! " Dit l'un, "Oui chante pour nous si tu le connais !" renchérit le second. « Por favor señores! Je ne suis pas Shakira! » Les deux hommes se mirent à répéter en chœur "Aller chante ! Chante ! Chante !". Martin se redressa et but cul sec son verre de vin. Les tables proches d'eux se mirent à répéter "Chante ! Chante !" également, sans surement comprendre ce qu'ils se passaient. Le braqueur avait un sourire mauvais envers ses deux amants « Hijos de puta. » - Fils de pute. Avait-il juré à voix basse, pour ne pas changer. Martin se vengerait autrement. Il se leva alors et remit son nœud papillon en place : il s'était fait beau ce soir. D'un mouvement de bras digne d'un chef d'orchestre, il fit taire les personnes près de lui. Il se racla la gorge et se mit à chanter a capella pour commencer. « Una mattina mi sono alzato... » Sa voix était grave, il allait chercher les notes très loin pour essayer de chanter un minimum juste. Il se mit à marcher de table en table dans le Lux, et bientôt on frappa des mains pour lui donner un rythme et l'accompagner. « E ho trovato l'invasor... » Un homme, un bel inconnu, s'était levé pour l'accompagne au chant. Martin avait naturellement passé son bras sur les épaules du second chanteur et se dirigeait vers le piano quand les premières notes se firent entendre. Le visage de Martin s'illumina d'un grand sourire quand il vit son ami le diable au piano.
Les trois singes de la sagesse ft. Lucifer & Martin
Accoudé au bar, dos à la foule enivrée par l’alcool joliment dressé dans des verres cristallins, ses doigts parcouraient son ancienne cicatrice, vestige d’une querelle sanglante, qui ornait le côté gauche de son crâne rasé. Hormis ce mouvement répétitif, seul, ses yeux animaient les traits figés de son visage. Absorbé par les limbes de son esprit, les souvenirs de cette étrange et hasardeuse rencontre revinrent planter leur griffe dans cette psyché annihilée et ravagée.
Plus les grammes d’alcool s’accumulaient dans son sang, plus son bourreau s’affinait, devenait présent… Une certaine complémentarité malsaine en émanait. Il se sentait entier, comblé. A contrario, ses sens l’alertaient de cette torpeur… Une partie de son être, encore, sauve de cette déchéance irréversible, lui hurlait d’arrêter ses foutues conneries. Qu’importent les appels agrémentés de merveilleux et lyriques jurons, la tentation de sombrer encore et toujours était trop intense… Malheureusement, trop ancré dans la doucereuse et empoisonnante étreinte de cette garce, de ces souvenirs… Au fond de lui, la purification ne se fera que par la mort d’un des deux protagonistes. Une balle entre les deux yeux et la délivrance se fera ! Une seule et unique balle… L’arme chargée dissimulée s’y prêtait à la perfection… Elle ou lui… Lui ou elle… Un choix devait se faire ! Une insistante voix vint chatouiller son oreille. « Fais-le… » Répétitive, montant crescendo, cette phonation l’envoûtait. Sa main descendit à la recherche de son remède, sa délivrance… « Fais-le pour moi… Vaas… » Un lointain écho voilait le chant de cette sirène. Les sons se mélangeaient, la réalité devenait fiction et la fiction devenait réalité. Ses hallucinations s’estompaient au fur et à mesure que cette frénésie gagnait le bar… Malheureusement, cette chimère manipulatrice s’accrochaient et essayaient de reprendre son contrôle… Impossible, son environnement le fit surgir brutalement lorsqu’un jeune homme, un peu trop bourré, s’affala sur le bar renversant par la même occasion le verre de Vaas.
Clignant vivement des yeux, il n’eut le temps de corriger cet avorton qu’il fila entre les gens tel une blatte. Son index abandonna son positionnement autour de la détente et sa paume quitta la froideur de la crosse. « Pas aujourd’hui, chérie… Ça te ferait trop plaisir, maldita puta… » Cracha-t-il hargneusement entre ses dents avant de ricaner. Le silence effarant de la boîte de nuit l’obligea à se retourner imaginant apercevoir le Diable pianoté une de ses mélodies de bourgeois sur son piano à queue. À sa grande surprise, ce n’était pas Lucifer la raison de ce calme absolu. Un homme, inconnu au bataillon, chantait. Cette chanson… Elle lui rappelait quelque chose… Comment l’oublier ! Ce chant de révolte… Un hymne à la résistance… Lui-même était en guerre interne, lui-même résistait aux assauts méticuleux de cette charmante créature. Quoi de mieux que de festoyer à cette bataille gagnée ? Sans plus attendre, il empoigna le verre de son voisin et le descendit d’une traite sous les mécontentements de ce dernier.
