L'enseignante observait intensément son interlocutrice pendant que celle-ci réfléchissait visiblement à ses suggestions. Le simple fait que Villanelle prenne le temps de considérer la chose la rendait incroyablement intéressante, à ses yeux. Face à l'éventualité de la mort, même si celle-ci devenait une étape nécessaire pour, au fond, une jeunesse éternelle, nombreux étaient ceux qui se dérobaient et angoissaient tant qu'ils préféraient finalement renoncer.
Si elle retrouvait effectivement ses capacités, elle trouverait certainement un certain réconfort dans l'idée de ne pas être la seule de son espèce en cette ville. Même si elle avait déjà rencontré une semblable, elle avait cependant rapidement découvert que le vampirisme de sa connaissance était bien différent du sien. Pour sa part, elle ne brillait pas au soleil. Fort heureusement. Exposée en plein soleil, elle aurait été considérablement affaiblie. Du temps où elle se devait de sortir en plein jour pour se rapprocher de ses victimes et ne pas être soupçonnée, elle s'était toujours arrangée pour être suffisamment couverte, et choisir les journées les plus nuageuses pour de plus longues escapades en extérieur. Le soleil ne lui était certes pas fatal, mais li ne lui était pas agréable pour autant. Loin de là, même.
Et donc, l'idée d'un couple de vampires en ville était étrangement réconfortante, pour elle. Elle ne s'attendait pas une seule seconde à retrouver Laura dans cette vie, mais si Villanelle retrouvait Eve, elle serait ravie d'apprendre cette nouvelle. Son amante du soir était attachante, à sa manière. Son histoire d'obsession - d'amour ? - était émouvante, pour elle qui était incapable d'admettre que des sentiments aussi puissants pouvaient se passer de ténèbres et d'émotions sombres. De sang, surtout.
La promesse de son interlocutrice la fit sourire franchement. Elle ne s'embarrassait pas de dissimuler sa curiosité au sujet d'Eve et de Villanelle. Par ailleurs, toute manifestation surnaturelle pouvant lui permettre de développer ses hypothèses et théories au sujet de cet endroit était la bienvenue.
- Bien. Si je retrouve un jour ma nature, je te promets de ne pas m'en prendre à vous.
Elle laissa passer un temps de silence, avant d'ajouter d'une voix plus légère :
- Sauf si tu veux toujours que je te transforme, bien sûr. Si un jour tu confirmes ce souhait, tu n'auras qu'à me contacter et je le ferai.
If you were less pretty, I think I should be very afraid of you
« Je te remercie », répond très sincèrement Villanelle quand Carmilla s’engage à ne pas s’en prendre ni à elle, ni à Eve si elle devait retrouver sa nature.
C’est une promesse qu’elle prend pour argent comptant. Peut-être qu’elle ne devrait pas, c’est vrai, mais elle a confiance en Carmilla. Elle s’est trouvée avec elle une sorte de connivence qui ne s’embarrasse pas de ce jeu devenu habituel avec d’autres, qu’elle joue plus ou moins bien, et qui l’oblige à dissimuler à tous ceux à qui elle s’adresse une partie de ce qu’elle est. Jusqu’ici, il lui semblait qu’il n’y avait qu’Eve pour l’avoir vu comme elle l’était, dans son intégralité, et donc aussi dans toute sa complexité. Ici et maintenant, elle a le sentiment que c’est également le cas de son interlocutrice, et ce n’est pas une pensée déplaisante. Elle se sait disposer d’un privilège, en cet instant, et c’est un privilège dont elle n’abusera pas, ça non. Même si elle aurait tendance à abuser de tous les privilèges qu’on lui accorde, de prendre le bras entier quand on lui tend seulement la main.
Elle retient donc la promesse de Carmilla, quant à elle… Elle se met à espérer de plus en plus que Carmilla finira par retrouver ses capacités, car elle se demande si, si elle devait retrouver Eve un jour (ce qui demeure tout de même très incertain à ses yeux), elle ne serait pas tentée de revenir à cette conversation et de chercher à la convaincre tout de même… juste au cas où.
« Tu me laisses ton numéro ? ça pourra peut-être servir », suggère-t-elle avant de fouiller dans l’appartement sans vraiment attendre l’assentiment de la buveuse de sang, afin de trouver de quoi écrire et noter son propre numéro.
Ses rencontres ne sont bien souvent que l’affaire d’une nuit. C’était le cas dans son ancienne vie, c’est aussi le cas dans celle-ci. Être un coup exceptionnel ne vous garantira pas d’être un jour rappelée par l’inconstante Villanelle (qui, de toute manière, considérera qu’elle reste un meilleur coup que vous). « Je vais rentrer, maintenant. Mais si jamais tu te retrouves, tu me contactes ? Je veux tous les détails. Et si je la retrouve, je te le dirai », ajoute-t-elle.
Echange de bons procédés à ses yeux, somme toute, et bien naturel, évidemment. Enfin, naturel pour elles, car il n’y aurait sans doute pas grand monde qui serait susceptibles de trouver quoi que ce soit de naturel aux paroles qu’elles s’adressent et à la conversation qu’elles viennent d’avoir – mais dont, pour sa part, Villanelle est infiniment satisfaite. Suffisamment pour estimer qu’il est temps que ce moment touche à son terme… Il ne faut jamais abuser des bonnes choses. Quoique.
Les deux femmes étaient parvenues à une étrange entente. C'était rare que de rencontrer une personne avec laquelle on pouvait se permettre une telle complicité, une telle... Compréhension intuitive. Et silencieuse. Elles se comprenaient, en ayant seulement eu besoin d'échanger quelques phrases, sans doute parce que leur situation était, quelque part, similaire. Malgré les contextes bien différents qui entouraient leurs situations.
La brune acquiesça silencieusement après que Villanelle lui ait demandé son numéro. Elle la laissa fouiller, riant silencieusement face à cette habitude qu'avait la jeune femme. A son tour, elle se leva du canapé et prit un papier et un stylo. Elle nota son numéro avant de tendre le bout de papier à son amante du soir.
- Je te le dirai, oui...
Elle arqua un sourcil tout en esquissant un sourire en coin. Du peu qu'elle connaissait au sujet de Villanelle, elle estimait qu'elle ferait effectivement une excellente vampire. Et Carmilla serait véritablement curieuse de voir ça. Et également d'en savoir davantage au sujet de cette fameuse Eve, en la rencontrant. Ne serait-ce que pour satisfaire sa curiosité. Curiosité qui n'était peut-être pas très saine, mais il fallait bien se distraire, sur cette île maudite.
- Enfin, si tu promets de ne pas me balancer. Je crains de ne pas être aussi... Sage, si je retrouve mes pouvoirs et mon besoin de sang.
Elle passa une main sur la taille de la jeune femme en une caresse délicate, avant de la conduire en direction de la porte d'entrée, qu'elle ouvrit pour elle avant de s'appuyer sur le chambranle pour mieux la regarder partir.
- Et si entre-temps tu te sens seule... Tu sais où me trouver. Et où m'appeler, ajouta-t-elle avec taquinerie pendant qu'elle repartait.