(Terminé) Abigail Hobbs is dead. Long live Abigail Hobbs. | Abigail

Le véhicule progresse à travers les routes sinueuses dans un calme apaisant qui ne dit rien du drame éventuel qui se joue dans l'habitacle, et dont la principale protagoniste n'a peut être pas tout à fait conscience. Le silence uniquement troublé par la mélodie, mélancolique et apaisante, de la Symphonie n° 5 de Schubert les accompagne tout au long du trajet. De temps à autre, Hannibal jette un regard en arrière, s'assure qu'elle dort toujours. Pour les besoins d'un trajet aussi important, et pour s'assurer que nul ne se douterait de sa présence au sein du véhicule, il a drogué son déjeuner. Rien de bien méchant, vraiment, juste ce qu'il fallait pour qu'elle se tienne sage ou endormie tout au long du trajet. Il n'a droit à aucune erreur. Si quiconque devait découvrir la présence d'Abigail Hobbs à ses côtés, alors toutes ses manœuvres seraient compromises. Il arrivent presque à la conclusion de ses plans, il n'est pas temps de faire le moindre pas de travers. Il ne l'est jamais.

Will en prison, répétant à corps et à cri, qu'il est le tueur de Chesapeake, et même si pour l'heure, nul ne semble prendre au sérieux ses propos, il ne peut qu'être aussi prudent que possible. Si d'aventure, quelqu'un devait décider de venir chez lui, et même s'il peut être autrement préoccupé par sa cave et tout ce qu'elle contient, il ne peut se permettre qu'on la trouve là, ni que qui que ce soit la trouve là, au demeurant. A chaque problème sa solution, Hannibal se félicite d'en avoir toujours une sous la main.

Une demeure secondaire, perchée au-dessus de l'Atlantique, que nul n'a jamais associé à lui. C'est là qu'il avait, à une période, conduit Miriam Lass, c'est ici qu'il gardera Abigail à l'abri des regards, quelque temps du moins... quand Will sera sorti de prison et lavé des crimes dont il est accusé, puisque c'est son intention, il la ramènera, et la lui rendra (s'il est sage), en attendant, elle sera en sécurité ici (pour peu qu'on le soit en demeurant dans son giron), dans cette demeure en bordure de vide et d'océan. Et lui-même gagne un temps précieux, qui le sera sans doute d'autant plus que ses plans dévient doucement de ce qu'il avait anticipé à l'heure de tendre son piège à Will Graham.

Hannibal gare le véhicule (pas son véhicule habituel, bien sûr, il ne courrait pas le risque de se laisser repérer si facilement grâce à son immatriculation) et sort de la voiture. Il la contourne tranquillement pour ouvrir la porte arrière Toujours allongée sur les sièges arrières, dissimulée sous une couverture, elle dort encore, mais les effets de la drogue, s'il a bien su gérer ces derniers, devraient s'être dissipés. Avec douceur, il pose sa main sur son épaule et la secoue légèrement pour l'inviter à ouvrir les yeux.

"Nous sommes arrivés, Abigail."

Se plier à la volonté d'Hannibal Lecter était d'une facilité surprenante, lorsque l'on était une jeune femme en quête de sens et en quête de guide. Il ordonnait, elle obéissait. C'était simple. Garret avait eu la même approche. Il l'ordonnait d'approcher des filles qui lui ressemblaient. Elle obéissait. Hannibal lui intimait de feindre sa mort, elle obéissait, par crainte de ne pas avoir à la feindre, par envie de plaire à cette figure paternelle, et parce qu'elle n'avait aucune idée de ce qu'elle pourrait bien faire d'autre.

Il était trop tard pour les remords. Elle s'était laissée manipuler, et devait désormais en assumer les conséquences. Ces conséquences étaient telles qu'elle était entièrement dépendante, à présent. Dépendante de la volonté du Dr. Lecter de la laisser vivre, dépendante de lui également pour sa disparition. Il n'avait pas eu besoin d'employer les mots pour lui faire comprendre que sa mort factice faisait d'elle sa captive. Une captive qui jusque-là avait pris des airs d'invitée, de protégée, mais captive tout de même.

Elle avait passé le trajet dans un sommeil qui lui permettait quelques moments de conscience, où le ronronnement du véhicule achevait de la plonger de nouveau dans ces rêves dont elle ne se souviendrait plus. Elle commençait cependant à refaire surface, dans un état de somnolence lorsqu'une pression sur son épaule acheva de l'éveiller.

Elle ne sursauta pas, mais ouvrit soudainement les yeux, avant de plisser ceux-ci pour tenter de chasser de sa vision le flou caractéristique du sommeil interrompu. La voix d'Hannibal était apaisante, cependant. C'était ce qui rendait son obéissance plus simple, plus naturelle.

Elle se redressa, tout en se passant la main sur le visage dans un effort pour reprendre pied avec la réalité et rester éveillée pour la découverte de ce nouvel environnement. Et de cette nouvelle existence, où elle ne pouvait plus être tout à fait vivante, car obligée de rester discrète et de garder le secret de sa propre survie.

