« Mademoiselle Astankova ? Il y a un jeune homme à l’accueil, pour vous. Il dit s’appeler Keys. – Et alors ? – Et… eh bien, il aimerait vous parler, il a dit que vous le reconnaîtriez. – Cool. – Est-ce que j... »
Villanelle raccroche. Pas la moindre idée de qui peut être ce type. Probablement un illuminé qui a vu son minois sur une des affiches du centre-ville et cherche maintenant à l’approcher… ça, c’est quelque chose qu’elle n’avait pas anticipé, en décidant de devenir mannequin et actrice dans cette nouvelle vie : la relative célébrité, les sollicitations de parfaits inconnus. C’est parfois flatteur, et il lui est même arrivé de s’en amuser ou d’en jouer, mais ce n’est certainement pas ce qui l’a motivée à embrasser une telle carrière pour commencer. Non, elle, elle avait juste cherché à décrocher de ses anciennes activités, elle était parti en quête de ce quelque chose qui serait susceptible de pallier à cet ennui profond, viscéral, qui anime si constamment chaque fibre de son être. Porter de belles tenues de créateurs, se fondre dans la peau de gens qui n’étaient pas elle… ça n’avait pas eu l’air si mal. Sur le papier. Dans les faits, elle s’ennuie toujours autant et est loin d’aimer son travail. Mais c’est sans doute le mieux qu’elle puisse obtenir… même si sa rupture avec son ancienne vie aura été de courte durée.
Retrouver Eve en a été le bon aspect, celui qui l’autorisait à éprouver, à ressentir, même, au-delà du raisonnable, mais avant ça, elle a retrouvé Konstantin, Hélène… ou leurs ombres, plutôt, et les Douze… Peut-être que ce Keys travaille pour eux, ce n’est pas improbable. D’ailleurs, est-ce que c’est seulement un nom, ça, Keys ? Plus probablement un nom de code. Comme pour elle. Villanelle. Alors qu’elle retire les bijoux qui lui ont été prêtés le temps d’un shooting et considère son reflet dans le miroir. Doit-elle laisser la curiosité l’emporter ou décider de s’en moquer ? Elle n’a plus rien à faire à l’agence pour le moment, et elle se sent d’humeur joueuse. Alors qu’elle refait son chignon à l’aide de son épingle à cheveux, elle songe qu’elle peut bien tenter de voir ce qu’il lui veut, ce Keys. Après tout, en cas de besoin, elle a de quoi lui crever l’œil pile à disposition, c’est pas si mal.
Quand elle rejoint l’accueil et s’adresse à la miss qui s’y trouve, cette dernière lui apprend que le concerné vient tout juste de sortir. Villanelle tente de l’apercevoir à travers la baie vitrée. Sans succès. Bon, elle verra bien. Elle reste quand même sur ses gardes au moment de quitter le bâtiment, mi-mannequin, mi-tueuse en cet instant. Elle n’oublie pas qu’on a tenté de la faire tuer, et agressé Eve dans la foulée, il n’y a définitivement pas si longtemps. A peine a-t-elle un pied dehors qu’un type se précipite vers elle et la prend dans ses bras sans prévenir. Villanelle l’écarte, les mains maintenus sur ses épaules et fixe ce type, qu’elle n’a définitivement jamais vu de sa vie, dans le blanc des yeux. « Qu’est-ce que tu me veux ? » demande-t-elle avec son accent russe à couper au couteau.
Bon, à l’évidence, ce jeune homme croit dur comme fer qu’elle est quelqu’un d’autre, et c’est déjà la deuxième fois que ce scénario se produit pour Villanelle. Honnêtement, c’est en train de devenir lassant, et presque vexant, en réalité. La jeune femme veut se croire exceptionnelle et unique, et voilà qu’on se met à la confondre avec absolument n’importe qui… Elle pourrait jouer le jeu, faire comme elle l’avait fait avec Rey, qu’elle avait su convaincre qu’elle était bel et bien sa mère, mais ce jeu lui paraît moins amusant en présence de son interlocuteur. Et pour cause, il semble absolument épris d’elle, et même si s’en amuser pourrait être tout à fait drôle et lui permettre d’avoir un certain ascendant sur cet inconnu, il n’est définitivement pas son genre. Comme aucun homme ne pourrait l’être, évidemment.
