(terminé) [Abigail & Hannibal] A shattered teacup.

A shattered teacup.

feat. Abigail & Hannibal

Cette décision allait à l'encontre de tout bon sens. Elle allait plus encore à l'encontre de son instinct de survie. Mais les années avaient passé, son père s'était de nouveau imposé dans sa vie et, surtout, elle avait déjà connu l'expérience de la mort aux mains de celui qu'elle s'apprêtait à retrouver ce jour-ci. Elle avait donc déjà connu la surprise de la mort. Et puisqu'elle savait à quoi s'attendre, il n'y avait plus réellement de raison de redouter la possibilité qu'on lui arrache cette vie qui la décevait jour après jour.

Abigail avait choisi la fin d'après-midi pour se rendre au cabinet du Dr. Lecter. Après qu'elle ait appris qu'il était bien présent dans cette ville maudite, le retrouver n'avait pas été compliqué. Elle avait trouvé l'adresse de son cabinet et, même si elle avait pertinemment conscience qu'il n'appréciait pas généralement pas les visites inattendues, elle avait pris la décision de lui rendre visite. Ils avaient une longue conversation à avoir, tous les deux. D'autant plus depuis qu'elle savait qu'il vivait avec Will.

Depuis ses retrouvailles avec Will, elle avait longuement repensé à ce qu'il lui avait révélé. Et plus elle y réfléchissait, plus elle avait le sentiment qu'Hannibal savait déjà qu'elle était présente en ville, elle aussi. Elle n'aurait même pas été étonnée que ce soit lui qui ait provoqué ces retrouvailles entre elle et le profiler. Elle savait combien il aimait tirait les ficelles, toujours dans l'ombre.

Elle avait mis plusieurs jours avant de se décider à lui rendre visite, cependant. Tout simplement parce que durant ces quelques jours, elle avait hésité quant à la conduite à adopter avec lui. Il était indéniable qu'elle se méfiait de lui, à raison. Et qu'elle avait développé une certaine rancoeur à son sujet, là encore à raison. Il avait été bien cruel, en lui permettant d'accepter la mort de son père et en lui permettant une telle proximité, avant de la sacrifier en guise de châtiment pour Will. Et ce, en achevant ce qu'avait commencé son père en l'égorgeant.

Mais, malgré la rancune, malgré l'indignation, une part d'elle était curieuse. Et il aurait été bien malhonnête que d'affirmer qu'Hannibal n'avait pas su conserver une certaine emprise sur son esprit et ses pensées, malgré les années.

Elle était arrivée. Sourcils froncés, elle ne se permit d'hésiter que le temps d'une profonde inspiration. Puis, refoulant ses pensées contradictoires quant à cette décision impulsive, elle frappa deux coups légers à sa porte.

L'apparition d'Hannibal lui coupa momentanément le souffle. Par instinct, elle l'observa de haut en bas, avant de croiser effrontément son regard. Ayant retrouvé son souffle, elle s'exprima finalement d'une voix froide, mais calme :

- Bonsoir, Dr. Lecter.

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Tout comme le psychiatre, Abigail prit le temps d'observer celui qui lui faisait face. Il avait à peine changé, son visage seulement marqué de quelques rides supplémentaires. Sa voix, elle, était la même. Après tant de temps, cette voix calme générait toujours des souvenirs, des habitudes dont la jeune femme pensait s'être émancipée. Elle constatait, avec un certain agacement, que le conditionnement qu'elle avait subi auprès de lui continuait d'agir sur elle sans qu'elle n'en ait pleinement conscience.

La remarque avec laquelle il l'accueillit confirma ses hypothèses. Elle plissa les yeux, soudainement contrariée d'avoir vu juste.

Elle eut à peine le temps de regretter sa décision de venir qu'il l'invitait déjà à entrer. Naturellement, elle s'avança et s'installa dans le fauteuil qu'il lui désignait. La proposition de boisson était surprenante, et eut le mérite de l'intriguer. Le psychiatre avait le don de choisir ses mots avec soin. Il lui proposait de trinquer, comme s'ils avaient quelque chose à fêter. Silencieusement, Abigail s'interrogea sur ce qu'Hannibal souhaitait célébrer. Leurs retrouvailles ? La résignation dont elle faisait preuve en venant d'elle-même lui rendre visite ?