Abigail était pourtant sereine. Autant que l'on puisse l'être en présence de la menace constante qu'était Hannibal Lecter. Elle soutint son regard et s'exprima, d'une voix rendue légèrement rauque par le sommeil :

- Montrez-moi.

[size=13]Il y a chez Abigail cette sorte d'oscillation constante entre assurance et docilité qui la rendrait assez fascinante, qui sait du moins la rendre intéressante. Soumise à la moindre de ses directives, mue par un instinct de survie prononcé, elle obéit, oui, mais elle le fait avec ce quelque chose dans la voix et le regard qui ne ressemble pas tant à de la soumission, davantage à quelque chose d'autre, un amour-propre qui ne s'est jamais éteint, nourri par des affections paternelles jamais vraiment dignes de ce qu'elle pourrait être. Son propos ressemblerait presque à un ordre, mais Hannibal l'entend comme une suggestion, quand elle lui demande de lui montrer les lieux, ce à quoi il répond avec un fin sourire.

"Après toi", dit-il alors en ouvrant plus grand la portière et en s'écartant afin de lui laisser l'espace de sortir du véhicule.

Il lui laisse le temps d'admirer la demeure à flanc de falaise, petite mais luxueuse, moderne, aux murs couverts de baies vitrées (cachés en pleine lumière) qui lui servira de foyer le temps nécessaire, avant de la ramener de nouveau chez lui. C'est aussi l'endroit où il devra la laisser seule. Est-ce un risque qu'il coure à la laisser là sans surveillance ? Eh bien, l'absence de surveillance est déjà toute relative, et il compte bien prendre les mesures nécessaires, mais même sans celles-ci, il veut croire qu'il n'aurait pas grand-chose à craindre de la part d'Abigail. Elle n'ira nulle part. Car elle n'a nulle part d'autre où aller. Il y a veillé. Attentivement. Scrupuleusement.

"Cette situation n'est que temporaire, bien sûr", dit-il en ouvrant la porte de la demeure pour la laisser entrer, "mais en attendant que la situation soit plus sûr, et que notre nouvelle vie puisse commencer, considère cette maison comme la tienne. Sens-toi libre de faire comme chez toi. Ta chambre est au fond derrière cette porte", ajoute-t-il en lui désignant la pièce en question d'un geste de la tête.

Ainsi formulés, ces propos peuvent laisser imaginer qu'Abigail Hobbs est bel et bien une invitée en sa demeure. Ce n'est néanmoins pas le cas. Le confort et le luxe ambiant ne sauront sans doute pas lui faire oublier qu'elle demeure captive entre ces quatre murs, et qu'elle a tout intérêt à n'aller nulle part, au risque d'en payer le prix fort. Il lui laisse le temps de découvrir les lieux, de vaquer à sa curiosité et de lui poser des questions si elle en a. En sa compagnie, il sait faire preuve d'une patience et d'une mesure dont il n'est capable qu'en façade avec beaucoup d'autres. Si ses méthodes sont ô combien déplorables, l'attention qu'il lui porte est très sincère. Par bien des aspects, elle lui fait penser à Mischa, et ce constat la préserve de bien des désagréments, à la vérité.

"Est-ce que tu as faim ? Je vais nous préparer quelque chose."

La jeune femme ne se fit pas prier et descendit prestement du véhicule. L'air frais acheva de la réveiller, ce qui était une excellente nouvelle. Il valait mieux conserver l'esprit alerte, en présence du psychiatre. Elle continuerait de lui obéir quoi qu'il en soit, mais c'était une pensée rassurante que celle d'avoir un semblant de conscience de l'influence qu'il exerçait sur elle en permanence. Et à cet instant plus que jamais, à présent qu'il était la seule autorité dans son existence.

La demeure était sublime. Tout comme le paysage. Une prison dorée à l'image de son ravisseur. Malgré cette sinistre pensée, Abigail prit le temps d'admirer les lieux comme il se devait. Sa poitrine se soulevait lentement et régulièrement, sous l'effort qu'elle faisait pour garder son calme proche de la nonchalance.

Elle prit une plus longue inspiration au moment d'entrer dans son nouveau foyer, faisant le plein d'oxygène avant de s'enfermer. Enfin, elle suivit Hannibal et observa l'endroit, son regard attentif se posant sur chaque meuble et chaque pièce de décoration. Etonnamment, elle avait hâte de découvrir sa chambre. Même si elle ne se faisait aucune illusion quant à sa nature de captive, Abigail continuait d'être bercée par l'illusion enfantine que les chambres étaient des refuges.

Tout en avançant, elle fit passer ses doigts sur la surface du premier meuble venu, une manière de s'ancrer dans la réalité du moment et de prendre pleinement conscience de ce nouvel environnement qu'elle devrait apprendre à considérer comme familier. Elle ne se tourna vers le psychiatre que lorsque celui-ci mentionna son appétit. Elle se contenta d'abord d'acquiescer, avant de le remercier d'un ton neutre. Elle le suivit dans la cuisine et s'interrogea sur la nature de ce repas qu'il comptait cuisiner pour eux. Conservait-il de la chair humaine dans cette demeure-ci ?

