(TERMINE) Once I called you brother [Frangin]

Dans un soupir las, Regulus écrase sa cigarette dans son cendrier de poche. Et comme à chaque fois qu'il accomplit cette sorte de rituel qui en deviendrait presque millimétré, il se jure de ne plus toucher à cette merde à laquelle il n'a pris goût qu'au moment de se retrouver sur cette île qui est à la fois sa malédiction et sa bénédiction. Ce ne sera pas pour ce soir, manifestement. Sans doute pas pour le lendemain non plus, d'ailleurs. Ces dernières semaines, il est sous tension. Et quand on le connaît, on sait que ça veut tout dire, car Regulus n'avait jamais été du genre détendu. Quand d'aucuns affirmaient qu'il aurait bon ton de se défaire du brossdur qu'il avait dans le fondement, il y avait sans doute un fond de vérité d'ailleurs. Enfin, qu'importe, il a au moins de bonnes raisons de se sentir affecté, et les nerfs à vif.

C'est ici, sur cette plage, qu'il a été retrouvé après ce qui aurait dû être sa mort. Quand il y retourne, c'est presque en recueillement. Il regarde le soleil se coucher sur l'étendue infinie de l'océan, et il se demande si l'enfer a bien fait ou non de le recracher, tout compte fait. Surtout, il se demande si une autre lune rouge ne le rendra pas aux bras des inferi, desquels il avait donc miraculeusement réchappé. Parfois, dans cette ville incompréhensible peuplée d'individus qui le sont tout autant, Regulus réussit à trouver un semblant d'équilibre, voire de bonheur, loin de la menace que représente pour lui ceux qui l'ont trahi, ceux qui le pourchasseraient sans doute s'ils le pouvaient, s'ils savaient. Et souvent, il se demande si on ne l'a pas puni.

Et ces dernières semaines, donc, tout a évolué. Ses pouvoirs sont revenus. Et après s'être senti si frustré de ne plus les posséder, voilà qu'il s'inquiète de les avoir à nouveau. Certes, ils se manifestent encore très timidement, mais ils sont bien là, et par moments, Regulus ne se demande pas si ses pouvoirs retrouvés ne lui font pas courir le risque de se retrouver dans le collimateur direct de tous ceux qu'il a voulu fuir. Il a peur, c'est aussi simple que ça, il a peur, et il ne parvient, comme à son habitude, jamais à l'exprimer comme il le voudrait.

Tout à ses réflexions, il voit une silhouette marcher un peu plus loin. D'abord décidé à la considérer avec son indifférence habituelle, quelque chose le retient finalement d'agir ainsi. Cette silhouette, cette démarche... Non, il est en plein trip hallucinatoire, ce n'est pas possible que ce soit...

"Sirius... ?"

Non, Regulus, abruti, ça ne peut pas être Sirius. Si ton frère était là, tu le saurais. Joue pas au plus con. Ne te couvre pas de ridicule. Ne va pas le...

Regulus : un, la voix de sa conscience : zéro. Regulus a déjà fait quelques pas pour se rapprocher, et le doute n'est plus permis. Non, ça n'a aucun sens, mais il ne peut s'agir que de lui. C'est bien Sirius qui se tient là face à lui.

Et maintenant, crétin ?

Maintenant... Il ne sait pas. Il a envie de le prendre dans ses bras, chose qu'il n'a sans doute pas faite depuis ses quoi... cinq ans ? Sept ans ? Mais à la place, il reste là, comme un con, enfonce les mains dans ses poches pour se donner une contenance.

"Qu'est-ce que tu fiches ici ?"

La réponse de Sirius ne se fait pas attendre. Le ton est donné. Et c'est comme si ces longues années, pas seulement celles qui viennent de s'écouler sur cette île mais également celles où ils ont tout bonnement cessé de s'adresser la parole, n'avaient jamais existé. Entre ce que ressent Regulus et ce qu'il s'autorise à exprimer, il y a un océan. C'est toujours le cas, avec lui, mais plus encore en présence de son frère. Une part de lui sait pourtant pertinemment qu'il devrait baisser les armes et lui dire tout ce qu'il n'a pas eu l'occasion de lui dire, ces conversations qu'il a ressassées chaque fois qu'il a songé à combien son frère lui manquait, les excuses qu'il devrait lui présenter... Car c'est aussi là le plus grand motif de sa réserve, faire un pas vers son frère, c'est aussi admettre que ce dernier avait raison, depuis le début, et il est loin d'être capable de faire cette démarche précise quand le seul souvenir du départ de son aîné du foyer familial pour aller vivre chez les Potter éveille encore en lui un si profond et douloureux sentiment de trahison.

