Après une accalmie, voilà le petit rayon de soleil { Aelita

Aelita ne roule pas sur l'or, comment le pourrait-elle, toute orpheline et adolescente est-elle, mais grâce à son stage chez Obsidian North, elle peut mettre un peu d'argent de côté... qu'elle ne tarde jamais trop à dépenser, et en l'occurrence, elle sait très exactement ce qu'elle veut faire de l'argent qu'elle a fraîchement gagné. Quel meilleur endroit pour faire des folies que la boutique de jeu vidéo du centre commercial ? Rien de mieux, ne vous creusez pas la tête pour rien, si Aelita le dit, c'est que c'est vrai, vous imaginez bien.

Cette boutique, au fil du temps, c'est un peu devenu son QG, c'est là qu'elle vient quand elle veut faire du lèche-vitrine, baver sur les dernières sorties (qu'elle n'a généralement pas les moyens de se payer), où tout simplement se taper la discute avec Steve, le vendeur le plus cool et le plus sympa qu'elle connaisse. Quand elle était venue là la première fois, c'était plus ou moins par hasard, elle faisait le tour des endroits où ses meilleurs amis seraient susceptibles de se rendre, et forcément, ce magasin avait semblé tout trouvé.

Malheureusement, pas de trace de ses meilleurs amis, en revanche, elle s'en était trouvé un autre, une sorte de grand frère, avec qui elle avait pris l'habitude de bavarder, et pas uniquement de jeux vidéos. De tout, de rien... il est de ceux qui rendent sa vie ici plus supportable, et c'est presque devenu un rituel pour elle que de venir dans cette boutique, pour zyeuter les nouveautés certes, mais pour parler à Steve, surtout. Quoique là, elle va pouvoir joindre l'utile à l'agréable. Son portefeuille est bien rempli d'un argent qui ne demande qu'à être dépensé, et bien sûr, elle n'a aucune intention de s'en priver.

"Ça sent la fin des vacances mais ça va pas trop mal et toi ?" répond-elle quand Steve s'adresse à elle, de la banane plein la bouche, au moment où elle fait un premier pas dans la boutique.

Le sourire qu'elle lui adresse est radieux. Ce serait mentir pourtant que de prétendre qu'elle va vraiment bien. Il y a toujours ce quelque chose, cette zone d'ombre, qui obscurcit ses pensées les plus heureuses. Et ça continuera certainement d'être le cas tant qu'elle n'aura pas retrouvé Jérémie, Odd, Ulrich et Yumi.

"Je savais pas qu'il y avait un nouvel arrivage, mais du coup oui, on va dire que je suis là pour ça", ajoute-t-elle sans perdre son sourire. "Et figure-toi qu'aujourd'hui j'ai de quoi payer", ajoute-t-elle avec fierté, "alors t'as intérêt à me vendre du rêve si tu veux que je dépense mon argent durement gagné ici."

Comme si ce n'était pas déjà couru d'avance. Si, bien sûr que c'est couru d'avance.

Aelita veut bien croire que Steve attende que les heures passent. Manifestement, il n'est pas franchement occupé pour le moment. Ce qui ne veut pas dire que c'est toujours le cas, mais en l'occurrence, ça convient bien à l'adolescente, qui peut donc sans scrupule lui tenir la jambe et au passage se dire qu'elle lui rend un fier service en lui tenant ladite jambe.

Il promet de la faire voyager, eh bien soit, elle attend de voir, elle ne demande qu'à se laisser surprendre, ce qui ici est à la fois simple et compliqué : simple parce qu'on ne cesse de découvrir de nouvelles choses qui nous semblaient absolument impossibles auparavant, et compliqué parce que, justement, comme tout devient possible, on finit par se dire que rien n'était vraiment surprenant. Mais Aelita était de bonne composition, il n'était pas forcément très difficile d'obtenir de sa part un sourire ou des yeux ronds quand c'étaient les réactions que l'on cherchait à provoquer.

"Tu sais, moi je touche à tout : exploration, rpg, défonçage de zombie, je prends tout ce que tu me proposes - enfin non, je "prends" pas tout ce que tu me proposes, j'ai pas les sous pour mais... enfin, tu m'as comprise, quoi", dit-elle avec le sourire. "T'as des jeux en VR ? L'entreprise où je fais mon stage travaille sur toute une technologie perfectionnée de réalité augmentée, c'est passionnant."