Plongée dans ses réflexions, elle l'observait faire, les mains agrippées au dossier d'une chaise dont elle se servait comme support. Enfin, elle osa poser la question qui lui brûlait les lèvres depuis qu'elle était entrée :

- Reviendrez-vous me voir ?

Même alors que les mots franchissaient ses lèvres, elle ne savait déterminer si c'était de l'espoir ou de l'appréhension qui teintait sa voix. Très certainement un curieux mélange des deux.

Tandis qu'Abigail s'approprie les lieux, fait le tour de cette demeure qu'elle pourra temporairement considérer comme la sienne, Hannibal la suit du regard, observe chacun de ses faits et gestes, analyse chacun de ses mouvements. Il n'ignore pas la peur qui la suit à la trace, celle-là même qui encourage sa docilité, consciente de ce que sa désobéissance pourrait avoir de conséquences sur elle et sur sa vie, il peut la flairer sur elle, subtile, légèrement acide... Elle n'en garde pas moins un calme et un contrôle d'elle-même qu'Hannibal trouve appréciables, et qui confirment pour de bon tout ce qu'il a d'ores et déjà appris à penser d'elle, à force de la côtoyer.

Une fois qu'elle a fait le tour du propriétaire (la maison est luxueuse, en revanche elle n'est pas bien grande, et l'on en a rapidement fait le tour), elle le rejoint au niveau de la cuisine, où Hannibal s'affaire à leur préparer de quoi se restaurer. Rien de grandiloquent. Il a préparé des courses en abondance afin qu'Abigail puisse vivre et se restaurer sans difficultés en son absence. Tout est de qualité, certes, mais il faudra se contenter de produits moins raffinés pour certains. En l'occurrence, il ne prépare rien d'extravagant. Une simple omelette. Enfin... "simple" dans la mesure où Hannibal est réellement capable de préparer quoi que ce soit que l'on puisse totalement qualifier de simple. Affairé à sa préparation, il lève le regard quand Abigail lui pose une nouvelle question. Hannibal la considère avec attention. Voudrait-elle qu'il vienne la voir le moins possible ? Redoute-t-elle, bien au contraire, que ce soit le cas ? Peut-être un subtile mélange des deux, en fin de compte.

"Bien sûr", répond-il aussitôt. "Je m'en voudrais de te laisser seule trop longtemps", lui confirme-t-il alors.

Et il ne serait pas prudent, bien sûr, de ne pas vérifier régulièrement qu'Abigail n'a pas pris l'absurde décision de s'enfuir ou bien de prendre une décision disons plus radicale... Il ne croit pas vraiment dans ces deux options : Abigail est intelligente, et surtout, elle possède un instinct de survie au-delà de développé. Elle ne se permettrait pas de commettre une erreur de la sorte. Elle sait que ce qu'il lui propose est la seule chose à laquelle elle puisse prétendre à l'heure actuelle. Evidemment, vu les circonstances, il ne pourra pas se permettre de la visiter autant qu'il le souhaiterait : ce serait prendre des risques inconsidérés. Les soupçons qui pèsent sur lui sont déjà réels, il est préférable de ne pas donner de prétextes à plus de défiance encore.

"Et s'il doit arriver quoi que ce soit..." Il s'éclipse le temps de récupérer dans un tiroir un téléphone jetable, qu'il tend à son interlocutrice. "Mon numéro est déjà enregistré."

Lui laisser un téléphone et courir le risque qu'elle alerte les autorités ? C'est un risque calculé. Une fenêtre de liberté dont elle n'abusera pas, du moins Hannibal en est-il convaincu, peut-être trop sûr de l'influence qu'il a sur elle. Chaque gage de confiance qu'il lui accorde possède cependant sa contrepartie, qu'elle soit visible ou non.

"Installe-toi, ça va être prêt."

Le regard d'Hannibal était un regard qu'il était fascinant de soutenir. Ce n'était pas chose aisée, que d'affronter un tel regard. Le psychiatre semblait lire les pensées les plus sombres et les plus inconscientes de ses interlocuteurs. Il semblait accéder au plus profond des êtres qui avaient le malheur de l'intéresser un tant soit peu.

Soumise à cette inspection silencieuse, Abigail ressentit tout cela. Elle avait pertinemment conscience de la manipulation orchestrée par Hannibal. Une manipulation qui ne la concernait pas seulement elle, mais également Will. Surtout Will, d'ailleurs. Si le psychiatre agissait de la sorte, c'était entièrement pour Will. C'était une évidence, pour elle qui avait eu tout loisir de les observer tous deux, à la fois ensemble et individuellement.