Et voilà qu’il parle de son accent russe, puis de filtres dans la vraie vie, puis de Free City… Villanelle ne comprend absolument rien à ce qu’il déblatère mais lui semble toujours convaincu avoir bel et bien affaire à cette femme qui, à l’évidence, ne la laisse clairement pas indifférente. Non, elle ne s’appelle pas Millie, et Keys est le nom le plus étrange qu’elle ait jamais entendu de toute sa vie. « Tu as l’air d’être difficile à oublier, comme type. Je me serais souvenue d’un nom pareil. »
Non, elle ne va pas prétendre, cette fois, être la Millie qu’il voudrait qu’elle soit. Elle ne va pas non plus jouer les innocentes qui auraient perdu la mémoire et n’auraient pas la moindre idée de ce qui se trame. Non, elle n’a pas l’envie ou la patience de jouer à ça. Aussi, quand Eve n’était pas dans le coin, Villanelle était, clairement, en roue libre totale, et ce genre de jeux étaient à peu près la seule chose susceptible de l’encourager à trouver un semblant de divertissement, à oublier son ennui. Là, c’est différent. Ceci dit, elle reste absolument curieuse de ce qu’il pourra bien lui dire de cette Millie, de cet alter ego qui lui ressemble suffisamment pour que ce Keys soit absolument, mais alors absolument convaincu qu’il s’agit bel et bien d’elle.
« Tu me confonds avec quelqu’un d’autre, je suis désolée. Mais tu as bon goût », ajoute-t-elle avec un sourire en coin.
Villanelle se sent d’humeur curieuse, suffisamment pour laisser à Keys la chance de lui apprendre un peu plus de cette Millie et de lui-même. « Tu as mangé ? J’ai faim. Tu m’invites au restaurant ? Tu pourras me parler de ta Millie, comme ça. »
Franche et directe, c’est le moins qu’on puisse dire, Villanelle ne passe jamais par quatre chemins, clairement pas, et s’imaginer le contraire serait vraiment mal la connaître. Et pour le coup, faute d’avoir retrouvé sa Millie, Villanelle donne à son interlocuteur l’occasion de passer un peu de temps avec son sosie, il ne devrait pas s’en plaindre, pas vrai ? Personne ne devrait se plaindre d’avoir l’opportunité de passer du temps avec Villanelle.
Oh qu’elle est heureuse de ne pas s’appeler Millie. Certes, elle n’a rien contre ce type en particulier, après tout, elle ne le connaît pas, mais des bribes qu’elle entend de l’histoire de ce Keys, elle est convaincu qu’ils n’auraient sans doute pas été capables de s’entendre au-delà de l’attirance qu’apparemment ce jeune homme a pour son apparence, puisqu’elle est aussi celle de sa Millie. En retour, on ne peut pas exactement dire que Keys soit son genre. Sans offense, cela dit, disons surtout qu’il n’est pas son genre au sens premier que l’on peut donner au mot « genre ».
Malgré tout, et en dépit de ce qui se révèle n’être très naturellement qu’un quiproquo, Villanelle reste curieuse. Pour la deuxième fois, on l’associe à des figures qui seraient supposées lui ressembler comme deux gouttes d’eau. A dire vrai, la jeune femme n’est pas totalement convaincue d’apprécier savoir qu’il pourrait évoluer dans ce monde tant de jeunes femmes qui seraient sa copie conforme. Oksana aime l’idée d’être unique en son genre. Elle préfère songer, à ce titre, que toutes ces femmes avec lesquelles on daigne les confondre ne sont jamais qu’une pâle copie d’elle-même. Elle, elle est l’originale, inimitable, remarquable en tout point.
Finalement, le gars a l’air de se faire une raison et d’accepter qu’elle n’est pas cette fameuse Millie. Et donc ça pourrait s’arrêter là, après tout, rien ne garantit qu’ils aient plus en commun que cela, ou encore qu’ils aient grand-chose à se dire au-delà du constat de cette troublante ressemblance. C’est vrai, mais Villanelle a malgré envie de creuser le sujet, et donc, elle fait le choix d’insister quoi qu’il en soit. Qui sait si ça ne pourrait pas mener quelque part, après tout, et dans le pire des cas, cela taira son ennui quelque temps. Pas bien longtemps, mais ce sera toujours ça de pris. Et quand elle se lassera, elle fera ce qu’elle sait faire de mieux : en somme, elle prendra la poudre d’escampette, en donnant éventuellement la plus désagréable image d’elle-même, et bon vent.
« Y a un resto en face, c’est un peu cher mais… » Elle le jauge de haut en bas. « T’as les moyens, pas vrai ? »
Elle n’attend pas sa réponse pour l’entraîner par le bras et l’emmener jusqu’au dit restaurant qui est à deux pas d’ici. Bien sûr, l’intention de Villanelle est de ne pas dépenser un sentime.
« Oksana, c’est mon nom, Villanelle, c’est juste un nom de scène, si on veut », elle dit en reprenant la conversation. « Et toi alors, Keys ? C’est vraiment ton nom ? Tu travailles dans quoi ? Comment elle est, ta Millie ? »
Elle se moque de se montrer incommodante ou trop pressante. Elle pose les questions comme elles lui viennent, en ne laissant un répit que très relatif à son interlocuteur.
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It's me ! You don't remember me ? { Oksana
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