Donc non, il ne lui dira certainement pas qu'il lui a manqué, que de tous ceux qu'il a espéré retrouver ici, il était celui à qui il tenait le plus. Il ne lui dira pas qu'il est à la fois soulagé et inquiet de le savoir là, soulagé qu'il soit à ses côtés, inquiet qu'il soit coincé ici. Est-ce qu'il est mort, lui aussi ? Puisque parfois, Regulus ne sait que se convaincre que cet endroit est une sorte de purgatoire, c'est bien possible... Ou alors Sirius incarnerait son enfer personnel, il fallait qu'il le confronte pour que la torture soit totale... Ou bien il va juste chercher trop loin. La réalité, triste et finalement banale, veut seulement qu'ils soient là tous les deux, sans vraiment de raison précise, et que rien n'ait changé le moins du monde. Fracture trop grande entre eux, dialogue brisé de longue date, incapacité de communiquer. Et Regulus dissimule au mieux combien son cœur se serre à la réflexion de son frère. "Damné de se retrouver ici avec lui". Rien que ça.

"Ouais, à qui le dis-tu", décrète-t-il en fuyant son regard pour le perdre du côté de l'océan. Soutenir son regard, il en est bien incapable, pour le moment. Se trouver une contenance semble d'ores et déjà être au-dessus de ses forces, en réalité. "Comment t'es arrivé ici, toi ?" qu'il demande d'un ton détaché, comme s'il se forçait à faire la conversation.

En réalité, il doit savoir, il s'y intéresse sincèrement. Au vu des circonstances dans lesquelles lui-même s'est retrouvé propulsé ici, il ne peut que s'interroger sur celles qui ont mené Sirius à croiser de nouveau sa route. Le destin est facétieux, certes, ce n'est pas une nouveauté. Mais à ce point ?

Il ne se permet pas de détailler trop longuement son frère du regard, mais il devine qu'il est plus âgé que lui, du moins plus âgé que d'un an seulement, mais pas beaucoup plus non plus. Il a donc vécu des années, des jours que Regulus lui-même n'a pas connus. Est-ce qu'il a été au courant, pour sa mort ? Peut-être bien. Regulus songe amèrement que quand il l'a été, ça a dû ne lui faire ni chaud ni froid. Est-ce qu'il se sera seulement recueilli sur sa tombe ? Est-ce que qui que ce soit l'aura fait ? En trahissant ce qu'il avait cru être son camp, c'est ce qu'il avait cru être sa nature profonde qu'il a trahie. Et il est demeuré seule. Terriblement, résolument seul. Quant à Sirius, il n'a pas la moindre idée de comment les choses ont bien pu se passer pour lui.

Sirius le regarde, le détaille, du moins Regulus en est-il presque convaincu, mais s'il le sent, il se refuse toujours à croiser son regard, il ne serait pas capable de le soutenir. Il est plus simple de faire mine de s'adresser à cette étendue d'eau qui s'étale à l'infini sous leurs yeux et contribue à faire d'eux des prisonniers de cette île de malheur que de parler directement à son frère, et même de cette façon, il ne parvient pas pour autant à lui dire ce qu'il tient précisément à lui dire. Les mots qu'il veut bien lui adresser sont toujours secs, tranchants, froids, sans rapport réel avec ce qu'il ressent réellement. Et ça, Sirius le lui rend bien.

Peut-être qu'il n'aurait fallu que quelques mots pour que tout change. Si Regulus était venu aborder son frère avec un fin sourire aux lèvres et avait osé lui dire d'entrée de jeu qu'il lui avait manqué, peut-être que tout serait différent, à présent, mais il ne fallait pas tant en attendre de sa part. Alors, à la place, ils en étaient là, et les réflexions de son frère eurent pour effet de morceler son cœur encore davantage, comme si c'était réellement possible.