La réponse qu'il lui offrait suite à sa question la fit ciller. Elle n'eut pas le courage de prétendre sourire, ou se réjouir. Elle ne savait pas ce qu'elle ressentait, en vérité. Il lui suffisait alors d'accepter, sans rechigner. Cette situation lui faisait considérer avec nostalgie l'époque où elle pensait pouvoir lui faire confiance. L'époque où il lui avait fait boire ce thé des plus exotiques, qui avait eu le mérite de la distraire de ses préoccupations et, même, de l'amuser.

Le téléphone qu'il lui tendit fut une véritable surprise, qui la désarçonna. Elle se redressa immédiatement, intriguée par cette preuve de confiance qui n'était, bien sûr, qu'un test supplémentaire pour tester ses limites. Néanmoins, elle accepta avec ce qui ressemblait dangereusement à de la reconnaissance ce semblant de liberté, qu'elle garda d'abord à la main avant de le mettre dans sa poche.

- Merci, souffla-t-elle sobrement.

Sagement, elle s'installa. Son regard trop clair ne cessait de suivre la silhouette d'Hannibal. Enfin, elle trouva la force de lui poser la question qui lui brûlait les lèvres depuis qu'elle s'était éveillée.

- Combien de temps tout cela va-t-il durer ?

Il était risqué d'interroger Hannibal Lecter sur ses intentions, d'autant plus lorqu'elles s'effectuaient sur le long terme. Mais, dans la situation d'Abigail, elle estimait qu'il était tout aussi dangereux de rester dans l'ignorance.

Hannibal considère la surprise avec laquelle Abigail considère le "présent" qu'il lui fait. Puisqu'il s'agit d'Hannibal, ce présent ne peut être accepté sans qu'une contrepartie sous-jacente, qu'il n'a pas la nécessité de formuler, soit naturellement induite. Lui accorder ce fragment de confiance et de liberté, c'est aussi attendre d'elle qu'elle ne transgresse pas les limites de cette confiance, de cette liberté accordées. Lui accorder ces quelques concessions qui lui sont adressées sont aussi une manière de la garder plus sûrement sous emprise. N'a-t-il pas confiance en Abigail, pourtant ? La réponse n'est guère si simple. Il ne croit pas dans une trahison éventuelle de sa part.

Ne pourrait-il pas être néanmoins surpris ? Abigail n'est pas crédule, Abigail est sans doute même trop intelligente pour son propre bien. Mais c'est justement cette même intelligence qui garde le psychiatre de s'inquiéter d'un éventuellement retournement de question - qu'elle aurait orchestré, du moins. Elle doit savoir que son intérêt, sa place sont ici, et que tolérer cette situation sans l'influencer est autant une manière de se préserver (et son instinct d'auto-préservation est plus remarquable que celui de quiconque, en réalité) que de préserver Will, également, dont il ne cherche pas réellement à nier la place et le rôle qu'il occupe dans ces circonstances. Il hoche simplement la tête, d'une gestuelle qui pourrait signifier que cela est tout naturel, bien qu'il attendait évidemment cette reconnaissance de sa part, qu'il sait tout de même ne pas aller sans une telle réserve. Il peut la manipuler d'une certaine manière, car Abigail est une manipulée consentante, mais il ne peut guère la duper. Chaque attention qu'il lui adresse est perçue pour ce qu'elle est. Cela n'ôte rien à l'estime qu'il a d'elle, ce serait même tout l'inverse, mais cela exige une stratégie qui diffère, par certains aspects, de ses habitudes.

"Le moins de temps possible, je l'espère", répond posément Hannibal tout en remplissant l'assiette de la jeune femme, docilement installée à table, alors qu'elle lui demande combien de temps tout ceci pourra bien durer.

Très longtemps, en réalité, rien n'est encore certain à ce stade, y compris pour Hannibal, qui a révisé ses plans vis-à-vis de Will plus d'une fois au cours de ses dernières semaines. Il aurait aisément pu se simplifier la tâche, pourtant. Il lui aurait suffi, pour cela, de tuer Abigail pour de bon, de laisser Will payer le prix de ses crimes, de laisser couler le temps nécessaire, et blanchi, satisfait, il aurait fini par se faire connaître du FBI sous une autre identité, d'un alias à un autre, d'Il Mostro de Firenze au Chesapeake Ripper à une autre identité encore. Mais la donne a changé. Car, dorénavant, Will Graham entre en ligne de compte de ses plans, résolument, invariablement.

"Le procès de Will se tient dans dix jours, dans l'attente, je m'assurerai qu'il soit disculpé. Quand ce sera chose faite, il nous faudra... composer avec son éventuelle rancœur à mon égard." Il pose sur elle un regard appuyé, c'est aussi sa présence, le fait de l'intégrer à l'équation, qui pourra sans doute lui garantir que Will s'intègre à son dessein. "Ce sera l'affaire de quelques semaines, tout au plus."

L'assiette était posée devant elle, et pourtant Abigail ne mangeait pas. Elle peinait à trouver l'appétit, en de telles circonstances. Les yeux rivés sur le visage d'Hannibal, elle buvait ses paroles, tentait d'en saisir toute l'étendue et d'en déduire la vérité qu'elle recherchait.