Malgré ses pensées toutes plus sardoniques les unes que les autres, elle accepta le verre, mais le garda en main, profitant de cette aubaine pour baisser les yeux sur la boisson. La couleur du vin était subitement bien plus captivante que cet homme en ce qu'elle lui permettait de se concentrer sur le fil de ses pensées sans avoir à soutenir ce regard trop calculateur.

- J'ai jeté mon ancienne psychiatre par la fenêtre, déclara-t-elle avec cynisme tout en relevant les yeux vers lui.

Le calme apparent qu'elle affichait avait longuement été pratiqué au cours de ces dernières années. Elle devait cette maîtrise à son père biologique, dont les actions continuaient de l'écœurer mais pour lesquelles elle continuait de se rendre complice, consciente qu'il en allait de sa survie. Or, depuis qu'elle avait connu l'expérience de la mort, elle était plus déterminée que jamais à ne pas revivre cette expérience de sitôt.

- Alors naturellement, je me suis tournée vers le seul autre psychiatre de ma connaissance après avoir appris qu'il était ici, lui aussi.

Malgré elle, Abigail observait désormais Hannibal avec moins d'antipathie qu'elle ne l'avait imaginé. L'instinct, qu'elle pensait éteint, de se confier à lui commençait à s'imposer à son esprit. Il avait toujours été une oreille attentive, et avait toujours su trouver les mots justes pour la réconforter. Ces constats silencieux la firent ciller. C'était une épreuve plus douce-amère qu'elle ne l'avait pensé, que de faire face à Hannibal Lecter après tout ce temps.

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Un sourire faussement sympathique étira les lèvres d'Abigail. Le Dr. Bloom avait survécu, en effet. Un étrange sentiment d'exaltation envahit Abigail lorsqu'elle songea que c'était là une information qu'elle possédait déjà. Une mince illusion de pouvoir. Elle ignorait pourquoi Hannibal avait jugé qu'il était judicieux de lui apprendre ces faits. Etait-ce une véritable considération pour la culpabilité de la jeune femme, une manière pour lui de lui rappeler que ces figures du passé avaient toutes continué de vivre après sa mort ? Quoiqu'il en soit, elle se fit la réflexion silencieuse qu'il était agréable de ne pas être prise de court par les propos du psychiatre, pour une fois.

Mais tout comme il ne s'attarda pas sur le sujet, ce n'était pas réellement le sujet qu'elle voulait évoquer ce jour-ci.

- Je le sais, oui, se contenta-t-elle donc de répondre avec sobriété, et cette même ébauche de sourire mensonger.

Elle trempa les lèvres dans son verre, laissant le goût du vin imbiber sa bouche. C'était la première fois qu'elle goûtait véritablement à du vin. L'âpreté première la fit grimacer, mais l'arrière-goût et l'épaisseur du liquide lui plurent. Ne sachant donc déterminer si elle aimait cet alcool, elle prit une deuxième gorgée afin d'essayer de s'en faire une idée plus claire. Mais son analyse silencieuse fut interrompue par la question du psychiatre, vers qui elle releva un regard éloquent. Elle avait vu juste, concernant ces retrouvailles avec Will. Rien n'arrivait par hasard, encore moins dans son existence. Et, à partir du moment où elle l'avait connu, où elle avait entendu sa voix au téléphone, Hannibal avait toujours contrôlé son destin. Il n'était pas étonnant qu'un phénomène similaire se produise dans cette nouvelle existence.

Sa question, curieusement, l'amusa. Plus exactement, les jeux de manipulation de son interlocuteur l'intriguaient. Ils l'avaient toujours intriguée.

- C'était... Différent de ce que j'avais imaginé. Mais j'ai apprécié cet instant. Je crois que Will aussi, malgré les surprises réciproques.

Même si, pour sa part, apprendre sa vie commune avec Hannibal n'était pas véritablement une surprise. Ca avait, très tôt, été l'intention de celui qui lui faisait face. Elle savait qu'il avait voulu fonder une nouvelle famille avec Will, avec elle, à une époque qui lui semblait bien lointaine, désormais. Sachant cela, elle ne pouvait guère en vouloir à Will d'avoir succombé à la tentation, quand elle-même n'avait pas su opposer de résistance au contrôle exercé par Hannibal et s'était, par simplicité, contentée de lui obéir aveuglément.
Concernant Will, elle estimait qu'apprendre la résurrection de son père et son retour auprès de lui avait été la plus grande surprise entre toutes, hormis celle de sa présence.