Ce que ça peut lui faire, comment il est arrivé ici ? Tout, en réalité, absolument tout. Il a besoin de comprendre ce qui est arrivé à son frère avant d'arriver là, pour en arriver là, mais peut-il réellement exiger de lui une faveur qu'il n'a pas la moindre intention de lui accorder pour sa part ? Car c'est évident, bien sûr, que lui-même ne lui rendrait pas le moins du monde ce genre de faveur, certainement pas. Il n'a pas l'intention de lui parler de la grotte, des inferi, du médaillon de Serpentard... Non, et évidemment, parce que les confidences ne sont pas de mise, c'est l'incompréhension mutuelle qui prime, et celle-ci leur fait définitivement plus de mal que de bien.

"C'est toujours pas le tact qui t'étouffe, hein", rétorque-t-il d'un ton mauvais. "A se demander comment on a pu être élevés par les mêmes parents", soupire-t-il en fouillant l'intérieur de sa veste.

En vérité, cette légèreté avec laquelle il est capable de parler de sa mort le blesse. On se pose tous la question, d'une manière ou d'une autre, de comment nos proches, ou ceux qui ont été proches de nous réagiront au moment de notre mort. Combien de personnes ont le fantasme (glauque, il est vrai) d'assister à leur propre enterrement, juste pour jauger la réaction de ceux qu'on laisse derrière soi ? Maintenant, Regulus est absolument convaincue que sa mort a laissé son frère de marbre.

Ce dernier aura sans doute balayé l'information d'un revers de la main, en estimant qu'après tout, son mangemort de frangin l'avait cherché. Comme il le dit, "il a eu ce qu'il voulait". Mais qui pourrait vouloir une chose pareille, je vous le demande... De sa veste, Regulus tire son paquet de cigarettes. Il vient d'en fumer une, tant pis, il a bien besoin de ça, là, tout de suite. Et puis, ça aura le mérite de lui occuper les mains, ce qui n'est sans doute pas du luxe en la circonstance. Ce n'est qu'une fois sa clope allumée qu'il reprend la parole.

"Peut-être que t'es mort et que t'es juste pas au courant", ajouta-t-il dans un haussement d'épaules.

En vérité, il se sent soulagé de ce que lui affirme Sirius. Il préfère que son frère n'ait pas eu à connaître ça, le fait de passer de l'autre côté. Même s'ils y sont peut-être, de l'autre côté.

Au cas où il l'aurait oublié... Non, bien sûr que Regulus n'a pas oublié. Comment le pourrait-il, d'ailleurs ? C'est absolument impossible. Le souvenir du départ définitif de Sirius de la demeure familiale reste parmi les souvenirs les plus éprouvants de son existence. Avant cela, avant que son frère ne prenne cette décision pour le moins radicale, le cadet des deux frères pouvait encore se convaincre que son aîné finirait par entendre raison et entrer dans les rangs, il pouvait croire qu'il se contentait de faire sa crise d'adolescence et allait finalement devenir celui que ses parents voulaient qu'il soit.

Mais non, il est parti, définitivement, et c'était un départ sans possibilité de retour. S'il avait décidé de faire machine arrière, il est évident que leur mère ne l'aurait jamais laissé passer, sous aucun prétexte. A peine avait-il pris sa décision que Walburga Black effaçait d'ores et déjà le nom de Sirius de l'arbre généalogique qui leur tenait lieu de tapisserie. Regulus en garde encore le souvenir cuisant.

Ce moment restera à jamais gravé dans sa mémoire. La colère infinie de sa mère, telle qu'il ne l'avait jamais vue, et sa douleur à lui, le tout mélangé, et la conviction alors qu'il devrait redoubler d'efforts pour être le digne fils de ses parents. Si Sirius n'avait pas su se montrer à la hauteur des espérances familiales, alors il devrait endosser ce fardeau pour deux, il n'avait tout simplement pas le choix. Oh non, ça, pour sûr, il ne risquait vraiment pas d'oublier ce jour sordide où son frère avait cessé d'être considéré comme un membre à part entière de la très noble et très ancienne maison des Black ("toujours pure" parce qu'elle savait s'arranger pour faire oublier qu'elle ne l'était plus depuis longtemps).