"Le moins de temps possible", cela ne voulait rien dire. Rien de concret, quoiqu'il en soit, et donc la jeune femme ne put faire autrement que de se sentir déçue de recevoir une réponse aussi abstraite.

Fort heureusement, l'homme fit l'effort de développer et, à mesure qu'il s'exprimait, sa déception s'effaçait. Elle était peu à peu remplacée par l'inquiétude, vis-à-vis de Will, et par la culpabilité également. C'était en partie par sa faute qu'il se retrouvait en prison à l'heure qu'il était, en attente de son procès. C'était par sa faute qu'il la croyait morte, et pire encore, que le doute concernant l'hypothèse que ce soit lui qui l'ait tuée subsistait.

C'étaient là des considérations qui avaient de quoi couper l'appétit. Pourtant, Abigail s'efforça finalement de saisir sa fourchette et, après avoir difficilement dégluti, daigna prendre une bouchée de son plat. Ce dernier était, sans surprise, un délice. Comme chaque fois qu'Hannibal avait cuisiné pour elle.

- Will sait ce que vous êtes ? l'interrogea-t-elle après avoir avalé sa bouchée.

C'était une question rhétorique, en vérité. S'il ne le savait pas déjà, il le comprendrait bien rapidement, elle en était certaine. Il était trop intelligent, trop doué pour entrer dans l'esprit des tueurs en série pour qu'il ne comprenne pas. Elle continua donc de l'interroger, presque aussitôt :

- Que ferez-vous, s'il vous dénonce ?

Elle se tut et continua de manger, constatant avec un certain soulagement que chaque bouchée semblait plus simple à prendre que la précédente, l'appétit lui revenant petit à petit. Il n'y avait plus d'autre possibilité pour elle que d'accepter son sort et de s'en remettre aux mains de son tuteur, après tout.

Hannibal peut sans mal comprendre que sa réponse soit frustrante aux yeux d’Abigail, elle est imprécise, et parce qu’imprécise, incertaine. Pour lui, elle n’en est pas moins frustrante. Il n’a pas sur la situation la main qu’il voudrait. S’il reste convaincu de pouvoir tourner la situation à son avantage, ce n’est pas pour autant qu’il peut prédire à l’avance ce qui adviendra. Certes, il aime aussi laisser au hasard et au destin le déroulé des événements, pour observer ceux-ci, pour céder à sa curiosité, pour voir ce qui adviendra, mais dans ces circonstances, savoir avec plus d’assurance quelles réponses donner à Abigail lui aurait paru préférable. Mais il doit faire avec les circonstances. Et il s’assurera qu’elles iront à leur avantage.

Hannibal garde son attention fixée sur Abigail, et ne touche à sa propre assiette qu’au moment de voir la jeune femme piocher dans la sienne, satisfait. L’instant d’après, elle lui pose une question qui, il le sait, n’exige pas réellement de réponse, aussi n’en donne-t-il pas et se contente-t-il de poursuivre de manger. Oui, Will sait ce qu’il est. Abigail le connaît suffisamment pour le savoir. Si quelqu’un pouvait être capable de le percer à jour, c’est définitivement Will, et il l’avait fait. Ce n’est pas seulement l’affaire des souvenirs qui lui revenaient peu à peu.

Will est capable de voir en lui comme personne n’en a été capable, et, par la même, de le comprendre, y compris dans l’horreur qu’il incarne. Que Will soit parvenu à le percer à jour ne l’inquiète pas, en vérité. Peut-être en partie parce qu’il sous-estime ses capacités d’action (et il s’en rendra compte plus tard), mais surtout parce qu’en vérité, avoir donné à Will l’opportunité de le voir pleinement, comme il est, sans aucune réserve, a quelque chose de… plaisant ? Oui, plaisant… Et cela ne l’encourage que d’autant plus à vouloir l’intégrer à ses plans futurs… Leurs plans futurs.

"Il le fait déjà", répond tranquillement Hannibal. "Du moins il essaie", reprend-il avant d’avaler une nouvelle bouchée de son assiette – savoureuse, cela va sans dire.

Il devrait peut-être s’inquiéter davantage de l’obstination de Will à le considérer comme coupable. Mais il n’en est rien. Il sait que Jack ne le croit pas. Est-ce que cela ne finira-t-il pas par changer ? Will n’est pas vraiment en mesure de convaincre qui que ce soit, mais il a aussi plus de ressources qu’il ne le présume.

"Ceux qui acceptent d’envisager son innocence ne m’estiment pas coupable pour autant."

Ce qui ne veut pas dire que cela peut changer, mais Hannibal considère, à tort sans doute, que ce n’est pas une inquiétude qu’il a à se faire, et que la situation tournera à son avantage quoi qu’il en soit.

"Il finira par comprendre."

