(terminé) [Alana & Clarice] Common interests

Le Dr. Alana Bloom avait choisi de reprendre son activité initiale de psychiatre, en cabinet. Par le passé, elle avait préféré se déplacer sur le terrain en assistant le FBI, en donnant des conférences à l'université ou en écrivant des articles et des thèses. Mais dans cette existence, dont elle ne savait toujours pas déterminer s'il s'agissait d'une vaste ironie du sort, d'une réalité alternative, d'un délire ou d'une étrange vie après la mort, Alana s'était aperçue que ses intérêts étaient mieux servis auprès de ses patients. Chacun, en se confiant à elle et en lui exposant leurs états d'âmes et leur passé, contribuaient à lui donner une idée chaque fois plus fine de la situation. Elle avait ainsi compris que chaque habitant s'était éveillé le même jour dans cette ville, que personne ne connaissait l'identité du maire, et que cette ville changeait les gens. Parfois physiquement, parfois mentalement. Et, point le plus important, elle avait appris que les proches disparus avaient tendance à s'imposer dans la vie de ses patients, de manière relativement aléatoire. Ce qui avait eu le double effet de donner l'espoir à Alana de retrouver Margot, mais également de lui faire appréhender le retour de certaines autres figures de son passé. Parmi celles-ci, une en particulier se détachait : Hannibal Lecter.

Fort heureusement, une intuition lui faisait songer depuis le début de sa nouvelle vie, ici, que son cher collègue était bel et bien présent lui aussi. Et cette intuition avait trouvé confirmation, dernièrement, auprès de certains patients, notamment ceux qui faisaient partie des forces de l'ordre. Ils n'avaient pas été en contact direct avec Hannibal mais, à force de consultations, Alana avait fini par comprendre qu'une autre femme menait son enquête au sujet du tueur en série. Clarice Sterling.

En se renseignant, elle avait fini par trouver le lieu de travail de cette mystérieuse Clarice. Elle lui avait fait parvenir une lettre, indiquant qu'elle avait eu vent de ses interrogations au sujet du Dr. Lecter et qu'en tant qu'ancienne connaissance de ce dernier, elle saurait l'aider. Elle lui avait donné rendez-vous dans un restaurant, estimant que le bruit des conversations environnantes leur permettrait d'aborder les sujets les plus sérieux sans risquer de trop attirer les oreilles indiscrètes. La discrétion à outrance n'était pas nécessaire, et souvent contre-productive.

Assise à une table, un verre de vin blanc posé devant elle, Alana attendait donc l'autre femme. Elle était arrivée près d'une trentaine de minutes en avance et s'était laissée absorber dans la lecture d'un journal local, sourcils haussés à mesure que ce qu'elle lisait la laissait perplexe. Lorsque vint l'heure du rendez-vous, elle plia le journal et attendit patiemment, guettant l'entrée du restaurant - elle avait soigneusement choisi sa place afin d'avoir vue sur l'entièreté de la salle.

Finalement, une femme fit son apparition. Sa tenue vestimentaire et son attitude lui firent penser qu'il s'agissait de celle qu'elle attendait. Elle se leva donc et attendit que l'un des serveurs dirige Clarice Sterling vers elle. Lorsqu'elle fut à sa hauteur, elle lui tendit la main avec un très léger sourire.

- Clarice, je présume ? Je vous en prie, installez-vous, fit-elle en lui désignant la chaise qui faisait face à la sienne.

Elle se réinstalla dans son propre siège et prit le temps d'observer attentivement le visage de son interlocutrice.

- Nous avons beaucoup de choses à nous dire, aussi je vais me permettre d'être directe. Enquêtez-vous bien sur Hannibal Lecter ?

Son interlocutrice semblait apprécier le fait qu'elle ne tourne pas autour de pot et ne s'embarrasse pas de politesse excessive. Alana était pourtant douée lorsqu'il était question de courtoisie inutile, mais elle n'avait pas envie d'en faire usage à cet instant. Tout simplement car elles avaient des affaires bien plus pressantes à régler. Elle n'agissait pas dans l'urgence à proprement parler, mais elle avait des intentions très claires en organisant ce rendez-vous : elle voulait obtenir le plus d'informations possibles, pour obtenir le plus de pouvoir possible. Plus elle en saurait au sujet d'Hannibal et de son existence dans cette ville, mieux elle saurait jauger quelle attitude adopter lorsque viendrait l'heure de la confrontation. Cette dernière était inévitable. Mais quitte à ce qu'elle ait lieu, Alana préférait prendre les devants. Ne serait-ce que pour obtenir la très infime chance de négocier les termes de la survie de sa famille.