Sirius n'a pas idée de ce que l'ambiance au 12 square Grimmaurd avait été après cela. Le nom de Sirius était proscrit, sa mère, quand Regulus, par réflexe, envisageait d'évoquer son souvenir, lui répétait qu'il était fils unique et n'avait pas de frère... et pourtant, la chambre de Sirius, laissée comme telle, où nulle n'avait le droit d'entrer, gardait en elle les vestiges de sa présence. Sa mère pouvait bien s'évertuer à faire mine de rien, la présence de Sirius hantait ces lieux. Elle les hante toujours. Et Regulus se doute que sa présence avait dû les hanter de même, bien après sa mort.

Regulus serre les dents en même temps que son cœur se serre quand il entend son frère évoquer cette période où ils vivaient sous le même toit comme une période où il avait été "si malheureux". Pourtant, quand Regulus convoque leurs souvenirs d'enfance en commun, il est loin de n'y voir que du malheur. Il y avait des moments heureux, aussi. Des moments d'échange, de rires, de franche complicité. Mais cela, à l'évidence, Sirius a fait le choix de le jeter au rebut.

Et semble-t-il donc que sa présence ne lui inspire dorénavant plus rien d'autre que le plus franc et manifeste des dégouts. Être mort serait plus agréable que d'être en sa compagnie, qu'il affirme. Clairement, il ne mâche pas ses mots, et le moindre d'entre eux se révèle tranchant comme une lame de rasoir.

"Pourquoi est-ce que je perdrais mon temps à te répéter ce que tu sais déjà ? Non seulement tu as jeté le déshonneur sur notre famille, mais en plus tu en es fier. T'as aucun scrupule à m... à nous avoir abandonnés, au contraire, ça te fait marrer. Parce que t'as toujours été qu'un putain d'égoïste. Evidemment que t'allais te barrer sans te soucier des gens que t'allais laisser derrière toi. Et après tu voudrais reprocher aux parents de t'avoir déshérité ?"

Regulus retient le « Au moins tu le reconnais » qui lui brûle les lèvres quand Sirius admet avoir agi de façon égoïste. Il est retenu dans sa réplique par trois fois rien, quelque chose qui peut passer pour un détail, quelque chose qui n’a peut-être été qu’un réflexe pour Sirius, et dont il est bien possible qu’il ne se soit même pas rendu compte. Mais Regulus, lui, s’en est bel et bien rendu compte. Ça ne pouvait pas lui échapper. Il l’a appelé « Reg », comme dans leur enfance. Si ce n’est pas forcément prononcé avec complicité et affection, ça n’en reste pas moins un surnom qu’il est pour ainsi dire le seul à lui avoir donné. Même les rares amis qu’il avait su se faire, à l’époque ou ici, n’avaient pas le privilège de lui attribuer le moindre surnom. Mais Sirius oui. Et ça le touche. Il ne saurait trop dire si ça lui réchauffe le cœur ou si, bien au contraire, ces paroles brisent son cœur encore davantage.

Ce qui est en revanche une certitude, c’est qu’il ne sait pas être indifférent à ce petit détail, et qu’il lui donne très certainement plus d’importance que nécessaire. Sirius n’a sans doute même pas conscience de ce qu’il vient de dire, ces mots lui sont passés au-dessus, et il doit largement préférer se concentrer sur sa diatribe, qui paraît avoir pour seule et unique vocation que de l’enfoncer et de lui faire regretter pour de bon d’avoir, longtemps et sans jamais l’admettre, attendu leurs retrouvailles.