L’allégresse l’emporta au-dessus des tables généreusement cirées. L’alcool, tantôt un poison, tantôt un remède. Instinctivement, son bras se glissa autour des épaules du chanteur et sans plus attendre sa voix, légèrement plus aigüe, se mêla à celle de l’inconnu. « O partigiano portami via… » Hameçonné par son nouveau confrère, ses pas le suivirent vers le fameux piano du Lux. Sans perdre le fil, l’hispanique continuait sa besogne. « Ché mi sento di morir… » Ce couplet ne pouvait mieux correspondre à l’état de Vaas… Un révolutionnaire acculé par l’envahisseuse, refusant de mettre genou à terre. Le rythme s’accélérait petit à petit, à mesure que le climax arrivait. Gosier asséché par la chanson, il empoigna un autre verre traînant et profita d’un moment de creux dans le morceau pour s’hydrater. « Que je les aime ces foutus Russes… » Glissa-t-il à l’encontre du verre, précédemment rempli de Vodka à en croire ses dires, avant de reprendre de plus belle avec un merveilleux « O bella, ciao ! Bella, ciao ! Bella, ciao, ciao, ciao ! »
Pour la première fois depuis longtemps, Lucifer se retrouvait seul au penthouse. Sabrina dormait cette nuit chez son amie Sophie, Chloe passait du temps avec leur fille Aurora. Il n'y avait pas d'urgence que ce soit du point de vue de la justice contre le crime ou du point de vue surnaturel. Morningstar n'avait même pas organisé de petite sauterie. Si au début le propriétaire du Lux trouvait cela jouissif pour une fois de ne rien faire une seule seconde, il trouva bien assez vite l'ennui. Comme un enfant hyperactif, le Diable ne tenait pas en place. Rester deux minutes assis à rien faire, ce n'était décidément pas son truc ! Dès lors, Lucifer s'empressa de se mettre sur son trente-et-un, comme d'habitude en fait ! L'ange déchu avait décidé de profiter de son nightclub et qui sait ? Peut-être même offrir ses services. Il ne l'avait plus fait depuis un petit moment et puis s'il pouvait rendre des gens heureux un bref instant. Après avoir bu presque la moitié de sa bouteille de whisky d'un très bon cépage, Lucifer se dirigea à l'intérieur de son ascenseur privatif pour se rendre au Lux. A sa grande surprise, le dj avait arrêté la musique. Cependant, cela ne semblait pas empêcher les gens de s'amuser. En effet, il ressortait une ambiance digne d'une taverne gauloise après une bataille triomphante. Une ambiance grivoise et chaleureuse accompagnée par une mélodie que Lucifer reconnaissait parfaitement. Être né avant la création du monde donnait quelques avantages comme suivre l'histoire de l'Humanité au fil des siècles. Cette chanson avait perduré de génération en génération.
« Ce cher Mussolini se retournerait en quatre dans sa spirale infernale s'il savait que son chant préféré avait résisté à la Seconde Guerre Mondiale. » il sourit amusé : « Ah non c'est vrai j'oubliais presque, c'est exactement ce son qu'il entend en boucle en Enfer ! » Morningstar attrapa un verre sur le plateau d'un serveur qui passa devant lui et le bu cul sec. Hormis le chant révolutionnaire, ce qui attira son attention, ce sont les deux protagonistes qui chantaient l'air à s'en égosiller la voix. Martin et Vaas venaient de se trouver. Cela n'étonnait guère le Diable qui ne pouvait qu'affirmer cette belle brochette ! Martin comme Vaas avaient des cadavres dans leurs placards respectifs ! Ce n'était pas des saints et c'était pour cette raison que Lucifer les appréciait. Sans oublier que ces deux hommes avaient le sens de la fête et de la folie. Tant de critères qui attire l'attention du propriétaire du Lux. Souhaitant se mêler au concert improvisé, Morningstar vint s'installer à son piano à queue. Ne dit-on pas que le piano est l'instrument du Diable ? Comme son ami Mozart à un concerto devant la cour du roi Louis XV, l'ange déchu joua les premières notes. Le rythme accéléra à mesure que ses amis chantèrent. Lucifer vint également compléter leurs voix avec la sienne. Certes, il avait un accent anglais assez prononcé et il n'était pas là ce soir à se représenter sur scène, ce n'était pas l’interprétation vocale qui primait. « Quest'è il fiore del partigiano, Morto per la libertà. » chanta-t-il en chœur avec les deux hommes. Une fois chanson terminée, le public improvisé les acclama sous un tonnerre d'applaudissement !
« Extra ! Rien de tel qu'un bon vieux chant révolutionnaire pour réchauffer les cœurs ! »
Morningstar se leva de son tabouret de piano avant de faire signe à la serveuse la plus proche pour qu'elle leur apporte à boire. Peu importe l'alcool en question, le Diable se doutait que ses amis s'hydrateraient avec tout ce qui pouvait passer sous la main. Morningstar vint leur faire une accolade amicale en guise de salutation : « Mes deux guérilleros préférés ! Je vois que vous avez fait connaissance ! Et quoi de mieux que de prolonger les festivités ?! »
Accueil 
EPSILON