Passionnant, et surtout familier. Parce qu'en termes d'immersion dans une réalité virtuelle, elle n'a rien à apprendre de personne, on pourrait même dire que son père, en créant Lyoko, avait été un précurseur. Est-ce que ses allées et venues sur Lyoko ne lui manqueraient pas, ne serait-ce qu'un petit peu ? Si, bien sûr que si. Elle ne l'admettra pas parce que c'est quand même... un peu bizarre ? de penser de cette façon, mais c'est le cas.

D'un autre côté, ça lui manquerait sans doute moins si ses amis étaient auprès d'elle, si sa vie n'avait pas été bouleversée du tout au tout après l'arrêt du supercalculateur. Mais non, elle en était là. Et à ce sujet, d'ailleurs, Steve ne manque pas de l'interroger. Aelita ne le lui reproche pas. C'est même plutôt normal. Elle est quasiment incapable de tenir une conversation entière sans que ses amis ne finissent par être mis sur le tapis, alors forcément, Steve, comme beaucoup d'autres, sait combien ses amis lui manquent et comme elle aimerait les retrouver.

Malheureusement, cette situation ne s'est pas arrangée, et plus le temps passe, plus elle se dit que c'est peine perdue, et que cette situation ne s'arrangera tout simplement jamais, peu importe l'énergie qu'elle déploiera pour les retrouver. Oui, elle ne doit pas perdre son optimisme mais... parfois, c'est difficile.

"Si je les avais retrouvés, crois-moi, je serais déjà en train de te rebattre les oreilles avec ça." Elle pousse un léger soupir. "Malheureusement non." Elle adresse à Steve un regard plus attentif. "Et toi ? T'as retrouvé des gens que tu connais ?"

« Qu’est-ce que je peux espérer avec un billet de cinquante ? » demande Aelita avec un sourire. « Tu sais que je suis une négociatrice en or, la reine des brocantes », plaisante-t-elle ensuite, surtout ravie de pouvoir parler avec le vendeur, même si elle doit au final repartir avec un jeu qui ne sera pas forcément exceptionnelle. « Oh c’est vrai, t’aimes pas ça, la réalité augmentée ? Bon, en même temps, je peux comprendre, je crois… Mais ils font beaucoup d’amélioration pour empêcher la nausée, le vertige, ce genre de truc, même si c’est logique que ça perturbe… »

Elle était faite pour bosser chez Obsidian North, visiblement, elle est déjà en train de baratiner en leur faveur pour vendre les mérites de la nouvelle technologie qu’ils mettent au point, et à laquelle elle contribue, à sa toute maigre échelle de stagiaire.

« Enfin, moi, ça me pose pas problème. Je pense que ça doit être parce que j’ai l’habitude », suggère-t-elle sans entrer dans les détails.

La sensation que l’on éprouve quand on porte un casque de réalité virtuelle n’est pas du tout la même que celle qu’elle éprouvait quand elle était dématérialisée sur Lyoko, mais malgré tout, elle y trouve très logiquement des similitudes avec cette manière de faire, qui n’existait pas d’où elle venait (incompréhensible quand on voyait quelle technologie son père avait pourtant été capable de déployer), et elle trouve ça passionnant. Et elle ne peut s’empêcher de se dire que ça pourrait rendre service à beaucoup de personnes, qui pourraient retrouver un peu de l’univers qu’ils ont perdu de cette manière. Aelita ne développe pas, il y a des sujets qu’elle ne sait pas comment aborder en se rendant compréhensible et sans avoir l’air cinglée (même si tout le monde devrait avoir l’air cinglé ici, tant leurs histoires à tous était différente), au point qu’y poser le moindre jugement paraissait pour le moins surfait.