Le pire dans tout ça, c’est que même ainsi, même si Sirius ne lui laisse rien passer et se montre aussi désagréable qu’il peut l’être, même si Regulus est loin de passer le meilleur des moments en sa compagnie, une part de lui ne peut s’empêcher de se sentir tout de même heureuse, soulagée de le savoir bien vivant, présent, en bonne santé. Il n’arrive pas à regretter sa présence, et pourtant, ils ne font rien, ni l’un ni l’autre, pour rendre la présence de l’autre agréable au bout du compte. Et même quand il prononce des mots aussi cruels, sans appel, que « vous me dégoutiez tous », il est affligé, blessé, oui, mais pas complètement haineux. Peut-être parce que dans le fond, il comprend, il sait très bien d’où vient ce dégoût de la part de Sirius. Il a ressenti le même, sur la fin. Il a été dégoûté de ce qu’il a fait, il a été dégoûté de lui-même. Mais le reconnaître pour soi est différent que de l’entendre de la part d’une personne que l’on aime, même si l’on se révèle bien incapable de le montrer de la bonne manière – ou d’aucune manière que ce soit, en réalité.

La conclusion que fait Sirius de cette situation est insupportable, implacable, mais bien réaliste. Oui, c’est peine perdue, ils seront incapables de s’entendre à nouveau, parce qu’ils sont incapables de mettre leurs fiertés respectives de côté pour se dire ce qu’ils pensent vraiment. C’est bête, c’est absurde, c’est beaucoup trop dommage, mais c’est bel et bien là qu’ils en sont à l’heure actuelle.

Regulus soupire à la requête de son frère. A ce stade, il pourrait tout à fait la lui refuser. Mais bien sûr, il ne le fait pas. Il tire une nouvelle cigarette de son paquet et la tend à son frère avant de la lui allumer, ce qui est certainement le geste le plus amical et fraternel qu’il voudra bien lui adresser.

« Qu’est-ce que tu fais de ta vie, maintenant, ici ? » demande-t-il après avoir laissé passer un temps de silence. « Tu dois te sentir dans ton élément au milieu de tous ces moldus, hein ? »

Un sourire légèrement cynique se dessine sur les lèvres de Regulus quand son frère lui apprend qu'il travaille dans un bar, il a envie de rétorquer qu'il est dans son élément là-bas et que c'était sans doute le mieux qu'il pouvait espérer en matière de carrière, mais ce n'est pas comme si la sienne, de carrière, était bien reluisante non plus. L'air de rien, Regulus s'y plaît, à la librairie, mais quand il prend de la distance par rapport à sa propre situation, il peut bien admettre que c'est... relativement pathétique ? Oui, c'est ça. Si ses parents, sa mère surtout, le voyaient ainsi jouer les libraires, ils auraient sûrement honte de lui. Ils l'avaient promis à un grand destin, lui-même s'était promis à un grand destin, et résultat des courses, il n'était ni plus ni moins que vendeur, le genre de boulot qu'on trouvait aisément dégradant dans son milieu. Vendeur pour des moldus, qui plus est. Merveilleux. Quelque part, ce n'est vraiment pas plus mal que Sirius ne lui retourne pas sa question.

Il ne fait aucun commentaire concernant les suppositions de son frère au sujet des Moldus qui l'entourent (à savoir à peu près toutes les personnes qui l'entourent, car les sorciers ne sont définitivement pas légion dans le coin - ce qui l'arrange en partie, même s'il ne le dira pas à voix trop haute). Qu'il croit ce qu'il veut, dans le fond. La vérité, c'est que s'il n'est certainement pas la personne la plus... agréable ou avenante du monde, la cohabitation avec les moldus se passe... plutôt bien ? Voire très bien, miraculeusement, avec certains. Il a encore plus d'un préjugé à mettre de côté, et avoir dû vivre en moldu tout ce temps n'a pas vraiment été chose facile pour lui, mais oui, il retient ses leçons, toutes celles qu'il n'avait pas encore eu le temps d'apprendre entièrement dans son autre vie. Sirius serait sans doute surpris de tout le chemin qu'il a parcouru si Regulus l'autorisait seulement à réaliser l'ampleur dudit chemin. Mais il ne montre rien, rien du tout, même.