La jeune femme avait conscience d'avoir cruellement manqué de jugement, en faisant davantage confiance à Hannibal qu'à Will. Elle avait été effrayée par l'instabilité de ce dernier, par sa capacité à entrer dans l'esprit de son père au point, parfois, de confondre l'analyse et la réalité.

Pendant qu'elle écoutait le psychiatre, elle fit le constat bien ironique qu'elle n'avait, avant d'obtenir la confirmation des crimes d'Hannibal, pas hésité à se jeter dans ses bras en quête de confort. En cet instant, elle aurait plutôt recherché ceux de Will. Elle avait été méfiante à son égard, pour avoir abattu son père, mais s'apercevait désormais qu'elle ne s'était pas méfiée de la bonne personne.

Mais il était trop tard pour se remettre en question.

Son assiette oubliée, elle continua d'écouter Hannibal lui assurer que lui-même n'était pas soupçonné. Cela ne l'étonnait pas. Il avait joué son rôle à la perfection, et avait su s'assurer l'amitié et le respect des personnes qui importaient et qui avaient les pleins pouvoirs de cette enquête. Le psychiatre était un fin stratège, elle devait le lui reconnaître.

Ainsi, Will serait reconnu innocent grâce à l'intervention d'Hannibal, sans que celui-ci soit reconnu coupable pour autant. Elle était curieuse d'entendre le détail de ces événements à venir. Mais une question la taraudait tout de même. Will comprendrait peut-être. Sans doute. Mais agirait-il réellement docilement ?

- Ne voudra-t-il pas se venger ? Il n'est pas du genre à renoncer.

Hannibal sait qu'il ne doit pas complètement présumer des intentions et des réactions de Will. C'est d'ailleurs justement parce qu'il ne peut complètement présumer de ses actes qu'il le trouve à ce point fascinant. Il peut tenter de l'influencer dans une direction ou une autre, mais ses talents de manipulation se heurtent à la pensée inaccessible de celui qui ne saura jamais être façonné à l'exacte image qu'il pourrait attendre de lui... ce qui renforce, naturellement, encore davantage son intérêt à son égard.

Il estime garder un certain contrôle sur lui, parce que la situation prête à le croire, Will enfermé, lui en liberté, et puisqu'il n'a été à même de comprendre ses manigances que trop tard, et sans, pour autant, en cerner tous les tenants et aboutissants. S'il savait prédire davantage le comportement de Will, Hannibal comprendrait que la cellule où le profiler est enfermé ne le retiendra pas pour autant d'essayer d'attenter à ses jours, quitte, pour cela, à en passer par une voie aussi indélicate et impersonnelle que de décidé de faire appel à une tierce personne.

"C'est très probable", reconnaît Hannibal après un temps qu'il a simplement consacré à ingérer le contenu de sa fourchette, avec un calme de composition, sans afficher quoi que ce soit qui ressemblerait à du doute ou de l'inquiétude.

Est-ce qu'il n'est pas ne serait-ce qu'inquiet de ce qui pourrait se passer ? Curieux serait un terme plus approprié. Mais peut-être, c'est vrai, n'est-il pas aussi détendu et sûr de lui que le laisse suggérer son calme de composition. Du jeu qu'il a engagé avec Will, il doit accepter une part de risque. C'est ce qui rend le jeu intéressant.

"Il se pourrait même que ses intentions de vengeance soient une étape indispensable, parmi les plus difficiles à prédire et donc à maîtriser." Il marque une pause. "S'il doit tenter quoi que ce soit, il échouera." Sous-estimerait-il son adversaire ? Loin de là. Will Graham est peut-être le seul individu au monde qu'il est à même de considérer comme son égal. Mais il ne conçoit aucun échec pour sa part, pas alors qu'il est si près du but. "S'il doit réussir, j'ai bien peur que vos retrouvailles n'aient jamais lieu", ajoute-t-il d'un ton presque empreint de tendresse, qui pourrait faire oublier, une fraction de seconde, la menace sous-jacente. "Il serait plus simple, bien sûr, de tout lui apprendre d'office", ajoute-t-il doucement. "Mais ce serait contreproductif."

Et il n'est pas dans la nature du psychiatre d'aller au plus simple.

Abigail écouta attentivement le psychiatre, fascinée par le calme qu'il affichait. Tout homme raisonnable aurait montré des signes de doute ou d'inquiétude en exprimant la probabilité d'une vengeance de la part de Will. Mais non, Hannibal était sûr de lui. Toujours si sûr de lui. C'était ce qu'elle avait apprécié chez lui, durant les premiers temps de leur rencontre. Il était toujours si calme, si rassurant par l'assurance et la force tranquille qu'il affichait.

- Naturellement, répondit-elle avec difficulté après qu'il lui ait assuré que Will échouerait.

La menace qui suivit ne lui échappa pas, mais elle la refoula d'un battement de cils, estimant qu'il était préférable pour sa stabilité émotionnelle de ne pas s'attarder sur cette possibilité.