- Comment avez-vous su que j'étais en ville ? se permit-elle de l'interroger à son tour, sincèrement curieuse.

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La réponse d'Hannibal la surprit. Elle tenta de masquer ses réactions, mais ne sut réprimer la manière dont l'entièreté de son corps se tendit suite à cette réponse.

L'esprit empli de dizaines de questions sans réponse suite à ces propos, Abigail se contenta d'abord de le fixer avec intensité. Comme si elle s'attendait à ce qu'il poursuive, tout en sachant pertinemment qu'il n'en ferait rien. Le goût d'Hannibal pour la manipulation n'était plus un secret, pour elle. Malgré cela, elle continuait de s'étonner du fait que le psychiatre n'ait pas mentionné sa présence à Will.

Allant à l'encontre de toute forme de sagesse, elle continua de se montrer curieuse.

- Et vous n'êtes pas venu me trouver. Pour quelle raison ?

Elle aurait sans doute dû s'en réjouir. Son meurtrier n'avait pas eu l'intention de réitérer son geste, ce qui en soi était une nouvelle dont elle aurait dû se contenter. Mais elle continuait d'être suspicieuse.

La question qui suivit, à propos de son père, la fit se rembrunir. Elle observa le contenu de son verre, dont la couleur pourpre ne manquait pas d'attirer son regard. Elle était réticente à répondre à cela. D'une part, parce qu'elle savait que ce n'était pas une interrogation bienveillante. D'autre part, parce que cela lui faisait songer à ce retour en arrière qu'elle vivait dans cette ville et auquel elle survivait grâce à sa grande propension au déni.

- Il est aussi ressuscité que je le suis et plus en forme que jamais,  répondit-elle finalement avec ce même cynisme employé plus tôt. Pourquoi cette question ? Comptez-vous l'appeler à nouveau, en espérant qu'il m'achève pour de bon, cette fois-ci ?

Sa voix doucereuse prit plus de froideur.

- A moins que vous ne souhaitiez vous vanter auprès de lui d'avoir réussi là où il a échoué.

C'était un fait qu'elle ne pouvait plus se contenter d'occulter, à présent qu'elle faisait face à son meurtrier. Silencieusement, elle se morigéna pour cette décision impulsive de rendre visite à Hannibal. A croire que l'expérience de la mort n'avait pas été suffisamment traumatisante. A croire qu'elle se comportait en victime idéale et ne pouvait totalement se passer de la présence des deux hommes qui avaient eu à son égard les envies les plus violentes et meurtrières.

La gorgée de vin qu'elle prit au terme de ce constat silencieux lui parut bien amère.

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Abigail avait donc eu raison en supposant qu'Hannibal attendait patiemment qu'elle vienne à sa rencontre. Elle supposa que c'était une volonté d'estimer le taux de dépendance qu'elle conservait toujours à son sujet. Elle supposa également que c'était une ruse qui impliquait d'attendre de savoir comment Will allait réagir.

Le terme "nécessaire", au sujet de sa mort, fit tiquer Abigail qui adressa à son interlocuteur un regard lourd de reproches.

- Nécessaire,  répéta-t-elle d'une voix blanche.

Le terme lui déplaisait. Mais il lui fallait admettre que son interlocuteur semblait avoir raison, sur ce point. Ce geste avait été nécessaire, pour sa manière tordue de faire comprendre à Will l'intensité du sentiment de trahison qu'il avait ressenti. Elle n'avait été qu'un dommage collatéral, et si le moment était réellement venu d'être complètement honnête avec elle-même, c'était ce détail qui la blessait le plus. Mourir des mains d'Hannibal semblait être inévitable. Si ce n'avait pas été lui, ç'aurait été son père, ou Will. Abigail ne nourrissait plus l'espoir, même à cette époque, d'être préservée de la violence qu'elle semblait inspirer à chacune des figures paternelles de son existence. Mais être assassinée, par dépit, non pas pour la faire souffrir elle mais pour blesser Will... Ce n'était pas un détail qu'elle pouvait facilement pardonner.