« Oh non, t’en fais pas, tu pouvais pas deviner ! » le rassure Aelita quand Steve s’excuse. Non, ça ne la dérange pas, elle ne l’a pas trouvé désagréable ou indélicat, loin de là. Au contraire, ça prouve plutôt qu’il se soucie de savoir où elle en est, et c’est une chose qu’elle apprécie, qu’elle apprécie vraiment. Plutôt que de se concentrer sur les personnes qu’elle n’a pas pu retrouver, elle préfère s’intéresser à celles que Steve, de son côté, a peut-être pu retrouver, et il lui confirme qu’il a bel et bien retrouvé quelqu’un. « Je pense pas que t’aies rêvé… T’es pas le premier que j’entends dire ça. J’ai croisé des personnes qui m’ont dit qu’elles devraient être mortes, normalement… Y en a même qui disent que ce serait ça, la vie après la mort. Mais bon, si j'étais morte, je m'en souviendrais, hein, pas vrai ? » Léger rire nerveux. « C’est… bizarre. Quand t’y penses, tu te dis que tu pourrais retrouver absolument n’importe qui. »

C’étaient ses meilleurs amis, qu’elle cherchait, mais qui sait si elle ne pourrait pas retrouver d’autres personnes… ses parents, par exemple ? Non, elle ne doit pas trop y penser, c’est un coup à se faire du mal pour rien, ça… Mais c’est plus fort qu’elle.

« Et donc, parle-moi de cette personne ! C’est qui pour toi ? »

« Oh, eh bien, on passe par un ordinateur pour produire une simulation en trois dimensions d’un monde dans lequel on aura l’illusion d’évoluer. L’idée, c’est d’accumuler un maximum de donner afin de pouvoir composer un environnement graphique sophistiqué le plus puissant possible en incorporant des dispositif sensoriels, généralement, on se base sur un quota de vingt à trente images par secondes pour créer une illusion nécessaire. A hauteur de 60 FPS, on parvient à obtenir un environnement si fluide que… » Aelita s’interrompt d’un coup dans ses explications. « Oh, tu voulais peut-être juste dire… comment ça fonctionne… le casque. En fait, faudra vraiment que je te fasse essayer un jour, même juste quelques secondes. Je sais, tu viens des années quatre-vingts, mais tu pourrais te prendre au jeu, et comme ça tu pourras en parler à tes clients, aussi. »

Et comme à chaque fois qu’elle est trop passionnée, elle a tendance à s’éparpiller un peu trop. Mais ils recentrent bien vite le sujet. Sur quelque chose de beaucoup moins joyeux, certes, enfin dans le cas d’Aelita surtout, mais dont il ne fait jamais de mal de parler. Quand Steve lui dit espérer sincèrement qu’elle retrouvera ses amis, l’adolescente sait que ce ne sont pas des paroles en l’air et qu’il le pense réellement, et ça la touche. Elle n’en demande pas forcément beaucoup plus. Elle sait que personne ne sera vraiment capables de miracles en ce qui concerne ses amis. Seuls le temps et la chance peut-être lui permettront de retrouver les siens.  Pour ce qui est d’être morts ou non, elle a envie de penser comme son interlocuteur. Si c’était le cas, elle le saurait forcément.

« Non, je pense pas vraiment à quelqu’un en particulier mais… enfin si… je me dis que si on pouvait vraiment retrouver n’importe qui, même des gens disparus, peut-être que… enfin… je pourrais retrouver mon père et ma mère, tu vois… mais c’est bête », dit-elle en rejetant l’idée d’un léger mouvement de la tête. « Je sais pas si des monstres comme ceux que t’as connus pourraient être ici… j’ai entendu des sales histoires cela dit, et pareil, j’ai vu des trucs… enfin… j’ai aucune manière de l’expliquer. » Elle marque une pause. « Il y avait des monstres aussi, là où j’ai vécu… j’aimerais mieux pas les recroiser. »

Elle frissonne légèrement à la pensée des monstres que Xana avait pour habitude de lui envoyer sur Lyoko. C’est peut-être pas une bonne idée de discuter de tout ça et de faire des plans sur la comète alors qu’au final, ils en savent rien. Si tout peut arriver, alors rien ne peut arriver, en fin de compte. Pas vrai ? En attendant, elle est contente de savoir que Steve, lui, a peut-être pu retrouver une personne qui lui est chère… ou en tout cas une personne qu’il connaît, ce qui est un début… Parce que non, visiblement, le gars en question est pas le meilleur de ses amis, visiblement, vu la manière dont il en parle.