Elle s'interrogea sur l'aspect contreproductif de tout révéler à Will. Selon elle, il ne faisait aucun doute que le profileur saurait se faire une raison, si Hannibal lui révélait ses intentions et ses duperies. Mais elle savait que la relation qui unissait ces deux hommes était complexe. Hannibal était curieux au sujet des actions de Will, tout comme Will ne pouvait s'empêcher de s'intéresser à l'esprit du tueur en série.

Tout en jouant avec sa nourriture du bout de sa fourchette, elle songeait aux motivations d'Hannibal. Elle apprenait à redécouvrir cet homme, dans l'espoir de réussir à voir au-delà de ses manipulations et de mieux cerner ses véritables raisonnements, d'anticiper le résultat de ses actions. Si elle ne devait côtoyer que lui et la solitude au cours de ces prochaines semaines, autant s'intéresser au véritable Hannibal, et non à l'image publique qu'il donnait.

Relevant la tête en direction de l'homme, elle partagea ses hypothèses à voix haute :

- Vous voulez qu'il prenne la décision de vous rejoindre. Vous voulez... Sa loyauté ?

Will lui avait un jour confié qu'il s'était senti puissant au moment d'abattre son père. Elle avait le sentiment que c'était une sensation qu'Hannibal devait connaître également, lorsqu'il commettait ses crimes.

- Vous voulez qu'il embrasse vos similitudes ?

A la menace induite dans sa réponse, la jeune femme ne répond pas, elle sait qu'il n'y a rien à répondre. Elle est prisonnière d'un sort auquel elle ne réchappera jamais. Ce qu'elle peut espérer, c'est que les décisions d'autres personnes la préservent d'une issue trop sinistre, mais quoi qu'il en soit, tout ceci ne dépendra pas véritablement d'elle, et elle ke sait, de même qu'elle doit se douter, par la même, que Will également ne pourra se trouver qu'un pouvoir trop superficiel en la circonstance s'il doit vouloir prendre l'ascendant sur lui (mais sur ce point, il se pourrait très fortement qu'Hannibal se leurre, plus encore qu'il ne pourrait le soupçonner). Alors oui, il est assez certain de la conclusion qu'il faudra donner à cette situation, même s'il en ignore encore, pour l'heure, les tenants et aboutissants.

Résignée, Abigail l'écoute, mais elle ne fait pas que l'écouter, et c'est bien là ce qui fait tout l'intérêt de cette conversation, et de cette jeune femme également. Elle est attentive, elle est soucieuse de comprendre son mode de pensée et d'action, de parvenir à analyser ses motivations. En cela, elle et Will ne sont pas très différents. Et ses déductions, fines, sont également bien souvent très juste. Oui, Hannibal veut influer la décision de Will. Il ne tient pas à l'obliger (même si, de par les stratagèmes qu'il emploie pour le rallier à sa cause, l'on ne peut prétendre qu'il ne lui force pas complètement la main). La présence d'Abigail n'est pas un argument qu'il veut employer, davantage une garantie qu'il veut se garder sous la main afin de se prémunir de toute forme de trahison.  

"Entre autres", répond-il posément quand Abigail suggère donc que c'est la loyauté de Will qu'il attend et souhaite.

C'est bel et bien le cas, en effet. Mais c'est aussi, en même temps, plus délicat et complexe que cela. La loyauté de Will ne lui suffirait pas, et Abigail le comprend mieux que personne, comme elle ne tarde pas à le prouver en décrivant la chose d'une manière bien plus concrète. Qu'il embrasse leurs similitudes. Oui, c'est bien de cela qu'il est question.

"Je ne veux rien de différent pour lui que ce que je souhaite pour toi, Abigail. Je veux vous offrir une vie à la mesure de votre potentiel."

Un potentiel bridé par des circonstances morales et des éléments extérieurs qui ont gâché ce qui pourrait être, pourtant, d'une simplissime beauté.

Hannibal hoche la tête. C’est une manière pertinente de le résumer, en effet : un nouveau départ, une nouvelle vie, qui exigeront de faire table rase de l’ancienne pour endosser pleinement, une bonne fois pour toutes, ce qui devra être, à ses yeux du moins, la meilleure version de ce qu’ils pourront jamais être. Hannibal l’entend dans la voix d’Abigail : la perspective lui est séduisante. C’est un constat qu’il apprécie. Si elle est suffisamment intelligente pour avoir conscience de ses manipulations et de ce que chaque action, chaque parole, doit induire d’influence sur sa personne, elle s’abandonne malgré tout à ses décisions et à son jugement. Certes, elle n’a pas réellement le choix, mais elle le fait sans se dédire, sans entreprise superficielle de révolte.

Elle accepte, en quelque sorte, son sort. Peut-être parce qu’elle n’est pas sans ignorer qu’en dépit de la cruauté manifeste du processus, l’intention n’en est pas moins, elle, sincère, et quelque part presque attentionnée. Le souci qu’il se fait d’elle est en partie égoïste, bien sûr, comme le sont majoritairement tous ses actes, mais égoïstement, c’est son bien-être qu’il veut… Ou du moins une forme de bien-être qui corresponde à sa vision propre.