De nouveau, elle fit passer son amertume avec une nouvelle gorgée de vin. L'alcool commençait à lui monter à la tête. Avec prudence, elle baissa son verre et jugea qu'il était plus sage de ne pas toucher davantage au contenu du verre.

Elle releva vers Hannibal un regard moins rancunier que lors de ses précédentes interventions. Une forme d'amusement sinistre teinta sa voix et releva le coin de ses lèvres quand elle s'exprima de nouveau :

- Je sais comment me préserver de mon père et de sa volonté. Je ne peux pas en dire autant à votre sujet.

Peu dupe concernant le mensonge éhonté qu'il venait d'énoncer, elle ne lui en tint cependant pas rigueur. Elle préférait un mensonge de cette nature.

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Abigail s'était de nombreuses fois interrogée sur ce que le psychiatre avait pu déceler en elle qui ait mérité son attention. Concernant Will, elle savait que ce dernier s'était, très tôt, identifié en tant que figure paternelle pour elle. C'était lui qui lui avait sauvé la vie, c'était donc tout naturel, d'autant plus si l'on ajoutait à ce fait le talent d'empathie qu'il possédait. Mais Hannibal, lui, semblait toujours se placer à distance d'émotions aussi fortes. Il était constamment dans la retenue et l'observation. Et enfin, alors qu'il insistait sur son instinct de préservation, Abigail obtint un début de réponse. C'était donc son instinct de préservation qui l'intéressait. Elle ne sut pas immédiatement comment accueillir cette nouvelle et choisit donc de ne pas commenter.

La mention de son père recourba ses lèvres en un sourire cynique.

- Pourtant, avoir conscience de cette influence ne suffit pas. J'ai cru, par le passé, qu'une confiance aveugle saurait me préserver. C'était une erreur. Je ne peux plus vous faire confiance, tout comme vous ne pouvez plus me promettre la famille que vous me promettiez autrefois.

Pour la première fois, elle fit le constat silencieux que c'était sans doute à ce sujet qu'elle lui en voulait le plus. Bien plus que d'avoir pris sa vie. Hannibal lui avait assuré que ses cauchemars disparaîtraient. Ils étaient plus vifs et horrifiques qu'avant. Il lui avait assuré qu'à trois, ils formeraient une famille. Le seul semblant de famille qu'elle possédait dans cette ville était son père, dont l'instabilité et l'amour monstrueux n'étaient plus à prouver. Abigail était en permanence sur la défensive, en permanence tendue car elle redoutait en permanence l'instant où son père se lasserait de sacrifier ces copies d'elle qu'il trouvait.

L'envie de s'emporter commençait à se manifester. Ses doigts tremblaient légèrement sous l'effort qu'elle faisait pour contrôler ses émotions, trop fortes et trop contradictoires. Elle expira longuement pour se forcer à se détendre, puis décida d'orienter la conversation sur un autre sujet moins douloureux que celui de sa propre mort.

- Will s'est contenté de me donner des informations à demi-mot. Je suppose que vous saurez me répondre plus franchement. Vous êtes fiancés ?  l'interrogea-t-elle avec une curiosité non feinte.

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Abigail eut un ricanement bref. La sérénité de son interlocuteur, qui par le passé avait su l'apaiser, éveillait au contraire le cynisme mordant de la jeune femme, ce jour-ci.

- Je ne veux pas de vos promesses, répliqua-t-elle avec un soupçon de défiance.

Idéalement, elle ne voulait même plus l'écouter. Elle ne voulait lui laisser aucune chance de l'influencer, de la manipuler à sa guise comme par le passé. Elle ne le voulait pas, tout en ayant conscience, en parallèle, de l'ascendant qu'il avait toujours sur elle, de l'emprise qu'il conservait sur son existence.

La concrétisation de ce projet qui avait lamentablement échoué, autrefois. C'était tentant. Indéniablement tentant. Pourtant, elle lui adressa un regard presque réprobateur tant elle était sceptique suite à de tels propos.