Et, si elle ne tournait pas autour du pot, la situation était réciproque. Clarice ne tarda pas à l'interroger, ce qui plut à Alana. Si enquête officieuse il devait il y avoir à l'encontre d'Hannibal, autant qu'elle soit dirigée par une femme qui n'avait pas froid aux yeux. Il lui faudrait du courage pour poursuivre une telle ambition. Elle ignorait quelles preuves ou intuitions elle avait déjà contre le tueur en série, mais elle espérait très sincèrement qu'elle avait ne serait-ce qu'une mince idée de l'amplitude des monstruosités qui impliquaient Hannibal.

- J'ignore quelles sources vous avez trouvées jusque-là, mais sachez que je connais Hannibal depuis... Bien longtemps. Il fut mon professeur, du temps où j'étais étudiante en psychiatrie. Plus tard, nous nous sommes retrouvés et... Notre relation a évolué.

C'était un euphémisme que de résumer la complexité de leur situation ainsi. Mais Alana ne voulait pas en dévoiler davantage tant qu'elle ne s'était pas fait une meilleure idée de celle qu'elle avait en face d'elle. Et de ses intentions.

- N'ayez aucun doute quant au fait que les informations que j'ai à vous donner sont multiples et détaillées. Mais avant cela, j'aimerais comprendre. Quelles sont les raisons d'une telle enquête ? Qu'a donc fait Hannibal Lecter pour éveiller ainsi vos soupçons ?

La psychiatre écouta attentivement Clarice lui confier ce qu'elle savait d'Hannibal Lecter. Ou du moins, d'une version alternative d'Hannibal Lecter. Effectivement, les similitudes étaient nombreuses. Il n'était pas étonnant que cette jeune femme se montre aussi suspicieuse à l'égard de cet homme dont le nom ne pouvait que lui rappeler des souvenirs cauchemardesques. Et, malgré une expérience rapprochée avec le cannibale en question par le passé, Clarice avait décidé de mener l'enquêter malgré les dangers que cela représentait. C'était une décision courageuse. Qui la condamnait certainement à une mort épouvantable, mais Alana ne pouvait qu'apprécier la bravoure de son interlocutrice.

- Hannibal le cannibale ? répéta-t-elle avec un sourire fin.

Elle n'était pas certaine que ce soit un surnom qui plaise au Hannibal qu'elle connaissait. Même si, dans les faits, il lui irait très bien. Elle comprenait mieux les soupçons de cette Clarice Starling, à présent. Il semblerait que quelque soit la version d'Hannibal que l'on rencontre, le cannibalisme fasse partie de sa nature.

- Je suppose que vous n'êtes pas sans savoir que l'un de vos collègues entretient un lien privilégié avec Hannibal. Si votre intention est d'en apprendre davantage au sujet de notre cher docteur Lecter, je ne saurais que trop vous conseiller de vous méfier de Will Graham.

Elle eut un soupir. Pour l'heure, elle n'était pas certaine de savoir ce qu'elle pourrait partager de sa propre expérience, mais ce n'était pas pour autant qu'elle comptait laisser Clarice dans le flou total.

- Je connais également un certain Jack Crawford du FBI. Même si le mien, contrairement au vôtre, est longuement resté aveugle quant à la véritable nature d'Hannibal... Tout comme je suis restée bien trop aveugle, moi aussi, ajouta-t-elle avec une pointe d'amertume.

C'était un sujet sur lequel elle continuait de se blâmer. Elle s'était laissée aveugler par ses émotions et par ce qu'elle pensait savoir du psychiatre, et ce durant des années. Ce n'était pas une erreur qu'elle comptait commettre de nouveau. Mais c'était cette erreur de jugement qui lui permettait d'envisager sérieusement la possibilité de laisser Hannibal lui prendre la vie sans lutter, si elle parvenait à obtenir la certitude que sa famille, elle, serait épargnée. Encore une fois, ses émotions l'emportaient sur sa raison mais concernant ce point, elle ne souhaitait pas remettre ce comportement en cause. Pour Margot et Morgan, elle était prête à envisager tous les extrêmes.

Les informations fournies par Clarice rendaient Alana particulièrement attentive. La psychiatre tentait de se faire une idée de la situation de son interlocutrice, en la dissociant autant que possible de sa propre situation.

- Vous connaissez donc les mêmes hommes que moi, mais ces hommes ne sont finalement que des alter-ego. Intéressant.