Question stupide de fierté. Il pourrait simplement lui expliquer ce qu'il vit et ce qu'il a traversé, à la place, il préfère prétendre que rien n'a changé. Qu'il n'a pas changé. Comme dans l'attente du moment où Sirius s'en rendrait compte par lui-même et n'aurait alors d'autre choix que de reconnaître qu'il s'était trompé à son sujet. Stupide affaire d'ego, vraiment.

Sirius s'installe même le sable, Regulus ne suit pas le mouvement, il se contente de l'observer avant d'aspirer une nouvelle bouffée de nicotine. C'est stupide. Il ferait mieux de s'en aller, ça ne sert à rien... Au moment où il songe qu'il va juste tourner les talons et prétendre qu'il sera capable de poursuivre le cours de son existence en sachant que son frère est ici (ce qui est évidemment impossible), Sirius reprend la parole et le prend totalement de court.

Il sent un vif frisson le parcourir à l'évocation du seigneur des ténèbres. Si sa présence ne cesse de le hanter, même ici, où il ne sait pas se sentir complètement en sécurité, et encore moins quand son nom est si directement prononcé. Mais au-delà de l'angoisse qui le parcourt, une autre émotion affleure tout à coup.

"Ne prononce pas son nom", commence-t-il en croisant ses bras sur sa poitrine comme si cela allait le protéger de ce froid intérieur qui vient de le submerger. "Comment est-ce que tu l'as appris ? Qu'est-ce qu'on t'a dit exactement ?" demande-t-il, soudain mal à l'aise.

Il ne s'était pas attendu à ce que Sirius soit au courant de sa trahison, mais en même temps... L'ordre du phénix avait ses espions, c'était du moins un soupçon partagé à l'époque. Est-ce qu'il en sait plus ? Sans doute pas au vu de sa question. Regulus se sent déstabilisé par cette question. Surtout parce qu'il réalise qu'il est incapable d'y donner une réponse véritablement honnête.

Regulus grince des dents au moment d'entendre son frère l'interroger sur les raisons qui le poussent à ne surtout pas vouloir prononcer le nom de son ancien maître. Il n'a aucune intention d'entrer dans les détails à ce sujet : sans façon, vraiment, d'ailleurs, le sujet est beaucoup trop houleux, en cet instant. Certes, en retrouvant son frère, il semblait naturel que le sujet soit abordé, s'ils devaient être décidés à aborder le moindre sujet, mais il n'est pas prêt à en parler, et il estime qu'il ne le sera jamais. La seule évocation du seigneur des ténèbres le glace tout entier d'angoisse.

Il est absolument incapable de faire abstraction de la peur qui l'anime, et ça continuera d'être le cas tant que le sujet sera abordé. Il préfère l'ignorer, autant qu'il le peut. Il préfère donc pousser un soupir qui devrait se traduire par un "Tu pourrais pas comprendre". En vérité si, il serait sans doute capable de le comprendre, et de se payer sa tête dans la foulée pour ça. Ce qui n'incite que davantage Regulus à ne surtout pas en parler. Tout ce qu'il renferme en lui l'étouffe. Il serait si simple, si sain, de simplement s'exprimer, mais il s'en révèle tout bonnement incapable. C'est déjà trop difficile en présence de n'importe qui, mais en présence de son frère, ça relève au final de l'impossibilité la plus totale. Alors il préfère laisser à son frère le soin de répondre à sa question, qui confirme ce qu'il avait présumé.

L'Ordre du Phénix en général et Dumbledore en particulier inquiétaient beaucoup les mangemorts à l'époque, y compris le seigneur des ténèbres, qui prenait la chose très au sérieux. Ils n'avaient jamais réussi à infiltrer le groupe, ils n'avaient jamais été capables de savoir ce qui se tramait précisément au sein de l'ordre, mais ils savaient que la menace était au-delà de sérieuse, tout comme ils n'ignoraient pas le nom de certains membres de l'organisation. Regulus savait que Sirius en faisait partie. Il n'en avait pas de preuve concrète, mais il en était convaincu. Et il avait accepté ça, l'idée qu'ils se retrouvent un jour face à face, qu'ils soient dans l'obligation de se battre... Enfin, il pensait l'avoir accepté. Dans les faits, il avait surtout espéré que ça n'arrive jamais. Au final, ça n'avait jamais eu le temps de se produire. Tant mieux ?