- C'est paradoxal. Comment pourrait-on concrétiser cet espoir de famille recomposée sans équilibre ? Sans confiance ? Quel est l'intérêt d'une famille à qui l'on ne peut pas se fier ?  

Will s'était ravisé. Après l'avoir retrouvée. Abigail ne comptait pas, quoiqu'il en soit, s'estimer coupable. Mais cela la rendait curieuse. Elle supposa que Will avait soupçonné Hannibal d'avoir connu sa présence avant qu'il ne la découvre lui-même. Elle devina que les deux hommes devaient encore trouver les concessions, entre honnêteté et manipulation, qui leur permettraient de se fiancer de nouveau.

Le terme de couple la fit sourire, avec un amusement qui lui donnait véritablement l'air de ses vingt ans et quelques. Un terme aussi trivial pour qualifier la relation entre Will et Hannibal, c'était quelque chose de particulièrement comique, de son point de vue. Notamment parce qu'elle devinait que ce terme ne devait pas satisfaire celui-là même qui venait de le prononcer.

- En couple. Il était temps, après toutes ces années. Je suppose.

Pour sa part, cette information ne venait que confirmer ce qu'elle soupçonnait déjà : elle était à des années lumières de s'intéresser à ces considérations.

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La réponse, posée mais implacable d'Hannibal, la fit froncer les sourcils. Son premier réflexe fut de contester, même d'argumenter pour lui prouver le contraire. Mais elle fit le choix, plus sage, de se taire et d'écouter les précisions qu'il avait à apporter. Parce qu'elle se souvenait suffisamment de lui pour savoir qu'il allait développer son propos.

Et elle ne fut pas déçue. A mesure qu'elle l'écoutait, elle dut reconnaître que ses paroles étaient sensées, peut-être même logiques. Elle ne se laissa pas totalement convaincre, mais elle accepta de revoir sa vision des choses ne serait-ce que le temps de quelques minutes.

- Et qu'est-ce qui soude les familles, dans ce cas, Dr. Lecter ?

Elle l'observait avec une attention nouvelle, curieuse de voir s'il allait oser prononcer ce terme qu'elle devinait dans les mots employés par le psychiatre, vagues mais pas suffisamment pour ne pas laisser place à une interprétation qu'elle faisait tout naturellement. Il fallait bien de l'amour pour accepter d'obéir à un père aux actes immoraux au possible, et plus encore pour accepter de le faire malgré la menace constante qu'il faisait peser sur elle. Il fallait de l'amour, aussi, pour se résigner à rencontrer Will, à rencontrer Hannibal après tant d'années et après ce qu'elle ne pouvait que considérer comme étant une trahison plus douloureuse encore que ne l'avait été celle de son père.

Mais elle ne voulait pas se résoudre à le prononcer d'elle-même, ce terme si puissant. Pas encore. Les blessures étaient trop fraîches, à peine cicatrisées. De plus, Hannibal affirmait avec un calme qui lui déplut que c'était là un sentiment impossible à ignorer. Il avait sans doute raison. Il était rare que le psychiatre ait tort. Mais Abigail voulut choisir de ne pas le croire, elle voulut se rebeller, au moins mentalement, contre cette affirmation qui lui laissait entrevoir un futur dont elle ne voulait pas. Pas consciemment, en tout cas.

La précision apportée au sujet de la dernière conversation entre Will et Hannibal la rendit curieuse. Ses yeux se plissèrent légèrement, le coin de ses lèvres se releva en une ébauche de sourire.

- Ce ne devait pas être très joyeux, alors. Qu'avez-vous bien pu vous dire à mon sujet ?

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La réponse d'Hannibal lui rendit périlleux l'exercice pourtant naturel et nécessaire de respirer. L'amour. En ressentait-elle pour Will ? Assurément. Pour son père ? Désespérément. Pour Hannibal ? Sans doute plus qu'elle ne voulait bien l'admettre. C'était vers lui qu'elle s'était tournée autrefois, en quête de soutien et de conseils. Hélas, c'était une habitude, un instinct qu'elle avait conservé. Même si elle luttait contre, quotidiennement.

- Chez certaines familles, c'est la haine qui prédomine, rétorqua-t-elle prudemment.