Fascinant, même. Il y avait à la fois trop de similitudes avec ce qu’Alana connaissait pour que ce soit anodin, et en même temps trop de différences pour qu’elles aient en tête les mêmes personnes. Clarice avait visiblement rencontré le Hannibal qu’Alana connaissait, mais sa vision de cet Hannibal était nécessairement biaisée par ce qu’elle savait de son propre cannibale. Ce qui devait d’ailleurs être une situation complexe à aborder pour Clarice, qui était forcée de jongler entre ses suspicions et son manque de preuves concrètes.

- Will a contribué à faire arrêter Hannibal dans notre version de l’histoire… Mais leur histoire ne s’est pas terminée là.

Elle marqua une pause, peu encline à lui donner plus de détails. Alana jaugeait prudemment son interlocutrice, s’interrogeant sur le rapport que celle-ci avait entretenu avec cet Hannibal Lecter que Clarice ne pouvait s’empêcher d’associer au Hannibal qui se trouvait dans cette ville.

Pourtant, malgré sa méfiance naturelle, elle éprouva un mélange de sympathie et de pitié à l’égard de Clarice au moment où celle-ci évoqua la possibilité qu’elle se soit laissée aveugler elle aussi, par celui qui se trouvait derrière les barreaux au moment où elle l’avait connu. Hannibal était donc un fin charmeur et un fin manipulateur quelle que soit la dimension. C’était un constat glaçant. Mais cela leur donnait un avantage si jamais elles décidaient, à l’issue de cette conversation, de s’associer : elles connaissaient toutes deux les dangers qui accompagnaient le fait de se laisser berner par les belles paroles d’Hannibal. Et donc, logiquement, elles ne se feraient plus avoir.

C’était à espérer, en tout cas.

Après un instant de réflexion, Alana se redressa et la confronta finalement sur ce qui l’intéressait le plus :

- Quelles sont vos intentions à l’encontre d’Hannibal ?

Alana inclina légèrement la tête suite à la précision de son interlocutrice. Soit, Clarice connaissait un équivalent d'elle-même qui était masculin. C'était intéressant, et même particulièrement intrigant, mais Alana s'efforçait de rester concentrée sur ce qui importait le plus en cet instant précis. A savoir, ce que chacune pouvait espérer obtenir de l'autre. Ce qui ne l'empêcha pas, après un instant d'hésitation, à l'interroger tout de même afin d'assouvir sa curiosité :

- Comment était-il, cet autre dont je suis supposément la version féminine ?

La conversation se devait de tourner autour de sujets plus sérieux et plus urgents, mais la question avait tout de même le mérite d'être posée, ce qui allégeait un tant soit peu Alana, qui aurait été incapable de passer outre cette découverte.

Mais en attendant, le sujet Hannibal Lecter était un impératif. Elle comprenait que celui que Clarice connaissait était au moins aussi dangereux que ne l'était celui qu'elle connaissait, elle. A croire que cet homme, quelle que soit la dimension, était voué à commettre ces actes monstrueux pour lesquels il était tristement célèbre.

Alana écouta soigneusement son interlocutrice lorsque celle-ci accepta de lui fournir plus d'informations quant à ses intentions. Et elle s'aperçut que toutes deux avaient plus de similitudes encore qu'elle ne l'avait préalablement pensé. Quelques années plus tôt, les intentions d'Alana étaient précisément les mêmes que celles de Clarice. Bien sûr, à présent qu'Alana avait une vie de famille et qu'elle s'était résignée à ne pouvoir quitter cette île, ses motivations n'étaient pas tant affaire de bien ou de moral que de nécessité.

Et à présent, et c'était bien légitime, Clarice l'interrogeait en retour. Alana prit son temps pour répondre, continuant de la fixer d'un air songeur, décidant silencieusement de si cette femme était fiable ou non. Mais finalement, elle se fit la réflexion que Clarice venait de se montrer relativement transparente avec elle. Il aurait été injuste que de ne pas lui retourner la faveur, ne serait-ce qu'un minimum.

- Ma priorité est de protéger ma famille. De lui, et d'autres individus tout aussi dangereux.

Protéger Margot et leur fils de Mason, avant tout. Puis viendrait l'heure de régler le cas Hannibal et sa promesse.

- Cependant, je n'ai pas encore de preuve concrète à vous fournir. Et mon témoignage ne serait que d'un maigre poids, ici.