"Rien n’est jamais complètement simple", répond Hannibal avec cette impassibilité de ton qui ne laisse pas soupçonner vraiment s’il peut être inquiet de l’intrusion de Jack, de Freddie Lounds ou de qui que ce soit dans ses plans.

Bien sûr qu’ils ne pourront pas disparaître de la circulation sans que nombre de questions se posent. Certes, en ce qui concerne Jack et Freddie Lounds, Hannibal n’a, quoi qu’il en soit, aucune intention de partir en les gardant en vie : il n’en verrait guère d’intérêt, et il caresse même déjà un projet particulier autant pour l’un que pour l’autre, qui ne sont pas forcément destinés à mourir de sa main – non, c’est un privilège qu’il préférera adresser à Will. Malgré tout, bien sûr, le FBI veillera tout de même au grain, et ne les lâchera sans doute pas d’une semelle.

Pour leur échapper une bonne fois pour toutes, il faudra se montrer terriblement habile, et ce faisant, peut-être ne connaîtront-ils jamais la quiétude d’échapper à toute forme de menace. Les inquiétudes d’Abigail sont légitimes, oui, mais il ne lui revient pas de s’en soucier. Hannibal apprécie seulement de constater que cette inquiétude est la mieux attentionnée non plus. Elle ne veut pas que l’on contrarie leurs plans. Voilà qui tombe bien : c’est la dernière chose qu’il veuille, lui aussi.

"Ceux qui tenteront de contrarier notre projet par leur insistance en paieront le prix fort. Jusqu’à ce qu’il n’y ait plus personne", déclare-t-il d’un ton calme et posé. "Jusqu’à dissocier pour de bon qui nous étions de ce que nous deviendrons."

Se renouveler, changer, abandonner derrière soi une version de soi-même qui était dans tous les cas incomplète pour accéder à une version plus juste et évoluée de l’ego. Et quand ce moment sera venu, plus personne ne sera à même de le reconnaître.

"Tu n’as pas à t’en inquiéter, Abigail. Je ne laisserai rien t’arriver."

En dehors de ce qui lui est déjà arrivé par sa seule et unique faute.

Non, en effet, Hannibal n’est pas réellement contrarié à la perspective que Jack Crawford meurt. Il n’y trouve pas particulièrement de satisfaction non plus, néanmoins. Jack Crawford est un homme qu’Hannibal a appris à apprécier et estimer, mais sa mort semble une nécessité dans le grand dessein qu’il planifie, et ce semblant d’estime personnelle qu’il possède à son adresse n’occulte pas l’idée que son décès pourrait être le point d’orgue de plans qu’il peaufine depuis des semaines et des mois à présent. Peut-être estimera-t-on que ce n’est pas réellement très juste, mais la justice n’a jamais été quelque chose qui intéressait vraiment Hannibal en dépit du temps qu’il fait mine de consacrer au service de cette dernière. Le beau, le sublime, transcendera toujours ce qui serait qualifié de moralement acceptable.

"Ce qui arrivera à Jack Crawford est décidé de longue date, c’est de l’ordre de l’inéluctable."

Il le pense sans deviner qu’il serait capable de changer d’avis, de faire une entorse magistrale à ses habitudes et préceptes au nom de tout autre chose, parce que les circonstances, l’imprédictibilité de Will, finiraient par l’y obliger, l’y soumettre malgré lui. Car le seul sort qui n’a rien d’inéluctable, et dont la trajectoire évolue sans cesse est bien le sien, intimement lié au sien propre et échappant à toute mesure, à toute prédiction. Tout chemin tracé pour lui s’accommode soudainement de sentiers parallèles, plus sinueux, plus escarpés. Et c’est bien là ce qui le rend si fascinant aux yeux du psychiatre.

Le sourire sans joie et le calme d’Abigail ne lui ont pas échappé, Abigail n’est ni heureuse ni malheureuse du destin qui attend Jack, et Hannibal n’en attendait pas moins d’elle, peu importe le nom du concerné, mais plus encore s’il devait s’agir de celui qui, avec tant d’insistance, la pointait du doigt comme la complice des crimes commis par son père (certes, à raison).

"Précisément comme une famille", confirme Hannibal aux propos suivants de la jeune femme. C’est ce qu’il désire pour eux, en effet, qu’ils soient une famille, singulière, unie, unique. Un projet neuf, longtemps oublié, négligé, après le décès de Mischa, mais auquel il accorde une importance à présent renouvelée. La famille qui a été prise à Abigail, ils la reconstitueront, étrange certes, mais harmonieuse, à l’image de leurs esprits semblables qui devaient naturellement se réunir. "Quand nous serons partis, quand nous serons ensemble, tu n’auras plus à te soucier de tes cauchemars, ou de tout ce qui te hante. Ils ne seront plus que de lointains échos, à peine des souvenirs."