La promesse que Will avait su obtenir d'Hannibal ne l'étonna pas réellement. Elle était surprise qu'Hannibal ait accepté. Mais elle n'était pas surprise que Will se soit assuré de sa survie auprès du psychiatre. Et, même si son interlocuteur semblait en douter, Abigail le croyait lorsqu'il lui certifiait qu'il tenait toujours ses promesses. Elle le savait suffisamment éloquent et subtil avec les mots pour s'arranger afin que les événements aillent toujours en sa faveur quoiqu'il en soit.

L'ombre d'un sourire planait sur ses lèvres.

- Il a réussi à obtenir ça de votre part...

Elle devinait que ce n'avait pas dû être si simple que la manière dont cela lui était présenté. Will et Hannibal étaient deux hommes entêtés et déterminés à obtenir ce qu'ils désiraient. Et ils n'étaient pas étrangers aux affrontements violents en cas de désaccord.

Une part d'elle était touchée que Will aille jusqu'à risquer la dispute afin de s'assurer de sa sécurité. Cela ne faisait que redoubler l'intensité de la confiance qu'elle plaçait presque aveuglément en lui. Mais cette nécessité qu'il semblait percevoir l'interloquait. Craignait-il un affrontement avec Garrett ? Des menaces extérieures ?

Elle continuait d'y réfléchir, le regard légèrement perdu dans le vide. Finalement, elle se cala plus confortablement dans le fauteuil qu'elle occupait et se fit violence pour soutenir aussi sereinement que possible le regard de celui qui lui faisait face.

- Je ne pense pas que ce sera nécessaire, affirma-t-elle soudainement, d'une voix plus légère. Mais je ne suis pas mécontente de posséder cette information.

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La protéger de son père, la protéger d'Hannibal, la protéger de lui-même... C'étaient des intentions qu'Abigail prêtait aisément à Will. Le Docteur Lecter n'avait aucune raison de lui mentir à ce sujet, hormis par jeu. Mais un homme qui tenait tant à la précision de ses propos et à la rigueur des termes employés ne se serait pas embarrassé d'une telle promesse si c'était pour la rompre.

Abigail comprenait les motivations de Will. Elle n'était pas encore certaine de pouvoir se fier à lui et à ses convictions, cependant. Le souvenir de son instabilité mentale était vif, et l'avait suffisamment effrayée par le passé pour qu'elle cherche refuge auprès d'Hannibal. Ce qui, rétrospectivement, n'avait pas été la plus sage ou la plus prudente des décisions, mais... Elle n'avait plus le luxe de l'ignorance à présent. Et, à ce qu'elle avait compris, Will n'était plus le même homme et ne semblait plus souffrir de ces crises qui le faisaient un peu trop plonger dans l'esprit de son père. Il était peut-être donc celui, parmi ces trois hommes qu'elle ne pouvait que considérer que comme des figures paternelles, en qui elle pouvait le plus avoir confiance. Son instinct la poussait, naturellement, à se rapprocher de Will...

Et pourtant, alors que chacun de ses réflexes de fuite auraient dû s'activer dès l'instant où elle s'était retrouvée en présence d'Hannibal, c'était bien ce dernier qu'elle était venu retrouver en ce début de soirée. Et, malgré le danger, malgré la rancœur, elle trouvait sa présence rassurante. La manière qu'il avait de poser des mots si justes sur ce qu'elle ressentait, le calme qu'il affichait... Etaient des attitudes familières. Qui, si elle jouait la carte de l'honnêteté, lui avaient manquées.

- Je connais les espérances de Will. Je connais celles de mon père. Quelles sont les vôtres ? demanda-t-elle prudemment.

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feat. Abigail & Hannibal

Les termes employés par Hannibal, toujours justes, endormaient progressivement la méfiance de la jeune femme. Elle continuait de le considérer avec prudence, tentait de discerner ce qu'il taisait et de passer outre ses paroles hypnotisantes. Ce n'était pas chose aisée. Il aurait été plus simple de conserver sa rancune à l'encontre du cannibale si celui-ci n'acceptait pas si naturellement de répondre à ses questions. Car avec toutes les réponses qu'il lui offrait, la résistance d'Abigail s'estompait. Et elle s'en apercevait, mais était trop déstabilisée pour bâtir de nouvelles barrières de froideur apparente.