« Oh le sale type, il a osé voler ta précieuse popularité », ne peut s’empêcher de le chambrer gentiment Aelita. « T’inquiète, je suis toujours au lycée, moi, je sais ce que c’est », ajoute-t-elle avec un sourire. « Quand tu dis qu’il est à fond sur toi, tu veux dire… à fond à fond ? Genre… Il t’a fait des avances ? »

Aelita ne fait aucun commentaire concernant la réalité virtuelle, elle a le sentiment d’avoir un peu perdu son interlocuteur, mais peut-être que non, dans tous les cas, elle se dit qu’il n’est pas nécessaire d’insister. Elle est convaincu que Steve lui en parlera de lui-même s’il finit par décider de s’y essayer. Le sujet dévie très rapidement dans tous les cas, sur quelque chose d’un peu plus lourd, au moment où l’adolescente évoque ses parents. Est-ce qu’ils lui manquent ? C’est difficile à dire, en vérité… disons qu’elle aimerait qu’ils aient l’occasion de lui manquer, l’occasion de mieux les connaître, de mieux les comprendre… mais c’est impossible… Et elle n’est pas sûr que ce serait une bonne chose dans tous les cas. Malgré tout, elle apprécie la considération de Steve, qui prend le temps d’écouter ce qu’elle a à dire, et même, lui propose de lui prêter une oreille attentive si elle en a besoin. Elle sait que, de sa part, ces mots ne sont pas prononcés à la légère, loin de là, et ça lui fait du bien de savoir qu’il est prêt à jouer les confidents pour elle, même si elle ne veut pas trop lui en demander.

« Il n’y a pas grand-chose à dire sur mes parents de toute façon, tu sais. Je peux même pas dire qu’ils me manquent vraiment, je me souviens pas beaucoup d’eux, ou à peine. Mais justement, j’arrête pas de me dire qu’ici… je pourrais avoir l’occasion de mieux les connaître. »

Et pour quelqu’un qui affirme qu’elle n’a pas grand-chose à dire, elle parle certainement beaucoup trop, mais elle ne s’en rend compte qu’au moment de fermer la bouche. Ceci dit, elle ne se voit pas dire grand-chose de plus que les mots qu’elle vient de prononcer. Et en effet, elle préfère ne pas trop se faire de faux espoirs, en l’occurrence, ça pourrait beaucoup trop facilement lui retomber dessus.

« Mais merci… d’être là. Vraiment. Ça compte beaucoup pour moi, tu sais. Et je sais que tu me protégerais s’il fallait. Même si, tu sais, avec « mes » monstres, je suis habituée. Je sais pas trop comment je pourrais te les décrire. C’étaient des créatures… mécaniques ? Mi-robots, mi-animaux. »

C’est une façon très basique de parler des créatures qui hantaient Lyoko, mais elle ne se voit pas rentrer dans les détails, elle considère que ce serait beaucoup trop long et compliqué, et c’est une chose qu’elle préfère, tant qu’à faire, épargner à son interlocuteur, d’autant qu’elle redoute – bête superstition – qu’évoquer leur souvenir ne les fasse réapparaître dans sa vie, et c’est bien évidemment la dernière chose qu’elle puisse vouloir. Elle préfère se concentrer sur le reste, du coup, sur ce type de son ancienne vie qui, semble-t-il, serait intéressé par lui, du moins s’il en croit l’issue de leur soirée éméchée. Steve ne veut pas lui donner les détails, alors Aelita ne les lui donne pas, mais elle ne peut s’empêcher de se sentir curieuse malgré tout.

« Il te harcèle ? Non, parce que s’il insiste, ou si tu te sens menacé, faut pas laisser la situation comme ça. »

Elle ne va pas jusqu’à suggérer d’appeler la police, mais elle s’interroge quand même. Qu’il l’ait laissé faire ne veut rien dire, mais si par la suite, il devait se montrer trop insistant au point de l’inquiéter, là, c’est autre chose, et parce qu’Aelita tient à Steve, elle s’inquiète tout naturellement pour lui, même si elle n’est pas vraiment certaine de tout comprendre à cette relation.