"Si, j'étais au courant", réplique Regulus entre ses dents serrées.

Il tente de ne rien en montrer, mais la manière dont Sirius présente les choses lui brise le coeur. Il en est convaincu, à présent : l'annonce de sa mort a dû le laisser de marbre. Au mieux a-t-il pensé qu'il était stupide, c'est tout. Regulus remarque aussi que l'Ordre n'a pas exactement eu les bonnes infos. Car non, Regulus n'a pas eu attendre des représailles pour payer le prix de sa trahison, et dans le fond, il préfère ça. Même s'il est mort dans des conditions atroces, au moins a-t-il décidé ces conditions... Mais est-ce que son sacrifice n'aura pas été vain ? Sirius n'a pas entendu parler du médaillon ou de l'horcruxe... alors qui sait si celui qu'il a su dérober aura été capable d'être détruit.

"Il s'est passé combien de temps, pour toi, après ma mort ?"

Sans doute que quelques années, mais des années qui ont peut-être été décisives. Et Regulus ne peut s'empêcher de se demander ce qui a bien pu se passer durant ces années en question.

Qu'est-ce que ça peut lui faire ? Bonne question. Il le sait, ça ne devrait rien lui faire, mais il sait aussi que s'il a posé cette question, c'est parce que ça le travaille réellement. Il y a un réel fossé entre ce qu'il montre à Sirius et ce qu'il ressent réellement, tout comme entre ce qu'il veut bien s'avouer ressentir et ce qu'il éprouve véritablement. Il a envie de savoir ce qu'a été la vie de son frère après son départ, il veut comprendre, gagner quelques pièces d'un puzzle qu'il n'a pas à sa disposition, mais c'est une chose que Sirius lui refuse catégoriquement.

Regulus pourrait en déduire - ce serait intelligent - qu'il s'est passé des choses, dans ce laps de temps, que son frère ne compte pas partager, comme lui-même garde secrètes les circonstances de sa mère, mais plutôt que de soupçonner un terrible secret à son frère, Regulus interprète la réaction de ce dernier comme une marque d'orgueil et de mépris pur et simple. Il ne veut rien partager avec lui, il ne veut pas avoir affaire avec lui. Les pas que le jeune homme se sent capable de faire vers Sirius ne sont pas bien nombreux, et à l'évidence, il a épuisé son quota. Il n'a ni l'envie ni l'intention d'en faire davantage, parce que ça ne servirait à rien, et que chaque seconde qu'ils passent l'un avec l'autre rend cette situation un peu plus compliquée.

"Tu ne vas quand même pas me reprocher de ne pas m'être préoccupé de toi alors que tu es parti sans même jeter un regard en arrière", réplique Regulus avec amertume.

Et c'est comme ça qu'il le conçoit. Son frère l'avait abandonné, bien trop heureux de vivre avec sa nouvelle famille, son nouveau frère, indifférent au frère qu'il laissait derrière lui. Alors oui, Regulus avait cessé de se préoccuper de lui, ou du moins il l'avait prétendu. La vérité, c'est qu'il avait plus d'une fois pris discrètement des nouvelles de son frère, chose qu'il n'assumera jamais.

"J'ai compris, ça sert à rien", soupire-t-il finalement en fourrant ses mains dans ses poches. "Profite bien de ta nouvelle vie ici, avec un peu de chance, on se recroisera pas", qu'il lui sert sans avoir aucune envie de mettre fin à cette conversation, pourtant.

Il aimerait trouver une parade, un prétexte pour parler plus longuement avec lui, mais rien n'y fait, rien ne vient. Il est là, bêtement, étouffé par sa fierté qu'il ne sait ravaler, et il laisse lui passer entre les pattes toutes les opportunités qu'il pourrait avoir de juste lui dire ce qu'il pense, notamment le fait qu'il a espéré le revoir, parce que de son ancienne vie, il est finalement celui qui lui manquait, mais non il ne dirait rien, et au lieu de briser la glace, il allait faire en sorte qu'elle s'épaississe encore davantage.