Finalement, le mot qu'elle attendait fut prononcé. "Famille". Une notion complexe, pour la jeune femme. Et pourtant, elle ne songea pas un instant à remettre sa parole en question. Au lieu de cela, elle vida le contenu de son verre en une gorgée et, libre de toute distraction, trouva le courage de souffler :

- Même maintenant, je me sens plus sereine en votre présence qu'en celle de mon père.

Un aveu à demi-mots. Abigail avait beau avoir tenté d'étouffer cette envie de faire partie de cette famille monstrueuse, cette envie persistait à la hanter. Elle pensait pouvoir se passer de la présence de Will et Hannibal, car elle avait retrouvé son père. Mais là où elle parvenait à présent à comprendre le geste du psychiatre lorsque celui-ci l'avait exécutée sous les yeux de Will, l'acte de son père, en revanche, lui semblait en revanche moins légitime. Moins pardonnable.

Oui, Abigail se laissait doucement tenter par l'idée de rejoindre la famille déjà formée par Hannibal et Will. Elle les avait considérés comme des pères de substitution dès l'instant où ils s'étaient rencontrés et où ils avaient veillé sur elle, quoique relativement sincèrement pour l'un. C'étaient des relations qui ne s'effaçaient pas si facilement, des liens qui reposaient sur des accords tacites et des émotions complexes qui se passaient, en vérité, de conversation. C'était naturel.

- Pour le moment, ça m'est impossible.

"Pour le moment". C'était une formulation peu précise, mais qui avait le mérite de nuancer sa résistance. Elle n'était pas prête, mais se savait capable de l'être un jour.

- Vous m'avez appris à ne plus me fier à l'avenir qui semble être tracé pour moi. Je sais qu'à terme, je me plierai à votre volonté. Mais je ne sais pas quand ce moment viendra.

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feat. Abigail & Hannibal

La patience d'Hannibal avait toujours été une source de fascination, pour Abigail. Elle-même ne possédait pas d'ambitions qui nécessitent une telle rigueur et une telle patience, bien sûr. Mais durant ses quelques tentatives pour essayer de mieux comprendre l'esprit de celui qui avait été à la fois son sauveur et son ravisseur, elle avait été incapable de s'imaginer posséder un tel degré de patience. La réponse qu'il lui offrit ne fut pas une surprise pour elle, et parvint même à la faire sourire sincèrement. Elle aurait dû lui tenir rigueur d'être aussi sûr de lui, d'être aussi certain qu'elle finirait par leur revenir, à lui et Will. Mais elle n'était pas dupe. Elle l'était même de moins en moins à mesure que la conversation s'étendait.

Hannibal incluait Will dans son discours, et là encore, elle ne put constater qu'il avait raison. En cet instant, Abigail n'avait aucune raison de remettre sa parole en doute, en particulier dans le cas de Will. Pour cette raison, elle acquiesça avant de répondre posément :

- Je le sais.

La dernière remarque d'Hannibal la laissa songeuse. Elle ne sut d'abord pas comment accueillir cette affirmation, et se demanda même si elle avait bien entendu.

Finalement, elle fit le choix de ne pas répondre, s'efforça de rester neutre, mais les dernières paroles d'Hannibal flattèrent néanmoins la part la plus sombre de son ego. Elle était constamment en quête d'approbation et d'affection paternelle, et c'était exactement ce qu'il lui offrait en cet instant. Elle le soupçonna d'en avoir parfaitement conscience, mais ce soupçon ne fut pas suffisant à l'empêcher d'esquisser un sourire. Elle s'interrogea brièvement sur la sincérité d'Hannibal en cet instant, mais jugea qu'il était préférable de ne pas s'attarder davantage sur la question. Car elle n'était pas réellement fière de ce qu'elle était devenue, mais elle appréciait, bien malgré elle, qu'il lui adresse ces propos.

Elle se leva de son siège avant de s'attarder trop longuement sur la dépendance encore évidente qui la rattachait à Hannibal.

- Je ferais mieux d'y aller. On m'attend.

Par "on", ils savaient tous deux à qui elle faisait référence. Là encore, elle ne développa pas davantage, lui laissant le soin d'entendre ce qu'elle taisait.