La réflexion de Clarice quant aux hommes fit sourire Alana. Elle partageait son opinion sur ce point. Des siècles et des siècles, voire des millénaires, de prétendue position de supériorité avaient rendu les hommes arrogants et vulgaires. Le restant des adjectifs employés par son interlocutrice la laissèrent songeuse. C'était une notion très abstraite que celle d'un autre soi qui soit masculin. Mais ce n'était pas le sujet qui les avait réunies ce jour-ci. Alana avait obtenu les informations qu'elle désirait au sujet d'Alan Bloom, il était grand temps de passer au sujet nettement plus sérieux et préoccupant qu'était leur connaissance commune.

- J'ai conscience de potentiellement vous mener sur une fausse piste, mais... Cette ville a déjà fait surgir trop de fantômes du passé pour que ce soit anodin. Je n'ai pas encore la certitude de ce que j'avance, mais je pense que vous devriez tenter de trouver une certaine Freddie Lounds, journaliste et bloggeuse. Elle s'est longuement intéressée au cas Will Graham, et plus tard au cas Hannibal Lecter. Si preuves il y a, même de simples rumeurs, elle les aura trouvées. Je ne suis pas sûre qu'elle soit présente en ville, ne l'ayant pas croisée mais... Vous savez comme moi que cette ville a le don d'empêcher certains êtres d'être réunis.

Elle eut un mince sourire crispé, songeant immédiatement à Margot. Elles avaient été séparées près de trois ans, jusqu'à ce qu'Alana finisse par apercevoir son épouse par hasard sur la plage. Cette maudite ville et tous ses tours...

La dernière question de Clarice fit hésiter Alana. Elle s'interrogea un instant sur le taux de confiance qu'elle était prête à lui accorder. Finalement, elle soupira et adressa un sourire d'excuse à la jeune femme.

- Je suis navrée. Vous donner cette information pourrait directement mettre en péril ma femme et mon fils, et ce n'est pas un risque que je peux prendre.

Pas alors qu'elles se connaissaient si peu, et certainement pas alors que Mason et Hannibal continuaient de rôder dans les parages. Mason, pour l'heure, ignorait qu'elle se trouvait elle aussi en ville, ce qui était un atout remarquable. Et, quoiqu'il en soit, s'il apprenait qu'il était une cible, c'était sur Margot que se porteraient les représailles. Tant qu'elle vivait sous son toit, Margot était en danger constant. Alana ne se pardonnerait jamais d'avoir contribué à lui aggraver la situation.

Le commentaire que fit son interlocutrice sur son Freddy fit sourire Alana. Certes, c'était là une réaction qu'elle pouvait comprendre, car elle-même partageait cette réticence vis-à-vis de la Freddie Lounds qu'elle connaissait.

- S'il est comme celle que je connais, c'est tout à fait compréhensible. Freddie Lounds n'est pas douée pour s'attirer la sympathie de ceux qu'elle côtoie. En revanche, elle est douée pour débusquer ce que l'on ne souhaite pas que qui que ce soit trouve. Par le passé, elle a eu une excellente intuition en s'intéressant de près à Hannibal et à Will. S'il y a bien une personne qui puisse trouver de quoi les incriminer, ce sera elle. Car tenace, elle l'est. Et redoutable également.

C'était, quelque part, une véritable prouesse. Freddie avait tenu tête à Hannibal, et plusieurs fois. Elle avait également tenu tête à Will, et à tous ceux qui lui avaient paru dissimuler un secret. Cette femme était d'une bravoure et d'un aplomb qui forçaient le respect d'Alana.

L'aide que lui proposait de Clarice la sortit de son silence songeur. Une fois de plus, la psychiatre esquissa un sourire. Elle la détailla quelques instants du regard avant de répondre avec une sympathie sincère :

- Ce n'est pas de vous dont je me méfie.

Du moins, pas en priorité, même si en vérité, Alana se devait de se montrer prudente y compris envers cette femme qui pourtant était ce qui rapprochait le plus d'une alliée dans cette ville. Ce constat lui serrait le coeur, au fond. C'était à l'encontre de ceux en qui elle avait autrefois placé tant de confiance, Will et Hannibal, que se portait sa méfiance et sa rancoeur à présent. Elle avait toujours voulu que Will soit en sûreté, mais ce n'était pas ce que Will désirait. Elle avait estimé Hannibal, mais celui-ci avait abusé de sa confiance, des plus indignes et humiliantes des manières. Et, désormais, il n'y avait qu'en Margot qu'Alana se fiait entièrement. Car même si son observation lui soufflait que Clarice était sincère dans sa démarche, il y avait trop d'incertitudes, trop de part laissée au hasard pour qu'elle se risque en plus à impliquer Mason dans cette histoire.

- Je vous remercie pour votre proposition, mais ce sont des affaires que je dois régler par moi-même.